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Guardian - Tome 2
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Quatre Ans, Mais Veut Déjà Dominer Le Monde
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Le Titre
Sam 20 Juil 2024 - 15:12
Guardian - Tome 2
Ecrit Par Priest



Carte D'identité

Pays D'origine : Chine

Traduction : Nephely
Correction :Minidoux

Nombre De Chapitres : 30 Chapitres

Status : Terminé


Tome 1 - Tome 2 - Tome 3

Résumé

L'Unité des Enquêtes Spéciales est une organisation secrète dont personne ne soupçonne l'existence, dédiée à enquêter sur des phénomènes étranges, au-delà de toute compréhension humaine.

Le Chef qui en est à la tête, Zhao Yunlan, n'est pas non plus un homme ordinaire. Etant l'héritier de l'Ordre des Gardiens, il a toujours été un conformiste vertueux, excellant aussi bien dans le royaume des vivants que celui des morts.

Alors qu'il enquête sur un cas de suicide dans une université, Zhao Yunlan fait la connaissance du professeur Shen Wei et se retrouve irrémédiablement attiré par cet homme calme et réservé, bien que ce dernier agisse de façon plutôt étrange à son égard...

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Néphély
Mar 23 Juil 2024 - 18:47



Chapitre 45
Acte 3 : Pinceau d'Encre de Vertu
Le soir, Guo Changcheng quitta le centre de soins pour enfants autistes. Il faisait déjà nuit et les rues étaient bloquées par la neige fraîchement tombée. Il devait rouler à une allure d'escargot et prier pour arriver avant la fermeture du bureau de poste.

Sa petite voiture cabossée était pleine de livres de toutes sortes : certains étaient des manuels scolaires ou des cahiers d'exercices, d'autres des livres pour enfants ; tous étaient enveloppés de plusieurs couches de papier craft et d'emballages en plastique. Ils étaient rangés en piles bien ordonnées ; au premier coup d'œil, ils ressemblaient beaucoup à une livraison d'une librairie en ligne.

Guo Changcheng prévoyait de les offrir à une école primaire qu'il parrainait, en guise de cadeau de Nouvel An.

Ses compétences de conducteur étaient médiocres et n'étant pas très courageux. Sa voiture avançait comme une tortue géante sur la route glissante et pourtant il avait presque percuté quelqu'un.

Un homme en gris s'était lancé dans la circulation et failli passer sous les roues de la voiture de Guo Changcheng. Plusieurs voitures frénèrent vivement, mais heureusement, tout le monde roulait lentement, si bien qu'il n'y eut pas d'autres accidents.

Un conducteur grincheux baissa sa vitre et s'écria :

— Vous êtes fou ? Trouvez un autre endroit pour vos combines, ok ?

Mais Guo Changcheng n'était pas si coriace. Il était choqué et ses paumes étaient couvertes de sueur. Il se précipita hors de sa voiture et demanda d'une voix tremblante :

— Vous... vous allez bien ? Désolé, je suis vraiment désolé.

La personne qui était tombée était très maigre, si maigre qu'elle paraissait déformée. Son visage hagard était à moitié caché sous le large bord d'un chapeau. Au premier coup d'œil, il semblait enveloppé d'une brume sombre. Sa peau était pâle et cireuse, ce qui lui donnait l'air d'être aux portes de la mort.

Le conducteur en colère continua de crier :

— Allez, mec, laisse-le, tu veux ? C'est un putain de psychopathe ! Pourquoi tu ne l'as pas écrasé ?

Guo Changcheng fit un faible signe de la main au conducteur en colère, mais en regardant la personne devant lui, il fut encore plus terrifié. Avec hésitation, il tend les mains pour l'aider :

— Vous pouvez vous lever ? Et si... et si je vous emmenais à l'hôpital ?

Mais la personne au chapeau n'accepta pas son aide, repoussant rapidement ses mains et le fixant du regard. Ses yeux semblaient morts, son regard était en quelque sorte pétrifiant. Guo Changcheng frissonna.

Puis la personne se leva et s'éloigna rapidement sans le regarder à nouveau.

Guo Changcheng remarqua une tache noire sous l'une des oreilles de l'homme, comme une empreinte digitale laissée par un doigt couvert de cendres.

Il resta là, impuissant, et lui cria :

— Vous allez vraiment bien ? Et si je vous donnais mes coordonnées ? Si vous avez besoin de quelque chose, je m'appelle...

Mais l'homme tourna au coin d'une ruelle étroite et disparut.

Le chauffeur en colère s'en alla aussi, ses derniers mots à Guo Changcheng restant suspendus dans l'air glacial.

— Mec, t'es stupide ou quoi ?

Guo Changcheng soupira et se retourna pour ouvrir la portière de sa voiture. Soudain, il aperçu un reflet dans la vitre : c'était la personne au chapeau.

Il était sur le trottoir derrière Guo Changcheng, se cachant furtivement dans un coin. Lorsque deux femmes passèrent devant lui, il ouvrit brusquement la bouche. Sa tête se transforma en une forme semi-humaine, et une langue de plusieurs centimètres de long en sortit. La créature fit un mouvement de succion vers les deux passantes.

Guo Changcheng écarquilla les yeux. L'une des deux femmes trébucha et manqua de s'évanouir, comme si elle souffrait d'hypoglycémie. Heureusement, l'autre l'aida à se relever. Guo Changcheng ne comprenait pas ce qu'elles disaient. Il voyait juste un léger nuage flottant du corps de la femme jusqu'à la mâchoire béante du porteur de chapeau.

Stupéfait, Guo Changcheng tourna la tête, mais derrière lui, il ne vit rien d'autre qu'une rue enneigée et des piétons normaux.

Il se précipita dans sa voiture, le cœur battant, et sortit rapidement le bâton paralysant que le chef Zhao lui avait donné. Il le rangea dans la poche intérieure de sa veste et le tapota vigoureusement. Comme s'il s'agissait d'une force d'ancrage, il démarra lentement.

Ce bâton paralysant était vraiment la meilleure chose qu'il avait reçue du SIU, en dehors de son salaire.



Lorsqu'il arriva au travail le lendemain, Zhu Hong brandit immédiatement son passe de la cafétéria devant son visage.

— Xiao Guo, je veux un Xian Bing (1) aujourd'hui ! Un de ceux qui sont frits et croustillants, et un yaourt aussi !

Guo Changcheng posa son sac et sans rien dire d'autre qu'un simple "oui", il se précipita à la cafétéria. Juste devant la porte du bureau, il tomba sur Chu Shuzhi, qui était en train de grignoter une demi-crêpe frite. Guo Changcheng se redressa et le salua :

— Bonjour, Chu-ge.

Chu Shuzhi lui fit un doigt d'honneur, lui accordant à peine un grognement et un coup d'œil en retour.

Il l'avait déjà dépassé, mais Chu Shuzhi se retourna rapidement et attrapa Guo Changcheng par le col, le tirant en arrière.

— Attends, tu as rencontré quelque chose de sale ?

Guo Changcheng le regarda bêtement.

Les mains de Chu Shuzhi sentaient les crêpes frites, elles l'attrapèrent par les épaules, le retournèrent, lui tapotèrent le dos et les deux côtés de la taille. Puis Chu Shuzhi s'essuya les mains avec une serviette en papier et repoussa Guo Changcheng.

— Tu as eu de la malchance. Très bien, maintenant que tu es propre, tu peux partir.

Le visage et les oreilles de Guo Changcheng rougirent. Il s'enfuit à petits pas. Chu Shuzhi pris une nouvelle bouchée croquante de crêpe, des miettes huileuses tombant sur le sol.

— Quel genre de cultivation a fait ce gamin, sa vertu est si épaisse qu'elle coule de lui comme de la graisse...

Zhu Hong, affamé, avait l'eau à la bouche ; on aurait dit qu'il décrivait un cochon savoureux.



— De la nourriture ! De la nourriture !!!

Zhao Yunlan franchit la porte avec fracas et, sans rien dire, fouilla le corps de Chu Shuzhi. Il trouva un œuf dans son manteau et s'en empara sans cérémonie.

Chu Shuzhi était furieux, mais n'osait rien dire.

Ensuite, Zhao Yunlan sortit une brique de lait du réfrigérateur, l'ouvrit et la but.

Da Qing hurla :

— C'est à moi ! C'est la mienne ! Tu voles de la nourriture pour chat, espèce de connard sans vergogne !

Zhao Yunlan le regarda sans s'en préoccuper.

— Oui, je l'ai fait... Qu'est-ce que tu vas faire, petit gros ?

Da Qing ne répondit pas.

— Pourquoi ne pas aller à la cafétéria... dit Zhu Hong.

— Je suis pressé, rétorqua Zhao Yunlan, qui courut droit vers le mur, juste au moment où Guo Changcheng revenait avec un Xian Bing.

Avant qu'il n'ait le temps de s'étonner, le chef Zhao traversa le mur et disparut.

—  Tu peux fermer la bouche, demanda Zhu Hong en prenant son repas. Là, il y a une porte vers la bibliothèque ; tu n'es pas capable de comprendre quoi que ce soit à l'intérieur, alors naturellement, tu ne peux pas voir la porte non plus.

Chu Shuzhi termina sa crêpe et se sentait encore à un œuf de la satiété. Il s'empressa de prendre un petit morceau du Xian Bing de Zhu Hong.

— Mieux que moi, je la vois mais je ne peux pas y entrer... la bibliothèque ne m'est pas ouverte.

Guo Changcheng demanda :

— Pourquoi ?

Le visage grognon de Chu Shuzhi se para d'un sourire effrayant.

— Parce que j'ai un casier judiciaire.

Guo Changcheng resta silencieux.

Il avait vraiment toujours peur de son Chu-ge.

Un peu plus tard, Zhao Yunlan sortit précipitamment du "mur" avec un vieux livre en lambeaux. Il jeta la coquille d'œuf et la brique de lait vide dans la poubelle de Guo Changcheng et saisit une serviette en papier sur le bureau de Zhu Hong. Sans un mot, il se dépêcha de partir.

Puis il disparu pendant une journée entière.

Quinze jours s'étaient écoulés depuis leur voyage dans les montagnes enneigées. En un clin d'œil, le Nouvel An lunaire était arrivé. Les tempêtes hivernales glaçaient la Cité du Dragon, bien décidées à entraîner tout le monde dans la nouvelle année.

Le chef Zhao était tellement occupé qu'il en oubliait presque son propre nom. Il devait préparer des cadeaux pour toutes ses relations importantes et recevoir ceux de ses amis de fortune dans toutes sortes d'endroits. Il avait une correspondance interminable, des engagements sociaux sans fin, des rapports, des réunions et des conférences à n'en plus finir. Le téléphone de son bureau sonnait sans arrêt, comme s'il était la ligne directe de la billeterie ferroviaire.

De nouveaux calendriers furent installés sur tous les bureaux de tous les services. Ce jour-là, le crépuscule arrivant tôt, Sang Zan se rendit aux enquêtes criminelles avant que les travailleurs de jour ne partent.

Il avait la vie dure. De son vivant, il était un conspirateur impitoyable et, après sa mort, il avait été enfermé dans le Poinçon des Montagnes et des Rivières, une prison sans lumière et intemporelle où il était resté enfermé pendant des siècles. Aujourd'hui, il était transformé et prêt à mener une nouvelle vie... non, une vie après la mort. Mais il se rendait compte qu'il était passé du statut de conspirateur à celui de simple d'esprit : il ne comprenait même plus le langage humain.

Wang Zheng était la seule personne au monde à pouvoir communiquer avec lui ; et bien que la langue Hanga soit la langue maternelle de Wang Zheng, elle ne l'avait parlée que pendant moins de vingt ans. Les trois siècles suivants, elle avait parlé le mandarin. Lorsque Sang Zan se rendit compte que Wang Zheng parlait beaucoup plus facilement que lui avec les humains et les autres fantômes, il fut bien décidé à apprendre le mandarin.

Sang Zan ne reculait devant rien lorsqu'il était déterminé à atteindre un objectif : il avait même empoisonné sa propre femme et son enfant. Au cours des semaines suivantes, il passa presque tout son temps à murmurer des mots à l'oreille de Wang Zheng. Cela la rendit presque folle, jusqu'à ce qu'il commence enfin à comprendre les règles de base de la prononciation. Il était maintenant capable de reproduire des mots, et même de tenir des conversations simples par lui-même.

Sang Zan articula soigneusement un mot de mandarin après l'autre, annonçant :

— Gelan dit qu'à la fin de l'année, en plus des 'os' de fin... de fin d'année, il y aura des 'pattes de lapin' supplémentaires, alors... tout le monde est prié d'envoyer, d'envoyer ses feuilles de blé.

Il parlait clairement sans comprendre ce qu'il disait.

Lin Jing demanda :

— Amitabha. Quel blé ? Quelles feuilles ? Nous faisons des brioches à la vapeur pour le réveillon du Nouvel An ?

Sang Zan gesticula et dit :

— Pas des brioches, mais des feuilles de blé ! Le beurre, va être apport...

— Le chef Zhao dit qu'en plus de notre prime de fin d'année, nous recevrons cinq mille dollars supplémentaires. Venez les chercher d'ici ce week-end et envoyez-moi vos reçus la semaine prochaine. Il vaut mieux que ce soit des frais de transport, mais les frais d'assurance sont également acceptables, dit Wang Zheng en descendant précipitamment et en jetant un coup d'œil à Sang Zan. Tu ne l'as pas mémorisé correctement.

Sang Zan la regarde, et son expression sinistre s'adoucit. Il se met à sourire bêtement et lui tendit prudemment la main.

— Ne me distrais pas, je suis occupée, le réprimanda doucement Wang Zheng. Zhao Yunlan est allé à une réunion avec l'un de ses beaux-frères, mais j'ai encore un document urgent à lui faire signer.

Sang Zan dit rapidement :

— Je... Je donne...

Wang Zheng retira sa main.

— Non, tu ne le feras pas, tu vas effrayer son beau-frère à mort.

Sang Zan ne discuta pas et la suivit silencieusement, la regardant courir de long en large dans le couloir sombre, occupée à son travail.

Wang Zheng se retourna et murmura quelque chose que personne ne comprit. Sang Zan se mit à sourire d'un air satisfait, un air transcendant qui disait que tout allait bien se passer.

— Ce que je déteste le plus, c'est le PDA, surtout dans une langue étrangère. Je deviens aveugle, dit Zhu Hong avant de baisser la voix et marmonner. La Terreur Fantôme vient à peine d'arrêter de flirter, et voilà que ces deux-là commencent !

Lin Jing dit :

— Bonté divine, madame, s'il te plaît, ne t'encombre pas d'envie et de haine.

Zhu Hong s'apprêta à le frapper, mais juste à ce moment, le téléphone sur son bureau sonna. Elle décrocha.

— Bonjour... oh, où ?

Elle fit signe à tout le monde de rester, puisqu'ils étaient déjà sur le point de partir. Elle sortit une pile de blocs-notes.

— Hum, allez-y... Route de la Pierre Jaune, Hôpital du Temple de la Pierre Jaune. D'accord, je vais leur dire... Ah oui, si vous avez le temps, revenez au bureau ; Wang Zheng a des choses à vous faire signer.

Tout le monde savait que c'était le chef Zhao qui venait d'appeler. Après avoir raccroché, Zhu Hong poussa un soupir de colère.

— Allez, pourquoi c'est toujours la même chose ici... pas de travail le jour, mais des heures supplémentaires la nuit. Cinq minutes après la fermeture des bureaux, notre chef indélicat a du travail pour nous.

En entendant cela, Lin Jing réagit aussi vite que l'éclair : il poussa immédiatement la porte et disparut du champ de vision à la vitesse de la lumière.

Zhu Hong écrivit l'adresse sur un mémo et le colla sur le mur. Elle remonta son écharpe jusqu'aux oreilles et se plaignit :

— C'est l'hiver, et je suis une fille, je ne supporte pas le froid...

Da Qing enchaîna immédiatement :

— Ce vieux chat n'a pas de doudoune.

Tous les regards se tournèrent vers Chu Shuzhi, le dernier à réagir. Il fit face à ses salauds de collègues, et un million de mots se transforment en un seul :

— Putain.

Dix minutes plus tard, Chu Shuzhi était assis dans la voiture de Guo Changcheng, en direction de l'hôpital du Temple de la Pierre Jaune.

Notes :
1/ Sorte de petite tourte au bœuf.

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Mar 23 Juil 2024 - 18:47



Chapitre 46
Acte 3 : Acte 3 : Pinceau d'Encre de Vertu
Chu Shuzhi ne parlait pas beaucoup à Guo Changcheng, mais les rares fois où ils étaient entrés en contact, il s'était toujours arrangé pour montrer ses compétences. Il avait laissé une impression indélébile dans le jeune cœur de Guo Changcheng.

Guo Changcheng trouvait aussi le chef remarquable, mais il était généralement plus amical, et ses plaisanteries et ses farces lui donnaient un air plus terre-à-terre. Il était tout au plus un père ou un grand frère, quelle que soit sa puissance. Il n'avait rien de mystérieux.

Chu Shuzhi était différent. Chu-ge était tout à fait un "sage de l'autre monde" que l'on admirait de loin.

Comme l'enseignait le code de conduite en ligne pour les nouveaux arrivants au travail, Guo Changcheng portait un petit carnet de notes sur lui. Il suivit Chu Shuzhi avec impatience, n'osant pas dire un mot, se contentant de prendre des notes sur tout ce qu'il voyait.

En entrant dans l'hôpital, ils aperçurent un jeune policier qui attendait devant une porte. Ils lui montrèrent leur carte d'identité et entrèrent tous ensemble dans le service.

Celui qui les conduisit à l'intérieur s'appelait Xiao Wang, et il leur dit pendant qu'ils marchaient :

— Notre chef de la police est aussi à l'intérieur. Il vient de parler au chef Zhao au téléphone. Cet incident est particulièrement grave. La famille de la victime a appelé la police pour signaler la vente malveillante d'aliments empoisonnés. La victime est à l'intérieur, mais jusqu'à présent, les médecins n'ont pas pu déterminer de quel type de poison il s'agit.

Chu Shuzhi demanda :

— Une intoxication alimentaire ? Quel genre d'aliment ?

— Des fruits, répondit Xiao Wang. La victime a quitté le travail tard hier soir et n'a pas eu le temps de dîner. Selon sa famille, il a mangé une orange achetée à un vendeur ambulant. Après l'avoir mangée, il s'est évanoui immédiatement et on l'a envoyé à l'hôpital. J'ai entendu parler d'eau empoisonnée ou d'aliments transformés contenant des additifs nocifs, mais jamais de fruits empoisonnés.

Tout en parlant, il poussa la porte de la chambre du patient, et quelqu'un poussa un cri strident. Guo Changcheng sursauta de peur et, sur la pointe des pieds, jeta un coup d'œil dans la chambre, derrière Chu Shuzhi.

Un homme d'une trentaine d'années était allongé sur le lit, se débattant de manière incontrôlée tandis que les médecins et les infirmières le maintenaient en place. Une femme en pleurs se trouvait également dans la pièce, probablement un membre de la famille.

L'homme s'agrippait à la main d'un médecin, lui arrachant presque la peau, et hurla :

— Mes jambes, mes jambes sont cassées... Mes jambes ! Ah ! Ah !!!

Il gémit et hurla, les veines bleues de son cou se dessinant.

— Au secours ! Aidez-moi... mes jambes sont cassées... c'est si douloureux, aidez-moi... ça fait mal !!!

— Ses jambes ? demanda Chu Shuzhi à Xiao Wang.  Vous n'avez pas dit qu'il s'agissait d'une intoxication alimentaire ? Qu'est-il arrivé à ses jambes ?

— Rien, dit Xiao Wang, pas même une égratignure. Ils ont scanné ses jambes et n'ont rien trouvé... c'est pourquoi on ne sait rien.

Chu Shuzhi s'avança et donna une tape sur l'épaule d'une infirmière, lui faisant signe de s'écarter. Il souleva les paupières de l'homme et étudia ses iris. Puis il examina l'arrière de ses oreilles, marmonna quelque chose et fit un mouvement brusque de la main. Enfin, il forma un poing et frappa durement le plexus solaire de l'homme.

L'homme cessa soudain de se débattre.

Chu Shuzhi demanda :

— C'est encore douloureux maintenant ?

L'homme reprit son souffle et le regarda avec gratitude, en secouant la tête.

Les médecins et les infirmières qui les entouraient le regardèrent tous comme s'il était membre d'une secte maléfique.

Chu Shuzhi retira son poing sans état d'âme et, sans se soucier des cris qui reprirent derrière lui, il se tourna vers Guo Changcheng.

—  Nous en avons fini ici ; rentrons et rédigeons le rapport.

Guo Changcheng resta sans voix. Leur travail était terminé comme ça ! C'était... Qu'est-ce qui venait de se passer ?

~~~

Le cours facultatif de Shen Wei avait lieu le soir. En regardant les derniers étudiants partir, il rangea son sac et retourna à son appartement dans le monde des humains. Sur le chemin, il n'arrêta pas de consulter son téléphone... comme s'il était vraiment préoccupé par l'heure.

Son téléphone n'avait que trois fonctions : téléphoner, envoyer des messages et donner l'heure. Il n'avait jamais joué aux jeux qui l'accompagnaient.

Shen Wei n'aimait pas ce gadget, il trouvait plus pratique d'écrire une lettre. Si c'était urgent, on pouvait écrire une note rapide ; si ce n'était pas le cas, on pouvait prendre son temps et écrire un peu plus longuement, contrairement aux appels téléphoniques, qui étaient facturés à l'heure. Chaque fois qu'il y pensait, il avait l'impression que quelqu'un le regardait parler au téléphone et cela le mettait très mal à l'aise.

L'ouverture d'une lettre était un processus marqué par une joyeuse anticipation, surtout lorsque l'expéditeur était quelqu'un de spécial. L'écriture de l'expéditeur pouvait à elle seule déclencher le désir le plus profond, et ses lettres pouvaient être conservées pendant longtemps dans une collection.

C'était dommage que Zhao Yunlan n'écrive jamais de lettres. Même lorsqu'il signait pour un colis, il trouvait son nom trop long et se contentait de griffonner un "Zhao" illisible. Le Tueur de Fantômes recevait des messages de la marionnette messagère ; Shen Wei était bombardé de messages instantanés.

Les polices froides des messages ne semblaient pas différentes de celles envoyées par l'entreprise de télécommunications pour l'informer du solde de son compte. Bien que Shen Wei ne les avait jamais effacés, il ne s'y était jamais vraiment habitué... mais maintenant, il n'y avait plus rien à quoi il devait s'habituer. Depuis qu'ils étaient revenus des montagnes, Zhao Yunlan ne l'avait plus dérangé.

C'était peut-être mieux ainsi, pensa Shen Wei.

La durée de vie normale d'un humain n'était que de quelques dizaines d'années. Pour lui, c'était comme claquer des doigts. Les hommes mouraient comme des bougies consumées, et après cela, tout ce qu'ils avaient fait dans leur vie n'avait plus de sens. Le moment venu, Zhao Yunlan l'oublierait à nouveau.

Shen Wei entra dans sa chambre et poussa la porte qu'il gardait toujours fermée à clé. En l'ouvrant, la lumière s'alluma automatiquement.

Dans la chambre, il n'y avait ni lit, ni table, ni chaise, mais seulement une série de portraits accrochés au mur. Les cadres montraient qu'ils avaient vieilli et qu'il s'agissait tous de portraits d'un seul homme : de face, de profil, de dos ; les images étaient classées par ordre chronologique, comme le montraient ses vêtements, qui changeaient au fil des dynasties et des époques. Et pourtant, il s'agissait toujours de la même personne ; même l'expression la plus détaillée de ses sourcils était scrupuleusement dépeinte, et elle ne changeait jamais à travers les siècles.

Les peintures anciennes étaient suivies de grandes et de petites photographies, certaines de son adolescence, d'autres de ses années plus âgées... Il souriait, fronçait les sourcils, bavardait et s'amusait ; il y en avait même une où un chat lui sautait sur la tête, et où il penchait le cou en criant.

Toutes était de Zhao Yunlan. Il n'y avait toujours eu que lui.

Shen Wei était conscient qu'il y a des choses qu'il était le seul à savoir, qu'il était le seul à se rappeler. Quand le temps se sera écoulé, il disparaîtra lui aussi, seul. Mieux valait que personne ne s'en aperçoive... après tout, son existence même était une erreur.

En attendant, la seule chose à laquelle Shen Wei pouvait prétendre, c'était de surveiller Zhao Yunlan sans qu'il ne s'en aperçoive. Il pouvait se faufiler dans son appartement tard dans la nuit, mais l'homme était très vigilant, et il ne pouvait pas rester longtemps. Heureusement, Zhao Yunlan avait participé à de nombreux dîners ces derniers temps, et il rentrait généralement à la maison à moitié ivre. Ce n'était qu'à ce moment-là que Shen Wei pouvait s'approcher un peu plus près.

Venir sans bruit. Partir sans bruit.

Le regard de Shen Wei s'attarda avec tendresse sur le mur rempli de peintures et de photographies, puis il disparut dans un nuage de brume noire.

Il s'engagea à toute allure sur la route des Enfers. Près du Pont de l'Oubli, le juge présidait une foule de serviteurs des Enfers, dont le Fantôme Noir et le Fantôme Blanc (1), ainsi que Tête de Bœuf et Face de Cheval (2), et ils attendaient tous le Tueur de Fantômes.

Le Juge était un homme d'âge moyen au teint pâle et à la silhouette ronde ; il arborait une expression bienveillante. Lorsqu'il vit Shen Wei, il fut tout sourire et fit preuve d'une politesse excessive.

— Votre Honneur, les Dix Rois du Monde Souterrain vous attendent.

Dans cette terre désolée et pleine de gémissements, à côté du Pont de l'Oubli, les sourcils délicats de Shen Wei paraissaient un peu froids. Il fit un signe de tête vers les serviteurs des Enfers, et sans lever les yeux, il dit poliment :

— Merci beaucoup.

Observant attentivement son expression, le Juge dit :

— La dernière fois que nous avons envoyé au Gardien le Livre de la Vie et de la Mort, c'était vraiment une erreur de notre part. Il a failli révéler votre identité, et nous sommes vraiment désolés, Votre Honneur.

Shen Wei se contenta de le regarder, d'un air si calme que le juge en eut des sueurs froides.

Il commença immédiatement à se prosterner.

— Mais tout ce qui concerne le Seigneur Kunlun a été effacé, je peux vous le garantir, il n'en reste rien, pas même le plus petit indice. Le Gardien étant désormais parmi les vivants, tant que le Visage Fantôme ne parle pas, il ne découvrira rien. De plus, le Gardien est si noble et bienveillant qu'un être aussi répugnant que le Visage Fantôme n'oserait pas le 'réveiller'.

Shen Wei rit doucement en signe de dérision, mais il ne dit rien... il n'y avait rien de bon à dire.

Le juge émit un rire sec et essuya son front moite avec sa manche.

Il pensait lui aussi qu'envoyer à Zhao Yunlan le Livre de la Vie et de la Mort était une décision stupide de la part des Enfers, mais que pouvait-il y faire ? Ce n'était pas lui qui menait la danse ici.

Il y avait dix grandes divinités au-dessus de lui. Celles-ci lui avaient même ordonné de découvrir secrètement ce que pensait le Tueur de Fantômes, de quel côté il se trouvait, et s'il était possible de le faire changer d'avis. Bien que le Tueur de Fantômes ne parlait que rarement et que sa politesse à toute épreuve le fasse passer pour une mauviette, les choses étaient claires comme de l'eau de roche dans son esprit.

Personne n'était stupide ici. Le vieux juge n'avait pas l'intention de découvrir la rapidité de la lame du Tueur de Fantômes.

D'ailleurs, si ce grand dieu était vraiment réveillé, accepterait-il d'être de leur côté ? Quand il avait été banni il y a des années, n'était-ce pas parce qu'il s'était rebellé contre l'ordre des choses ?

Notes :
1/ Deux divinités chargées d'escorter les esprits des morts jusqu'aux Enfers.
2/ Les deux principaux gardiens du monde souterrain, au service des dix rois du monde souterrain.

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Mar 23 Juil 2024 - 18:48



Chapitre 47
Acte 3 : Pinceau d'Encre de Vertu
— Après avoir mené l'enquête sur le terrain, nous devons rédiger un rapport. Je tape lentement, alors fais-le toi-même, expliqua Chu Shuzhi en se servant une tasse de thé et en s'adossant tranquillement à sa chaise. Tape ce que je te dis.

Guo Changcheng se mit immédiatement devant l'ordinateur, comme s'il devait s'occuper d'une tâche colossale.

Les "personnes" de la SIU avaient toutes disparu, il ne restait plus que des fantômes flottants. Dans l'obscurité, une seule lumière éclairait les enquêtes criminelles, comme un phare éclairant l'océan dans la nuit.

Les deux hommes n'étaient pas assis là depuis longtemps que quelqu'un frappa à la porte. Chu Shuzhi leur dit d'entrer, et un grand plateau fumant arriva en trombe. En y regardant de plus près, on s'apercevait que le plateau ne volait pas tout seul, mais qu'il était porté par une personne sans tête, cachée derrière celui-ci.

Le plateau contenait deux ensembles de couverts, quatre plats, une marmite de soupe et deux bols de riz. Le fantôme sans tête entra doucement dans la pièce et déposa soigneusement la nourriture sur la table. De nulle part, il sortit un sac de croquettes pour chat et remplit la gamelle de Da Qing.

Da Qing s'assit avec un calme élégant et hocha subtilement la tête.

— Merci... Ce serait formidable si tu pouvais offrir à ton roi un peu de lait concentré aussi.

Certaines émissions télévisées devraient comporter un avertissement : les enfants déficients mentaux et les gros chats doivent être accompagnés d'un adulte.

Le fantôme sans tête se dirigea vers le réfrigérateur et en sortit une bouteille de lait, dont il versa le contenu dans un bol pour Da Qing le Grand.

Guo Changcheng s'était habitué à l'environnement du numéro 4 de Bright Avenue. Il en était venu à penser que les humains et les fantômes n'étaient pas si différents. Certains fantômes avaient bon cœur, comme cet homme sans tête qui apportait des repas aux gens lorsqu'ils devaient faire des heures supplémentaires. Lorsque Guo Changcheng avait quitté le poste de police la veille, il ne lui restait plus qu'un billet de vingt yuans, alors ce fantôme serviable lui fait vraiment sentir la chaleur du printemps.

Après leur repas, Chu Shuzhi but lentement son thé chaud et dit à Guo Changcheng :

— Voilà l'essentiel. Pour ce qui est du format, trouve de vieux rapports et adapte le tien à la situation. Ce type n'a pas été empoisonné, il a été maudit par des fantômes... euh, comme dans le ressentiment. La victime souffrait de douleurs dans les membres inférieurs, le fantôme est donc probablement mort d'une blessure physique. Le front de la victime était assombri, ses yeux rougis, la Ligne de Karma sous ses paupières n'était pas profonde, et la Marque de Vertu noire derrière son oreille était très légère. Il n'est probablement pas directement lié au fantôme qui l'a maudit et ne le méritait pas. À première vue, ce fantôme enfreint les lois…

Guo Changcheng écarquilla les yeux et laissa retomber ses mains sur le clavier. Il n'arrivait pas à suivre et ne comprenait pas du tout ce que Chu Shuzhi était en train de dire.

Chu Shuzhi soupira et se dégourdit les jambes. Il se retourna et demanda à l'imbécile anxieux :

— D'accord, qu'est-ce que tu ne comprends pas ?

— Qu'est-ce que la Ligne du Karma ?

Da Qing leva la tête de son lait, montrant la moustache blanche qui s'était formée sur sa fourrure noire. Il ignora la souillure et dit furieusement :

— Qu'est-ce qui se passe avec Zhao Yunlan ? Il passe ses journées à s'adonner à la luxure et à la cupidité, est-ce qu'il a le temps de s'occuper d'affaires importantes ? A-t-il déjà organisé une séance d'entraînement pour le nouveau venu ? Pourquoi ce gamin ne connaît-il pas la moindre connerie ?

Chu Shuzhi ne pouvait pas laisser un chat médire sur le chef, dit alors :

— Le chef Zhao a été très occupé par la rénovation ces derniers temps. Une fois que tout sera terminé, nous déménagerons dans un château privé avec un immense jardin, et tu pourras avoir une grande maison de chat dans un arbre avec une vue sur les nids d'oiseaux.

Le chat autoritaire marqua une pause et sa colère s'apaisa un peu. Au bout d'un moment, dans l'intérêt de sa grande cabane avec vue sur un nid d'oiseau, il remua ses moustaches et expliqua avec désinvolture à Guo Changcheng :

— La Ligne de Karma n'est rien d'autre que cela, le karma, la causalité. Si un meurtrier entre ici et te tue sans raison, il n'y a pas de karma, ni de ligne de karma. Si un meurtrier entre ici, que tu lui bloques le passage et qu'il te poignarde à mort, cela compte à peine comme du karma, puisque tu étais au mauvais endroit au mauvais moment, et que c'est juste le destin. La ligne qui en résulterait serait très légère et pourrait facilement être effacée. Si un meurtrier vient ici parce qu'il a découvert que tu couchais avec sa femme et qu'il te tue par colère, la ligne de karma sur toi ne serait pas très profonde, mais elle ne pourrait pas non plus être effacée. Tu n'étais pas innocent, mais tu ne méritais pas non plus d'être tué pour ton délit. Son acte était disproportionné par rapport à la cause. Si un meurtrier entre…

Ayant déjà été assassiné plusieurs fois, Guo Changcheng ne peut s'empêcher de poursuivre :

— ...et s'il réalise que je suis son ennemi, celui dont il veut se venger, et qu'il me poignarde à mort, alors la ligne de karma sera plus profonde ?

Da Qing pencha la tête.

— Il y a encore de l'espoir pour cet enfant.

Guo Changcheng demanda alors :

— Alors... alors qu'est-ce que la Marque de Vertu ?

Chu Shuzhi reprit la parole :

— Selon qu'une personne ait fait de bonnes ou de mauvaises actions, il y aura une marque derrière son oreille. Par exemple, si une personne tue quelqu'un, même si la police ne l'attrape pas et que personne ne le découvre jamais, le crime lui laissera une marque noire derrière l'oreille, c'est la Marque de Vertu. Autrefois, on appelait cela ‘détériorer le Yin’.

Quant à ceux qui ont une bonne vertu... Chu Shuzhi regarda Guo Changcheng, et il put voir une marque blanche derrière l'oreille de ce dernier, comme un rayon de lumière qui brillait doucement. Cependant, cette lueur n'était pas visible pour tout le monde. Même ceux qui ont le troisième œil devaient se concentrer pour la voir.

Guo Changcheng semblait être plongé dans une profonde réflexion.

— La marque noire ressemble-t-elle à une empreinte digitale sale ?

Chu Shuzhi fut surpris.

— Tu en as vu une ?

Guo Changcheng acquiesça et leur raconta qu'il avait failli écraser quelqu'un avec sa voiture la nuit précédente.

Da Qing s'esclaffa :

— Une marque noire si grande que même un être humain normal peut la voir ! Cet abruti sera probablement électrocuté par le Ciel très bientôt.

Chu Shuzhi s'expliqua en voyant l'expression perplexe de Guo Changcheng.

— La Marque de Vertu d'un humain n'est pas visible à l'œil nu, donc la chose que tu as rencontrée ne peut pas être humaine. La raison pour laquelle la plupart des métamorphes cultivés refusent de s'en prendre aux humains c'est la Marque de Vertu. Si la marque noire devient trop profonde, ils seront punis par le tonnerre et la foudre, et ce n'est pas drôle du tout. Non seulement le métamorphe puni sera électrocuté, mais aussi ceux qui se trouvent à proximité. C'est pourquoi, chaque année, lorsque les métamorphes se réunissent au Marché des Tribus avant le Nouvel An, ils surveillent la vertu de chacun pour s'assurer qu'aucun ne franchit la ligne. Ils préfèrent s'occuper eux-mêmes des malfaiteurs avant que la nouvelle de leurs crimes n'atteigne les cieux.

Guo Changcheng ne comprenait qu'en partie.

— Alors si un humain fait de mauvaises actions, les Cieux le puniront-ils aussi par la foudre ?

— Non. répondit Da Qing en remuant la queue et en sautant sur le sol, il arqua le dos et se roula en boule de poils à côté du radiateur. Tu n'as pas entendu le dicton "Celui qui répare les ponts devient aveugle, celui qui tue les gens a plein d'enfants" ? Le monde des humains a ses propres lois, et la plupart des gens ne se réincarnent jamais de toute façon. La vie est tellement courte et les hommes meurent comme des fourmis, bien avant que le karma ne les rattrape, de sorte qu'accumuler de la vertu n'apporte rien de particulier à un être humain... cela peut le rendre plus chanceux, mais pas toujours. Regarde-toi, par exemple : tu as une grande vertu, mais tu restes un petit bout de chou malchanceux.

Guo Changcheng avait perdu ses parents et était devenu orphelin alors qu'il était encore jeune. De plus, il était né sans talent et timide. Bien que Zhao Yunlan avait dit en plaisantant que l'emmener comme mascotte leur porterait chance, cela ne changeait rien au fait que Guo Changcheng avait eu une vie assez difficile.

— Vraiment ? J'ai une bonne vertu ? s'exclama Guo Changcheng choqué d'entendre cela. J'ai une vie malchanceuse ? Pas vraiment, je pense que ma vie a été plutôt bonne, c'est juste que je ne suis pas très dégourdi.

Il avait toujours l'impression de ne pas être très doué. Depuis qu'il était tout petit, tous ses proches avaient eu pitié de lui et lui avaient toujours beaucoup donné. Maintenant qu'il avait grandi, il était toujours un bon à rien, mais son oncle lui avait trouvé un travail bien payé, et son chef et ses collègues s'occupaient bien de lui, le laissant même rester alors qu'il n'apportait aucune valeur ajoutée à l'équipe... N'avait-il pas un peu de chance ?

Les yeux baissés du chat noir s'ouvrirent en grand, et il regarda Guo Changcheng. Ses yeux émeraudes brillèrent d'un éclat de lumière dorée.

Mais avant qu'il ne puisse prononcer un mot, Zhao Yunlan entra en titubant, apportant avec lui une bouffée d'air froid et la puanteur de l'alcool. Il demanda d'une voix rauque :

— Comment se passe le rapport ?

— Eh…

Guo Changcheng était sur le point de dire quelque chose, mais avant qu'il ne puisse le faire, Zhao Yunlan lui fit signe de bouger et il se dirigea en titubant vers la salle de bain, où il vomit rapidement.

Chu Shuzhi et Guo Changcheng s'empressèrent de le suivre. Da Qing grogna, déplia lentement ses grosses pattes de sous son corps, et avança d'une démarche chaloupée.

— Humain stupide.

L'humain stupide pressa une main sur son estomac et s'appuya contre le mur, le visage blême.

Chu Shuzhi lui tapota l'épaule.

— Comment tu as pu te saouler à ce point... dit-il puis il se tourna vers Guo Changcheng. Xiao Guo, va chercher de l'eau chaude.

Une fois que Zhao Yunlan eut fini de vomir, il se lava la bouche et se releva en vacillant. Il rit amèrement.

— Ces salauds se sont ligués contre moi et m'ont forcé à boire, qu'est-ce que je pouvais faire ?

Chu Shuzhi répondit :

— C'est des conneries, qui peut te forcer si tu ne veux pas boire ?.

Zhao Yunlan sortit en se tenant au mur.

— J'ai le cœur brisé, pourquoi je ne peux pas noyer mon chagrin dans l'alcool ?

— Aïe, le professeur Shen ne veut toujours pas de toi ? Les professeurs ont vraiment bon goût, tout le monde est d'accord, dit Da Qing en se collant contre sa jambe. Hé, c'est bientôt le Nouvel An, ce n'est pas une bonne période pour conduire en état d'ébriété. Tu ne serais pas aussi stupide, pas vrai ? Tu peux aller en prison pendant six mois.

Zhao Yunlan dit succinctement et amèrement au gros lard d'aller se faire foutre.

Il trouva une chaise et s'y assit. Installé là, il avait l'air aussi faible qu'un chien à l'agonie.

— Xiao Guo, va appeler Wang Zheng pour qu'elle m'apporte les documents à signer. Lao Chu, dis-moi de quoi il s'agit.

Chu Shuzhi résuma brièvement l'incident peu compliqué, et Zhao Yunlan y réfléchit un peu.

— Et vous finissez de rédiger le rapport ? Je vais attendre, et quand il sera terminé, je le tamponnerai et le faxerai ; avec un peu de chance, nous aurons une réponse d'ici demain.

Chu Shuzhi n'y vit pas d'inconvénient. Après tout, ce n'était pas comme si c'était lui qui venait de vomir ses tripes.

Lorsque Wang Zheng descendit, elle lui versa d'abord une tasse d'eau au miel. Zhao Yunlan n'avait même pas la force de regarder les papiers qu'elle lui avait apportés. Sans ouvrir les yeux, il chercha à tâtons un stylo et signa un tas de symboles illisibles. Il fit signe à l'homme fantôme qui se trouvait derrière Wang Zheng.

— Pas de DAP(1) devant un homme seul et célibataire, va te faire foutre !

Lorsque Chu Shuzhi et Guo Changcheng eurent enfin terminé le rapport préliminaire à faire signer et tamponner par Zhao Yunlan, celui-ci dormait déjà sur son bureau depuis un bon moment.

Da Qing le réveilla en lui assénant de puissants coups de pattes et lui demanda :

— J'ai oublié de te demander, comment se porte ma luxueuse maison dans les arbres avec vue sur le nid d'oiseau ?

Zhao Yunlan dit, à moitié conscient.

— Gros con, je vais te tuer et manger ta viande.

Da Qing lui bondit sur l'épaule et lui hurle dans les oreilles :

— Miaou ! !! Crétin ! !! Où est ma luxueuse maison de chat ? Où est ma luxueuse maison de chat ?

Zhao Yunlan le regarda d'un air absent, puis but une tasse d'eau fraîche. Il saisit le chat par son cou rabougri et le jette de côté. Il s'essuya le visage et sembla un peu plus réveillé.

— C'est pratiquement fait, si tout se passe rapidement, nous pourrons probablement déménager d'ici l'automne de l'année prochaine.

Le chat noir abandonna instantanément son attitude arrogante et lui donna un petit coup de patte en guise de flatterie.

— Eh bien, notre chef est si compétent ! Ce... ce nid d'oiseaux tout proche a intérêt à contenir des œufs...

Zhao Yunlan repoussa sa cervelle de chat et s'essuya les mains.

— Putain de chat, dit-il froidement. J'ai de la fourrure partout sur les mains.

Il n'attendit pas que Da Qing s'énerve, il signa rapidement le rapport et se leva.

— J'y vais, merci pour votre travail, les gars.

Chu Shuzhi demanda :

— Hé, attends, comment tu es arrivé là ?

— En taxi. Je vais en prendre un autre.

Guo Changcheng lui rappela gentiment :

— Il est très tard et il fait très froid dehors, vous ne pourrez peut-être pas trouver de taxi. Et si je vo... ow !!

Chu Shuzhi lui marcha impitoyablement sur le pied sous la table avant de se lever d'un bond et de repousser Zhao Yunlan sur sa chaise. Il arracha le téléphone de Zhao Yunlan de sa poche comme un voleur.

— Le professeur Shen est probablement en vacances, laisse-moi l'appeler pour qu'il vienne te chercher.

Zhao Yunlan le regarda fixement.

Il était tellement faible qu'il ne se demandait même pas par qui il allait être raccompagné chez lui !

Zhao Yunlan tendit la main pour récupérer son téléphone, mais Chu Shuzhi s'écarta facilement et dit à Guo Changcheng :

— Hé, va le retenir, regarde comme il est saoul ! Crois-moi, quand il te verra dans cet état, je ne pense pas que le Professeur Shen sera capable de te résister bien longtemps.

Zhao Yunlan était maintenu en place par Guo Changcheng et Da Qing, le chat qui n'aimait que causer des ennuis... il s'installait même diligemment sur son ventre, étouffant presque leur chef.

Zhao Yunlan supplia :

— Non ! Je vous en supplie, je ne causerai pas d'ennuis !

Chu Shuzhi haussa les sourcils en entendant la voix de Shen Wei au téléphone.

— Yunlan ? Qu'est-ce qu'il y a ?

Il avait instantanément décroché, même un père n'était pas forcément aussi attentif aux appels de son fils. Chu Shuzhi fit un geste vers Zhao Yunlan :

— Chef Zhao, tu es une brute ! Pourquoi tu as le cœur brisé ?

Chu Shuzhi toussa.

— Oh, professeur Shen, c'est moi. Notre chef a beaucoup bu ce soir, il embrasse tous ceux qu'il voit. Le bureau est en plein chaos, vous voyez, est-ce que je peux vous demander de venir le chercher ?

Zhao Yunlan saisit un porte-crayon et le lance à la tête de Chu Shuzhi. Ce dernier esquiva et poursuivit :

— Non, tout va bien, c'est juste le chat ivre qui me lance des choses... Bon, nous allons garder un œil sur lui. Venez dès que possible, c'est au numéro 4 de la Bright Avenue, au deuxième étage, au service des enquêtes criminelles. À bientôt !

Zhao Yunlan le montra du doigt.

— Vous êtes une bande de garces !

Da Qing agita sa queue.

— Oui, nous sommes des garces... Qu'est-ce que tu vas faire, gros bêta ?

Guo Changcheng était le complice le plus innocent, et sous le regard acéré du chef Zhao, tout ce qu'il pouvait faire était de prendre exemple sur les autruches et de se recroqueviller sur lui-même, en tremblant.

Peu de temps après, Shen Wei arriva.

Il avait à peine fini de frapper que la porte du bureau s'ouvrit avec fracas et qu'un homme sortit en trombe. Shen Wei l'attrapa et Zhao Yunlan tomba dans ses bras.

Zhao Yunlan ne pouvait pas se tenir debout, mais il avait encore l'esprit combatif. Il pointa Chu Shuzhi du doigt à travers la porte du bureau.

— Petite garce, attends un peu !

Le visage habituellement amer de Chu Shuzhi se para soudain d'un sourire.

— Ooh, je suis mort de peur !

Shen Wei ne savait pas s'il devait rire ou pleurer. Il repoussa la main tremblante de Zhao Yunlan.

— D'accord, d'accord.

Peut-être que Zhao Yunlan était vraiment ivre, ou peut-être qu'il était juste embarrassé devant Shen Wei et qu'il utilisait Chu Shuzhi pour détourner l'attention.

— Peut-être pas aujourd'hui, mais je vais te battre, et tu ne sauras plus combien d'yeux a le Dieu Cheval !

Puis il se dégagea de l'emprise de Shen Wei et tenta d'avancer.

Shen Wei soupira, faisant un signe de tête vers les personnes à l'intérieur du bureau.

— Merci, je vais m'occuper de lui.

Il passa son bras autour de la taille de Zhao Yunlan, l'autre main lui attrapa le poignet, stoppant net son râle tremblant, et l'entraîna à l'écart.

Da Qing resta à la porte, regardant les deux hommes, plongé dans ses pensées. Soudain, il dit :

— Je ressens l'ambiance particulière d'un couple qui switch. Notre chef est une telle salope, serait-ce... hé, homo sapiens, qu'en pensez-vous ?

Chu Shuzhi se débarrassa de son gros derrière d'un coup de pied.

Notes :
1/ DAP : Démonstration d'Affection en Public

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Néphély
Mar 23 Juil 2024 - 18:48



Chapitre 48
Acte 3 : Pinceau d'Encre de Vertu
En fait, Zhao Yunlan éprouvait une sensation assez unique.

Il avait vraiment trop bu, et il n'arrivait plus à marcher droit. Mais il avait déjà vomi et fait une sieste, alors il n'était plus aussi ivre.

Mais comme Chu Shuzhi avait exagéré son état d'ébriété, il avait décidé de jouer le jeu. Prétextant qu'il était complètement désorienté, il s'était affalé sur le siège avant, semblant ne plus rien ressentir, feignant l'inconscience.

Lorsque Shen Wei était venu le chercher à l'étage, il avait laissé le moteur de la voiture allumé pour faire fonctionner le chauffage. Zhao Yunlan le sentit dès qu'il monta dans la voiture.

Une fois que Shen Wei fut monté à son tour, il lui donna un léger coup de coude.

— Réveille-toi, tu pourras dormir à la maison. Il est facile d'attraper froid dehors.

Zhao Yunlan fit le mort.

Il entendit l'homme à côté de lui soupirer.

Shen Wei vit qu'il ne se réveillait pas, alors il se pencha pour lui mettre sa ceinture de sécurité.

Il était si proche que Zhao Yunlan pouvait sentir l'odeur de Shen Wei. Ce n'était pas la même chose que lorsqu'il était le Tueur de fantômes. Il sentait le savon, ses vêtements étaient probablement fraîchement lavés... Lorsque le Tueur de fantômes se débarrassait de sa redoutable cape noire, c'était en fait un homme propre et doux qui se cachait en dessous.

Shen Wei sortit une bouteille d'eau minérale et en versa dans un petit gobelet. Il fit tourner le liquide en cercle plusieurs fois et l'eau froide se réchauffa, de la vapeur commença à s'en dégager. Il porta le gobelet à la bouche de Zhao Yunlan.

— Bois un peu.

Zhao Yunlan ouvrit un peu les yeux. Dans le noir absolu de la voiture, il semblait que la seule lumière provenait des yeux de Shen Wei. Ils étaient parfaits, ni trop sombres, ni trop brillants.

Le cœur de Zhao Yunlan s'emballa soudain. Il se pencha en avant et but le gobelet d'eau que lui tendait Shen Wei. Ce dernier sortit ensuite une couverture de sous le siège et l'enveloppa étroitement. Il augmenta encore le chauffage, puis roula à une vitesse modérée.

Zhao Yunlan s'appuyant sur le siège, les yeux fermés, mais il était réveillé. Cela faisait longtemps qu'il n'avait pas eu aussi chaud par une froide nuit d'hiver.

Plus de quinze jours s'étaient écoulés depuis leur retour des montagnes enneigées, et Zhao Yunlan n'avait jamais contacté Shen Wei depuis lors.

Mais déranger et suivre constamment l'objet de son affection était devenu une sorte d'habitude, et il était toujours douloureux de changer ses habitudes. Ainsi, Zhao Yunlan n'avait pu s'empêcher d'utiliser les activités de fin d'année comme une excuse pour faire des excès. Et bien que les humains soient des animaux sociaux, trop de socialisation pouvait épuiser n'importe qui.

Il ne s'agissait pas de paraître parfait, parfois il s'agissait simplement de se sentir moins seul.

Les hommes et les femmes lui couraient après, il en avait toujours été ainsi. Lorsqu'il était de bonne humeur, il aimait s'engager dans une histoire d'amour ambiguë, juste pour se sentir mieux. Mais depuis qu'il avait cessé de contacter Shen Wei, il s'était mis à comparer tout le monde avec lui. Et plus il le faisait, plus il était déçu... Parmi tous ces gens, aucun n'avait le charisme d'un érudit bien éduqué, aucun n'avait des traits qui semblaient tirés d'un portrait célèbre.

Zhao Yunlan avait l'impression de s'être transformé en vieux moine dépourvu de tout désir en l'espace d'une seule nuit. Une fois, lors d'un dîner, quelqu'un avait engagé le jeune mannequin qu'il avait toujours aimé, mais cela ne l'intéressait pas du tout... Da Qing pouvait en témoigner, il fut un temps où Zhao Yunlan était si pervers qu'il avait mis la photo du maillot de bain de ce mannequin en fond d'écran.

Et chaque fois qu'il était ivre au point d'oublier l'année, il pensait au jour où il avait forcé Shen Wei à le ramener chez lui tard dans la nuit à cause de ses maux d'estomac.

Ils avaient regardé des films ensemble et discuté de temps en temps. Lorsqu'il s'était lassé des vieux films, il prenait des dossiers sur lesquels il travaillait. Ils faisaient chacun leurs activités et ne se dérangeaient pas l'un l'autre. Puis Shen Wei avait placé un oreiller dans le dos de Zhao Yunlan.

C'était un mode de vie que Zhao Yunlan avait toujours rêvé d'avoir : deux personnes qui n'avaient pas besoin de parler, qui ne s'ennuyaient pas l'une l'autre et qui n'exigeaient pas grand-chose toute la journée, comme des sorties au cinéma ou des fleurs. Ils vivaient leur propre vie, mais ils n'étaient pas distants... c'était comme s'ils étaient faits pour vivre ensemble, juste tous les deux.



À son âge, Zhao Yunlan était assez intelligent et expérimenté pour comprendre que lorsqu'un homme regardait une personne qui lui plaisait et qu'il ne voyait pas une petite taille, de longues jambes ou de grosses fesses, mais qu'il voyait un foyer, ce n'était certainement pas de la luxure.

Si ce n'était pas le cas, il aurait peut-être pris ça comme une blague et en aurait terminé ouvertement avec le Tueur de fantômes.

Mais il n'arrivait pas à lâcher prise.

Chaque fois que Zhao Yunlan se souvenait de ces yeux qui l'observaient au milieu de la nuit dans la pauvre cabane des montagnes enneigées, il ne pouvait s'empêcher de penser que s'il mettait fin à tout cela, il le regretterait pour le reste de sa vie.

La porcherie de Zhao Yunlan n'était pas loin du numéro 4 Bright Avenue. Il était encore perdu dans ses pensées tortueuses lorsqu'ils arrivèrent. Shen Wei l'aida à monter les escaliers, lui enleva sa veste et la suspendit soigneusement à côté. Il le fit s'allonger sur le lit et alla chercher une serviette humide dans la salle de bains.

Bien que Zhao Yunlan sembla être complètement ivre, Shen Wei était incroyablement bien élevé. Il se contenta de lui nettoyer le visage et les bras en évitant de toucher tout le reste, ne serait-ce que d'un millimètre. Il l'enveloppa dans une couverture, mit la serviette de côté et par habitude, commença à ramasser la poubelle. Il la plaça à côté de la porte pour pouvoir la descendre en partant. Ensuite, il commença à ramasser les vêtements qui étaient éparpillés un peu partout et les rassembla dans un sac à linge. Il y fixa un mémo, rappelant à Zhao Yunlan d'emmener les vêtements chez le teinturier le lendemain.

Attentif à chaque détail, il enleva le verre d'eau de la table de nuit pour que Zhao Yunlan ne le fasse pas tomber dans son sommeil.

Zhao Yunlan écoutant le bruit de l'homme qui se déplaçait sur la pointe des pieds pour ranger la chambre, non seulement le nœud dans son cœur ne se desserra pas, mais il s'emmêla encore plus.

Shen Wei le gardait dans son cœur, et Zhao Yunlan le sentit. Toute sa vie, à part ses parents, personne n'avait cessé de vouloir quelque chose de lui, ou de vouloir se servir de lui. Jamais personne ne s'était autant soucié de lui.

Da Qing n'était pas une personne, ce n'était qu'un gros chat au mauvais caractère.

Lorsque Shen Wei eut terminé, il se rendit compte que Zhao Yunlan, qui le regardait encore à moitié consciemment un instant plus tôt, semblait maintenant dormir profondément, se reposant paisiblement.

Il avait l'air si tranquille. Shen Wei hésita, il ne voulait pas partir. Il resta debout à côté du lit, incapable de détacher son regard.

"Putain", pensa Zhao Yunlan en faisant semblant de dormir. Son sang se précipitant de façon incontrôlée, il se dit : " S'il te plaît, arrête de me regarder, va-t'en. C'est en train de me tuer."

Mais ni le Tueur de Fantômes, ni les dieux d'en haut n'entendirent son appel. Au bout d'un moment, Shen Wei se pencha lentement, comme en transe, et se rapprocha de plus en plus de Zhao Yunlan, jusqu'à ce qu'il sentit son souffle sur son visage.

Zhao Yunlan fit semblant d'être un cadavre avec la plus grande volonté possible. Pourtant, il sentait bien qu'il était sur le point de s'effondrer.

Finalement, Shen Wei ne parvint plus à se retenir. Les bras appuyés sur le lit de chaque côté de Zhao Yunlan, il effleura doucement les lèvres de ce dernier. Comme une libellule qui tremperait sa queue dans l'eau, il les effleura juste une fraction de seconde. Shen Wei ferma les yeux, un seul contact fugace lui ayant procuré une immense satisfaction. Les battements de son cœur battaient à tout rompre dans son corps physique. L'espace d'un instant, Shen Wei se sentit humain. Sous une lumière tamisée, il vola un baiser à la personne qu'il aimait, la joie et la douceur gonflant dans son cœur. Même s'il mourait maintenant, il n'y verrait aucune objection.

Tout à coup, l'esprit de Zhao Yunlan se vida complètement.

Le fil dans son cœur, qui soutenait d'innombrables tonnes de poids, se rompit finalement, en un clin d'œil et sans un bruit. Le cerveau enivré de Zhao Yunlan se réveilla soudainement. "Tueur de Fantômes ? Et alors, s'il est le tueur de fantômes ? S'il me plaît, il est à moi, au diable les autres !”

C'est ainsi que Zhao Yunlan, qui dormait à poings fermés un instant auparavant, entoura soudain Shen Wei de ses bras. Celui-ci ne réalisa pas tout de suite ce qui se passait et, alors qu'il était encore sous le choc, Zhao Yunlan le retourna et se pencha sur lui.

Son haleine sentait encore légèrement l'alcool. Pourtant, ses yeux étaient clairs comme de l'eau de roche et fixaient ceux de Shen Wei. Il lui demanda doucement :

— Que faites-vous, Votre Honneur ?

Shen Wei ouvrit la bouche, mais dans son immense embarras, il ne put rien dire.

Zhao Yunlan le fixa un moment, des expressions complexes traversant son visage. Soudain, il pinça légèrement le menton de Shen Wei.

— J'ai toujours pensé que vous étiez un gentleman, Votre Honneur, mais je ne savais pas que vous étiez du genre à voler secrètement un baiser au milieu de la nuit. Et c'était en plus un baiser si peu professionnel.

Shen Wei entendit alors son rire étouffé.

Il resta stupéfait, jusqu'à ce que les baisers de Zhao Yunlan pleuvent. Comme s'il était dans un rêve incroyablement vivant, il ne put s'empêcher d'étreindre le corps de Zhao Yunlan et de le serrer plus fort.

Cet homme était incroyablement doué pour les baisers. Fringant et dragueur. Sans effort, il dépouilla Shen Wei de son armure, réduisant ses défenses à néant.

C'est alors que Zhao Yunlan se hissa un peu plus haut. Leurs nez se touchaient presque, et Shen Wei l'entendit murmurer :

— C'est ce qu'on appelle un baiser de niveau professionnel.

Shen Wei ne savait plus où donner de la tête.

Deux boutons de la chemise de Zhao Yunlan étaient défaits, révélant ses clavicules fines et raffinées. Un faible effluve d'eau de Cologne s'échappait, et il n'en fallait pas plus pour réduire Shen Wei au silence.

Il ne pouvait plus dire qui était vraiment ivre à présent.

Zhao Yunlan soupira. Il repoussa doucement la frange en désordre de Shen Wei.

— Laissez-moi vous demander : vous vous êtes caché de moi pendant très longtemps, mais vous êtes toujours resté proche de moi. Est-ce parce que nous nous sommes connus il y a longtemps et que vous m'avez fait quelque chose de terrible, ou avez-vous peur que les humains et les fantômes ne soient pas faits pour être ensemble ?

Shen Wei était abasourdi. Ses yeux redevinrent clairs, il repoussa Zhao Yunlan et se redressa. Le rougissement disparu de sa peau, ses bras tombèrent le long de son corps et ses mains se crispèrent.

Zhao Yunlan s'assit à son tour, le regardant de côté. Il se pencha et tira la main de Shen Wei vers lui. Il ouvrit lentement le poing serré de Shen Wei.

— Regardez-vous, pourquoi vous donnez-vous tant de mal ? Si c'est la première raison, je vous le dis tout de suite : à partir de maintenant, tout ce qui s'est passé dans le passé est complètement oublié. Vous n'en parlerez pas et je ne m'en souviendrai même pas. Quant à la deuxième raison... c'est une connerie, non ? Les humains meurent et deviennent des fantômes aussi, peut-être qu'un jour je...

Shen Wei lui couvrit rapidement la bouche.

Deux hommes, quatre yeux, ils se fixèrent l'un l'autre pendant un long moment. Finalement, Shen Wei secoua la tête, très, très lentement.

Zhao Yunlan soupira et sortit du lit. À en juger par ses paroles, il semblait sobre, et pourtant il trébucha dès que ses pieds touchèrent le sol et se retrouva rapidement sur le cul. Les mains autour de la tête, il gémit :

— Putain, il y a un essaim d'abeilles qui bourdonne autour de ma tête.

Shen Wei s'empressa de l'aider à se relever.

— Je croyais que tu n'étais pas ivre. Ça fait mal ?

Zhao Yunlan était maintenant dans un état particulier où il pouvait penser avec logique, mais pas marcher droit. Sinon, il n'aurait pas été aussi direct et audacieux.

Il secoua la tête, s'agenouilla puis ouvrit le tiroir de la table de chevet. Il en sortit une chemise en plastique qu'il posa sur le lit en face de Shen Wei.

— Ouvre-la.

Shen Wei hésita, puis l'ouvrit. Il y trouva un contrat de propriété pour une maison située sur University Road, près de l'université Dragon City... Zhao Yunlan avait dépensé une énorme somme d'argent pour cette maison. Cela expliquait pourquoi il était autant à court d'argent ces derniers temps.

Zhao Yunlan cacha un sourire taquin. Il s'assit par terre, s'appuya contre l'armoire et étendit ses jambes. Il leva les yeux et alluma une cigarette.

Il resta silencieux jusqu'à ce que la cigarette soit presque entièrement consumée, puis dit à voix basse :

— Je l'ai achetée avant que nous allions dans les montagnes. Je pensais qu'elle se trouvait dans un bon quartier et qu'elle était bien située. C'est juste à côté de l'université, donc si vous vouliez emménager avec moi, vous n'auriez pas à conduire pour aller travailler, et vous pourriez même dormir un peu plus tard le matin. L'année prochaine, je déménagerai le bureau du SIU dans un endroit proche. La maison est assez grande, plus que suffisante pour nous deux. Vous pourriez avoir un grand bureau, et vous pourriez faire venir vos étudiants, je pourrais inviter des amis de temps en temps... et j'ai aussi pensé à prendre un gros chien idiot. Je pourrais le provoquer pour qu'il se batte avec Da Qing et nous pourrions regarder Dog Vs Cat en direct, l'édition du Nouvel An...

Les mains de Shen Wei se mirent à trembler de façon incontrôlable, la pochette en plastique craquant sous ses doigts.

Zhao Yunlan s'esclaffa.

— Qui aurait cru qu'après être allé dans le grand Nord-Ouest, je découvrirais que c'était vous, Votre Honneur... Vous pouvez aller de la ville Est à la ville Ouest en un clin d'œil, pourquoi devriez-vous conduire ? Et se réveiller le matin ? Si j'avais su, je n'aurais pas dépensé d'argent inutilement, maintenant je n'ai même pas assez pour les cadeaux du Nouvel An.

Shen Wei baissa peu à peu la tête, et ils se regardèrent l'un l'autre. Il trouvait que le regard de cet homme était toujours le même. L'espièglerie avait disparu et il ne restait plus qu'une tendresse profondément enfouie. Au moindre contact, comme le frôlement d'une petite plume, il s'y noierai.

Shen Wei était divisé en deux : une moitié était en extase, l'autre s'enfonçait dans les profondeurs abyssales du monde souterrain. En un instant, il se retrouva au bord de la folie.

Plusieurs milliers d'années de solitude, et pourtant il était toujours resté sain d'esprit. Quelques mots imprudents de cet homme provoquèrent des bouleversements, des ravages, des tempêtes : une passion démesurée l'envahit.

Il n'était pas étonnant que le vieux dicton dise : “Par amour, les vivants peuvent mourir et les morts peuvent revivre.” Les vivants qui ont peur de la mort et les morts qui ne peuvent pas revivre sont ceux qui n'ont pas connu assez d'amour.

L'esprit et l'âme en plein désarroi, qui se souviendrait du jour et de l'année ?


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Mar 23 Juil 2024 - 18:48



Chapitre 49
Acte 3 : Pinceau d'Encre de Vertu
Le cœur de Shen Wei trembla, s’emballa et il faillit en perdre le contrôle.

Il se rendit compte qu'au cours de ces milliers d'années, il n'avait jamais été dépourvu d'émotions ou de griefs. Ce que Zhao Yunlan disait ce soir n'apparaissait que dans ses rêves. D'un côté, il savait que rien de tout cela ne serait jamais possible, mais de l'autre, il ne pouvait s'empêcher d'espérer.

L'espoir était comme un fil d'araignée, et sa vie en dépendait.

C'était grâce à lui qu'il était né, et c’était grâce à lui qu'il avait emprunté le chemin qui le menait à ce jour.

Les cœurs les plus forts ne pouvaient être vaincus par les couteaux et les lames que sont les tempêtes et les blizzards de la vie. Au lieu de cela, il arrivait qu'une main secourable surgisse de nulle part, avec un doux murmure à l'oreille : "Reviens à la maison".

Pendant un instant, il eut vraiment envie de demander : pourquoi devait-il être le Tueur de Fantômes ?

Les fourmis éphémères pouvaient aller et venir par paires sous le soleil et la rosée, les oiseaux voyageurs pouvaient trouver un lieu de nidification parmi les branches des arbres, et pourtant, dans tous les Cieux et sur toute la Terre, il était le seul de son espèce. Pourquoi n'y avait-il pas d'endroit où il pouvait se sentir à sa place ?

Tout le monde avait peur de lui, respectueux à l'extérieur, mais complotant sa mort dans son dos.

Il était né du chaos, de la brutalité et de la menace. Il avait toujours une part de lui qui débordait de malveillance et qui souhaitait tuer tous ces gens avec sa lame.

Mais cela... non, il choisissait de respecter une promesse dont lui seul se souvenait. Plusieurs milliers d'années étaient déjà passé, et il ne s'en était jamais éloigné, car c'était la seule chose qui le reliait encore à la personne à qui il avait fait cette promesse.

Zhao Yunlan regarda les yeux de Shen Wei rougir, comme s'ils étaient sur le point de dégouliner de sang.

Bien plus tard, Shen Wei secoua la tête avec une lenteur incroyable.

Zhao Yunlan l'entendit murmurer :

— Je suis maudit, tu seras blessé à cause de moi.

Un sourire frivole se dessina sur les lèvres de Zhao Yunlan, faisant apparaître deux fossettes sur ses joues.

— Bien sûr, vous voulez essayer si votre Attaque est plus élevée, ou si je possède plus de points de vie ? Hé, selon votre logique, je devrais épouser un Maneki-neko(1) ! Bon sang... ce n'est pas un peu trop pervers ?

Shen Wei ne compris pas son humour, et ne répondit pas. Son poing se serra au point de presque faire couler le sang de sa paume, et il finit par dire :

— Comment peux-tu... comment peux-tu me mettre la pression comme ça ?

Le sourire de Zhao Yunlan s'effaça, et il éteignit sa cigarette dans un cendrier.

Lorsqu'il avait vu Shen Wei pour la première fois, il était tombé amoureux de lui instantanément. Il pensait que c'était simplement parce que Shen Wei était du genre à lui plaire, mais il avait négligé le sentiment de familiarité naturelle, l'impression de l'avoir déjà rencontré. Zhao Yunlan ne connaissait pas encore le passé du Tueur de Fantômes, mais il n'osait pas lui poser la question en face.

Pourquoi avait-il toujours l'impression que Shen Wei cachait tant de souffrances ? Pourquoi l'air se figeait-il chaque fois qu'il portait sa cape noire ?

Ne ressentait-il pas le froid ?

— Désolé.

Zhao Yunlan resta silencieux un moment. Il ouvrit doucement le poing de Shen Wei, plaça la main au creux de sa propre paume, et embrassa doucement le dos de la main. Il jeta négligemment le contrat de propriété onéreux sur le côté.

Shen Wei ferma les yeux, se sentant honteux.

Pourquoi n'était-il pas resté plus loin ? Pourquoi ne s'était-il pas caché dans les profondeurs du monde souterrain ? Ainsi, peu importe le nombre de réincarnations de Zhao Yunlan, ils ne se seraient jamais rencontrés et il n'aurait jamais eu connaissance de l'existence de Shen Wei. Mais il n'avait pas pu s'en empêcher, c'était insupportable.

Il se percevait un peu comme une trainée sans scrupules, se tenant de manière séduisante au coin de la rue, attendant un client, mais faisant semblant d'être honorable et droite dès qu'il arrivait.

Il avait toujours éprouvé un profond dégoût pour lui-même, mais aujourd'hui, il atteignait un nouveau sommet.

Zhao Yunlan s'allongea sur le lit, se massa les tempes et dit d'une voix faible :

— J'ai d'autres choses, mais vous n'en voudrez probablement pas. Il n'y a qu'une seule petite chose : mon cœur... si vous ne voulez pas l'attraper, alors oubliez-le.

Ces mots frappèrent le cœur de Shen Wei comme une pierre. Il se rappela qu'il y a longtemps, quelqu'un avait parlé à côté de son oreille, avec le même soupir ostensiblement insouciant et un ton profond qu'il utilisait rarement, de la suite de mots suivante : "Je suis riche des montagnes et des rivières de ce monde, mais à bien y réfléchir, cela ne vaut guère la peine d'être savouré : juste un vieux tas de cailloux et quelques ruisseaux sauvages. Il n'y a probablement qu'une seule chose en moi qui vaille un petit quelque chose : mon cœur. Tu le veux ? Prends-le."

Le passé était toujours présent, défilant devant ses yeux.

Soudain, Shen Wei enlaça Zhao Yunlan de toutes ses forces, si fort que ses os craquèrent, puis enfouit son visage dans son cou.

Lorsque des personnes audacieuses et sans contraintes souffraient, elles montraient leurs émotions, pleurant de chagrin ou hurlant au ciel de désespoir.

Mais pour Shen Wei, tout ce qu'il pouvait faire était d'enfoncer ses dents dans son propre poignet par-dessus l'épaule de Zhao Yunlan. Il était difficile d'évaluer la force de cette morsure, mais son poignet se mit instantanément à ruisseler de sang, et la blessure atteignit presque ses os.

Pourtant, il ne semblait pas ressentir la moindre douleur.

La profondeur infinie des Enfers pesait sur lui. Il ne versait pas de larmes, alors dans son agonie extrême, il ne pouvait que verser son sang.

Zhao Yunlan perçu l'odeur du sang et comprit immédiatement que quelque chose n'allait pas.

— Shen Wei ! Qu'est-ce que vous faites ? Lâchez-moi !

Shen Wei l'enferma encore plus fort dans son étreinte.

Les hommes ne vivaient que quelques dizaines d'années, un temps qui passait si vite, pas plus qu'une lueur, une ombre qui passait. Shen Wei réfléchit soudain : "Pourquoi ne mériterais-je pas d'avoir ce petit fragment de temps ?

— Shen Wei !

Alors que Shen Wei était perdu dans ses pensées, Zhao Yunlan se dégagea enfin de ses bras et s'assit. Il constata que ses draps étaient teintés de rouge. Furieux, il cria presque sur Shen Wei comme s'il s'agissait de Guo Changcheng.

— Tu as de la merde à la place du cerveau ? Oui, je suis un putain de cochon vulgaire, mais je ne forcerais jamais un homme contre sa volonté. Tu as secoué la tête, et j'ai dit quelque chose ? Est-ce que j'ai dit quelque chose ? Fallait-il que tu fasses couler ton sang ?

Il se leva ensuite en grognant et tenta de trouver la trousse de premiers secours.

Mais Shen Wei l'attrapa soudain.

— J’ai compris.

Zhao Yunlan entendit Shen Wei le dire tout bas

Zhao Yunlan est stupéfait. Mais Shen Wei sourit et, d'un ton très différent et étrangement calme, il continua :

— J'ai compris. Pendant toute ta vie, que tu vives ou que tu meures, que tu meures ou que tu vives, je ne te lâcherai plus jamais. Même si un jour tu en as assez de moi et que tu veux partir, il n'est pas question que je te laisse faire. S'il le faut, je t'étranglerai à mort dans mes bras.

Frappé de stupeur, Zhao Yunlan cligna des yeux. Il lui fallut un certain temps pour comprendre ce que Shen Wei voulait dire.

Aujourd'hui, il sentit enfin la présence du Tueur de Fantômes sur le 'Professeur Shen'.

Mais Zhao Yunlan ne fit aucun commentaire sur ce discours à la fois doux et sauvage. Il se contenta de sortir sa trousse de secours de sous le lit. Il trouva une lingette antiseptique, s'assit sur le bord du lit, fronçant les sourcils en relevant le poignet ensanglanté de Shen Wei. Il essuya la tache de sang qui était aussi froide que la personne qui l'avait laissée. Il le soigna avec tendresse, même si ses paroles n'étaient pas très agréables. Après un long moment, Zhao Yunlan soupira et commenta :

— Vraiment, tu es le pire.

Après cela, Zhao Yunlan était probablement épuisé jusqu'à la mort. Le SIU était composé d'une moitié d'humains et d'une moitié de fantômes, et aucun d'entre eux n'était fiable. Zhao Yunlan était toujours occupé, comme s'il était né pour travailler dur tous les jours. Après avoir changé les draps ensanglantés, il n'avait plus envie de faire l'amour. Il tomba la tête la première sur le lit, et peu après, sa respiration s'apaisa.

Cette fois, il dormait vraiment.

Shen Wei regarda son poignet, qui était enveloppé d'une manière très serrée et nette. Il souleva l'autre côté de la couverture et, en retenant son souffle, il s'allongea dans le lit avec des mouvements incroyablement doux.

Il tint la main de Zhao Yunlan contre sa poitrine et ferma les yeux.

Shen Wei n'aurait jamais cru qu'un jour viendrait où il dormirait toute la nuit. Il n'avait jamais connu la douceur du sommeil et n'avait jamais goûté à une nuit sereine et sans rêve.

Cela faisait trop longtemps qu'il ne s'était pas senti aussi heureux.

Le lendemain matin, des odeurs bizarres provenant de la cuisine réveillèrent Shen Wei, qui fut surpris et déconcerté pendant une demi-minute avant de se souvenir de l'endroit où il se trouvait. Il vit la "preuve incriminante" sur son poignet, et son visage, qui semble toujours pâle, rougit légèrement.

Regardez ce qu'il avait fait et ce qu'il avait dit hier soir !

Il avait vraiment... il ne pouvait supporter d'y repenser.

À ce moment-là, quelqu'un marmonna

— Bonjour.

Shen Wei leva les yeux et vit Zhao Yunlan qui tenait une paire de baguettes dans sa bouche. Il tenait dans ses mains un large plateau en plastique, avec cinq emplacements moulés, chacun assez grand pour accueillir un grand bol ou une assiette de taille moyenne.

Cinq emplacements, s'il n'y avait pas beaucoup de monde, c'est juste assez pour les quatre plats habituels et une soupe, et il pouvait tout transporter en un seul voyage.

Le monde ne saura jamais quel genre de paresseux avait conçu cet outil divin.

Pourtant, l'outil divin que Zhao Yunlan tenait dans ses mains contenait d'autres objets divins. De gauche à droite, une rangée de nouilles instantanées de grande taille trônait sur le plateau, fumant d'un mélange à l'odeur indescriptible.

Shen Wei était bouche bée.

Zhao Yunlan s'assit alors sans complexe sur le canapé et commença à lui expliquer :

— La première à gauche, ce sont des nouilles au bœuf braisé, bouillies dans l'eau. La deuxième à gauche, ce sont des nouilles au chou mariné à l'ancienne, bouillies dans du lait chaud. Au milieu, ce sont des nouilles au ragoût de champignons et de poulet, passées au micro-ondes dans l'eau, avec une noix de beurre. La deuxième à droite, ce sont des nouilles aux fruits de mer, je les ai trouvées un peu fades, alors j'ai ajouté une cuillerée de sauce sucrée. Les premières à droite sont des nouilles à la crème de bacon, bouillies dans du café chaud... celles-là devraient être bonnes. Choisis ce que tu veux.

Puis, il se trouva finalement un peu gêné.

— Eh bien, tu vois... Je ne sais pas faire d'autres choses. Tu ne viens pas souvent, et j'ai pensé que faire juste deux paquets de nouilles instantanées était un peu trop embarrassant.

C'est ainsi qu'il en avait fait cinq... Quelle générosité de sa part !

Shen Wei jeta un coup d'œil sur les cinq bols de nouilles fumantes. Il ne comprenait pas comment cet homme n'avait pas encore réussi à s'empoisonner jusqu'à la mort.

Heureusement, même s'il cuisinait un bol d'arsenic, Shen Wei le mangerait volontiers sans même froncer les sourcils... Mais le professeur Shen choisit tout de même le bol qui avait l'air le plus normal, et lui rappela subtilement :

— Les aliments gras sont mauvais pour la santé, n'en mange pas trop.

Zhao Yunlan avoua honnêtement :

— Ces derniers temps, je n'ai plus d'argent. Si je n'ai pas ma prime, je vais devoir demander de l'aide à mon père.

Tout en parlant, il regarda Shen Wei et, comme par hasard, il pensa à quelque chose et dit, tout sourire :

— Un chercheur d'or et un réchauffeur de lit (2).

Shen Wei avala une gorgée de soupe épicée et toussa vigoureusement, détournant la tête.

Zhao Yunlan gloussa et dit négligemment :

— C'est bientôt la fin de l'année, le moment de faire le point sur la vertu est de nouveau arrivé. Ces derniers temps, il y a de plus en plus de voleurs sur terre, les tribus de métamorphes et les fantômes se précipitent tous à la dernière minute.

Shen Wei se redressa et s'essuya sa bouche. Il dit calmement :

— Les actes délibérés ne peuvent constituer qu'un karma superficiel, comment la bonne vertu peut-elle s'accumuler aussi facilement ?

— Ouais.

Zhao Yunlan semblait avoir un goût douteux, engloutissant l'horrible mélange de café et de soupe de nouilles instantanée.

— En parlant de ça, nous avons une affaire en cours. On aurait pu penser qu'ils se comporteraient mieux à cette période de l'année.

Le Cadran Solaire de la Réincarnation était le premier des quatre artefacts mystiques, suivi du Poinçon des Montagnes et des Rivières et le troisième est le  Pinceau d'Encre de la Vertu. Maintenant que les deux premiers avaient fait surface, Shen Wei était naturellement un peu trop sensible au mot "vertu".

Mais avant qu'il ne puisse poser la question, le téléphone de Zhao Yunlan sonna.

Zhao Yunlan se dépêcha de poser ses nouilles pour regarder son téléphone.

— En parlant du loup, on en voit la queue.

En une nuit, deux autres victimes s'étaient retrouvées à l'hôpital.

Les mêmes symptômes : pas de maladie, pas de blessure, juste des mouvements de va-et-vient frénétiques en se tenant les jambes. La famille des victimes ayant appelé la police à cinq heures du matin, les collègues chargés du dossier n'avaient d'autre choix que de sortir de leur lit.

Une intoxication généralisée avait un impact sévère sur le bien-être de la société. L'incident s'aggravait de minute en minute, et il se trouvait que c'était la fin de l'année, où le maintien de la stabilité était crucial. Le chef de la police du district n'avait aucune idée de ce qu'il fallait faire, si bien que Zhao Yunlan était harcelé à une fréquence qui mettait sa vie en danger.

Au fond, Chu Shuzhi et les autres en étaient venu à la conclusion que cette affaire serait tôt ou tard confiée au SIU, de toute façon. Ils enverraient le rapport dans la matinée, et Zhao Yunlan ne pourrait pas l'ignorer.

Mais il faudra attendre un jour entier, au moins, avant que les procédures ne soient terminées. Zhao Yunlan promit au téléphone d'aller jeter un coup d'œil à l'hôpital aujourd'hui.

Notes :
1/ Porte-bonheur japonais "chat qui fait signe".
2/ Sous entendu qui explique ce que chacun cherche dans une relation. Cherche d'or, une personne qui cherche un(e) partenaire riche. Réchauffeur de lit, une personne qui cherche un(e) partenaire par peur d'être seule.

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Mar 23 Juil 2024 - 18:48



Chapitre 50
Acte 3 : Pinceau d'Encre de Vertu
Si vous demandiez à Zhao Yunlan, il ne voulait prendre que Shen Wei avec lui, il ne voulait pas d'une troisième roue du carrosse. Mais compte tenu de la protestation vigoureuse de Da Qing la veille, Zhao Yunlan fit sortir une once de responsabilité de son cerveau plein d'arcs-en-ciel, de papillons et de licornes, pour appeler Guo Changcheng et lui dire de l’accompagner pour qu'il puisse lui donner une leçon parallèle, tout en s'amusant... ah, non, bien sûr, il s'agit d'une formation pratique pour le nouvel arrivant.

Le pitoyable petit officier Guo Changcheng... cela faisait plus de six mois qu'il avait commencé à travailler pour le SIU, mais il ne savait toujours rien. Aujourd'hui, il allait enfin commencer à suivre une formation de base.

Guo Changcheng était un jeune homme responsable et assidu, et il ne voulait pas que le chef l'attende. Dès qu'il reçut l'appel téléphonique, il se précipita à la vitesse de la lumière et sprinta vers la station de métro pour éviter le trafic matinal. Il tenta de monter à bord du métro à la station la plus fréquentée, mais il fut par deux fois expulsé du wagon. La troisième fois fut la bonne : une vieille dame féroce lui donna un coup de pied par derrière, et il se retrouva coincé à l'intérieur juste avant que les portes ne se referment.

Trempé de sueur, Guo Changcheng arriva à l'hôpital et se rendit compte qu'il était arrivé trop tôt. Les médecins de l'équipe de jour venaient à peine d'arriver au travail. Quant à leur chef, il était encore plongé dans le paradis qu'il appelait "home sweet home".

Guo Changcheng se frotta les mains, redressa les épaules et attendit pendant plus de deux heures dans l'hiver glacial de Dragon City. Il utilise tout un paquet de mouchoirs pour son nez qui coulait, et son corps entier se cristallisa presque en un flocon de neige. Enfin, Zhao Yunlan, longtemps attendu, arriva... en compagnie du professeur Shen.

Guo Changcheng avait tellement froid qu'il n'arrivait plus à s'exprimer clairement :

— Ch... Ch... Ch... Ch... Ch... Ch... Ch... Ch... Ch... Ch... Chef Zhao.

Zhao Yunlan était plutôt amusé par son apparence.

— Tu es arrivé quand ? Depuis combien de temps tu attends ?

— Pr... presque trois heures.

Zhao Yunlan ne lui demanda pas des choses comme "Pourquoi tu ne m'as pas appelé ?" ou "Pourquoi tu n'es pas rentré à l'intérieur ?". Il n'était pas surpris. Si Guo Changcheng n'était pas stupide, alors serait-il encore Guo Changcheng ?

Shen Wei, en revanche, était très surpris.

— Pourquoi n'est-il pas entré à l'intérieur s'il est arrivé tôt ?

Zhao Yunlan verrouilla la voiture et jeta négligemment les clés de la voiture dans les mains de Guo Changcheng avant de s'esclaffer.

— Il n'ose pas.

Bingo. Guo Changcheng renifla honteusement un filet de morve et jeta un coup d'œil à Shen Wei.

Celui-ci le vit et lui dit patiemment :

— Bonjour. Tu as pris ton petit-déjeuner ?

Guo Changcheng acquiesça tout en réfléchissant, le cerveau en plein désarroi : Pourquoi le chef Zhao amenait-il sa "famille" au travail ?

À première vue, il s'agissait d'une erreur de la part du chef. Et pourtant, Guo Changcheng ne put s'empêcher de se sentir comme une gigantesque troisième roue du carrosse. Très embarrassé, il voyait Shen Wei et Zhao Yunlan chuchoter l'un avec l'autre et il n'osa que se tenir à trois pas de là, la tête baissée et les épaules affaissées. Son visage figé était d'autant plus misérable qu'il ressemblait à un petit eunuque qui leur emboîtait le pas.

C'était la saison de la grippe et l'hôpital était déjà bondé. Comme Guo Changcheng essayait de garder ses distances, rapidement des nuées de gens passèrent et l'encerclèrent. Il tenta de se frayer un chemin dans la foule, se hissant sur la pointe des pieds, à la recherche des deux autres hommes. Mais lorsqu'il réussit enfin à sortir de la horde, Zhao Yunlan et Shen Wei étaient introuvables.

Heureusement, il était déjà venu ici auparavant, et il savait qu'il fallait monter à l'étage pour se rendre dans le service des patients hospitalisés.

Quand il arriva au sixième étage, des médecins et des infirmières se dépêchèrent de pousser un patient devant lui, et Guo Changcheng s'écarta rapidement pour faire de la place.

Il se pencha et regarda accidentellement vers une fenêtre.

Après avoir vu à plusieurs reprises des "choses répugnantes" sur des surfaces réfléchissantes, Guo Changcheng avait développé un blocage mental. Il avait désormais pris l'habitude de fermer les rideaux et d'allumer la télévision dès qu'il rentrait chez lui, de recouvrir la table réfléchissante d'une nappe et de n'ouvrir l'ordinateur portable que lorsqu'il devait s'en servir.

Mais aujourd'hui, il suffit d'un regard négligent pour que les yeux de Guo Changcheng soient attirés par la vitre.

Il vit une personne derrière la fenêtre, six étages au-dessus du sol. C'était un homme, mince, qui portait un bonnet miteux. Sous ce bonnet, on apercevait des oreilles et des cheveux blancs abîmés par le temps. Il portait une veste en coton matelassée tout aussi élimée.

Guo Changcheng perçu instinctivement son étrangeté. Son cœur se mit à battre rapidement, et pourtant, parfois, plus on était terrifié, plus il était difficile de détourner le regard.

Alors que Guo Changcheng baissait lentement les yeux, sa bouche s'entrouvrit et un regard d'horreur extrême se dessina sur son visage... l'homme qu'il voyait flotter dans les airs n'avait plus de jambes !

Les jambes de l'homme avaient été coupées au niveau du bassin ; sur l'étroite fenêtre, Guo Changcheng pouvait clairement voir la blessure irrégulière : un court segment d'os dépassait de la chair putréfiée, et c'était... c'était encore en train de saigner ! Le sang suintait par les interstices du cadre de la fenêtre et s'écoulait sur le sol, formant une petite flaque, comme s'il n'allait jamais s'arrêter de couler.

Mais les médecins et les infirmières qui passaient par là ne semblaient pas s'en apercevoir.

Le cul-de-jatte regardait tranquillement la salle d'hospitalisation, la moitié de son visage couverte de terre et de sang. Ses yeux étaient exorbités et son visage dépourvu d'expression, tel un effrayant personnage de cire. Tout ce qu'il faisait, c'était d'observer les gens qui allaient et venaient, en inclinant légèrement ses lèvres desséchées et craquelées sur le côté, arborant un sourire inexplicablement rancunier et dénué d'humour...

À cet instant, une main frappa avec force l'épaule de Guo Changcheng, et sa peur atteignit un tel niveau qu'il ne put même pas crier. Il sursauta silencieusement, ses yeux se dilatèrent, et même sa respiration s'arrêta. Son cœur battait à tout rompre dans sa poitrine.

Il n'était pas exagéré de dire que Guo Changcheng avait une furieuse envie de faire pipi.

Heureusement, il se rendit compte à temps que c'était Zhao Yunlan qui lui tapotait l'épaule, et il força l'urine à retourner à l'intérieur.

Zhao Yunlan vit son visage pâle et pétrifié, et sa posture maladroite, courbée et les jambes croisées, et fronça les sourcils.

— Qu'est-ce qui t'arrive encore ?

Guo Changcheng ouvrit la bouche pour tenter de s'expliquer, mais son cerveau resta vide. Il était toujours prisonnier de son mutisme. Incapable de formuler des mots, il ne put que lever sa main tremblante et pointer du doigt la fenêtre au bout du couloir.

Zhao Yunlan pencha la tête avec méfiance et son regard suivit le doigt de Guo Changcheng... la fenêtre n'était pas particulièrement propre, mais pas particulièrement sale non plus. À part un peu de saleté et de minuscules cristaux de glace, il n'y avait rien à voir.

Perplexe, Zhao Yunlan demanda :

— Qu'est-ce que tu as vu ?

Alors que Guo Changcheng levant à nouveau les yeux, toujours dans un état de panique, il fut choqué de constater que la fenêtre était complètement vide ; il n'y avait rien à voir.

Il regarda frénétiquement autour de lui, s'assurant que personne ne regardait, puis à voix basse, il parla au bord des larmes :

— J'ai vu un homme flotter à l'extérieur de la fenêtre... non, la moitié d'un homme, ses jambes étaient coupées, le sang dégoulinant par les interstices de la fenêtre et se répandait partout.

Zhao Yunlan le regarda et fronça les sourcils. Guo Changcheng aspira avec force un filet de morve dans son nez, arborant toujours le même visage idiot où il était écrit "viens m'intimider".

Zhao Yunlan savait qu'il ne mentait pas. D'après ce qu'il avait appris de Guo Changcheng, il était peu probable qu'il ait l'intelligence nécessaire pour mener à bien la tâche exigeante de "mentir au chef".

Il se dirigea vers la fenêtre, mais sa montre révélatrice ne réagit pas. Zhao Yunlan toucha le rebord de la fenêtre et poussa la fenêtre légèrement rouillée, l'entrouvrant de peu. Un vent glacial du nord-ouest s'engouffra à l'intérieur.

Mais ce n'était qu'une brise. À part le froid, il ne ressentit rien.

Peu de temps après, une jeune infirmière arriva en courant vers Zhao Yunlan qui se tenait près de la fenêtre et protesta :

— Excusez-moi, monsieur, pourriez-vous fermer la fenêtre, s'il vous plaît ? Si vous avez besoin d'air frais, sortez. Il y a des patients ici, et vous laissez sortir tout l'air chaud.

Zhao Yunlan ferma la fenêtre et se retourna en adressant à la jeune infirmière un sourire et un signe de tête d'excuse.

La jeune fille stupéfaite par son extrême beauté ne réagit pas. Au bout d'un moment, son visage rougit, elle simula un marmonnement de mécontentement et s'en alla précipitamment.

Shen Wei, revenu depuis peu, ne put se retenir plus longtemps. Il se tourna sur le côté et toussota, se penchant intentionnellement pour obstruer le champ de vision de la jeune fille qui se retournait pour le fixer.

Zhao Yunlan le regarde avec un demi-sourire et tirant doucement sur son écharpe. Se penchant en avant, il chuchota à l'oreille de Shen Wei :

— Tu as attrapé un rhume ? Pourquoi tu tousses ?

Shen Wei recula précipitamment. L'expression de son visage et ses mouvements firent penser à Zhao Yunlan que s'il avait porté une robe traditionnelle, il aurait battu des manches et baissé la tête en récitant : "En plein jour, les hommes ne doivent pas s'approcher trop près."

Il ne put s'empêcher de rire discrètement.

— Qu'est-ce que tu regardes ?

Les oreilles rougies, Shen Wei changea maladroitement de sujet.

Zhao Yunlan jeta un coup d'œil à Guo Changcheng, qui se tenait très loin, refusant de s'approcher de la fenêtre sous aucun prétexte. Il résuma brièvement ce qui s'était passé.

Shen Wei réfléchit, puis baisse la voix.

— Logiquement, il ne devrait pas avoir de troisième œil. Mais c'est étrange. Je pense qu'il est capable de regarder une surface réfléchissante et de voir ce qui s'y est passé.

Zhao Yunlan fronça les sourcils :

— Comment ça ?

Shen Wei dit :

— Tu te souviens de la première fois où nous nous sommes rencontrés à l'Université de la Cité du Dragon, je suis soudainement apparu et l'ai interrompu ? En fait, la nuit précédente, j'avais entendu dire qu'il s'était passé quelque chose, et je soupçonnais que c'était lié au fantôme affamé qui s'était échappé. J'ai envoyé une marionnette enquêter dans le dortoir de la victime. La marionnette est partie avant le lever du soleil. Mais lorsque ce jeune homme a grimpé sur le rebord de la fenêtre, ma marionnette et lui ont soudain eu un lien étrange. J'avais peur de perdre ma couverture, alors j'ai dû l'arrêter... c'est juste que je ne savais pas que tu étais là.

Ce jour-là, quelqu'un, par un moyen inconnu, l'avait empêché de savoir où se trouvait Zhao Yunlan.

Le rapport de Guo Changcheng mentionnait bien la présence d'un crâne sur la fenêtre, et quelque chose comme "une silhouette vêtue d'une cape noire dans le trou de l'œil du crâne". Mais Zhao Yunlan n'avait fait que survoler le rapport et en avait jugé quatre-vingt-dix pour cent comme des conneries fabriquées de toutes pièces, si bien qu'il s'en était servi comme d'un sous-verre... Il ne s'attendait pas à ce que Guo Changcheng puisse écrire quoi que ce soit d'utile.

— Ce qui veut dire que la nuit dernière, il y avait un cul-de-jatte... ou un fantôme, qui regardait par la fenêtre ?

Shen Wei baisse encore le ton.

— Tu n'as pas dit que ces deux-là avaient été amenés au milieu de la nuit ? Si j'avais l'intention de faire du mal aux gens, je viendrais probablement voir par moi-même ce qui leur est arrivé.

Zhao Yunlan sourit.

— Oh, tu ne ferais de mal à personne, même quand tu embrasses quelqu'un, tu le fais si furtivement...

Shen Wei n'arrivait pas à s'habituer à chuchoter à l'oreille de l'autre, et même à aborder un sujet aussi privé devant un public. Son visage rougit instantanément, et il s'exclama :

— Arrête tes bêtises !

Zhao Yunlan se tu. Mais une traînée restait une traînée, même avec la bouche fermée. Il utilise son regard pour envahir et sexualiser, il le fit habilement et avec beaucoup d'expérience.

Finalement, Shen Wei ne supporta plus d'être reluqué de la tête aux pieds et fit demi-tour, se dirigeant à grandes enjambées vers la chambre.

Alors que les trois hommes s'approchèrent maladroitement de la chambre des malades, Guo Changcheng réalisa que la complainte bestiale de l'autre soir s'était transformée en un duo, et que la première victime n'était plus là.

Un policier à l'air triste, portant une casquette d'uniforme, sortit et serra la main de Zhao Yunlan, aussi accueillant que le Quatrième corps du Front Rouge rencontrant le Deuxième corps du Front Rouge lors de sa victoire, il y a tant d'années. Il dit avec beaucoup d'angoisse :

— Vous devez être le chef Zhao ? Je m'appelle Li. Notre chef m'a envoyé et je vous ai attendu toute la journée.

Zhao Yunlan demanda :

— Où est la victime d'hier ?

L'officier Li répondit :

— Il est presque mourant, on l'a envoyé aux soins intensifs. L'hôpital est sur le point d'y transférer ces deux-là également.

Zhao Yunlan demanda :

— Comment se fait-il qu'il soit presque mourant ?

L'officier Li dit :

— Il a crié toute la journée, haletant comme un poisson hors de l'eau. Puis ses yeux se sont écarquillés et il ne pouvait plus parler. Il est tombé dans le coma, tremblant de temps en temps, et il ne sent plus rien dans ses jambes... Est-ce vraiment un empoisonnement ? Pendant toutes ces années, je n'ai pas rencontré de médicament qui puisse mettre quelqu'un dans cet état.

— Peut-être que ce n'est vraiment pas un empoisonnement, dit Zhao Yunlan en lui jetant un coup d'œil.

L'officier Li trouva son regard sombre et vide, comme s'il contenait une sorte d'intuition. Il en trembla.

Zhao Yunlan lui tapa sur l'épaule.

— Après tout, les médecins de l'hôpital n'ont pas encore tiré de conclusion, tout est possible... Vous vous occupez d'abord de leur transfert, je vais parler à la victime pour comprendre ce qui se passe.


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Mar 23 Juil 2024 - 18:48



Chapitre 51
Acte 3 : Pinceau d'Encre de Vertu
Les médecins, les infirmières et les proches des victimes furent expulsés par l'officier Li, et il ne resta plus que les deux victimes qui se complétaient dans un duo strident.

Zhao Yunlan jetant un coup d'œil aux deux victimes, la première chose qu'il fit fut de lever le poing et d'assommer l'une d'entre elles. Il demanda à Guo Changcheng :

— Tu as apporté un carnet de notes ?

Guo Changcheng acquiesça avec empressement.

— Alors prends des notes.

Zhao Yunlan se pencha et demanda à l'autre victime :

— Mademoiselle, avez-vous mal aux jambes ?

La victime était une femme d'âge moyen. Elle se débattait dans la douleur, et le personnel médical avait dû l'attacher au lit. Elle acquiesça, les yeux larmoyants.

Zhao Yunlan sortit un portefeuille, mais ce "portefeuille" ne contenait ni argent ni carte de crédit. Il l'ouvrit, et à l'intérieur se trouvait une épaisse pile de talismans en papier jaune.

Zhao Yunlan les feuilletta et expliqua à Guo Changcheng :

— Les talismans en papier sont des outils très importants. Il faut les ranger par catégories : ceux qui servent à attaquer, ceux qui servent à exorciser, et ainsi de suite... sinon, quand tu en auras besoin, tu ne pourras pas trouver celui que tu veux. Apprendre à les utiliser est aussi un sujet difficile...

Sans se soucier des cris de la victime, le chef commença à donner un cours magistral à un rythme lent.

Guo Changcheng n'avait pas cette force mentale. Il n'entendit pas un mot, toute son attention étant détournée par la misérable victime.

— Parlons d'elle, poursuivit Zhao Yunlan, tel un professeur de médecine donnant un cours à ses étudiants à l'aide d'un cadavre.

Il s'approcha et souleva l'oreille de la femme.

— Tu n'as pas de troisième œil, donc tu ne peux pas voir sa vertu. Un talisman très simple peut faire l'affaire pour toi.

Il sortit un talisman en papier et le montra à Guo Changcheng.

— C'est le talisman du troisième œil.

Guo Changcheng hésita avant de l'attraper, et Zhao Yunlan frappa le talisman sur le front de Guo Changcheng, juste entre ses sourcils.

— Comme ça.

Guo Changcheng fut frappé par un talisman comme un zombie, et instantanément, il sentit un frisson inexplicable surgir du talisman. Comme s'il pesait très lourd, une force pénétra dans son front, et le monde devant ses yeux changea... mais il ne pouvait pas vraiment dire ce qui avait changé.

— Viens jeter un coup d'œil

Zhao Yunlan lui fit signe d'approcher.

Guo Changcheng baissa les yeux et réalisa avec stupeur que la victime était enveloppée d'une brume sombre. Son aspect usé par le temps était devenu effrayant et laissait présager une mort imminente. Ses jambes, bien qu'indemnes, étaient enveloppées de fumée noire, comme si elles avaient été coupées de façon irrégulière.

Guo Changcheng regarda l'oreille de la femme. Il vit une grande marque noire derrière l'oreille, pas très foncée, mais plutôt sombre, et couvrant presque tout le cou, comme une étrange tache de naissance.

— Une marque noire derrière les oreilles, c'est un signe de mauvaise vertu, dit soudain Shen Wei derrière Guo Changcheng. Le Livre de la Vie et de la Mort contient les archives des vertus d'une personne. Lorsqu'une personne commet une mauvaise action, de petits fantômes laissent une empreinte de main noire derrière son oreille. Plus la couleur est foncée, plus l'acte est coupable. Dans le cas présent, aucune des marques n'est très profonde, mais la surface est grande, ce qui signifie qu'elle n'a jamais rien fait d'excessif, mais qu'elle est égoïste et qu'elle commet souvent de petits méfaits.

Shen Wei marqua une pause avant d'ajouter :

— Mais bien sûr, ce n'est pas punissable de mort. La mettre dans un tel état n'est pas justifiable.

Guo Changcheng acquiesça modestement. Mais il se rendit compte qu'il ne faisait pas ce signe à la bonne personne. Il regarda rapidement le professeur Shen, et son expression changea, comme s'il voyait un extraterrestre.

— Mais qu'est-ce que tu regardes ? s'exclama Zhao Yunlan en tournant la tête. C'est un véritable sage. J'ai été aveugle de ne pas m'en rendre compte plus tôt.

En entendant cela, Guo Changcheng passa de la surprise à l'étonnement, et admira grandement ce "sage" dont parle le chef.

Zhao Yunlan sortit alors un autre talisman, et le plaça à nouveau devant Guo Changcheng pour qu'il l'observe.

— Il s'agit d'un simple talisman d'exorcisme. Il est très basique, donc parfois il fonctionne et parfois il ne fonctionne pas. Bien sûr, quand ça ne marche pas, on a au moins une idée de la force de l'adversaire.

Guo Changcheng ne dit rien.

Il ne voulait pas savoir ce que la femme devait ressentir en entendant cela.

Alors que Zhao Yunlan collait le talisman de papier jaune sur la femme allongée sur le lit, Guo Changcheng, avec l'aide du troisième œil artificiel, vit un énorme nuage de fumée noire jaillir comme un geyser, s'élevant et rebondissant sur le plafond. De l'intérieur émergea un visage déformé, bouche bée, hurlant de toutes ses forces.

C'est ainsi que le cours se transforma en un manoir hanté et horrifiant. Guo Changcheng poussa un cri et, par réflexe, se précipita vers la porte. Mais le chef Zhao le tira par le col sans le regarder, comme s'il avait des yeux à l'arrière de la tête.

Zhao Yunlan tenait calmement Guo Changcheng avec une main, et l'autre était dans sa poche, il fixait du regard la... chose qui flottait dans les airs. Il murmura :

— C'est étrange, pourquoi tant de ressentiment ?

Guo Changcheng hurla :

— Fantôme ! Fantôme ! !!

Zhao Yunlan ricana.

— Oui, c'est surprenant, comme si tu n'avais jamais vu de fantôme auparavant ? S'il n'y avait pas de fantômes ici, je ne t'aurais pas demandé de venir.

— Il fait du mal aux gens ! C'est un fantôme maléfique !

Alors que Guo Changcheng poussait un cri, une forte poussée d'électricité jaillit de sa poche. Heureusement, Zhao Yunlan avait déjà de l'expérience en la matière. Il lâcha prise et esquiva la puissante arme qu'il avait créée. L'ombre flottante fut vaporisée avec la même puissance que celle observée dans la grotte du Hanga.

Maintenant que tout était terminé, Zhao Yunlan affichait un air suffisant.

— Je ne lui ai encore rien demandé, qui t'a dit de le tuer ?

Il attend que la fumée se disperse, et gifla Guo Changcheng à l'arrière de la tête.

Guo Changcheng, les yeux débordant de larmes, regarda Zhao Yunlan.

— J'ai... j'ai eu peur...

— Pourquoi tu ne pouvais pas te retenir un peu ?

Il y avait toujours des chefs idiots qui aimaient exiger de leur personnel l'impossible sur le plan humain.

Malheureusement, Guo Changcheng était un admirateur inconditionnel de son chef, et il l'avait toujours respecté et craint à la fois. Même si Zhao Yunlan proférait les pires inepties, il les considérerait probablement comme des lois et trouverait les inepties du chef éminemment sensées.

Guo Changcheng suivit ses ordres et commença à contenir sa peur. Il resta sur place en silence, son visage rougit, mais ses organes internes tremblaient encore, et il émit une faible respiration.

— Je... Je ne peux vraiment pas me retenir.

Zhao Yunlan le regarda de travers, mais Guo Changcheng ne comprit pas ce que cela signifiait et continua à trembler de peur. Il était sur le point de déclencher une nouvelle décharge électrique lorsque le chef sans cœur se mit soudain à rire :

— Tu es tellement amusant.

Guo Changcheng resta silencieux.

Il trouva cet éloge plutôt étrange.

Shen Wei les observait tous les deux. Il finit par dire :

— Ne le brutalise pas.

Zhao Yunlan ne dit rien d'autre, affichant instantanément sa bonne qualité "d’écouter sa femme". Il lâcha Guo Changcheng et se redressa. La vitesse de ses mouvements montrait à quel point il était bien entraîné ; il pourrait probablement participer à la prochaine épreuve du "Championnat national canin".

La femme sur le lit s'était calmée. Le fait d'avoir assisté à tout ce procédé l'avait pétrifiée depuis longtemps. Maintenant qu'elle avait retrouvé ses esprits, elle se leva péniblement, s'agenouilla sur le lit et s'inclina devant Guo Changcheng.

— Merci mon ange, merci mon petit ange !

Guo Changcheng était très embarrassé.

— Non, non, non, je, je, je... bredouilla-t-il, le visage et les oreilles rouges.

Son esprit se brouilla face à cette inconnue, et le bâton paralysant qu'il avait dans sa poche se mit à crépiter. Une étincelle jaillit, et le manteau de Zhao Yunlan s'enflamma presque.

Guo Changcheng ferma rapidement la bouche. Alors qu'il se sentait plus à l'aise, il se rendit compte de ce qu'avait dû ressentir Wonder Boy.

Zhao Yunlan reprit son sérieux, tira une chaise et s'assit. Il fit un signe à la femme sur le lit.

— D'accord, arrêtez de vous prosterner. J'ai quelques questions à vous poser, veuillez coopérer.

La femme d'âge moyen acquiesça rapidement.

— Hier soir, vous avez mangé une orange achetée dans la rue et vous vous êtes retrouvée à l'hôpital ?

— Oui, c'était la nuit. Je suis allée au supermarché et quand je suis sortie, j'ai vu quelqu'un qui vendait des oranges au bord de la route.

— Attendez ; avez-vous vu le vendeur de fruits quand vous vous dirigiez vers le supermarché ? l'interrompit Zhao Yunlan.

La femme réfléchit, puis dit d'un ton incertain :

— Probablement... pas ? Je suis sûre que non, j'étais sortie pour acheter des fruits, j'aurais dû le remarquer.

Il l'attendait donc intentionnellement.

— La personne qui vendait des fruits, vous avez vu son visage ?

— Euh... un homme, mince, portant un bonnet miteux... et, et une veste grise poussiéreuse, je crois ?

— Et ses jambes ? demanda Zhao Yunlan.

— Ses jambes ? demanda la femme déconcertée, mais qui répondit au bout d'un moment. Ah, oui ! Je me souviens. Il avait un problème avec ses jambes. Il boitait et marchait difficilement. Je n'y avais pas pensé jusqu'à ce que vous le mentionnez. C'était probablement un infirme avec une fausse jambe, non ?

Elle n'attendit pas la réponse de Zhao Yunlan et se lança dans un long discours.

— Je vais vous dire ce que je pense, Grand Saint : les estropiés, les muets et les handicapés ne sont pas de bonnes personnes. Leur corps est incomplet et leur esprit est perturbé. Ils empoisonnent les gens, n'est-ce pas fou ? Je pense que ces gens devraient tous être enfermés et surveillés, après tout ils ne peuvent pas vivre une vie normale de toute façon, tout ce qu'ils font c'est perturber la société.

Zhao Yunlan fronça les sourcils. Il savait enfin ce qui était à l'origine de l'énorme marque noire derrière les oreilles de la jeune fille. Certaines personnes naissaient méchantes, chaque pore de leur peau suintait de petits maux. Aucun n'était mortel, mais tous faisaient du mal.

La femme poursuivit :

— Comme le sourd de notre quartier. Il ne peut pas avoir de femme, alors il a pris un chien pourri. Dès qu'il ouvre la porte, j'entends le chien aboyer et aboyer. Il est sourd, alors bien sûr il ne l'entend pas, et il laisse son chien aboyer. J'aurais dû acheter cette mort aux rats bien plus tôt, cette chose n'est pas morte assez vite...

Zhao Yunlan s'impatientait. Il leva les yeux et les fixa dans ceux de la femme. Sans aucune sympathie, il contrôla son esprit par la force, et les yeux de la femme bavarde devinrent instantanément vides. Ses yeux se révulsèrent et elle perdit connaissance.

Zhao Yunlan s'exprima en disant juste à côté de son oreille :

— Vous avez mangé quelque chose de gâté, mais vous êtes allée aux toilettes tout à l'heure et vous avez expulsé tout ce que vous avez mangé. Oh, vous avez perdu l'équilibre et vous êtes tombée dans les toilettes. La puanteur sur votre corps ne partira pas, même si vous vous lavez à fond...

Shen Wei qui l'entendit dépasser les bornes, toussota d'un air gêné.

— Euh, même si maintenant vous empestez comme un tas de merde, vous vous êtes remise de votre intoxication alimentaire. Dans l'après-midi, de beaux policiers sont venus s'enquérir du type qui vous a vendu les oranges empoisonnées, une simple affaire de routine. Et pendant qu'ils étaient là, ils ont aussi donné une petite leçon de morale à l'esprit dégoûtant de quelqu'un...

Shen Wei toussa à nouveau.

— C'est tout, réfléchissez sur votre conscience.

Zhao Yunlan se tut à la demande de Shen Wei, et alors qu'il sortait de la pièce derrière les autres, il se retourna et afficha un sourire narquois.

— J'espère que vous ferez des cauchemars, vieille femme.

Shen Wei le fit sortir, craignant qu'il ne lui raconta L'Anneau à l'oreille.

— Elle ne connaît manifestement pas l'empoisonneur, dit Zhao Yunlan dès qu'il fut sorti de la chambre, se remettant à enseigner à Guo Changcheng. La ligne de karma sous ses paupières n'est pas profonde. Bien que je la trouve aussi incroyablement ennuyeuse, il est peu probable qu'un chien lui ait vendu des oranges empoisonnées. D'après mon expérience, les empoisonneurs font généralement du mal aux gens au hasard.

Il s'arrêta net et regarda Guo Changcheng, qui griffonnait rapidement sur le carnet. Il ralentit, attendant un peu Guo Changcheng, puis poursuivit comme si de rien n'était :

— Si la vieille femme est directement liée à l'empoisonneur... disons qu'elle l'a tué et qu'il est revenu pour se venger, nous ne pouvons rien faire. Les lois humaines interdisent la vengeance, mais l'ordre du Karma et du Yin et Yang ne l'interdit pas.

Guo Changcheng acquiesça précipitamment.

— Mais vu ce que la victime a dit, il est clair qu'elle ne connaissait pas ce type. Et comme la ligne de karma est légère, leur seul lien est probablement quelque chose de trivial comme se croiser dans la rue. Bien sûr, il pourrait y avoir quelque chose de plus. Mais le plus probable est que le fantôme maléfique fait délibérément du mal aux gens. Dans ce cas, non seulement nous pouvons capturer le fantôme, mais nous pouvons aussi l'exécuter sur place.

Guo Changcheng tapota inconsciemment la poche dans laquelle se trouvait son bâton paralysant. Le coin de la bouche de Zhao Yunlan tressaillit, et ses couilles se crispèrent.

— D'accord, je vais aller aux soins intensifs pour m'occuper de celui qui n'a pas eu de chance.

Il regarde Shen Wei, qui hocha la tête en connaissance de cause.

— Je m'occupe de l'autre victime.

Zhao Yunlan sourit à Shen Wei comme une brise de printemps. Puis il se retourna et adopta un regard menaçant à l'égard de Guo Changcheng.

— Vas-y, appelle Zhu Hong et dis-lui de contacter les autorités. Je veux être en charge de cette affaire dès ce soir... et ne traîne pas. Si je te vois lambiner, je te botte le cul. Vite !

Le professeur Shen, le seul à pouvoir le défendre, étant parti, Guo Changcheng se couvrit les fesses et s'en alla faire son travail.


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Mar 23 Juil 2024 - 18:49



Chapitre 52
Acte 3 : Pinceau d'Encre de Vertu
Après seize heures, mais avant le coucher du soleil, Zhu Hong se précipita à l'hôpital avec une lettre d'autorisation formellement approuvée.

— La police du district a été rappelée. Je viens de croiser Xiao Li en bas, et il m'a dit qu'il nous inviterait à dîner plus tard, alors...

Zhu Hong interrompt son discours et ravala le reste lorsqu'elle aperçut Shen Wei qui s'approchait d'eux avec un verre à la main. Elle marqua une pause et adopta un ton plus subtil.

— Maintenant, l'affaire ne dépend plus que de nous, que pensez-vous que nous devrions faire ?

Shen Wei sentit le doute dans son regard, fourra rapidement le verre dans la main de Zhao Yunlan et lui dit avec prévenance :

— Mets-toi au travail, je te laisse tranquille.

Zhao Yunlan l'attrapa et montra sa vraie nature, celle d'un bonbon collant :

— Je ne te laisserai pas partir. Et si tu changes d'avis et que je ne te retrouve plus après ton départ ?

Il y avait toujours des passants dans les couloirs de l'hôpital. De plus, Zhao Yunlan était grand, bien bâti et beau, et il attirait toujours les regards. Maintenant, il se montrait tactile et proche d'un autre homme. Bientôt, des regards curieux se posèrent sur lui.

Shen Wei jeta un coup d'œil autour de lui et murmura :

— Nous sommes toujours dehors. Sois prudent.

En entendant cela, Zhao Yunlan se tourna immédiatement vers les gens, les fixant à son tour, et dit sans se soucier de rien :

— Qu'est-ce que vous regardez ? Vous n'avez jamais vu de beaux gays avant ?

Ils n'en avaient vraiment jamais vu un aussi autoritaire et imbu de sa personne. Ils se détournèrent, gênés.

Zhao Yunlan tenta de se rapprocher de Shen Wei en se tournant vers lui.

— Hee hee hee.

Shen Wei en resta bouche bée.

Zhu Hong n'arrivait pas à croire que cet idiot était censé être leur courageux et redoutable chef Zhao. Son cœur enragé dépérit jusqu'à ce qu'il ne reste plus que trois mots : quel spectacle épouvantable !

Mais Shen Wei fronça légèrement les sourcils et dit :

— Tu travailles, ce n'est pas très approprié pour moi de rester.

Zhu Hong murmura :

— Oui, chef Zhao, nous avons des règles...

Zhao Yunlan l'interrompit :

— C'est moi qui fixe le règlement, si je ne l'aime pas, je peux le changer à tout moment... De plus, le règlement stipule seulement que nous ne devons pas laisser les étrangers assister à quoi que ce soit ou participer, mais il n'est pas un étranger.

Shen Wei était stupéfait. Pendant un instant, il pensait que Zhao Yunlan était sur le point de révéler son identité.

Mais Zhao Yunlan baissa la voix et dit à Zhu Hong d'un air suffisant :

— C'est ma 'femme'.

Shen Wei resta à nouveau sans voix.

Après un moment de silence, Zhu Hong se tourna vers la fenêtre et, d'une voix monotone, comme si elle disait "le numéro que vous avez composé n'est pas en service", elle dit à Guo Changcheng :

— Xiao Guo, regarde, le coucher de soleil est si vert ! On dirait qu'il a été mariné dans du vinaigre !

Guo Changcheng se frotta les yeux.

Zhao Yunlan toussa sèchement, adoucit son expression et reprit son calme de chef.

— D'accord... Zhu Hong, appelle les gars, je veux que toute l'équipe soit là. Surtout Lin Jing ! Cet insensible est parti très tôt hier soir, et aujourd'hui, je lui ferai subir les conséquences de son geste.

Zhu Hong émit un grognement en guise de réponse et se retourna pour envoyer un message à toutes les personnes chargées des enquêtes criminelles au numéro 4 Bright Avenue : "Venez à l'hôpital du Temple de Pierre Jaune, venez voir le visage suffisant de notre salaud de chef."

C'est ainsi que tout le monde se précipita à l'hôpital avant que le ciel ne s'assombrisse. Pourtant, il n'y avait rien à voir, juste Zhao Yunlan assis là comme un chef, donnant des ordres à tout le monde :

— Lao Chu, va sur le toit et installe un "filet" à deux niveaux, une entrée, pas de sortie ; ne le laisse pas s'échapper. Xiao Guo, suis-le et rédige-moi un rapport d'apprentissage. Zhu Hong, va installer des alarmes sur toutes les portes et fenêtres. Isolez cette zone, faites-en votre zone, assurez-vous que personne n'y entre par hasard. Faites en sorte qu'elle soit propre, qu'elle ne laisse pas de traces... Da Qing tu aideras.

Da Qing écoutait Lin Jing qui murmurait :

— Regardez la main du professeur Shen, elle est enveloppée de gaze. À quel point notre chef est-il une bête ?

Lorsqu'il entendit son nom prononcé avec cette idée en tête, Da Qing frissonna.

Shen Wei tira sur ses manches, mal à l'aise.

— Quant à Lin Jing…

Zhao Yunlan sortit une petite bouteille, et Lin Jing eut un pressentiment inquiétant.

Zhao Yunlan sourit malicieusement et dit à Lin Jing :

— Il y a là un morceau de ressentiment prélevé sur l'une des victimes.

Chu Shuzhi expliqua au nouvel arrivant désemparé :

— Tous les fantômes maléfiques naissent du ressentiment. Des traces de ressentiment sont laissées sur les personnes avec lesquelles ils entrent en contact, et elles restent connectées au fantôme, comme des tentacules. Comme ils sont faits de la même matière, le fantôme y réagit.

Guo Changcheng avait suivi Zhao Yunlan toute la journée, et il n'avait pas encore dîné. En entendant cela, il pensa à des boulettes de pieuvre grillées. Il en eut l'eau à la bouche et son estomac se mit à grogner.

Chu Shuzhi resta sans voix. Parfois, il n'arrivait vraiment pas à comprendre ce à quoi ce loser débutant pensait toute la journée.

Zhao Yunlan croisa les jambes et lança la bouteille à Lin Jing.

— Nous en avons tué un par accident aujourd'hui, mais le fantôme ne s'est pas manifesté, il n'a probablement pas pu le faire pendant la journée. Le soir, je crains qu'il ne tombe pas non plus dans le piège. Ta mission est donc d'attendre la nuit, d'écraser le tentacule à l'intérieur et d'attirer le fantôme maléfique dans la zone de Zhu Hong.

Lin Jing le regarda silencieusement, puis la petite bouteille qu'il tenait dans sa main. Réalisant qu'il allait devenir un aimant à fantôme humain, il annonça avec le sérieux émotionnel d'un orateur lors d'un enterrement :

— Tu te sers de moi comme appât.

Zhao Yunlan n'en perdit pas une miette.

— Oui, et alors ?

Il pouvait admettre si ouvertement son immoralité, tout le monde pouvait voir qu'il était au-dessus de tout reproche !

Lin Jing regarda autour de lui et ne vit que le rictus rusé du chat noir. Les expressions vides des autres étaient dépourvues de toute sympathie ; le désespoir monta en lui.

Le faux moine se retourna soudainement et bondit vers Shen Wei, qui se tenait tranquillement contre le mur.

— Le Roi veut m'utiliser comme sacrifice, s'il vous plaît, sauvez-moi, Reine !

Shen Wei resta sans voix.

Lorsqu'il était le Tueur de Fantômes, quiconque le voyait se comportait comme une souris voyant un chat. Il n'avait jamais été taquiné de la sorte et ne savait pas comment réagir. Comme pour demander de l'aide, il se tourna vers Zhao Yunlan.

Ce dernier trouvait cela particulièrement flatteur et amusant. Il détourna le regard.

Shen Wei réfléchit et tendit la main vers la bouteille.

— Et si j'y allais ?

Avant même que Shen Wei ne finisse de parler, Lin Jing comprit ce qui allait se passer. Bien sûr, il sentit instantanément deux yeux brillants lui transpercer la colonne vertébrale depuis l'arrière. Le regard était d'une force telle qu'il semblait vouloir le plaquer contre le mur et l'entailler de mille coups de poignard.

Lin Jing rit sèchement et récupéra la bouteille. Il s'éloigna en prononçant à la hâte.

— Amitabha. Nous avons la responsabilité de combattre le mal et de protéger les vies et les biens de la population. C'est une mission glorieuse et intimidante, comment pourrais-je l'abandonner ? J'y vais.

Le faux moine s'enfuit à la vitesse de la lumière.

Shen Wei demanda :

— Que puis-je faire pour vous aider ?

— Oh, dit Zhao Yunlan. Je sais qu'il y a un restaurant décent à proximité, tu pourrais dîner avec moi.

Shen Wei resta bloqué dans un silence embarrassé.

Zhu Hong serra les dents. “Argh, mais qu'est-ce que tu peux répondre à ça ?”

Chu Shuzhi baissa la tête. “Oui, qu'est-ce que tu peux dire ?”

Da Qing miaula.

Guo Changcheng n'osa rien dire.

Heureusement, le professeur Shen avait bon cœur, il vit la tête de chacun et entendit leurs pensées inavouées, alors il secoua la tête.

— En quoi est-ce approprié ? Et si tu restais ici et que je t'aidais à garder la Porte de la Vie ? S'il arrive quoi que ce soit, je pourrai t'aider.

Après avoir entendu cela, tout le monde se tut.

Zhu Hong regarda instantanément Shen Wei avec des émotions très complexes, et même Chu Shuzhi se perdit dans ses pensées. Mais Guo Changcheng demanda stupidement des éclaircissements :

— Qu'est-ce que la Porte de la Vie ?

Chu Shuzhi l'ignora, devint sérieux avant de demander :

— Comment le Professeur Shen sait-il dans quelle formation se trouveront mes deux couches de 'filet' ?

Shen Wei sourit légèrement.

— Deux couches, quatre portes, huit trigrammes ; Porte de la Vie, une entrée, Porte de la Mort, pas de sortie. Je l'ai compris grâce aux points de surveillance indiqués par Yunlan... Si le fantôme maléfique est trop fort, il risque de briser le "filet". Si la Porte de la Vie devient une Porte de la Mort, la formation perdra le contrôle. Je me tiendrai à côté de l'Œil Gardien, juste au cas où.

En terminant, il salua tout le monde d'un signe de tête poli, puis regarda Zhao Yunlan. Se penchant légèrement, il baissa la voix et dit :

— Je m'en vais, sois prudent.

Zhao Yunlan le vit partir, se sentant en pleine forme.

Cette fois, ni Zhu Hong ni Chu Shuzhi ne se servirent de ce que Shen Wei avait dit pour taquiner Zhao Yunlan, ils se tournèrent tous les deux vers lui. Le chat noir Da Qing était couché sur le rebord de la fenêtre, observant Shen Wei qui passait devant l'hôpital et venait se placer à l'endroit précis. On dirait même qu'il savait déjà que Da Qing l'observait ; il leva les yeux vers lui et sourit.

Les yeux de Da Qing brillèrent.

— Un expert.

Zhu Hong baissa la voix, les sourcils froncés.

— Chef Zhao, qui est ce professeur Shen ?

Zhao Yunlan était d'excellente humeur et ne s'est pas soucia de son ton. Il dit en plaisantant à moitié :

— Tu ne veux pas le savoir.

Da Qing se retourna et le fixa de ses yeux d'émeraude.

— Alors tu sais ?

Zhao Yunlan s'adossa paresseusement à sa chaise et demanda avec un faux sourire :

— Y a-t-il quelque chose que je ne sais pas ?

Zhu Hong éclata :

— Je trouvais ça étrange depuis longtemps... il était là lors de la première affaire avec le Cadran Solaire, puis la seconde fois, il s'est retrouvé par hasard avec nous dans les montagnes où se trouvait le Poinçon. La Cité des dragons est si grande que je ne reconnais même pas tous mes voisins, comment est-ce possible ? Tu ne trouves pas qu'il y a trop de coïncidences ? Tu...

Zhao Yunlan cligna des yeux. Il ne pensait pas que Zhu Hong deviendrait aussi agitée.

Même Chu Shuzhi l'observait silencieusement.

— Oh, à propos des Quatre Artefacts, il y a vraiment une raison derrière tout ça, expliqua Zhao Yunlan en prenant une pause. Mais je pense qu'il ne veut probablement pas que vous le sachiez, alors je ne peux rien vous dire à son sujet. Comprenez-moi bien.

C'est ainsi que l'homme qui se considérait comme le frère des dieux d'en haut dit :

— S'il vous plaît, comprenez.

Zhu Hong resta impassible. Ce qu'elle ressentait était inexplicable.

Si Shen Wei n'était qu'un professeur ordinaire de l'Université de la Cité du Dragon, elle pourrait plaisanter sur ces deux-là avec Lin Jing et la bande, taquiner le chef, et même écrire des histoires à leur sujet sur Weibo. Mais maintenant qu'elle savait que Shen Wei n'était pas si ordinaire que ça... et qu'il avait peut-être même beaucoup de choses en commun avec eux, elle se sentait déchirée.

Elle avait l'impression que quelqu'un lui avait transpercé le cœur avec une fine aiguille, l'enfonçant jusqu'à ce qu'un liquide commence à suinter douloureusement.

Chu Shuzhi demanda :

— Alors, est-il un expert en formation ? Peut-être pourrions-nous en discuter quand nous serons libres ?

Da Qing leva la queue et demanda dubitativement :

— Alors cette fois, tu n'es pas impliqué avec un humain normal, qu'est-ce que tu vas faire ? Même si tu ne peux pas nous le dire, laisse-nous au moins savoir de quelle tribu il est ?

Zhu Hong fronçait toujours solennellement les sourcils... comme si Zhao Yunlan n'avait pas seulement trouvé un partenaire, mais aussi un sugar daddy.

Finalement, la bonne humeur éphémère de Zhao Yunlan s'effondra face à leurs questions insistantes, et il les repoussa d'un geste impatient.

— Allez faire votre travail ! Allez vous faire foutre ! Pourquoi êtes-vous si curieux ? Ai-je dit qu'il s'agissait d'une conférence de presse ?

Chu Shuzhi s'enfuit avec Guo Changcheng, plein d'excitation ; il décida de construire un filet impeccable ce soir... mieux valait ne pas se tromper devant un expert.

Zhu Hong voulait encore dire quelque chose, mais Da Qing sauta de sa chaise et se retourna en miaulant vers elle. Zhu Hong prit une grande inspiration, baissa les yeux, les poings serrés dans ses manches, et suivit silencieusement Da Qing.

Zhao Yunlan sentait l'hostilité subtile de Zhu Hong, mais cela ne le dérangeait pas... il pensait que les femmes étaient particulièrement attentives aux détails et qu'elles avaient aussi tendance à trop réfléchir. Il avait soudainement amené quelqu'un comme Shen Wei dans leur cercle, et sans aucune explication, alors elle devait se sentir peu sûre d'elle.

C'est pourquoi il l'appela avec délicatesse.

— Hé, attends.

Zhu Hong s'arrêta à mi-chemin.

Zhao Yunlan dit :

— Tu vois, je ne peux rien dire, par respect pour lui. Mais je t'assure qu'il n'y a pas de quoi s'inquiéter. Traite-le comme tu me traites.

Zhu Hong ne dit rien après avoir entendu cela, et recommença à s'éloigner. Elle avait vraiment envie de gifler Zhao Yunlan.


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Mar 23 Juil 2024 - 18:49



Chapitre 53
Acte 3 : Pinceau d'Encre de Vertu
Le ciel finit par s'assombrir.

Chu Shuzhi, qui avait terminé sa tâche, se tenait sur le toit, les mains dans les poches. Le vent du nord hurlait, fouettant ses cheveux. Guo Changcheng s'attendait à ce qu'à tout moment, il soit emporté par le vent ; Chu Shuzhi était vraiment trop maigre, à tel point qu'il semblait souffrir de malnutrition.

Guo Changcheng n'osait pas bouger ; sous ses pieds se trouvait le toit couvert de poudre de cinabre.

Chu Shuzhi avait utilisé le toit comme une grande feuille de papier jaune et y avait dessiné un gigantesque "talisman" avec la poudre de cinabre. Ensuite, il avait utilisé des pierres noires pour marquer huit positions. Guo Changcheng, qui se tenait au centre du "talisman", ressentit immédiatement un changement d'atmosphère. La brise nocturne transporta une odeur particulière, qu'il n'arrivait pas à décrire.

L'odeur était poisseuse, humide, pas vraiment putride, mais mêlée à des senteurs de boue et de sang, avec une touche d'amertume insaisissable.

Guo Changcheng renifla et fronça le nez, perplexe.

— Chu-ge ?

— C'est l'odeur du ressentiment.

Chu Shuzhi ne se retourna pas. Il regarda vers le bas, dans l'obscurité. Ils avaient mis en place un piège complexe, et dans l'obscurité, le manteau gris clair que portait Shen Wei ressortait nettement. Il se tenait juste à l'endroit où se trouvait le piège pour le ravisseur. Chu Shuzhi secoua la tête.

— Avec qui le chef Zhao est-il impliqué cette fois-ci ? Shen Wei... Je n'ai jamais entendu parler d'un tel personnage auparavant.

À cet instant, Shen Wei leva les yeux, mais il faisait trop sombre pour que Chu Shuzhi puisse distinguer son expression. L'instant d'après, il disparu de l'endroit où il se trouvait.

Le visage de Chu Shuzhi se crispa.

— Il arrive.

Guo Changcheng dit :

— Ah ?

— Ah, rien ! s’exclama Chu Shuzhi qui se précipita vers lui et, comme s'il soignait un psoriasis, lui colla un talisman de papier jaune sur le visage. Ferme ta bouche ! Ne fais pas de bruit.

L'odeur spéciale devint de plus en plus forte. Lin Jing arrêta de prendre des selfies et rangea son téléphone. Debout dans le coin nord-est, il ouvrit la bouteille d'un air sévère. Un nuage de fumée noire s'éleva. Lin Jing releva la tête ; dans sa main, il tenait un sceau Vajra doré, et son visage était incroyablement solennel. Pourtant, il ne le tua pas comme Zhao Yunlan l'avait ordonné, mais commença à psalmodier les écritures de la transcendance.

C'était une âme vivante, née au sein des Cieux et de la Terre, et de l'essence de la Nature. Il s'agissait peut-être d'une nouvelle âme, ou peut-être d'une âme qui s'était réincarnée un nombre incalculable de fois. Lin Jing ne put se résoudre à l'exécuter aussi violemment, contrairement à Zhao Yunlan.

Et pourtant, le chant mugissant avait autant d'effet sur lui que la musique sur un bœuf inconscient. Le fantôme ne se laissa pas apaiser, et le babillage répétitif ne fit que le faire grandir, planant dans les airs et s'étendant comme un monstre colossal. Il rugit vers le ciel, et la nuit éclairée par la lune fut rapidement plongée dans l'obscurité.

L'instant d'après, trois coups de feu percèrent le silence de la nuit. Le petit fragment de ressentiment se brisa en morceaux et se dissipa dans l'air.

Une fenêtre du sixième étage était ouverte. Lin Jing pouvait voir une lumière vacillante, et il imaginait presque l'expression de Zhao Yunlan qui regardait vers le bas, fronçant les sourcils et marmonnant avec mécontentement :

— Stupide moine qui psalmodie les écritures.

Tout dans ce monde n'était pas capable d'être transcendé. Si c'était le cas, l'Ordre des Gardiens et la SIU n'auraient pas besoin d'exister. Il était là, essayant de l'aider à traverser la rivière(1), mais il ne bougeait même pas d'un pas.

Un hurlement strident se fit entendre au loin. Lin Jing joignit ses paumes, émit un mantra et fit un saut périlleux sur une branche d'un arbre flétri et sans feuilles. Une énorme sphère de fumée noire s'écrasa comme une bombe à l'endroit où il se tenait un instant auparavant ; les briques au sol se brisèrent instantanément, et l'air se remplit d'une pluie de cailloux. Dans une rafale tourbillonnante, une silhouette gigantesque surgit, haute d'environ quatre ou cinq mètres. Elle n'avait que le haut du corps, et il ne restait que les os des jambes ; du sang noir coulait pendant qu'elle marchait, et chaque gouttelette grésillait sur le sol, faisant fondre les rochers sur son passage.

— Tu ne laisses personne se mettre en travers de ton chemin, on dirait, dit Lin Jing en riant amèrement, mais ses jambes n'hésitèrent pas.

Telle une araignée géante, il sauta sur une fenêtre du deuxième étage et, à mains nues, escalada le bâtiment de l'hôpital, grimpant aux fenêtres et aux fissures du mur ; il se déplaçait encore plus vite qu'un ascenseur. L'ombre noire le poursuivit.

Lorsque Lin Jing atteignit le sixième étage, il cria au chat noir près de la fenêtre :

— Attrape !

Da Qing bondit comme une boulette de viande noire, et les six cloches suspendues aux six coins sonnèrent ensemble. Au son du cri d'une femme, un serpent géant sortit d'un coin, la langue fourchue roulante, et une partie du nuage de fumée noire fut lentement aspirée dans sa bouche.

Le reste de l'ombre noire qui suivait Lin Jing s'agita dans tous les sens. Le tintement devint de plus en plus intense, et des nuages de fumée noire étaient aspirés dans la bouche du serpent géant, faisant rétrécir la silhouette de l'ombre.

Soudain, de l'ombre qui flottait dans l'air, le visage d'un homme émergea et devint clairement visible. C'était l'homme que Guo Changcheng avait vu : des cheveux blancs et des yeux rouges.

Zhao Yunlan éteignit sa cigarette sur le rebord de la fenêtre.

— Zhu Hong, esquive !

Au même moment, les six cloches cessèrent de se balancer, toutes mises en sourdine simultanément.

Le chat noir se jeta sur le serpent, et alors qu'ils tombaient au sol, le serpent se transforma à nouveau en femme. Toutes les fenêtres du sixième étage volèrent en éclats, et l'homme au demi-corps se mit à grossir de plusieurs tailles.

Zhao Yunlan se pencha et aida Zhu Hong à se relever. Il se tint ensuite près de la fenêtre, à quelques mètres du fantôme qui flottait dans les airs.

— Ordre des Gardiens, dit-il, comme s'il s'agissait d'une simple affaire de police. Vous êtes mort et vous n'avez pas réussi à vous réincarner correctement. C'est bientôt le Nouvel An, et vous avez décidé d'empoisonner les gens ?

La mention du "Nouvel An" sembla exaspérer le fantôme. Il étendit son énorme main et tenta de saisir le cou de Zhao Yunlan dans une masse tourbillonnante de fumée noire.

Le symbole de l'Ordre des Gardiens se transforma en fouet et poussa comme une liane vivante, glissant de la manche de Zhao Yunlan et s'enroulant autour de la main géante. L'homme et le fantôme étaient dans une impasse, entourés d'une mer de verre brisé.

Zhu Hong poussa Lin Jing avec force.

— Tu es aveugle, va l'aider !

Lin Jing qui venait d'être poursuivi par le fantôme et qui avait joué à Spider-Man pendant un moment, avait encore mal aux doigts et n'avait pas encore repris son souffle. Il arborait un visage amer.

— Aider ? Aider à quoi ? Tu vois comme cette chose est grosse, qu'est-ce que tu crois que je peux faire ?

— Fais sonner la cloche ! Les moines ne sont-ils pas censés faire sonner les cloches tous les jours ?

Elle cria dans l'oreille de Lin Jing jusqu'à ce qu'elle se mette à bourdonner. Il dit, impuissant :

— Chère madame, calmez-vous, s'il vous plaît. Je suis un disciple de Shaolin, on ne sonne pas les cloches toute la journée ! De plus, que Bouddha ait pitié, pitié des âmes sombres et maléfiques. Celui-ci était un humain, la cloche n'aurait pas beaucoup d'effet de toute façon ; et tu n'as même pas pu avaler le fantôme, tu crois que ma misérable cloche va marcher ?

— Je m'en fiche, réfléchis à quelque chose !

Lin Jing regarda Zhao Yunlan et soupira misérablement.

— Que Bouddha ait pitié... pitié de mon visage... qu'il me rende plus beau.

Puis il sortit un petit pot, de la taille d'une main ; il ouvrit le couvercle et l'odeur de l'huile à lampe s'en échappa. Lin Jing jeta un coup d'œil à l'intérieur à contrecœur. Il était sur le point d'y mettre la main, lorsque Zhao Yunlan lui fit signe sans tourner la tête.

— Garde ton huile à lampe, je n'ai pas besoin de ton aide.

La seconde suivante, le fantôme s'extirpa du fouet du Gardien, qui tourbillonna dans l'air et se rétracta dans sa manche. Le fantôme rugit et arracha le cadre de la fenêtre ; un énorme nuage de fumée noire s'y engouffra, faisant presque éclater le mur.

Au même moment, Zhao Yunlan recula d'un pas, les deux mains tendues devant lui, les doigts écartés. Il tenait un poignard dans sa main droite et, sans un mot, il s’entailla la paume de la main gauche. Du sang rouge vif coula dans le creux de la lame, puis s'arrêta de bouger comme s'il s'était solidifié.

Un sourire se dessina sur son visage.

Da Qing vit ce qui se passait, sa fourrure se hérissa, et il ne put s'empêcher de bondir le plus loin possible de lui et de tomber dans les bras de Zhu Hong. Ce sourire ne ressemblait pas du tout à celui de Zhao Yunlan. À cet instant, ses yeux étaient incroyablement creusés, son regard était menaçant, la silhouette de son nez jetait une ombre sur la moitié de son visage, et sa bouche s'incurvait en un sourire diabolique qui faisait froid dans le dos.

Pendant un instant, personne ne put dire lequel des deux était le véritable fantôme.

— Royaume souterrain, répondez à mon appel.

La voix ne semblait pas être celle de Zhao Yunlan non plus ; profonde et inexplicablement rauque, elle coupait les oreilles comme une scie émoussée.

— Le sang comme serment, le fer froid comme preuve, prêtez vos trois mille soldats des ténèbres. Hommes et dieux, aucun ne survivra...

Les derniers mots furent prononcés lentement, l'un après l'autre, avec une puissance et une angoisse inouïes. Le sang sur la lame devient noir et d'innombrables armures creuses traversèrent le mur blanc derrière lui, montées sur des chevaux de guerre squelettiques, brandissant des lames corrodées et avançant avec la force d'un glissement de terrain ou d'un tsunami. Le fantôme fut forcé de sortir et sa main fut rapidement tranchée.

Zhao Yunlan recula en titubant, comme s'il était épuisé. Il tomba contre le mur et glissa au sol sous les regards horrifiés des autres. Il baissa sa main, d'où le sang continuait de couler, et dit en soufflant :

— Putain, j'en ai plein la manche, le teinturier va avoir du mal avec ça.

Da Qing s'avança, s'approchant lentement de lui, tâtant le terrain. Il s'arrêta à cinquante centimètres de lui et demanda avec hésitation :

— Yunlan ?

Zhao Yunlan haussa les sourcils.

— Hmmm ?

Le chat noir connaissait bien ce regard... il connaissait bien tous les regards qui lui donnaient envie de sortir les griffes, et il n'hésita donc pas à le gifler en rugissant :

— Mais qu'est-ce que c'était que ça, tout à l'heure ? Je ne t'ai jamais appris ce genre de magie noire !

— Les humains savent lire, stupide chat, dit Zhao Yunlan avec vantardise.

Da Qing manqua de le gifler à nouveau. Grimpant sur son corps, il se tenait sur les jambes de Zhao Yunlan, les pattes avant sur le haut de ses bras.

— Quel livre tu as pris à la bibliothèque ?

Zhao Yunlan lui tapota la tête de sa main indemne.

— Le Livre des Âmes. Ne t'inquiète pas, j'essayais juste de clarifier quelque chose, et je suis accidentellement tombé sur ce livre. Je viens juste d'y penser. Je ne complote rien, tu ne crois pas en mon intégrité ?

Le chat noir rugit :

— As-tu la moindre intégrité !?

Zhao Yunlan se faisait éclabousser tout le visage par la salive du chat.

Finalement, le chat noir sauta de l'épaule de Zhao Yunlan, acceptant à peine son explication. Il pouvait faire confiance au jugement de Zhao Yunlan, mais il grommela tout de même :

— Si tu veux que la photo de ta carte d'identité soit affichée sur la liste des personnes recherchées par la pègre et que tout le monde puisse la voir, alors je n'ai rien à dire.

En entendant cela, Zhao Yunlan le poussa au sol et le réprimanda.

— La photo sur ma carte d'identité est belle, cool, extraordinairement magnifique et captivante ; tu es juste jaloux, gros porc de chat à la face de crêpe.

Chu Shuzhi appella le téléphone de Zhao Yunlan depuis le toit, débordant d'excitation.

— C'était l'Attaque de l'Ombre ? Qui a fait ça ? Ce n'était pas complètement fou ? Ce n'était pas génial ?

Zhu Hong ne put s'en empêcher, elle attrapa le téléphone et raccrocha.

Lin Jing se sentit obligé de demander :

— L'Attaque de l'Ombre ? Catalysé par le sang ?

— Le sang et le fer servent de canaux, dit Zhao Yunlan en reprenant son souffle.

Il se lève du sol, brosse la saleté de son pantalon et sortit.

— Le véritable catalyseur est la malice. De la malice naît la brutalité, je suppose que cela revient à combattre le mal par le mal.

Zhu Hong hésita ; avant de le suivre, elle demanda :

— Tu as des pensées malveillantes ?

— Bien sûr, ne suis-je pas humain ? avoua Zhao Yunlan candidement avec un sourire. J'en ai beaucoup - en fait, je pense que lAttaque de l'Ombre  ne devrait pas être classée comme de la magie noire, je trouve ça plutôt agréable : du yoga spirituel, de la désintoxication ; on en ressort rafraîchi et détendu.

Zhu Hong n'avait rien à répondre à cela.

Da Qing sauta sur l'épaule de Zhao Yunlan et lui donna un coup de patte sur le nez.

— Aïe ! Espèce de gros con !

Le fantôme était maintenant encerclé par les troupes de l'ombre. Il se rendit compte que la bataille était perdue d'avance alors il décida de s'enfuir.

Les deux couches de 'filet' de Chu Shuzhi se déclenchèrent instantanément. Ils ne s'attendaient pas à ce que le fantôme maléfique soit si puissant. Si Shen Wei n'avait pas été en position de gardien pendant que le fantôme était presque vaincu par Zhao Yunlan, il aurait pu s'échapper.

Les éclairs qui s'étaient accumulés dans le ciel s'abattirent maintenant sur lui. Le fantôme fut retenu par quelque chose d'invisible, et les troupes de l'ombre à ses trousses disparurent soudainement. Le fantôme se débattit frénétiquement, et toute la zone autour de l'hôpital trembla ; ceux qui se trouvaient à l'extérieur de la zone protégée devaient penser qu'il s'agissait d'un tremblement de terre.

Chu Shuzhi cria depuis le toit :

— L'insecte est sur la toile ! Araignée, ne laisse pas la proie s'échapper !

Shen Wei, qui était resté à l'écart pendant tout ce temps, apparut soudainement derrière le fantôme. Il griffa l'air, le cou du fantôme fut saisi par une main invisible, et la fumée noire qui enveloppait son corps se dispersa jusqu'à ce qu'il ne reste plus qu'un homme sans jambes, jetant un regard méprisant à Shen Wei.

Shen Wei ne broncha pas. Il resserra ses doigts et, comme une feuille de papier, le fantôme se mit en boule. En un éclair, il s'évapora dans la main de Shen Wei.

Notes :
1/ Il s'agit de la rivière de l'oubli, que chaque âme doit traverser pour oublier tout ce qu'elle a vécu dans sa vie actuelle, en préparation de sa réincarnation.

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Chapitre 54
Acte 3 : Pinceau d'Encre de Vertu
La proie était capturée. La zone de Zhu Hong se déverrouilla automatiquement, et tous les éclats de verre volèrent dans les cadres de la fenêtre et se reconstituèrent. Les infirmières allaient et venaient, contrôlant les patients et les quelques personnes arrivées dans la nuit pour des urgences. Certains patients qui s'étaient réveillés et étaient sortis pour voir s'il n'y avait pas d'anomalies retournèrent un par un dans leur chambre.

Tous les vendeurs ambulants avaient plié bagage et étaient partis. De temps en temps, des taxis passaient rapidement, sans avoir l'intention de prendre des passagers.

Shen Wei se précipita dans l'immeuble et tomba sur Chu Shuzhi qui descendait les escaliers. Chu Shuzhi était du genre prétentieux, il était à l'aise avec les gens qu'il connaissait, mais avec les étrangers, il ne disait presque jamais rien. Mais lorsqu'il vit Shen Wei, il lui tendit la main et le félicita.

— C'était une belle prise.

Shen Wei acquiesça rapidement, mais son teint était encore plus sombre que celui du patient souffrant d'une appendicite aiguë que l'on venait de faire passer devant eux sur une civière.

Il sortit un petit flacon de médicaments et dit simplement :

— C'est dedans, occupez-vous-en.

Puis il jeta le flacon à Chu Shuzhi et attrapa Zhao Yunlan par la main.

— Viens avec moi, il faut qu'on parle.

Zhao Yunlan se laissa faire sans résister.

Shen Wei le poussa dans les toilettes pour hommes, ferma la porte à clé et le fixa dans la faible lumière ; il baissa la voix.

— Tout à l'heure, c'était l'Attaque de l'Ombre ?

— Oui.

— C'est toi qui as fait ça ?

Zhao Yunlan acquiesça.

— Euh, oui.

En entendant cela, Shen Wei ne dit plus rien et leva la main afin de gifler Zhao Yunlan.

Mais bien qu'il y mette toute sa force, il ne put se résoudre à frapper Zhao Yunlan, et sa main s'arrêta juste à côté de son oreille.

Zhao Yunlan était stupéfait, et demanda, perplexe,

— Shen Wei ?

— Ne me parle pas ! répondit Shen Wei, le visage pâle de fureur, et sa main tremblante en l'air.

Après un long moment, il serra les dents.

— 'Hommes et dieux, aucun ne survivra !' Le Gardien est certainement redoutable et intrépide. Tu... tu n'as pas peur que les Cieux te punissent ?

Zhao Yunlan voyait rarement Shen Wei se mettre en colère, et encore moins à ce point. Cela lui fit mal de voir Shen Wei si furieux, et il saisit sa main froide.

— Oui, oui, c'est ma faute, si tu veux me frapper, alors frappe-moi. Ne te mets pas en colère. Ne t'énerve pas.

Shen Wei écarta sa main.

— Je ne plaisante pas ! Tu sais que rassembler les Troupes de l'Ombre est une magie noire absolument interdite ? Tu sais ce qu'est la magie noire ? Les trois mondes peuvent-ils tolérer cela ? Tu n'as aucune considération pour les lois de la nature, n'est-ce pas ? Jusqu'à quel point dois-tu faire des bêtises avant d'apprendre ? Tu... tu...

Sa voix s'arrêta brusquement. Après un long moment, il demanda d'une voix tremblante :

— Qu'est-ce que je ferai si cela arrive ?

Zhao Yunlan l'entoura de ses bras et embrassa doucement ses cheveux.

— C'est ma faute, bébé, je suis désolé.

Il pensait que son attitude était vraiment bonne, mais cette phrase déplut à Shen Wei, qui le repoussa, le plaquant d'une main contre la porte d'une cabine, et lui serra l'autre dans le col.

— N'utilise pas ses astuces pour me tromper, comme tu l'as fait pour d'innombrables autres personnes.

Zhao Yunlan sourit d'un air impuissant.

— Alors que veux-tu que je fasse ?

La fureur sur le visage de Shen Wei s'estompa peu à peu face au sourire de Zhao Yunlan. Au bout d'un moment, il s'adoucit un peu plus... quand il s'agissait de cet abruti, Shen Wei ne pouvait pas le réprimander trop sévèrement, même s'il creusait un trou dans le ciel.

Au bout d'un moment, Shen Wei soupira, lâcha prise, et dit d'un ton calme :

— Tu ne peux pas te contrôler un peu plus ?

Zhao Yunlan s'excusa et acquiesça précipitamment. Même s'il ne pensait pas avoir de problème, si Shen Wei disait qu'il y en avait un, il s'excuserait quoi qu'il arrive.

Shen Wei baissa les yeux et prit sa main blessée ; il demanda doucement,

— Est-ce que ça fait mal ?

Zhao Yunlan secoua la tête.

— Je... tout à l'heure, je me suis un peu emporté...

— Tu m'as fait mal au dos, dit Zhao Yunlan, inexpressif. Et tu m'as crié dessus. Tu es toujours poli avec les autres, mais là, tu m'as crié dessus.

L'expression de son visage effraya Shen Wei, qui ne se rendit pas compte qu'il s'agissait d'un simple flirt. Shen Wei hésita et, impuissant, tint le visage de Zhao Yunlan à deux mains :

— Je...

Zhao Yunlan continua de le regarder avec cette expression impassible.

— Je ne voulais pas...

Shen Wei s'arrêta de parler, commençant à paniquer.

Zhao Yunlan montra ses propres lèvres.

— Prends bien soin de moi et je te pardonnerai.

Shen Wei resta stupéfait pendant une seconde avant de réaliser ce qu'il venait de dire. Son visage se figea.

— Quelle indécence !

Ses oreilles rougirent et il se retourna pour partir.

Pourtant, alors qu'il se dirigeait vers la porte, il se retourna et découvrit que Zhao Yunlan était toujours adossé au mur dans la même posture, le regardant avec un demi-sourire.

Shen Wei avait déjà la main sur la poignée de la porte, mais il hésita longuement. Puis il revint à grands pas, s'accrocha à la taille de Zhao Yunlan et l'embrassa.

Il le menait déjà par le bout du nez, que ferait-il à l'avenir ?

~~~

Les lèvres de Zhao Yunlan étaient un peu gonflées. Quand Zhu Hong les vit, elle détourna le regard, furieuse, et se dit : ce putain de gay, est-il vraiment si excité que ça ?

La bande retourna au numéro 4 Bright Avenue. Chu Shuzhi installa un autre "filet" autour de la salle d'interrogatoire et colla des talismans en papier jaune un peu partout, comme des drapeaux de prière. Puis il ferma la porte à clé, ouvrit la bouteille et laissa sortir le fantôme.

Zhao Yunlan offrit une chaise à Shen Wei avant de s'adosser au mur, les bras croisés. Il alluma une cigarette et, sans lever les yeux, dit paresseusement :

— Vous avez le droit de garder le silence. Tout ce que vous direz pourra être utilisé contre vous au tribunal. Réfléchissez bien avant de dire quoi que ce soit.

Le fantôme sans jambes était attaché à une chaise par trois talismans qui l'entravaient. Levant sinistrement la tête, il demanda d'une voix rauque :

— Utilisé au tribunal ? Quel tribunal ?

— La Cour des Enfers, juste et impartiale, pour juger tous les crimes de votre vie. Trêve de bavardages, répondez simplement à nos questions !

Lin Jing n'était pas de bonne humeur, après avoir été poursuivi par lui comme un gecko géant. C'est là qu'il devenait le plus schizophrène : à l'extérieur, c'était un moine rusé qui faisait semblant d'être honnête et droit, mais une fois dans la salle d'interrogatoire, il se transformait en Lin Jing rugissant, criant pour asseoir sa domination.

Le fantôme rit d'un air méprisant.

Chu Shuzhi jeta un coup d'œil à Guo Changcheng, qui se redressa instantanément et s'éclaircit la gorge. Jetant un coup d'œil aux "antisèches" griffonnées sur sa paume, il récita :

— No- nom, âge, heure de la mort, cause de la mort.

Le fantôme regarda Guo Changcheng, le faisant frissonner.

Chu Shuzhi posa une main sur l'épaule de ce dernier, et au même moment, Lin Jing plaqua ses mains sur la table, criant avec colère :

— Bordel, qu'est-ce que tu regardes, parle !

— Wang Xiangyang, 62 ans, mort l'année dernière, le 29 décembre du calendrier lunaire, dans un accident de voiture.

Guo Changcheng regarda attentivement Chu Shuzhi, qui hocha la tête, lui faisant signe de continuer. Guo Changcheng consulta alors à nouveau son antisèche. Chu Shuzhi ne put s'empêcher de jeter un coup d'œil, sur sa paume était écrit : " 2. Oh, XXX (insérer leur nom), si la cause de votre mort était XXX (insérer la cause de leur mort), alors pourquoi avez-vous blessé des innocents ?

Puis il entendit Guo Changcheng bégayer :

— Oh, Wang Xiangyang, si la cause de votre mort était le 29 décembre... non, la cause de votre mort était un accident de voiture, alors pourquoi avez-vous fait du mal à des innocents ?

Chu Shuzhi n'avait vraiment pas envie de rire en cette sombre occasion, alors il se tourna vers Zhao Yunlan.

— Chef Zhao, donne-moi une cigarette.

De cette façon, il pouvait cacher son expression déplacée.

— Innocent ? s'exclama Wang Xiangyang, le visage affichant un sourire très déformé ; comme un fou, il se pencha en avant. Qui est innocent ? Dis-moi, petit, qui est innocent ? Sont-ils innocents ? Es-tu innocent ?

Oh non, pourquoi répondait-il par une question ? Guo Changcheng n'avait pas préparé de réponse à ce genre de situation. Il était perdu et ne savait pas quoi faire.

Chu Shuzhi baissa les yeux et Lin Jing regarda ailleurs ; ses deux soutiens abandonnèrent tacitement le jeune homme.

Mais Shen Wei demanda soudain :

— Pouvez-vous me dire comment vous êtes mort dans un accident de voiture ?

Wang Xiangyang se tourna vers lui avec un visage terne, silencieux.

Shen Wei demanda à nouveau :

— Était-ce lié aux personnes que vous avez maudites ? Était-ce lié aux oranges que vous vendiez ?

— Je vendais des oranges pour vivre, lui répondit Wang Xiangyang après une longue pause. Je vivais dans un village à la périphérie de la Cité du Dragon. Tous les jours, je poussais mon petit chariot rempli de fruits jusqu'à la ville, et je les vendais dans les rues ; toute ma famille vivait de cette source de revenus. Ma femme souffrait d'urémie, elle ne pouvait pas travailler. Mon fils, qui avait presque trente ans, ne pouvait pas se marier, et comme nous étions de pauvres fermiers, je ne pouvais pas lui payer une maison en ville.

— Si tu le demandes, je vais te le dire... J'ai beaucoup aimé les quelques jours qui ont précédé et suivi le Nouvel An. C'est le moment où la plupart des vendeurs ambulants sont déjà rentrés chez eux et où les supermarchés sont les plus bondés. Certaines personnes m'achetaient des produits par commodité et c'est à ce moment-là que je gagnais le plus d'argent, répondit Wang Xiangyang en se calmant sous le regard de Shen Wei, mais en arborant néanmoins un sourire méprisant. Le 29 décembre, quel grand jour !

Guo Changcheng trouva enfin quelque chose d'utile sur sa paume, et saisit l'occasion pour demander :

— Méprisez-vous la société à cause de vos problèmes familiaux ?

— Mépriser la société ? répéta Wang Xiangyang, avant de secouer la tête. Je ne la méprise pas. Je connais tous ceux qui m'ont fait du tort, et je devais juste les atteindre. Je serais parti une fois que j'en aurais eu fini avec eux. Si vous voulez me griller, faites-le, si vous voulez me jeter dans les dix-huit niveaux de l'enfer, faites-le. Mais je devais m'assurer que ces gens tomberaient avec moi, œil pour œil, dent pour dent.

Il dit tout cela calmement, mais aux oreilles des autres, cela semble ignoble et vicieux.

À ce moment-là, Wang Zheng frappa à la porte et entra avec un plateau rempli de fruits, accompagné de son éternel suiveur Sang Zan.

Wang Zheng tendit les fruits à Zhao Yunlan et regarda Shen Wei avec une expression étrange. Mais elle ne dit rien et se contenta de rappeler à Chu Shuzhi :

— Les talismans à l'extérieur, une fois que vous aurez fini de les utiliser, ramenez-les, ne donnez pas de fil à retordre au concierge.

Après le départ des deux assistants fantômes, Shen Wei reprit :

— Qui sont-ils ?

— Les trois personnes à l'hôpital, et bien d'autres encore... euh, mais ce n'était vraiment pas la faute du chauffeur, dit Wang Xiangyang comme s'il s'agissait d'un étranger. Il est permis d'allumer des pétards le 29 décembre. Ce jour-là, deux adolescents s'amusaient comme des bouffons, bien qu'ils fussent habillés comme des humains, et le plus décemment du monde d'ailleurs... des doudounes qui avaient dû coûter quelques centaines d'euros chacune. Ils sont devenus fous et ont jeté des pétards partout, sans que leurs parents n'interviennent. Ils en ont jeté sous mon chariot, et je les ai grondés ; je n'aurais pas dû, mais je n'ai pas pu m'en empêcher, mon cerveau devait mal fonctionner à cause du froid. Ces enfants sont devenus encore plus fous et ont commencé à me lancer des pétards. Je les ai poursuivis, un des enfants a couru derrière moi et a renversé mon chariot. Les oranges, les pommes, tous mes fruits ont roulé dans la rue.

Il s'interrompit et regarda le plateau de fruits bien rangé. Il ne put s'empêcher de se lécher les lèvres. Il n'avait jamais pu se résoudre à manger ses propres fruits lorsqu'il était en vie, et maintenant il ne peut plus en manger même s'il le voulait.

Des lumières étranges brillèrent dans ses yeux.

— Cette cargaison de fruits était l'argent du Nouvel An de notre famille. J'étais désespéré. J'ai couru pour ramasser les fruits, mais je n'ai pas pu tout récupérer. Il faisait jour et il y avait beaucoup de passants. J'ai dit : "Aidez-moi, s'il vous plaît, aidez-moi", mais quelqu'un a pris une de mes oranges, sans même me regarder, et a commencé à la manger. Il a même dit, "Elles sont toutes sales maintenant, personne ne les achètera, pourquoi tu fais ça ?” Puis il a pris une pomme et est parti.

Wang Xiangyang marqua une pause et son visage arbora étonnamment un sourire serein et soulagé, comme si ses paroles lui avaient fait grand bien.

— Beaucoup étaient comme lui, tellement nombreux... ils ont vu les fruits, ils en ont pris et sont partis ; certains ont même apporté des sacs. Je leur ai dit, "Vous ne pouvez pas faire ça, vous devez payer, vous ne pouvez pas prendre mes fruits comme ça". Une fois qu'ils ont entendu cela, ils ont pris mes fruits et se sont enfuis. Je les ai poursuivis et c'est alors qu'un taxi m'a renversé et m'a tué sur le coup.

— Il neigeait beaucoup ce jour-là. La voiture ne pouvait pas s'arrêter ; le conducteur a freiné, mais la voiture a avancé de quelques mètres et m'a écrasé. Le haut de mon corps a été poussé par les roues, et mes jambes ont été coupées et laissées là où je suis tombé. Avant mon dernier souffle, une orange m'a heurté le visage. Dites-moi, ne suis-je pas mort d'injustice ?

Personne ne répondit.

Wang Xiangyang poursuit :

— Je n'aurais pas dû me venger ? Auriez-vous dû m'arrêter ? Quand j'irai aux Enfers, comment les Rois des Enfers jugeront-ils cette affaire ?

Ce n'était pas étonnant que les lignes de karma des victimes soient si légères... La personne qui avait causé la mort de Wang Xiangyang était le chauffeur, et pourtant ce dernier n'avait rien à voir avec tout cela.

Wang Xiangyang se pencha en arrière sur sa chaise, un geste qui semblait particulièrement terrifiant lorsqu'il était effectué par un cul-de-jatte. Il rit d'une voix grave.

— Quand j'étais en vie, je ne savais pas qu'il y avait des gens comme vous dont le travail consistait à s'occuper de ce genre de choses. Si vous voulez faire respecter la justice, pourquoi m'arrêter moi et pas eux ? Oubliez ça, j'en ai fini avec ce monde.

Guo Changcheng vit le dernier rappel sur sa paume, qui indiquait "famille / amis", et dit sans réfléchir :

— Vous n'avez pas pensé à votre fils et à vos petits-enfants ? Et à votre femme malade ? Ne voulez-vous pas faire de bonnes actions pour eux ?

Wang Xiangyang dit avec un visage terne :

— Mon fils ne s'est pas marié, je n'ai pas de petits-enfants. De plus, ma femme et mon fils sont tous deux morts. Notre lignée s'arrête là, pour qui je devrais faire de bonnes actions, bordel ?

Guo Changcheng s'entendit demander, tremblant,

— Comment sont-ils...

— C'est moi qui l'ai fait. J'ai éteint la flamme du poêle qui nous servait de chauffage. C'était la nuit, et ils dormaient encore tous les deux. Ils ont été empoisonnés par la fuite de gaz.

Et Wang Xiangyang ajouta :

— Pas de douleur.

Guo Changcheng dit :

— Comment... comment avez-vous pu faire ça ?

Wang Xiangyang lui adressa un regard franc et un soupçon de sourire.

— Je pense qu'être vivant est plus douloureux qu'être mort, qu'en pensez-vous ?


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Mar 23 Juil 2024 - 18:49



Chapitre 55
Acte 3 : Pinceau d'Encre de Vertu
Lin Jing comprenait maintenant pourquoi le fantôme de Wang Xiangyang n'était pas monté au ciel... Il n'avait jamais fait de mauvaises actions, mais il avait lutté pour gagner sa vie et, malgré son dur labeur, il avait fini par mourir d'une mort absurde et tragique.

Lorsque la haine atteignait son paroxysme, il ne restait plus d'émotions douces dans le cœur d'un homme. C'était la raison pour laquelle il avait coupé tous ses liens avec les vivants et, à partir de ce moment-là, plus rien ne pouvait susciter en lui la nostalgie ou la joie.

Peut-être que s'il avait vécu, après quelques années, le temps aurait guéri et lavé sa colère, et lui aurait permis de franchir paisiblement cet obstacle. Mais il était mort.

Sa vie étant terminée, il n'avait plus rien à gagner, ni perdre. Son âme était à jamais prisonnière des roues qui lui avaient ôté la vie, et il avait sombré dans le mal.

Zhao Yunlan fronça les sourcils. C'était une situation difficile... ramasser quelques fruits dans la rue, comment cela pouvait-il être un crime passible de la peine de mort ? Un voleur de portefeuille serait tout au plus envoyé en prison, pas exécuté par un peloton d'exécution ; ce genre de crime ne méritait pas la peine de mort, pas vrai ?

Pourtant, à cause de la cupidité de ces gens, un honnête homme qui se réjouissait de rentrer chez lui pour le Nouvel An était mort injustement. Ne devrait-il pas être enragé ? Ne devrait-il pas se venger ? Après une telle chose, qui se contenterait de rire et d'entrer volontairement dans la réincarnation ?

Tout cela semblait logique.

Notre chef Zhao, plein de ressources, trouva rapidement une merveilleuse idée : il décida d'envoyer Wang Xiangyang aux Enfers. Comme toujours, il pourra porter son affaire devant la Cour des Enfers, et si les Dix Rois des Enfers étaient unanimes pour dire qu'il avait le droit à la vengeance, alors il recevrait un permis qui lui permettrait de faire tout ce qu'il veut sur terre. L'affaire ne serait alors plus liée à l'Ordre des Gardiens et, en cas de problème, la faute en reviendrait naturellement à l'autre camp.

Mais alors qu'il était sur le point d'avancer sa solution parfaite, Shen Wei l'interrompit et dit calmement :

— S'approprier sans permission est un vol, qu'il s'agisse d'or, d'argent ou de quelques fruits, la nature est la même. Sans compter que quelqu'un a été tué à cause de cela. Je pense que cela équivaut à un 'meurtre pour la propriété', alors vous devriez vous venger.

Les mots avaient été prononcés, et Zhao Yunlan ne pouvait plus les arrêter. La gorge du chef Zhao, habituellement éloquent, se serra jusqu'à ce qu'il ait l'impression qu'il allait mourir.

Dès que Shen Wei eut fini de parler, Wang Xiangyang s'aperçut que la force qui le restreignait avait disparu.

Les autres l'ignoraient peut-être, mais Zhao Yunlan savait très bien que, bien qu'il se présentait sous les traits de Shen Wei, il était toujours le Tueur de Fantômes. Depuis la nuit des temps, le Tueur de fantômes jugeait le Bien et le Mal sous sa lame, bien avant la Cour du Monde Souterrain.

En d'autres termes, l'autorité du Tueur de Fantômes était suprême ; même le Tribunal des Enfers ne pouvait pas changer son verdict. Maintenant que Shen Wei avait fait une déclaration aussi autoritaire dans la salle d'interrogatoire, cela revenait à donner le "permis" à Wang Xiangyang.

— Mais il n'y a jamais de fin à la vendetta. Si vous les laissez partir, peut-être que le karma les rattrapera dans quelques années... ou s'ils meurent avant, il finira par les rattraper dans l'une de leurs prochaines incarnations. Mais vous n'êtes qu'une âme humaine. Parce que vous êtes rempli d'un immense ressentiment, vous avez sombré dans le mal, et vous avez même commis le crime odieux de tuer votre propre femme et votre enfant ; après vous être vengé, vous serez probablement enfermé dans les dix-huit niveaux de l'enfer. C'est une épée à double tranchant. Vous n'avez toujours pas d'objection ?

Outre Zhao Yunlan, qui connaissait la vérité, Wang Xiangyang savait mieux que les autres personnes présentes dans cette pièce que Shen Wei était spécial. Il regarda Shen Wei avec attention et, d'un signe de tête succinct, dit :

— Non.

Shen Wei se retourna et fit semblant de demander à Zhao Yunlan.

— Comment veux-tu régler ce problème ?

Tu t'en es déjà occupé tout seul, qu'est-ce que tu me demandes... Zhao Yunlan le regarda fixement et toussa. Il devait encore l'aider à se couvrir. Il sortit donc un talisman de l'Ordre du Gardien, le posa sur la table et le poussa vers Wang Xiangyang.

— Attendez ici. Un messager du monde souterrain viendra vous chercher avant l'aube. Montrez-lui ceci, et il vous conduira auprès des Rois des Enfers pour obtenir une autorisation.

Les lèvres de Wang Xiangyang frémirent. Au bout d'un moment, il se pencha en avant et brandit le talisman de l'Ordre des Gardiens à deux mains.

— Dernier rappel, dit Zhao Yunlan d'un ton routinier. Comme il l'a dit, une fois que vous aurez obtenu le permis, vous pourrez vous venger, mais ensuite, votre punition sera proportionnelle, réfléchissez avant d'agir.

Wang Xiangyang fixa intensément le talisman de l'Ordre des Gardiens dans ses mains, et secoua la tête.

— Inutile de me le rappeler, j'en ai tué plus d'une douzaine, je suis déjà en eau trouble.

Puis il sourit amèrement.

— Je n'aurais jamais cru qu'il existait encore un espace de raison après la mort. Merci.

Tout le monde dans la salle était choqué. Zhu Hong demanda immédiatement :

— Attendez, vous avez dit que vous aviez déjà tué plus d'une douzaine de personnes ? Avec la même méthode ? Et ils sont tous morts ?

— Bien sûr qu'ils le sont, et ils sont morts prématurément et de façon épouvantable aussi, le genre qui les empêchera d'entrer dans la réincarnation pour l'éternité.

Zhu Hong regarda Zhao Yunlan avec étonnement... comme la ville était densément peuplée, animée et bruyante, il était normal qu'ils ne puissent pas toujours se rendre compte qu'un fantôme maléfique avait tué quelques personnes. Mais lorsque les chiffres augmentaient, non seulement l'Ordre des Gardiens, mais aussi les groupes de population suffisamment cultivés de la ville devaient être en mesure de sentir l'aura noire qui s'élevait jusqu'aux cieux.

Et pourtant, si Wang Xiangyang ne l'avait pas mentionné, aucun d'entre eux n'aurait réalisé qu'il avait déjà tué plus d'une douzaine de personnes... y compris Shen Wei !

Shen Wei réfléchit instantanément au Pinceau d'Encre de la Vertu.

— Avez-vous d'une manière ou d'une autre... changé la Marque de Vertu sur vous-même ?

— Je l'ai fait, dit Wang Xiangyang avec franchise. Je venais d'empoisonner ma femme et mon fils et j'étais sur le point de m'attaquer à ma première cible. C'est alors que quelqu'un a passé un marché avec moi.

— Quel genre de marché ?

— Il m'a dit que si je me lançais dans une folie meurtrière aussi ouvertement et sans crainte, cela alerterait rapidement les forces de l'ordre sur Terre. Il m'a vendu un talisman et m'a dit de le porter autour du cou, pour que vous ne sentiez pas ma présence. En échange, il m'enlèverait les âmes des personnes que j'aurais tuées, dit franchement Wang Xiangyang. Je me suis dit que, comme je n'avais pas besoin des âmes de toute façon, et que j'étais déjà un homme mort, je n'avais rien à perdre. Alors j'ai accepté. Et il s'est avéré qu'il a vraiment respecté sa part du marché. Personne ne m'a arrêté... La plupart de ces gens pensaient avoir attrapé une maladie étrange et incurable et sont morts à l'hôpital. Qui aurait cru que quelqu'un finirait par appeler la police pour une intoxication alimentaire ?

Zhao Yunlan enchaîna :

— Avez-vous vu ce qui était écrit ou dessiné sur le talisman ?

— Oui, répondit Wang Xiangyang. Il y a mon nom et ma date de naissance, d'abord écrits en noir, puis entourés de rouge, avec de la poudre de cinabre.

En disant cela, il brandit de son cou un petit talisman de papier plié en octogone.

— C'est ça, vous pouvez jeter un coup d'œil si vous voulez.

Chu Shuzhi le prit, le déplia et vit une ligne de mots encerclés en rouge. Mais il ne l'avait pas encore regardé de plus près que le talisman de papier se consuma en un petit tas de cendres.

En un seul coup d'œil, Shen Wei avait du mal à déterminer à qui appartenait l'écriture. Mais d'après la description de Wang Xiangyang, il s'agissait très certainement du Pinceau d'Encre de la Vertu : noir pour le mal et rouge pour le bien, un à gauche et un à droite, que vous soyez un bienfait ou un fléau, un méchant ou un héros, peu importe ; le pinceau mouvant écrit, et une fois écrit, tout sera pardonné.

La légende disait que la tige du Pinceau d’Encre de la Vertu provenait de la racine d'un arbre qui poussait dans le Monde Souterrain. Le bois était indestructible, incassable par les lames. Pourtant, l'arbre était dépourvu de feuilles, de fleurs et de fruits, et pour des raisons inconnues, les gens l'appelaient "l'Ancien Arbre de la Vertu". Ce nom venait des temps anciens, et la raison pour laquelle il avait été baptisé ainsi était aujourd'hui perdue.

Mais Shen Wei pensait que le nom de cet arbre "qui n'a pas encore vécu mais qui était mort" ridiculisait peut-être le concept même de vertu et de karma dans les trois mondes : en faisant le bien pour acquérir la vertu et en évitant le mal par crainte du karma, la vertu naissait. À l'inverse, le cœur étant mort, le bien à l'état pur était mort.

Zhao Yunlan demanda :

— À quoi ressemblait cette personne, et où l'avez-vous vue ?

Wang Xiangyang hésita, puis répondit :

— Hm... tout à fait normal, je suppose. C'est étrange, je n'arrive pas à m'en souvenir maintenant que vous en parlez, c'était....

Il marqua une pause et se frotta les sourcils ; il semblait lui-même trouver cela étrange.

— Je ne me souviens pas exactement où c'était. Mais c'était probablement près de chez moi, au Village des Pruniers , à 32 km à l'ouest de la ville. Vous pouvez y jeter un coup d'œil.

Shen Wei se leva et hocha la tête.

— Je vous remercie.

Wang Xiangyang dit calmement :

— Je devrais plutôt vous remercier. Je n'ai pas menti sur le fait d'avoir tué des gens, et je ne mentirai pas sur autre chose. Il n'y a vraiment rien que je ne puisse vous dire, alors vous n'avez qu'à me le demander si vous avez des questions.

Shen Wei lança un regard complice à Zhao Yunlan et quitta la salle d'interrogatoire.

Zhao Yunlan tapa sur l'épaule de Lin Jing et lui dit à voix basse :

— Appelle un messager du Monde Souterrain, explique tout ça, et les autres sauront comment s'occuper de cette affaire.

Puis il suivit Shen Wei vers la sortie.

Shen Wei l'attendait au bout du couloir. Zhao Yunlan l'emmena dans son bureau, ferma la porte à clé et lui demanda :

— Alors, tu penses que c'est le Pinceau d'Encre de la Vertu ?

Shen Wei fronça les sourcils.

— Je n'en suis pas tout à fait certain, mais c'est très probable. Même si c'était un faux, celui qui l'a fabriqué connaît les Quatre Artefacts sur le bout des doigts.

— Hmmm. réfléchis Zhao Yunlan en se frottant le menton.

— Quoi ? demanda Shen Wei.

Avant que Zhao Yunlan ne puisse dire quoi que ce soit, la silhouette d'une marionnette squelette fut soudainement projetée sur la fenêtre du bureau de Zhao Yunlan. Il ouvrit la fenêtre et la laissa entrer.

La marionnette abaissa son crâne et s'inclina sinistrement vers Zhao Yunlan. Puis elle se dirigea vers Shen Wei, se transforma en lettre et flotta dans la main de Shen Wei.

Debout à côté de la fenêtre, Zhao Yunlan regarda la nuit brumeuse. Il ne pouvait s'empêcher de penser qu'une paire d'yeux épiait ses moindres faits et gestes.

Au bout d'un moment, il ferma les rideaux et rit avec dérision. Puis il se retourna pour regarder l'ennuyeux je-sais-tout qui se mettait toujours dans des situations impossibles, qu'il y ait une bonne raison pour cela ou non.

Shen Wei finit de lire la lettre et fronça les sourcils.

Zhao Yunlan demanda :

— Tu as quelque chose à faire ?

— C'est urgent, je dois y aller.

Shen Wei se transforma rapidement d'un professeur doux et poli en un Tueur de Fantômes, entouré d'air froid et enveloppé d'une cape noire. Il se précipita vers la fenêtre, rappelant à Zhao Yunlan :

— Tu n'iras pas au Village des Pruniers de ton propre chef, quoi qu'il arrive. Attends mon retour.

Zhao Yunlan ne répondit pas.

Shen Wei se retourna pour le regarder. Zhao Yunlan était appuyé contre le mur et se plaignait à demi sincèrement :

— Mince, ça n'a pas été facile de convaincre Votre Honneur de s'ouvrir, vous savez, et je pensais que j'en aurais ce soir. Je suis excité et j'ai des insomnies quand je dors seul, dit-il en soupirant exagérément. Demain, je vais aller travailler en ressemblant à un panda.

Shen Wei se rendit compte qu'il ne pouvait pas parler de choses sérieuses avec lui, et il passa silencieusement par la fenêtre, se transforma en un nuage de fumée noire, et disparut sans laisser de traces.

Zhao Yunlan s'approche de la fenêtre et sortit une cigarette. Sans bouger, il la fuma en silence. Lorsqu'il était sûr que Shen Wei avait disparu depuis longtemps, il ouvrit un tiroir de son bureau, chargea complètement le pistolet qu'il gardait caché dans l'étui de sa cheville et s'assura que la dague qu'il portait sur lui était bien attachée. Il sortit ensuite son portefeuille de talismans. Il en laissa la moitié sur la table, n'emportant avec lui que ceux destinés à l'attaque et à la défense.

— Pourquoi je n'irais pas ? ricana Zhao Yunlan. Je ne voudrais pas décevoir celui qui t'a attiré intentionnellement.

Zhao Yunlan enfila ensuite une veste, prit son sac et, comme d'habitude, dit au revoir à ses collègues en sortant d'un pas ferme. Il alluma le GPS de sa voiture et se dirigea vers le Village des Pruniers.

La nuit, les routes étaient dégagées. Environ deux heures plus tard, Zhao Yunlan arriva au Village des Pruniers. C'était un village comme les autres à la périphérie de la Cité du Dragon : c'était très calme, on n'entendait qu'un chien aboyer de temps en temps.

Il fit le tour du village, et finalement, à l'angle ouest, il trouva plusieurs pagodes jumelées.

Zhao Yunlan arrêta sa voiture, marcha autour de ces arbres gigantesques et découvrit quelque chose...

Des années auparavant, lorsque les tribus de métamorphes sévissaient, elles utilisaient une astuce commune : elles plantaient des arbres pagodes en forme de constellation de la Grande Ourse, rassemblant l'ombre dans le "bo " et le "manche" s'étendant vers l'ouest, représentant le lien entre le Yin et le Yang, les royaumes des morts et des vivants. Lorsque suffisamment d'énergie noire était rassemblée, une porte apparaissait.

Et il se trouvait que la montagne surplombant ces arbres était pleine de tombes stériles.

Une colline déserte et gelée, une terre pleine de monticules.


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Mar 23 Juil 2024 - 18:49



Chapitre 56
Acte 3 : Pinceau d'Encre de Vertu
La plainte de Wang Zheng résonna dans le couloir.

— Chu Shuzhi, je te l'ai dit, si tu n'utilises pas ces talismans, enlève-les, qu'est-ce que la gardienne est censée faire quand elle viendra demain ?

Chu Shuzhi fronça les sourcils avec beaucoup de mépris et de souffrance. Guo Changcheng savait ce que ce regard signifiait, et avec la vivacité d'un nouveau venu, il se précipita avec diligence et commença à nettoyer.

Sans un mot, Da Qing les dépassa et se dirigea tout droit vers le "mur" du bureau des enquêtes criminelles.

Derrière le mur, le spectacle était magnifique : des rangées d'étagères en bois dur qui montaient presque jusqu'au plafond et auxquelles on accédait par des échelles branlantes. Il y avait à peine assez d'espace pour qu'un chat puisse passer entre les étagères et le plafond. Une grosse Perle de Dragon de Mer était incrustée dans le plafond, éclairant toute la pièce comme en plein jour, sans pour autant blesser les fantômes qui ne supportaient pas la lumière du soleil.

Les étagères dégageaient l'odeur des livres anciens ; c'était l'odeur de l'encre sédimentée depuis longtemps, mélangée à celle subtile de la moisissure entre des pages qui n'avaient pas vu le soleil depuis trop longtemps. Le mélange qui en résultait était le vieux parfum moisi des livres.

Sang Zan travaillait à l'organisation des livres. La plupart d'entre eux étaient écrits en chinois traditionnel ou simplifié, et il ne reconnaissait aucun des mots, ce qui l'obligeait à faire des rapprochements de symboles entre les dos des livres et les marques sur les étagères. Il était très lent, mais il vérifiait tout minutieusement et n'avait jamais fait d'erreur.

Lorsque Zhao Yunlan l'avait libéré du Poinçon des Montagnes et des Rivières, il lui avait ouvert les portes de la bibliothèque à accès restreint et l'avait chargé de ce travail. Son salaire était le même que celui de Guo Changcheng, c'est-à-dire le salaire normal de tous les membres du personnel subalterne, mais les avantages étaient plutôt intéressants. Sauf que Guo Changcheng recevait des billets de banque rouge vif, tandis que Sang Zan recevait beaucoup de papier-monnaie et de l'encens de haute qualité pour les morts.

C'était le premier emploi digne qu'il occupait dans sa vie : il n'était plus un esclave commandé comme un animal, il n'était plus un chef admiré par des gens stupides qu'il voulait simplement détruire... bien que cet emploi arrive un peu trop tard, maintenant qu'il était mort depuis quelques centaines d'années, il le chérissait d’avantage.

Vivre une vie paisible et sans entraves avec la personne qu'il aimait : c'est le genre de vie qu'il n'aurait jamais pu avoir de son vivant, même s'il avait osé en rêver.

Lorsqu'il vit Da Qing entrer, il le salua avec sérieux :

— Bojour, le chat.

Da Qing répond :

— Bojour, le bègue.

Sang Zan était confus... Wang Zheng était une fille polie et calme, elle ne lui aurait donc pas appris à insulter les gens. Il ne comprenais pas et demanda alors :

— Bè... bègueya, c'est... c'est quoi ?

Da Qing marcha sur les étagères en bois, préoccupé, et dit négligemment :

— Bègueya signifie bon frère.

Sang Zan hocha la tête en signe de compréhension et dit passionnément :

— Oh, bojour, bégueya chat !

Da Qing ne trouva rien à répondre.

Sang Zan continue :

— Bègueya chat, qe... qu'est-ce que tu veux lire ?

Da Qing n'était plus vraiment d'humeur à le taquiner, il s'allongea donc sur l'étagère au-dessus de lui et demanda :

— Zhao Yunlan... Le chef Zhao a pris un livre ici l'autre jour ; l'a-t-il remis en place ? Fais-moi voir.

Comme s'il s'agissait d'un examen d'écoute, Sang Zan écouta attentivement l'"enregistrement" et demanda à Da Qing de le répéter patiemment trois fois, après quoi il finit par en comprendre la majeure partie. Il afficha un grand sourire d'accomplissement et saisit sur un petit chariot un livre qui n'avait pas encore été mis en rayon :

— Mange-- c'est ce wan.

La couverture du livre était abîmée et un coin du livre était taché de café. Inutile de préciser quel maladroit avait fait ça. Le titre, Livre des Âmes, était inquiétant, et une partie était déchirée, ce qui lui donnait un air particulièrement délabré.

Da Qing sauta du haut de l'étagère et atterrit sur le petit chariot de Sang Zan. Il parcourut les pages, mais elles étaient toutes blanches, il n'y avait rien d'écrit dessus.

Il n'avait pas encore atteint le niveau de culture nécessaire pour lire ce livre.

Pour une raison ou une autre, son pouvoir avait diminué d'au moins dix pour cent par rapport à ce qu'il était à son apogée. Il ne pouvait même plus se transformer. Il n'en restait pas moins un métamorphe âgé de quelques milliers d'années. Un simple humain de moins de trente ans n'aurait pas pu le surpasser, n'est-ce pas ?

C'était tout à fait impossible.

À moins que... l'âme de cette personne ne s'éveillait peu à peu...

— Je n'ai jamais vu ce livre auparavant, dit Da Qing qui tapota le livre avec sa patte, puis ne put s'empêcher de tourner sur lui-même, poursuivant sa propre queue. D'où vient-il ?

S'il ne le savait pas, Sang Zan ne le savait pas non plus, bien sûr. Le chat et le fantôme se regardèrent pendant un moment, jusqu'à ce que le chat noir baisse lentement la tête. Déprimé, il sauta du chariot sur le sol et s'en alla. Il n'avait même pas envie de manger de la nourriture pour chats trempée dans du lait, ce qu'il préférait d'habitude.

Il n'arrivait pas à savoir si le "réveil" de Zhao Yunlan était une bonne ou une mauvaise chose, mais il se sentait mal à l'aise.

Zhao Yunlan avait une vie plutôt agréable : la moitié du temps, il était intelligent et l'autre moitié, stupide. Il pouvait rester au chaud et manger à sa faim. Quand il n'avait rien d'autre à faire, il pouvait même laisser vagabonder son esprit salace ; dans l'ensemble, c'était une vie confortable et agréable.

Le chat noir était le genre d'animal qui, en hiver, ne voulait que dormir au chaud toute la journée et ne se réveillait que pour manger et se rendormir. De par sa nature même, il ne pouvait pas comprendre les soi-disant "idéaux" poursuivis par les humains. Maintenant que son maître était ridiculement heureux, qu'il avait l'air d'un jeune garçon joyeux et naïf toute la journée, Da Qing était plutôt content, et il ne voulait vraiment pas que des complications surviennent.

Et pourtant, des complications étaient bel et bien apparues.

~~~

La plus grande complication, Shen Wei, ferma les yeux et passa dans le Monde Souterrain. Même les esprits et les fantômes dépourvus d'émotions qui baignaient dans les Enfers depuis une éternité flottaient par inadvertance sur les côtés, comme des lentilles d'eau emportées par de grosses vagues.

Il continua de s'enfoncer dans les profondeurs du Monde Souterrain pendant un temps incommensurable.

L'eau devint de plus en plus profonde et sombre, et il faisait nuit noire à cette profondeur. Une aura noire semblait être attirée par lui, pivotant autour de lui et l'aspirant à l'intérieur. Au fur et à mesure qu'il descendait, il n'y avait plus d'eau, mais seulement des ténèbres mortes. Si un humain visitait cet endroit, il perdrait rapidement la notion du temps et de l'espace, submergé par le sentiment d'être la seule personne dans l'univers.

On ne voyait ni la route derrière, ni la route devant. Un froid effrayant, et un vide effrayant.

Ici, c'était le pays du néant : on ne voyait rien, on n'entendait rien, on ne sentait rien, on ne goûtait rien, on ne ressentait rien.

Lorsqu'un rugissement profond fendit le silence, la lame de Shen Wei toucha presque immédiatement le cou de quelqu'un.

Dans l'obscurité, plusieurs bruits de pas s'approchèrent de lui. Une demi-douzaine de bêtes démoniaques contre un Tueur de Fantômes : tous étaient nés et avaient grandi ici. Ils étaient tous nés dans un endroit sans lumière, et ils étaient tous aussi familiers avec l'obscurité. Ici, personne n'avait le dessus : c'était un match équitable, que la lame du Tueur de Fantômes soit plus rapide ou que les crocs des bêtes démoniaques soient plus aiguisés.

Shen Wei ne put s'empêcher de penser à Zhao Yunlan. Il ne voulait pas perdre de temps ici : il esquiva trois fois dans l'obscurité, et les bêtes prudentes passèrent rapidement du test à l’attaque, en bondissant vers lui. Shen Wei cria et la lame qu'il tenait dans sa main s'élança horizontalement, tranchant une rangée de cerveaux de bêtes avec une destruction pure et simple ; les segments de crâne coupés roulèrent sur le sol.

Shen Wei ne s'attarda pas ; sans regarder les cadavres, il écarta une cervelle d'un coup de pied et continua à marcher.

Au bout d'un long moment, il s'arrêta et, à côté de lui, on entendit un bruit vague, comme un battement de cœur humain.

Les "troupes" invoquées par L'Ombre Éclair n'étaient pas des soldats du Monde Souterrain au sens habituel du terme. Après tout, les petits fantômes qui travaillaient pour les Rois des Enfers répondraient-ils à un ordre aussi féroce et hautain que "Hommes et dieux, aucun ne doit survivre ?"

En fait, ils venaient d'un endroit sans lumière, encore plus sombre et plus profond que les Enfers.

Les squelettes blancs en armure de fer montant des chevaux de guerre n'étaient que le résultat de l'imagination limitée de l'auteur de la magie. En fait, ces choses n'étaient pas corporelles, et peut-être... si Zhao Yunlan n'avait pas utilisé le sang et le fer comme catalyseurs, la plupart des gens n'y auraient vu qu'une horde de bêtes démoniaques.

Lorsque Zhao Yunlan avait invoqué les Troupes de l'Ombre, il avait même réussi à les contrôler. Peut-être était-ce grâce à ses talents naturels, ou peut-être était-ce simplement de la chance : après tout, Shen Wei était en bas, et ces choses n'avaient pas osé créer d'ennuis.

Les Terres Profanes étaient emprisonnées dans la terre sans lumière. Lorsque Pangu ouvrit les cieux et fendit la terre, le clair et le trouble furent nettement séparés. Le chaos ayant été rompu pour la première fois, le trouble devint la terre, et tous les êtres vivants suivirent à leur tour. Juste à l'extérieur du royaume du Ciel et de la Terre, un autre endroit fut créé pour cacher les impurs et accepter les malpropres.

Par la suite, lorsque Nüwa avait créé les humains à partir de l'argile, elle n'avait pas eu la patience d'attendre que la saleté se dépose, et les humains étaient donc nés naturellement et intrinsèquement du péché, et c'est de là que vient le désir inhérent de méchanceté et de destruction chez les êtres humains.

Une fois que les Grands furent éclairés, ils éprouvèrent de grands remords pour la création de la terre sans lumière. Ils la nommèrent les Terres Profanes et l'enfermèrent par la force. Mais cette prison divine primitive fut plus tard brisée, une énorme ouverture s'ouvrant entre ses racines. Par la suite, une autre couche de magie protectrice fut ajoutée, mais ce nouveau sort était sur le point de s'effondrer à son tour. Le Visage Fantôme s'était libéré et se déchaînait, et de plus en plus de bêtes démoniaques le suivaient.

L'ouverture ne devait pas s'agrandir.

Shen Wei s'agenouilla et psalmodia le sort de scellement, le renforçant temporairement. Le vacarme se calma peu à peu, et l'ouverture sembla être recouverte d'une couche supplémentaire.

D'un air sombre, il se retira. Nul ne pouvait savoir combien de temps cette accalmie allait encore durer.

Shen Wei retourna dans le monde des vivants, le ciel s'éclaircissait. Il arriva dans le petit appartement de Zhao Yunlan, prévoyant d'enlever discrètement sa cape noire sans réveiller Zhao Yunlan. En allumant la lumière, il fut choqué de constater qu'il n'y avait personne dans l'appartement. Le lit qu'il avait fait le matin était encore parfaitement intact.

~~~

Après avoir roulé toute la nuit, Zhao Yunlan resserra son manteau face à la montagne de tombes, arrêta le moteur et sortit de la voiture.

Lorsque Shen Wei avait mentionné la marionnette que Guo Changcheng avait vue dans le reflet, Zhao Yunlan avait compris la vérité cachée que Shen Wei n'avait pas dite... le fait qu'il ait rencontré Zhao Yunlan sous les traits de Shen Wei n'avait pas été son intention. Il avait probablement été piégé.

Zhao Yunlan pensait que s'il n'avait pas été aussi persévérant, Shen Wei l'aurait évité du mieux qu'il pouvait. S'il avait su que Zhao Yunlan était là à ce moment-là, peu importe ce que Guo Changcheng avait vu, même s'il avait vu le Tueur de Fantômes lui-même, Shen Wei ne serait jamais apparu... effacer la mémoire de Guo Changcheng n'aurait été qu'un jeu d'enfant.

Zhao Yunlan pensa alors à l'incident du Cadran Solaire : lorsque le Tueur de Fantômes s'était présenté chez Li Qian, on l'avait prévenu sur le toit : "C'est ainsi qu'il lui a arrangé une rencontre avec vous". Qui ? Qu'est-ce que cela signifiait ?

Si le maître de la bête démoniaque était le Visage Fantôme, pourquoi tenait-il tant à ce que le Tueur de Fantômes rencontre Zhao Yunlan ?

Au Poinçon des Montagnes et des Rivières, Zhao Yunlan avait l'impression que le Visage Fantôme avait utilisé quelque chose pour faire chanter le Tueur de Fantômes, mais il n'avait aucune intention de révéler la vérité à Zhao Yunlan. En comparaison, le livre noir que le messager du Monde Souterrain lui avait donné était beaucoup plus transparent.

Zhao Yunlan était sur Terre, parmi les vivants, et pourtant il avait l'impression qu'il y avait un gigantesque tourbillon sous lui, avec des milliers de mains enchevêtrées qui l'attrapaient et le tiraient ; tout le monde complotait, tout le monde avait le visage enveloppé de brume.

Zhao Yunlan leva la tête et vit une étincelle de feu fantomatique à mi-chemin. Des lumières glaciales perçaient l'obscurité de la nuit comme des yeux menaçants, fixant Zhao Yunlan - pas très loin, mais pas tout près non plus. Il s'arrêta, et le feu également, comme s'il ouvrait la voie. Zhao Yunlan le suivit, se dirigeant résolument vers le cimetière du village des Pruniers.

Le brouillard engloutit l'endroit, devenant de plus en plus épais. Avec une visibilité d'à peine un mètre, la flamme vacillante ouvrait la voie à travers la blancheur infinie.

L'air était humide et quelques gouttelettes mouillaient son visage ; c'était étrangement froid.

Des soupirs sourds et aigus parvenaient à ses oreilles, tantôt doux, tantôt lourds, comme d'innombrables fantômes errant dans les profondeurs de la forêt. Zhao Yunlan regardait et marchait droit devant lui... ils ne faisaient ni le mal, ni le bien. Errant parmi les vivants, ils n'entraient jamais dans la réincarnation, pleurant et se lamentant tous, se lamentant tous pour eux-mêmes.

Combien de personnes étaient-elles mortes sans regret ?

Zhao Yunlan marcha dans le brouillard qui épaississait, et son long manteau gris foncé balayait son chemin : les brumes blanches et les mains tâtonnantes qui sortaient des pierres tombales ne pouvaient s'empêcher de lui faire de la place. Aucun fantôme n'osait s'approcher de lui.

En peu de temps, des pleurs et des gémissements résonnèrent dans le cimetière désertique au milieu de la nuit. Zhao Yunlan n'en pouvait plus, il s'arrêta et ouvrit la main. Quelques talismans en papier s'enflammèrent intensément. Les gémissements se transformèrent rapidement en cris et d'innombrables silhouettes s'enfuirent dans le chaos. Le brouillard blanc semblait être inflammable, les talismans s'enflammèrent facilement comme un dragon de feu, jaillissant de sa paume et balayant instantanément le cimetière brumeux.

— Si vous avez des plaintes à formuler, allez à la Cour du Monde Souterrain et battez le tambour pour faire valoir vos griefs. A quoi bon pleurer devant moi ?

Il leva les yeux, le visage sévère, et vit que le feu fantomatique avait disparu.

La nuit était froide comme de l'eau, et le ciel étoilé immaculé comme s'il avait été nettoyé.

La lune décroissante était suspendue dans le ciel. Des rafales de vent glaciales s'abattaient sur sa peau comme des couteaux aiguisés. Zhao Yunlan releva son écharpe, couvrant presque la moitié de son visage.

À ce moment-là, une voix retentit à ses côtés, tantôt proche, tantôt lointaine, psalmodiant avec une grossièreté abrasive :

Lune décroissante, tertres funéraires sauvages, Des feux follets éclairent le chemin des âmes rancunières
Le vent souffle à travers les bois, souffle une flûte d'os, Démons et monstres regardent le jeu des renards dépeçant les hommes.
Ce vieil homme va proposer pour vous, S'il vous plaît, mon bon monsieur, écoutez-moi attentivement,
De l'argent en échange de la tête d'un homme vivant, De l'or en échange de la peau complète d'une beauté,
La moitié d'une vie de luxe et de richesse en échange de cinquante onces d'huile  
provenant du cadavre d'un enfant de cent jours,
Si trois âmes et sept esprits me sont offert,
Si vous le faites fidèlement, je vous libère des péchés meurtriers
Le mauvais mérite est alors effacé, et votre prochaine vie sera gratifiée.



Cette voix était comme des ongles grattant le verre, inexplicablement angoissante aux oreilles de Zhao Yunlan.


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Néphély
Mar 23 Juil 2024 - 18:50



Chapitre 57
Acte 3 : Pinceau d'Encre de Vertu
Zhao Yunlan dit froidement :

— La légende dit que les criminels avec de trop longues répliques se font généralement tuer d'un seul coup, tu crois que c'est vrai ?

Des bruits de bousculade provinrent de plus ou moins loin dans les bois, comme d'innombrables bruits de pas qui voltigeaient. Zhao Yunlan alluma son briquet, la petite flamme s'élevant haut, diffusa la lumière dans un petit halo.

Soudain, lorsqu'il se retourna, une silhouette trapue passa derrière lui. Elle flotta dans l'air pendant une seconde avant de disparaître, laissant derrière elle une traînée qui se dissout plus vite que l'œil ne pouvait le voir.

Des rires retentirent, comme les cris nocturnes des oiseaux funestes.

Zhao Yunlan resta silencieusement sur place pendant un moment, mais cette chose semblait se méfier de lui ; elle se contentait de flotter prudemment, émergeant et disparaissant, mais ne s'approchant jamais trop près de lui.

Soudain, la longue corde du fouet jaillit dans un tourbillon et emprisonna la créature par la taille selon un angle étrangement précis. Zhao Yunlan donna un coup de poignet, faisant claquer l'extrémité du fouet vers le bas. La créature poussa un cri étouffé et tomba au sol. En y regardant de plus près, il constata qu'il s'agissait d'une silhouette humanoïde d'à peine un mètre de haut.

Il était difficile de savoir s'il s'agissait d'un homme ou d'une femme : tout le visage était couvert de rides et le nez était particulièrement proéminent, occupant plus de la moitié de la surface du visage, sans laisser d'espace pour les yeux et la bouche. Au premier coup d'œil, il ressemblait à un oiseau de mauvais augure : ses petits yeux noirs, sans aucun blanc, dégageaient une atmosphère sinistre. Lorsque soudain il sourit, des dents jaunes déchiquetées et tordues furent visibles.

Zhao Yunlan s'agenouilla, posa son bras sur l'autre genou et dévisagea ce personnage.

— Hé, qu'est-ce que tu es ?

Celui-ci lui jeta un regard sinistre, et dit d'une voix grinçante :

– Enfant chétif, tu ne connais pas l'immensité du ciel et la profondeur de la terre.

– Owe, dit Zhao Yunlan en le regardant de haut en bas. Alors dis-moi, à quelle hauteur et à quelle profondeur ?

Il sortit un paquet de cigarettes, et d'un geste du poignet, en fit atterrir une dans sa bouche. Le briquet virevolta dans sa main, des étincelles jaillirent et la cigarette s'alluma avec un crépitement. De la fumée aromatisée à la menthe enveloppa la personne, qui se pencha en arrière et se mit à tousser de manière incessante.

Zhao Yunlan tenait toujours l'autre extrémité du fouet, et sans le détacher, il demanda :

– Tout à l'heure, vous proposiez des échanges ?

La créature soupira.

– C'est vrai, tu as quelque chose à proposer ?

Zhao Yunlan l'ignora, et demanda en plissant les yeux :

– Le Pinceau d'Encre de la Vertu est donc avec vous ?

La personne ne dit rien ; de petits yeux rusés fixèrent Zhao Yunlan comme ceux d'une vipère.

Celui-ci fit tomber la cendre de sa cigarette et saisit la petite créature par le col, la soulevant jusqu'à la hauteur de ses yeux.

– Je ne crois pas que les quatre artefacts aient été déterrés comme des carottes. Qui t'a envoyé ? Et qui t'a dit de m'attirer ici avec un faux Pinceau d'Encre de la Vertu ?

Un sourire sinistre se dessina sur le visage de la créature, qui ressemblait de plus en plus à un gigantesque oiseau. Elle dit de sa voix rauque :

– Quelqu'un avec qui on ne peut pas se permettre de jouer.

Zhao Yunlan n'en était pas fâché, il en riait plutôt. Sa cigarette pendante au coin de sa bouche, il dit paresseusement :

– Il n'y a que deux personnes avec lesquelles je ne peux pas me permettre de me frotter : ma mère et ma femme ; regarde ton visage, penses-tu que tu réponds aux critères esthétiques de l'une ou l'autre ?

Sans attendre de réponse, il jeta la personne au sol, piétinant férocement son corps chétif. Il n'y avait plus de sourire sur son visage, et il dit froidement :

– Je m'impatiente, ne m'oblige pas à te tuer. Parle !

La personne sous son pied le regarda avec une expression étrange, et grogna :

– Au sud-ouest de la mer de l'Ouest, au nord-ouest de la mer du Nord, à quatre-vingt-dix mille kilomètres à l'intérieur des terres. Encerclé par la sinueuse rivière Ruoshui, éliminant le portail des cieux, s'enfonçant dans le chemin du Paradis ; une audace aussi impressionnante, tu t'en souviens encore ?

Zhao Yunlan répondit impassible :

— Tu devrais dire ça à ma femme, j'ai toujours échoué en littérature quand j'étais enfant.

La créature ricana froidement ; elle bougea ses épaules déformées avec beaucoup de difficulté, plongea la main dans sa poitrine et en sortit une petite cloche d'or.

— Et ça, tu ne t'en souviens pas non plus ?

La chair de poule lui monta jusqu'à la peau lorsqu'il vit la cloche. Les cloches pouvaient atteindre le monde spirituel, et étaient généralement utilisées pour invoquer des âmes et rassembler des esprits. Il lui manquait un feu d'âme sur l'épaule gauche, son âme était donc naturellement instable par rapport à celle d'un humain normal. Sans hésiter, il piétina et brisa le bras de l'autre, puis se pencha pour attraper la petite cloche dorée.

Pourtant, lorsque sa main l'effleura, il lui fut impossible de la soulever. La petite cloche, de la taille d'un ongle, semblait peser plus d'une douzaine de tonnes. Son poignet était à l'agonie, car la cloche pesait sur sa main, sans bouger d'un millimètre.

Le minus rit de bon cœur.

— Oh la toute-puissance et la grandeur... ne peut même pas soulever une cloche. Muahahahaha, y a-t-il quelque chose de plus absurde en ce monde ?

À cet instant, un vent mystique les assaillit. La cloche, toujours accrochée au bras cassé du petit, sonna légèrement. Instantanément les nerfs de Zhao Yunlan se tendirent ; le fouet dans sa main se déroula vers l'extérieur, repoussant une énorme sphère de feu fantôme qui atteignit un arbre. En un clin d'œil, l'arbre épais était complètement roussi et carbonisé, se flétrissant comme s'il était vidé de sa vie.

Le fouet de Zhao Yunlan tournoya trois fois, mais il fut bientôt forcé de reculer de vingt mètres.

Il ne put s'empêcher de penser qu'à l'approche de la fin de l'année, hormis sa vie amoureuse, tous les autres domaines de sa vie étaient victimes de la malchance. Non seulement il est sans le sou, mais les types de criminels auxquels il avait affaire semblaient de plus en plus sournois et rusés.

Des griffes d'os blanc sortirent de sous les pierres tombales de toute la montagne et commencèrent à ramper sur le sol. Le minus qui gisait tout à l'heure sous son pied flotta agilement dans les airs, entouré par un feu fantôme rugissant à trois cent soixante degrés. La petite cloche dorée accrochée à son doigt cassé commença à se balancer légèrement dans le vent, émettant un son subtil et à peine audible. L'énergie sombre s'accumula dans les montagnes et d'immenses essaims de brume blanche émergèrent de l'endroit où ils hibernaient dans la canopée. Les arbres ne tardèrent pas à se dessécher et à mourir ; une corneille poussa un long cri et s'envola d'un arbre vers le ciel nocturne, sombre et infini. À un moment donné, la lune se mit à briller d'une teinte rouge sang.

Zhao Yunlan savait que cette soirée ne se terminerait probablement pas bien.

Il éteignit sa cigarette et sprinta vers la lisière du bois.

– Hé, ne commence pas à attaquer sans raison, tu ne m'as pas encore dit pourquoi tu m'as attiré ici.

Soudain, Zhao Yunlan était devenu l'ambassadeur de la paix dans le monde, sans se soucier qu'il venait de casser le bras de quelqu'un d'autre.

– Tu ne veux pas te battre avec moi, n'est-ce pas ? dit Zhao Yunlan. Je suis toujours au bureau et je fais rarement de la musculation, je ne suis pas doué pour le combat. Peut-être pourrions-nous résoudre ce problème de manière plus civile, qu'en penses-tu ?

Le minus se contenta de lui adresser un rictus hilare.

Avec le feu fantôme à ses trousses, Zhao Yunlan grimpa rapidement sur un grand arbre, s'y accrochant à mains nues. Il descendit en saut périlleux, se retournant en plein vol pour atterrir face à l'arbre. Posant un genou à terre pour amortir l'impact, il regarda le minus et lui demanda :

– Ranimer les cadavres, manipuler le feu fantôme... es-tu un mage spectral ou un ange de la terre ? D'après ce que je sais, les mages spectraux évitent tout contact avec les vivants afin de ne pas endommager leurs ténèbres pures ou de les amener à se souvenir d'incidents antérieurs à leur mort. Peut-être viens-tu en fait des Enfers ? Mais de quel département ?

Cette fois, le petit hésita un instant, puis nia :

–Les Enfers, ce n'est rien, je ne prendrais pas la peine de me mêler à eux !

–Ah, s'exclama Zhao Yunlan en hochant la tête. Je comprends ce que ça veut dire. Tu dois donc faire partie d'une des tribus de métamorphes, mais laquelle ?

Le Minus savait qu'il en avait trop dit, alors, il se tut.

Les yeux de Zhao Yunlan se révulsèrent et des fossettes se dessinèrent sur son visage.

– Tu n'as pas besoin de le dire, rien qu'à ton regard, tu es probablement l'un de 'ceux qui peuvent entendre les morts', de la tribu des Corbeaux, non ? Après ça, je vais devoir parler aux anciens de la tribu. J'ai toujours été assez proche des tribus de métamorphes - peut-être pas au point d'être des frères, mais nous sommes toujours amicaux l'un envers l'autre. Qu'est-ce que tu crois faire maintenant ?

Le minus ne pouvait pas le laisser continuer à deviner, et brusquement, il se mit à agiter la cloche qu'il tenait dans sa main. À cet instant, Zhao Yunlan rit, et sortit ses deux mains de derrière son dos.

À un moment donné, il s'était entaillé le doigt et avait utilisé le sang pour dessiner un symbole complexe entre deux talismans de papier, chacun formant une moitié, et ensemble, ils se fondent en un tout.

Les deux morceaux se consumèrent tranquillement, l'un vers le ciel, l'autre vers la terre.

Zhao Yunlan lâcha les talismans, et la foudre tomba du ciel au moment même où un dragon enflammé émergeait de la terre. La Foudre Céleste et le Feu de l'Enfer brûlèrent instantanément toute la montagne de pierres tombales jusqu'à ce que tout devienne noir. D'innombrables feux fantômes furent aspirés dans le tourbillon, dévorés sans le moindre bruit. D'énormes flammes embrasèrent les vêtements du petit corbeau, et pourtant, le métamorphe à l'allure ignoble resta immobile.

Il était peut-être de petite taille, mais à cet instant, le regard de ce visage hideux était empreint de stoïcisme.

Zhao Yunlan croisa le regard de la créature et resta bouche bée.

Même s'il pouvait invoquer la foudre et le feu, il n'était pas en mesure de les contrôler ou de les arrêter. Zhao Yunlan tendit la main, comme s'il voulait tirer l'autre vers le haut ou dire quelque chose.

Soudain, le minus fut englouti dans les flammes, avec un visage mi-humain mi-oiseau, des plumes noires de corbeau poussèrent, et il déploya une paire d'ailes ratatinées et déformées. Les plumes s'enflammèrent instantanément, et ce qui reste sur son dos ressemblait à une paire d'ailes de poulet grillé de la Nouvelle-Orléans, pathétiquement grotesque.

Le minus hurla vers le ciel, se transforma en un nuage de fumée noire et pénétra dans la cloche d'or.

La torche qui entourait la cloche d'or changea de couleur d'un seul coup, comme si un million de traînées de lumière aveuglante fusionnaient et se condensaient en un seul endroit. Zhao Yunlan ferma précipitamment les yeux, mais il était trop tard : une douleur extrême irradia ses globes oculaires et il tituba rapidement vers l'arrière, les bras tendus et complètement aveugle. Mais le son de la cloche lui perçait les oreilles.

Momentanément, il sembla entendre le bruit des montagnes qui s'écroulaient, des piliers qui soutenaient le ciel qui se rompaient et s'effondraient avec des grondements incessants, comme si le ciel s'écroulait tout entier.

Zhao Yunlan sentit que quelqu'un était derrière lui. Quelqu'un qui avait dû rester longtemps dans l'ombre, à regarder deux chiens se battre pour un os, et qui s'approchait maintenant pour lui attraper l'épaule.

Zhao Yunlan luttait pour se maintenir debout, pris de vertige. Il s'écarta et son fouet vint tourbillonner vers celui qui se trouvait derrière lui. Pourtant, il ne vit ni n'entendit rien, et ne savait pas où allait le fouet. Après un petit bruit, une grande force fut exercée par l'autre extrémité du fouet, le tirant vers l'avant.

Zhao Yunlan n'avait pas peur de perdre le fouet, il le lâcha instantanément par un réflexe rapide.

C'est alors qu'une main effroyable s'abattit sur sa nuque, démontrant pleinement sa maîtrise de la pêche en eaux troubles. Zhao Yunlan s'évanouit dans les bras de cette personne.

La cape géante de Visage Fantôme recouvrit le feu brûlant, l'éteignant instantanément, et le tonnerre et les éclairs s'estompèrent également.

Sans grand effort, il attrapa Zhao Yunlan et ramassa la cloche lourde comme une enclume avec seulement deux doigts. L'examinant de près, il ricana, la cacha dans sa manche et s'en alla.

Shen Wei quitta l'appartement vide et se précipita au numéro 4 de la Bright Avenue. Mais il s'aperçut que toutes les lumières étaient éteintes, et que seuls les fantômes étaient là, travaillant toujours méticuleusement. Shen Wei se sentit comme une fourmi dans une poêle brûlante(1). Finalement, il se dirigea vers l'arrière-cour et prit plusieurs respirations profondes pour se calmer, y parvenant à peine. Se forçant à rester concentré, il commença à déployer ses sens, cherchant à savoir où se trouvait Zhao Yunlan.

Il fut stupéfait de constater que ce dernier venait vers lui.

Où avait-il été toute la nuit, et pourquoi retournait-il au SIU ?

Shen Wei se retourna brusquement et découvrit une silhouette familière flottant dans les airs.

L'expression du professeur Shen, habituellement doux et poli, changea radicalement.

Le Visage Fantôme regardait calmement la lame du Tueur de Fantômes pointée sur son menton, pas du tout effrayé. Au contraire, il arrangea patiemment les vêtements en désordre de Zhao Yunlan et rit doucement.

– Quand il te voit, il est tout sourire, il te suit partout, il te fait plaisir, il est pratiquement inséparable ; quand il me voit, il me donne des coups de fouet. Tu vois à quel point il est partial ?

Shen Wei grogna entre ses dents :

– Lâche-le ! Ne le touche pas avec tes mains sales.

– Des mains sales ? s'esclaffa Face Fantôme. Tu dois donc être très propre ?

Le visage de Shen Wei se figea.

Avec un petit rire, le Visage Fantôme lança Zhao Yunlan vers l'avant. Shen Wei rangea précipitamment la lame pour éviter de le blesser, et l'attrapa, l'enveloppant dans ses bras.

– L'autre camp ne t'a jamais traité comme l'un des leurs, mais je suis différent, dit le Visage Fantôme avec patience. Je veux que tu réfléchisses bien à qui te traite le mieux. Se faire du mal pour des gens qui ne comptent pas, est-ce que ça en vaut vraiment la peine ?

Après avoir jeté un coup d'œil à Zhao Yunlan, il poursuit.

– Et quel genre de personne es-tu ? Quels sont les gens que tu ne pourrais pas avoir, si tu les voulais ? Et même si c'était le cas... Est-il vraiment nécessaire que tu t'inquiètes de tes gains et de tes pertes, et que tu désires quelque chose que tu n'obtiendras jamais ? Même moi, j'ai pitié de toi.

Shen Wei dit froidement :

– Tu n'as pas besoin de t'inquiéter.

Le masque du Visage Fantôme arbora un sourire sinistre.

– Très bien, ne le regrette pas.

Il se retourna, son immense cape tourbillonna et disparût dans le ciel nocturne.

Shen Wei ramena immédiatement Zhao Yunlan à son appartement. Ses blessures n'avaient pas l'air graves, juste de petites égratignures et des ecchymoses. Sa nuque portait une marque rouge, probablement laissée par un coup de paume qui l'avait fait perdre connaissance. À part cela, Shen Wei ne vit rien d'anormal alors, il s'assit impatiemment à côté du lit, attendant qu'il se réveille.

Zhao Yunlan dormit jusqu'au lendemain après-midi. Son téléphone sonna plusieurs fois, mais il resta au lit, sans bouger.

Alors que le soleil était au sud, ses doigts commencèrent à bouger. Shen Wei, anxieux, saisit instantanément sa main et la secoua doucement. Nerveusement, il dit :

– Yunlan ?

Zhao Yunlan se frotta le cou avant même d'ouvrir les yeux :

– Putain, quel fils de pute...

Shen Wei était à moitié soulagé de voir que Zhao Yunlan jurait, mais il prononça à nouveau son prénom d'une voix grave et nasillarde.

Shen Wei s'empressa de demander :

– Euh, quoi ?

Zhao Yunlan semblait n'être qu'à moitié conscient, et il demanda, perplexe :

– Quelle heure est-il, pourquoi tu es encore debout ? Pourquoi tu n'as pas allumé la lumière ?


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Néphély
Mar 23 Juil 2024 - 18:50



Chapitre 58
Acte 3 : Pinceau d'Encre de Vertu
Shen Wei resta figé quelques instants. Puis lentement, il tendit sa main, en plein soleil de midi, et l'agita devant les yeux de Zhao Yunlan.

Le regard de Zhao Yunlan était empreint d'un soupçon de tristesse et de confusion, et il ne réagissait pas du tout aux mouvements de Shen Wei. Le cœur de ce dernier s'effondra.

À son silence, Zhao Yunlan sentit que quelque chose n'allait pas, et se tourna par réflexe sur le côté.

— Shen Wei ?

Zhao Yunlan fronça les sourcils et tendit soudainement sa main, saisissant celle de Shen Wei avec précision, comme s'il s'attendait à ce que celui-ci fasse un tel geste. La main de Shen Wei est aussi froide que de la porcelaine. Après un moment de silence, Zhao Yunlan dit :

— Oh... alors quelque chose ne va pas avec mes yeux ?

Ses yeux ne pouvaient plus voir, et le regard de Zhao Yunlan paraissait particulièrement misérable, flottant sans point d'appui. Shen Wei serra les poings et força sa voix à rester basse.

— Je vais t'emmener à l'hôpital immédiatement.

Sur le chemin, Zhao Yunlan était exceptionnellement silencieux, ne disant presque rien. On ne savait pas ce qu'il pensait. Après être sorti de la voiture, il marcha avec un air parfois perplexe sur le visage.

Il était vraiment pénible pour un homme ordinaire de perdre soudainement la vue. Il ne savait pas quelle jambe lever lorsqu'il marchait, et il ne pouvait pas s'empêcher d'attraper tout ce qu’il pouvait atteindre... même si Shen Wei lui tenait la main.

Parfois, il ne savait pas dans quelle direction Shen Wei le tirait, surtout lorsqu'ils prenaient un virage.

Ceux qui ne voyaient pas bien avaient généralement les autres sens aiguisés, mais c'était le résultat d'une longue habitude et d'un entraînement inconscient. Si une personne perdait soudainement la vue, ses réflexes étaient ralentis et elle ne pouvait s'empêcher de se concentrer sur ce qu'elle entendait. Sans la vue, il devenait difficile de discerner ce que tous les sons représentaient ; de plus, le sens de l'équilibre de Zhao Yunlan était également affecté, et il lui fallait beaucoup de temps pour réagir au fait que Shen Wei le tirait.

Peut-être que Visage Fantôme l'avait frappé de plein fouet, ou bien était-ce dû aux nombreuses blessures qu'il avait accumulées, mais Shen Wei trouvait son visage exceptionnellement pâle. Zhao Yunlan semblait trop calme à l'idée de devenir aveugle : il ne paniquait pas, et ne se plaignait pas non plus. Il se contentait d'arborer un regard dénué d'émotion, les sourcils baissés en un subtil froncement de sourcils.

Shen Wei savait bien que Zhao Yunlan faisait normalement cette même tête, mais il changeait instantanément d'expression quand quelqu'un le regardait... mais là, il ne pouvait pas savoir si les gens le regardaient ou non.

L'expression de Shen Wei s'assombrit brusquement, ses yeux lançant des poignards. Pourtant, ses mains aidaient Zhao Yunlan à avancer avec de plus en plus de tendresse.

Les infirmières tremblèrent presque de peur en emmenant Zhao Yunlan. Elles ne purent s'empêcher de trouver que ce monsieur à lunettes ressemblait beaucoup aux mafiosi discrets que l'on voit dans les films policiers : des gangsters qui massacraient les gens comme des porcs, mais qui priaient Bouddha et étaient végétariens.

Comme prévu, les yeux de Zhao Yunlan ne présentaient aucun problème visible : aucune blessure, aucune maladie, et pourtant il ne voyait pas... Les médecins trouvèrent cela très étrange, et après presque une journée entière, ils insinuèrent subtilement que la cécité temporaire pouvait avoir une cause mentale, et lui conseillèrent d'aller voir un psychiatre.

Lorsqu'ils sortirent de l'hôpital, le ciel était déjà sombre. Enfin, tel un cafard robuste, Zhao Yunlan s'adaptait à la vie d'aveugle avec une rapidité stupéfiante.

En quittant l'hôpital, il attrapa Shen Wei.

— Le ciel est probablement sombre.

Shen Wei craignait beaucoup qu'il ne parle plus, alors il s'empressa d'essayer de lui en faire dire plus.

— Comment le sais-tu ?

— J'ai l'impression que l'air est un peu plus humide et plus frais, donc le soleil s'est probablement couché.

Shen Wei ouvrit la portière de la voiture, une main le guidant, l'autre bloquant le plafond de la voiture pour qu'il ne se cogne pas la tête. Puis il se pencha pour l'aider à attacher sa ceinture de sécurité, et en se redressant, il vit que Zhao Yunlan souriait.

— Pourquoi tu souris ?

— Je pensais, si un jour je deviens vieux et sénile, mais que tu es toujours prêt à t'occuper de moi comme ça, si je ne reconnaissais plus les gens, et que je t'appellais papa ?

Shen Wei resta abasourdi.

Bien qu'il soit heureux de voir Zhao Yunlan sourire, Shen Wei n'arrivait pas à comprendre son sens de l'humour excentrique.

Zhao Yunlan fantasma pendant un moment et riait même. Shen Wei s'assit sur le siège du conducteur et lui prit la main. Zhao Yunlan la secoua un peu.

— Oi, si je t'appelle papa, tu ne dois pas répondre, ne profite pas de moi quand je serai stupide.

Shen Wei était plutôt impuissant.

— Si seulement tu l’étais.

— Quoi ? s'exclama Zhao Yunlan en feignant l'étonnement et en s'agrippant à son col. Qu'est-ce que tu veux me faire ? Tu veux m'enfermer pour un jeu d'amour forcé et interdit ?

Shen Wei cligna des yeux. Il savait que ce n'était que l'habituel baratin de Zhao Yunlan, mais il ne pouvait s'empêcher d'imaginer...

Zhao Yunlan ricana d'un air pervers et poursuivit :

— En fait, je pense que c'est une possibilité.

Shen Wei se tut à nouveau.

Alors que la voiture se mit en route, Zhao Yunlan ne supportait pas d'être resté enfermé pendant près d'une journée, et commença à faire sa "routine de bambin hyperactif".

Il trouva les boutons de réglage du siège et les déplaça d'avant en arrière et d'arrière en avant, comme un stupide singe nouveau-né qui s'amusait dans la voiture. Parfois, il partageait ses idées avec Shen Wei :

— Hé, je vais te dire, être aveugle, c'est plutôt amusant. Il y a une salle d'exposition sur l'expérience de l'obscurité dans le centre ville, et le billet coûte 40 dollars, alors maintenant j'économise 40 dollars.

Shen Wei répondit en souriant à contrecœur ; il ne comprenait vraiment pas en quoi cela pouvait être amusant.

Il arrêta la voiture chez Zhao Yunlan et lui rappela de ne pas bouger. Pourtant, une fois la voiture arrêtée, Shen Wei découvrit Zhao Yunlan arpentant seul dans la rue, s'entraînant à marcher en ligne droite comme sur des échasses.

La ligne droite n'était pas mauvaise, c'est juste qu'il se dirigeait tout droit vers un lampadaire.

Ce type aimait bien se mettre dans le pétrin...

Shen Wei se précipita et le saisit par la taille, de sorte que les côtes de Zhao Yunlan reposèrent sur son épaule .

C'était sans doute une expérience excitante que d'être soulevé en l'air en étant aveugle ; et lorsque Shen Wei le reposa, Zhao Yunlan siffla joyeusement.

— Je trouve que mon équilibre est toujours bon, je peux marcher en ligne droite, dit Zhao Yunlan, puis il baisse la voix. Peut-être que je peux même...

Shen Wei n'entendit pas ce que Zhao Yunlan dit, mais il le vit sourire doucement.

Shen Wei lui tapota le bras et se pencha.

— Il y a des escaliers, je vais te porter.

Zhao Yunlan se tint à l'écart, souriant, sans dire un mot.

Shen Wei se retourna et demanda gentiment :

— Quoi ? Viens.

Zhao Yunlan trouva la main de Shen Wei, la caressa doucement, puis la releva et baissa la tête pour lui donner un baiser sur le dos de celle-ci.

— Je ne peux pas te laisser me porter, je suis trop lourd, et si tu te faisais mal ?

Shen Wei ne répondit rien.

Zhao Yunlan ne savait probablement pas qui l'avait porté jusqu'à chez lui hier soir.

Après avoir dit cela, Zhao Yunlan avança lentement. S'il n'avait pas donné un léger coup de pied dans les escaliers pour vérifier où ils se trouvaient, Shen Wei aurait pu croire qu'il avait recouvré la vue.

Il monta les escaliers, la tête haute et le torse bombé, une marche après l'autre, chaque marche étant de la même distance, et atteignit finalement l'ascenseur. Il trouva le bouton, appuya dessus et se tint à l'écart, attendant Shen Wei.

Ce dernier marcha intentionnellement d'un pas lourd.

— Comment savais-tu que l'ascenseur était ici ?

Zhao Yunlan répondit avec arrogance et sans gêne :

— En tant qu'observateur, je connais bien sûr l'endroit où je vis sur toute la ligne ! Combien de marches dans l'escalier, combien de pas de l'escalier à l'ascenseur, je n'ai pas besoin de voir, je sais tout ça.

Shen Wei savait qu'il racontait des conneries, comme s'il était si intelligent... Il ne pouvait même pas trouver sa tasse de thé et ses pantoufles sans passer ses mains sur tout ce qui l'entourait.

Il avait dû compter les marches et s'en souvenir lorsqu'il avait quitté l'appartement dans l'après-midi.

C'était probablement dans sa nature : quoi qu'il arrive, Zhao Yunlan donnait toujours aux autres l'impression que les choses n'étaient pas si graves. Parfois, même lorsque les autres étaient conscients de l'importance de la situation, ils ne pouvaient s'empêcher d'être influencés par son attitude.

Il tenait absolument à garder sa dignité intacte.

Zhao Yunlan ouvrit la porte et entra à l'intérieur, et il entendit une voix venant du bas.

— Si tu oses poser ton pied puant sur ma queue, tu es mort.

— Da Qing ?

Zhao Yunlan se pencha et le caressa. Da Qing sentit immédiatement que quelque chose n'allait pas ; il grimpa le long de son bras et se tint sur son épaule, l'observant attentivement, et demanda :

— Qu'est-ce qu'il se passe avec tes yeux ?

Zhao Yunlan entra dans l'appartement en se laissant guider par ses mains.

— Mes compétences ont été endommagées, dit-il négligemment.

Shen Wei le fit reculer.

— Attention.

Zhao Yunlan manqua de se cogner contre le chambranle de la porte.

Da Qing était stupéfait. Il s'éloigna de lui et se jeta rapidement sur le canapé.

— Qu'est-ce qu’il s'est passé ?

Instinctivement, il regarda Shen Wei, très perplexe... Puisque ce dernier était déjà venu au numéro 4 de la Bright Avenue, Da Qing n'avait vraiment pas besoin de cacher qu'il était un chat qui parlait.

Shen Wei dit immédiatement :

— C'est ma faute.

Zhao Yunlan ne savait pas s'il fallait rire ou pleurer.

— Comment est-ce que ça pourrait être de ta faute maintenant ?

Sa main saisit l'air, Da Qing regarda la main suspendue dans les airs et, arbora un visage de chat agacé avec des yeux plissés qui disaient “Je ne fais ça que parce que j'ai pitié de toi”, puis il enfonça sa tête dans la paume de Zhao Yunlan.

Zhao Yunlan sourit et dit au hasard :

— Ne t'inquiète pas, il n'y a pas de bonheur sans malheur.

Il trouva le canapé et s'y assit, sortit une cigarette, et la tendit autoritairement à Da Qing.

— Je ne vois rien, allume-la pour moi !

Après un moment de silence, Da Qing se roula tranquillement en boule de poils, regardant ailleurs, l'ignorant.

Shen Wei lui attrapa la main, alluma la cigarette d'une pichenette et lui tendit le cendrier.

— La nuit dernière, je suis tombé sur un petit métamorphe corbeau, réfléchit Zhao Yunlan, qui résuma succinctement ce qui s'était passé l'autre nuit, en se contentant d'un minimum d'explications.

Il poursuivit :

— Il m'a parlé de... euh, d'un endroit de la Mer de l'Ouest et d'un endroit de la Mer du Nord, à combien de kilomètres du rivage, et ensuite d'une chose  que je n'ai pas très bien comprise ; probablement d'une montagne.

Da Qing était abasourdi, mais Shen Wei comprit instantanément, et son visage s'assombrit.

— On ne parle pas de ça ; comment t'es-tu blessé aux yeux ?

— Ne le mentionne même pas.

Zhao Yunlan fait un signe de la main, et décrivit brièvement cette expérience des plus malheureuses, exprimant clairement sa haine à l'égard des cloches.

Da Qing se leva brusquement.

— Quel genre de cloche ?

— Je l'ai.

Shen Wei mit la main dans sa poche, et en sortit une petite cloche dorée et poussiéreuse,

— Tu parles de ça ?

Les iris de Da Qing se contractèrent, et sans attendre la réponse de Zhao Yunlan, l'interrompit :

— Pourquoi est-ce que tu l'as avec toi ?

Shen Wei regarda Zhao Yunlan, marqua une pause et dit d'un ton énigmatique :

— Eh bien... la personne qui t'a ramené hier soir me l'a donné.

Da Qing tourna en rond autour de la main de Shen Wei, fixant la petite cloche pendant un moment, et dit soudain d'une voix basse :

— C'est à moi. C'est celle de mon... premier propriétaire, dit Da Qing en jetant un coup d'œil à Zhao Yunlan. Il me l'a mis autour du cou il y a une centaine d'années, mais je l'ai perdu à cause d'un accident.

Zhao Yunlan tendit la main.

— Laisse-moi voir.

Shen Wei retira sa main.

— Tu ne peux sans doute pas encore le soulever.

Alors qu'il pensait aux sombres événements de l'autre nuit, Zhao Yunlan souffla un anneau de fumée mélancolique ; il ne pouvait même pas soulever la clochette que son propre chat portait autour du cou... à quel point cela semblait pathétique !

À ce moment précis, Da Qing baissa la tête, saisit la clochette avec sa bouche et, sans un mot, sauta par la fenêtre.

Aussi rondouillard et insouciant qu'il était d'habitude, il était rare qu'il paraisse aussi émotif.

Zhao Yunlan se redressa.

— Da Qing ?

— Il est parti.

Shen Wei ferma la fenêtre, puis se pencha et caressa le coin de l'œil de Zhao Yunlan.

— Je vais trouver un moyen de te guérir.

Zhao Yunlan pensa à quelque chose, et s'esclaffa soudain :

— En fait, rien ne presse.

Shen Wei eut le sentiment qu'il allait enchaîner avec quelque chose d'indécent. Comme prévu, Zhao Yunlan était toujours aussi pervers et persistant, même lorsqu'il était aveugle, et il continua :

— Maintenant que je ne vois plus, c'est vraiment très gênant ; tu pourrais prendre une douche avec moi ce soir ?

Shen Wei repoussa les pattes sales et lubriques qui, d'une manière ou d'une autre, s'étaient mises à malmener son derrière.

Sans un mot, il se retourna et se dirigea vers la cuisine.

Zhao Yunlan sourit, ferma les yeux et s'appuya sur le canapé. Il écouta les bruits de la cuisine et, dans l'obscurité, il ressentit un rare sentiment de tranquillité. Il profitait presque de ce moment, et alors qu'il était de plus en plus détendu, il aperçut soudain d'étranges ombres, vaguement au loin.

Il ouvrit brusquement les yeux, mais il ne voyait toujours rien. Les ombres avaient disparu.

Zhao Yunlan se calma et se concentra. Il ferma à nouveau les yeux, comptant ses respirations et débarrassant son esprit des pensées superflues, et au bout d'un moment, il commença à apercevoir quelques ombres. Sur sa gauche, il voyait un morceau de vert, qui brillait et scintillait, très doucement, et dont les mouvements fluides étaient d'une beauté exceptionnelle... la forme lui était plutôt familière.

Au bout d'un moment, Zhao Yunlan y pensa : c'était la direction du rebord de la fenêtre, et il y avait une plante en pot qu'il avait reçue en cadeau de la part d'un ami.

C'était... le troisième œil.

Il semblerait que le troisième œil situé entre ses sourcils ne dépendait pas d'une vue normale.

Zhao Yunlan se concentra sur le point situé entre ses sourcils et commença à voir clairement ce qui l'entourait. Il "voyait" de plus en plus de choses autour de lui : les fleurs sur le rebord de la fenêtre, les poils du chat sur le canapé, quelques livres anciens sur l'étagère... et la peinture ancienne, apparemment précieuse, sur le mur.

Mais des choses comme le canapé, la table basse, le lit... des choses dépourvues d'énergie spirituelle lui étaient encore invisibles.

Zhao Yunlan "regarda" son propre corps et vit un tourbillon de lumière blanche qui le traversait ; une boule de lumière flamboyante était accrochée à son épaule droite, mais à sa gauche, il n'y avait rien.

Ce genre de lumière lui était très familier... il avait l'impression de l'avoir déjà vue quelque part.

Soudain, Zhao Yunlan se leva, ses genoux s'écrasèrent lourdement sur la table basse, mais il n'y prêta pas attention et se dirigea vers la cuisine en trébuchant.

Il entendait le bruit d'un hachoir, mais ne voyait pas Shen Wei, qui s'était fondu dans l'obscurité, ou même plus sombre que l'obscurité... La seule chose visible était le petit pendentif qui contenait une sphère de flammes éblouissantes, identique à la boule de lumière qu'il portait sur son épaule droite.


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Mar 23 Juil 2024 - 18:50



Chapitre 59
Acte 3 : Pinceau d'Encre de Vertu
Shen Wei était en train de préparer un chou chinois ; il entendit un bruit et tourna la tête pour regarder Zhao Yunlan.

— C'est le bazar ici, n'entre pas.

Zhao Yunlan l'ignora et entra prudemment en se tenant aux murs, se dirigeant vers la voix de Shen Wei. Il tendit lentement les mains vers lui et l'enlaça par derrière, son menton reposant sur son épaule, les yeux fermés.

Il essaya d'abord de "regarder" la planche à découper, mais les légumes étaient tous déracinés et figés, de sorte qu'il ne pouvait rien "voir". Il renifla alors et sentit à peine une légère odeur de jus de légumes.

Il baissa la tête et vit le corps incroyablement noir de Shen Wei déborder d'un rouge sang dès qu'il l'étreignit. Les couleurs jaillissaient de son cœur, comme du magma, et saturaient instantanément tout le corps de Shen Wei. Dans la vision trouble de Zhao Yunlan, une silhouette svelte et élancée se dessinait.

C'était comme si... l'ombre noire prenait soudain vie.

Zhao Yunlan resta silencieux pendant un moment. Puis, sans le montrer sur son visage, il se plaignit à moitié sérieusement à Shen Wei :

— Qu'est-ce que tu découpes ? Je ne veux pas manger ça, je veux de la viande. Je ne suis pas un lapin, je suis handicapé maintenant, et j'ai le droit à de meilleurs repas.

Il entendit Shen Wei rire doucement, soulever légèrement le couvercle d'une petite marmite, et l'arôme de la viande s'en échappa.

— J'ai fait ce que tu aimes, mais tu dois manger un peu de tout, ne fais pas le difficile.

En disant cela, les couleurs flamboyantes de son corps s'éclaircirent, et l'écarlate qui coulait à flots se transforma en une teinte de rose cerise exceptionnellement chaude... comme la couleur à l'aube, lorsqu'on voyait le soleil se lever et briller pour la première fois.

Shen Wei le laissa continuer à l'étreindre et ne le repoussa pas. Zhao Yunlan se balançait de gauche à droite en suivant les mouvements de Shen Wei, tout en écoutant le bruit du couteau à légumes sur la planche à découper. Zhao Yunlan ne parla pas pendant un long moment ; ses yeux étaient d'un noir profond, regardant vers le bas, mais pas avec tristesse, seulement avec une obscurité inexplicable.

Au bout d'un long moment, Zhao Yunlan s'avança et demanda au hasard :

— Hé, tu me trouves beau ?

Les mains de Shen Wei s'arrêtèrent de bouger, et il secoua la tête d'un air impuissant.

— Tu n'as jamais rien de décent à dire ?

— Oh, quelque chose de décent. dit Zhao Yunlan en se raclant la gorge, avant d'annoncer à côté de l'oreille de Shen Wei avec une forte prononciation, comme un journaliste d'information.

— Camarade Shen Wei, trouvez-vous l'homme à côté de vous, ce colosse de la cognition, ce pionnier dans sa carrière, qui se baigne dans la brise confortable d'une société pacifique, beau ou pas ?

Shen Wei n'avait rien à répondre ; au bout d'un moment, il se contenta d'esquisser un léger sourire. Il baissa les yeux, coupant les légumes en fines tranches ; même une tâche aussi simple que celle-ci semblait exiger toute sa concentration. Puis il dit doucement :

— Peu importe que tu sois beau ou non, je m'en moque. Même si tu étais hideux avec des verrues et des bosses partout, dans mon cœur, il n'y a pas de différence.

Zhao Yunlan répond en baissant la voix.

— Si touchant, dans un instant, tu vas me demander en mariage.

Même s'ils étaient à la maison, et qu'ils n'étaient que tous les deux, ils étaient dans la cuisine après tout, ce qui n'était pas un endroit propice à l'intimité. Shen Wei était un peu gêné et repoussa Zhao Yunlan d'un coup d'épaule.

— Bouge, je dois faire frire les légumes. Va t'asseoir là-bas, ne m'embête pas.

Zhao Yunlan obéit, recula et ses mains touchèrent le bord métallique froid de l'évier.

Soudain, il dit sans le vouloir.

— Alors, tu me mentirais ?

Shen Wei se figea, le dos tourné vers Zhao Yunlan.

Ce dernier continua.

— Tu me mentirais ?

Shen Wei respira profondément, sans se retourner. Au bout d'un moment, il dit d'une voix grave.

— Je ne te mentirai jamais, et je ne te ferai jamais de mal.

Zhao Yunlan utilisa le troisième œil pour chercher son ombre. Il vit très clairement que les lumières qui brillaient sur le corps de Shen Wei s'affaiblissaient peu à peu, comme des feux d'artifice qui s'éteignaient. Un inexplicable élan de tristesse jaillit soudain.

Il acquiesça.

— Euh, bien, alors je te crois.

Shen Wei se retourna brusquement.

— Juste quelques mots, et tu me crois ?

Zhao Yunlan sourit de façon inattendue.

— Tant que tu le dis, je te crois.

Après avoir dit cela, il ne supporta plus de 'regarder' l'éclat croissant et décroissant du corps de Shen Wei. Zhao Yunlan se retourna et fit comme si la conversation qu'ils venaient d'avoir n'était qu'un bavardage, oublié en un clin d'œil. Il passa ses mains dans tous les compartiments de l'armoire et marmonna :

— Où est mon bœuf séché, je me souviens que j'ai un paquet de bœuf quelque part...

Par inadvertance, il se heurtait à un balai en plastique, marcha dessus et manqua de tomber à plat sur le visage.

Les mains de Shen Wei étaient couvertes de jus de légumes, et il ne voulait pas le salir, alors il tendit le bras et le bloqua en plein vol. Zhao Yunlan tomba directement dans son étreinte.

L'appartement de Zhao Yunlan n'était pas très grand. La cuisine était si petite qu'elle convenait à peine à une personne. Avec deux grands hommes à l'étroit à l'intérieur, ils pouvaient à peine bouger. Shen Wei ne pouvait que garder cette position, étendant ses mains vers l'avant, les lavant sous le robinet. Son menton reposant naturellement sur l'épaule de Zhao Yunlan.

Zhao Yunlan ne parlait plus et ne bougeait plus.



Après s'être nettoyé les mains, Shen Wei garda la même position, les mains tenant la taille de Zhao Yunlan, et tenta de le pousser vers l'extérieur.

— Ils sont probablement périmés depuis longtemps, arrête de les chercher. Il y a des snacks sous la table, je les ai juste mis là ; si tu as faim, tu peux en manger. Mais ne mange pas trop, le dîner est presque prêt.

Zhao Yunlan baissa les yeux et sourit.

— Je suis affamé, mais je ne veux pas manger de riz.

Shen Wei était stupéfait.

— Eh ? Alors qu'est-ce que tu veux manger ?

Zhao Yunlan tourna la tête sur le côté, trouva le menton de Shen Wei, et passa sa main le long de la mâchoire, jusqu'à atteindre l'oreille. Il se pencha vers celle-ci et murmura :

— Je veux te manger.

En disant cela, ses yeux "regardaient" directement le visage de Shen Wei. Les orbites de Zhao Yunlan étaient très profondes, ses iris étaient d'un noir intense, et comme ses paupières étaient à moitié baissées, ses cils projetaient une ombre sur l'arête supérieure de son nez... Bien que Shen Wei sache qu'il ne pouvait rien voir, il avait toujours la fausse impression que son regard était plein de passion.

Shen Wei sentit son esprit frémir sous le regard perçant de Zhao Yunlan.

Zhao Yunlan se pencha encore plus près, en souriant, et renifla l'odeur du shampoing dans les cheveux de Shen Wei. Il l'embrassa sur la joue.

— Pourquoi tu es si nerveux ? Tu peux essayer, je suis très doux.

Shen Wei ne dit pas un mot, le poussa sur le canapé et se recula rapidement.

Zhao Yunlan étendit ses jambes, s'asseyant sur le canapé comme un patron. Il se dit qu'il devrait vraiment commander deux chandeliers rouges et les allumer à côté du lit la nuit. Ce n'était peut-être que dans l'atmosphère d'un mariage qu'il pourrait faire tomber les vêtements de ce gentleman conservateur.

Lorsque la nuit fut vraiment tombée, le cœur de Zhao Yunlan se mit à fourmiller de toutes parts. Shen Wei craignait que Zhao Yunlan, aveugle, ne s'ennuie. Il prit donc un livre, s'adossa à la tête du lit et lui fit la lecture.

La voix de Shen Wei était douce, tendre et avec une sonorité parfaite. Bien que Zhao Yunlan l'écoutait entouré de l'odeur des livres, il n'avait pas l'impression de s'instruire davantage ; en fait, il ne cherchait qu'à libérer encore plus sa bête intérieure.

Alors que Zhao Yunlan était partagé entre la souffrance et la joie, Shen Wei sembla percevoir quelque chose. Il arrêta soudainement de lire et se tourna vers la fenêtre avec une expression ambiguë. Au même moment, sans crier gare, Zhao Yunlan saisit Shen Wei dans une étreinte d'ours et les fait rouler tous les deux sur le lit. Pesant sur lui de tout son poids, il lui chuchota à l'oreille.

— Arrête de lire. Éteins la lumière.

Les lumières de l'appartement s'éteignirent instantanément.

La main de Zhao Yunlan se glissa sous la chemise de Shen Wei et parcourut habilement son flanc, de la taille jusqu'à la poitrine. Il lui pinçait le mamelon et une sensation d'engourdissement monta jusqu'à la tête de Shen Wei. Ce dernier n'arrivait pas à comprendre ce qu'il venait de dire, il paniqua et retint le poignet de Zhao Yunlan.

Celui-ci baissa la tête et lui mordilla doucement la clavicule. Il lui dit d'un ton exceptionnellement séducteur.

— Tu es déjà dur avec un simple contact, tu me veux tant que ça ?

Shen Wei était incroyablement gêné, et il en oublia presque qu'il y avait quelqu'un derrière la fenêtre.

A cet instant, on entendit un léger bruit de claquement de bois par-dessus celui du vent à l'extérieur. Les doigts de Zhao Yunlan, qui allumaient des flammes le long du corps de Shen Wei, écrivirent rapidement "ne bouge pas", et il releva la couette pour le recouvrir entièrement.

Zhao Yunlan s'assit sur le bord du lit, les boutons de sa chemise presque entièrement défaits, les pans de sa chemise se balançant sur son ventre. Il dit froidement.

— Si j'étais seul, Votre Honneur serait le bienvenu ici à tout moment. Mais maintenant que j'ai de la compagnie, cela ressemble à une intrusion, non ?

Une douce toux se fit entendre depuis l'extérieur.

— Le juge a appris que le gardien s'était blessé aux yeux, alors on m'a envoyé ici pour jeter un coup d'œil. Si je vous dérange, c'est que je suis incroyablement...

— Le juge ? l'interrompit Zhao Yunlan en haussant les sourcils et en riant d'un air entendu. Son Honneur l'a découvert rapidement. Je suis allé à l'hôpital pendant la journée, et il n'est même pas minuit, et il vous a déjà envoyé ici, Votre Honneur ? Je vais très bien, dites-le-lui et remerciez-le d'avoir demandé.

Après un " Oui " profond de l'extérieur, l'épais nuage d'énergie noire disparut en un instant.

Zhao Yunlan chercha le lit avec ses mains, et Shen Wei lui attrapa le poignet.

— Le messager du monde souterrain ? Comment...

— Espèce d'idiot, soupira Zhao Yunlan en passant sa main dans les cheveux de Shen Wei, les caressant doucement, il dit à voix basse : Ils complotent tous contre toi. Le Monde Souterrain est probablement au courant pour 'Shen Wei', pas vrai ?

Shen Wei hésita, puis acquiesça. Il s'était déguisé en humain et était resté sur terre pendant quelques décennies déjà. Et tout ça juste pour traquer quelqu'un ; bien sûr, il ne l'annoncerait jamais publiquement. Pourtant, la présence du Tueur de Fantômes parmi les vivants n'était pas anodine, et il fallait au moins que les Dix Rois des Enfers en soient informés.

Zhao Yunlan fronça les sourcils.

— Tu n'as vraiment pas besoin de t'impliquer avec l'autre camp ; ils ont leur façon de penser, et entre les humains et les fantômes, il y a toujours tant de plans et de complots alambiqués, et toi...

Shen Wei demanda doucement, avec incertitude.

— Es-tu... es-tu inquiet pour moi ?

Zhao Yunlan s'arrêta. Puis il baissa la tête vers l'endroit d'où provient le son.

— Qu'en penses-tu ?

Shen Wei serra les poings, et l'enlaça soudain fermement, son visage enfoui dans son cou pendant un très, très long moment. Shen Wei était incroyablement fort ; Zhao Yunlan avait très envie de faire autre chose, car l'ambiance était bonne, et pourtant il ne pouvait pas se défaire de cette étreinte.

Il le serra aussi fort qu'il le put, avec une immense possessivité. Il avait probablement l'intention de continuer à l'étreindre jusqu'à l'aube. Zhao Yunlan réfléchit longtemps, mais n'arriva pas à trouver un bon plan et s'assoupit rapidement. Il ne voulait pas s'endormir avec l'esprit plein de pensées immondes. De toute sa vie, il ne s'était jamais couché dans un lit avec autant d'impuissance.

Il était tellement excité qu'il risquait de saigner du nez.

Peut-être que Shen Wei le serrait trop fort, ce qui le mettait un peu mal à l'aise. C'est peut-être pour cela que Zhao Yunlan fit un rêve bizarre lorsqu'il s'endormit enfin.

Dans son rêve, il se retrouvait à errer dans un endroit brumeux, rempli de ruines et de débris partout sur le sol. D'innombrables personnes se prosternaient en signe d'adoration vers le ciel. Il les regarda et continua à marcher.

Plus tard, il se retrouva dans un endroit aride et dans l'obscurité la plus totale. Zhao Yunlan se sentait inexplicablement perturbé et essayait d'allumer un feu en claquant des doigts. La flamme mourait avant même d'avoir pu éclairer quoi que ce soit. Quelqu'un soupirant à côté de son oreille lui dit alors.

— Je ne voulais pas dire ça, fallait-il que tu ailles aussi loin ?

Cette voix était difficile à décrire. Elle ne semblait pas traverser l'oreille, mais plutôt le cœur. Les mots transpercèrent sa poitrine comme un pic à glace, se déversant froidement dans son cœur. Zhao Yunlan frissonna fortement et se réveilla. On dirait que c'était déjà le matin. Shen Wei n'était plus à ses côtés, il était probablement sorti acheter quelque chose.

Il faisait nuit quand il ouvrit les yeux, et aussi quand il les ferma. Le cœur de Zhao Yunlan battait comme le tonnerre, s'agitant sans cesse. L'air dans ses poumons était presque épuisé et ses paumes étaient glaciales.

C'était... qui avait parlé ?

Zhao Yunlan s'assit sur le lit et se pinça l'arrête du nez avec force. Il essuya la sueur froide qui coulait sur ses doigts. Son cœur était noué par des millions de pensées, et tout ce qu'il voyait avec ses yeux était l'obscurité pure et simple ; il ne pouvait vraiment pas supporter cet état une seconde de plus.


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Mar 23 Juil 2024 - 18:50



Chapitre 60
Acte 3 : Pinceau d'Encre de Vertu
Zhao Yunlan se lava à la hâte. À tâtons, il finit par trouver les bandages et les médicaments, qu'ils avaient ramenés de l'hôpital, sur la table basse. Il ferma les yeux, enroula plusieurs fois un bandage autour de sa tête et prit une feuille de papier et un stylo sur la table de nuit. Sans se soucier de la nature du papier, il gribouilla quelques mots en désordre, censés signifier "Je vais au numéro 4 Bright Avenue", et quitta l'appartement d'un pas prudent.

Son cœur, qui n'avait cessé de palpiter depuis qu'il s'était réveillé de son cauchemar, s'apaisa peu à peu au rythme de ses déplacements déterminés.

Lorsque l'ascenseur s'arrêta au rez de chaussé, Zhao Yunlan ajusta sa respiration et concentra toute son énergie sur le troisième œil situé entre ses sourcils. Il sortit à grands pas, sûr de lui.

Zhao Yunlan vit beaucoup de gens aller et venir, et il comprit rapidement que les silhouettes à l'aura étrangement lumineuse étaient des personnes. Quant à ceux qui n'en avaient pas, il n'avait aucune idée de ce que c'était.

Au début, pour une raison quelconque, sa vision n'était pas très claire ; Zhao Yunlan ne voyait qu'une zone floue d'ombres et de lumières. Pourtant, alors qu'il marchait lentement hors du petit quartier résidentiel, il semble s'habituer peu à peu à cette façon de "voir" le monde, et des silhouettes distinctes commencèrent à se matérialiser.

Lentement, il commença à voir le Feu Véritable Samadhi sur chaque personne, et même les trois fleurs sur leurs têtes. Finalement, Zhao Yunlan vit très clairement sur un passant que l'étrange aura présente sur chaque personne vivante était en fait une 'membrane' floue, la couvrant entièrement de la tête aux pieds, avec d'étranges symboles écrits dessus.

Zhao Yunlan resta immobile au bord de la route et tendit la main pour héler un taxi. Mais après tout, il ne pouvait pas voir, alors tout ce qu'il pouvait faire, c'était de tendre la main et d'espérer avoir de la chance.

Le temps de héler un taxi et d'y monter, Zhao Yunlan voyait déjà plus clairement que les symboles inscrits sur le corps des gens n'étaient pas des hiéroglyphes, mais bien des mots.

Incroyablement petits et denses, ils changeaient à chaque seconde. Zhao Yunlan ne put s'empêcher de fixer le chauffeur de taxi. Celui-ci s'était déjà adressé à lui à deux reprises avant que Zhao Yunlan ne reprenne ses esprits.

— Oh, désolé. Le n°4 de la Bright Avenue, déposez-moi à l'entrée.

Le chauffeur de taxi jeta un regard étrange aux bandages qu'il avait sur les yeux.

— Hé, petit, c'est quoi le problème avec vos yeux ?

Zhao Yunlan mentit avec désinvolture.

— Je me suis blessé à la tête en jouant au basket.

Le chauffeur s'exclama :

— Mince ! Vous voyez encore ?

— J'ai appliqué de la pommade, mais je ne peux pas ouvrir les yeux, dit Zhao Yunlan. Je vais devoir rester aveugle pendant deux jours.

Ils bavardèrent en chemin et arrivèrent enfin à destination. Le taxi s'arrêta au bord du trottoir ; Zhao Yunlan réfléchit, puis sortit son portefeuille et le tendit au chauffeur.

— De toute façon, je ne vois rien, prenez le montant que ça coûte.

Le chauffeur était stupéfait.

— Ah ? Vous me faites confiance ?

Zhao Yunlan sourit.

— Il n'y a pas beaucoup d'argent là-dedans de toute façon, allez-y.

Le chauffeur hésita, lui imprima un reçu, et mit la main dans le portefeuille. Au même moment, Zhao Yunlan regarda attentivement les mots qui changeaient constamment sur son corps. Il entendit le chauffeur fouiller dans son portefeuille, en faisant des bruits, et il l'entendit aussi sortir quelque chose, hésiter, puis le remettre en place. Puis il sortit un autre billet de banque, compta la monnaie et mit les pièces dans le portefeuille de Zhao Yunlan.

Les lèvres de Zhao Yunlan se soulevèrent d'un côté... sa vision devient de plus en plus claire, et il put maintenant distinguer les couleurs des mots. Il vit le noir et le rouge. Alors que le chauffeur mit la monnaie dans son portefeuille, Zhao Yunlan vit une ligne de petits caractères rouges passer sur son corps.

Il remercia le chauffeur et lui dit qu'il n'était pas nécessaire de l'aider à marcher. Zhao Yunlan comprit que les petits mots indiquaient la vertu d'un homme : le rouge, c'était le bien, et le noir, c'était le mal. Il s'avéra que le chauffeur n'avait pas profité de lui tout à l'heure.

Zhao Yunlan fronça alors les sourcils, car il sentit que quelque chose semblait s'éveiller en lui à une vitesse folle. Il ne savait pas si c'était une bonne ou une mauvaise chose.

Ce sentiment... avait commencé lorsque le tremblement de terre avait déterré le Poinçon des Montagnes et des Rivières.

S'agissait-il vraiment d'un tremblement de terre naturel causé par des mouvements tectoniques ?

Le portier qui aimaient tailler les os l'aperçu de loin et posa joyeusement son dossier pour le saluer.

— Hé, chef Zhao ! Oh ? Qu'est-il arrivé à tes yeux ?

— Un accident, dit Zhao Yunlan calmement. Lao Li, tu peux m'aider un peu ?

Lao Li n'était même pas encore avancé que quelqu'un d'autre se précipitait déjà par derrière. Shen Wei lui saisit la main, réprimant avec effort la force de sa poigne et le tremblement de sa voix.

— Pourquoi tu ne m'as pas attendu ? Je n'ai fait que sortir pour acheter le petit déjeuner, et tu n'étais plus là quand je suis revenu. Tu sais que j'étais mort d'inquiétude ? Si tu recommences, je te jure que je...

Quoi ?

Shen Wei prit plusieurs grandes inspirations, ses poumons étaient presque en train d'exploser sous l'effet de la colère. Pourtant, il n'arrivait pas à terminer sa phrase.

Zhao Yunlan se tourna vers lui et, à travers la vision de son troisième œil, qui devenait de plus en plus clair et lumineuse - il ne savait pas pourquoi - il vit des rangées et des rangées de caractères rouge vif sur le corps de Shen Wei, représentant la bonne vertu.

Et pourtant, elles ne duraient pas. Comme une vague qui montait rapidement, elles étaient immédiatement noyés dans un tsunami de ténèbres et emportés par le courant. Comme une plage sur laquelle il ne restait aucune trace.

Les yeux de Zhao Yunlan étaient douloureux, mais il ne comprenait pas ce qui avait provoqué cette vague de douleur inattendue. C'était comme si une partie des souvenirs anciens, enfouis depuis des centaines et des milliers d'années, était finalement déterrée, un vent violent soufflant sur une centaine de mètres de poussière accumulée, révélant la vérité nue en dessous, poignardant le cœur, provoquant des vagues successives de tristesse.

— C'est parce que je savais que tu me rattraperais en un rien de temps.

Zhao Yunlan était sur le point de perdre le contrôle. Il prit des airs de beau parleur, mais sa voix était animée d'un subtil tremblement qu'il espérait peu perceptible.

— Juste à temps, entre avec moi.

Zhao Yunlan fit sa grande entrée sans avoir prévenu personne à l'avance, ce qui plongea le bureau dans le chaos le plus total. Da Qing était parti bouder quelque part, et les gens de la SIU ne réalisaient que maintenant que leur chef, qui avait disparu depuis deux jours, n'était pas sorti pour s'amuser, mais avait eu un accident.

Les mains de Zhu Hong tremblaient en défaisant les bandages, et lorsqu'elle vit ses yeux brillants mais non focalisés, ses propres yeux rougirent.

Zhao Yunlan tendit la main, mais se rendit compte que, puisqu'il ne voyait pas, il serait déplacé de toucher une collègue à l'aveuglette. Il baissa la main, gêné, et dit, impuissant :

— C'est toi ou moi qui suis aveugle maintenant ? Je ne pleure même pas, alors pourquoi tu t'énerves comme ça ?

Zhu Hong lui jeta les bandages à la figure.

— Toi, pleurer ? Si seulement tu savais pleurer ! Il n'y a pas d'endroit dans ce monde où tu n'oses pas aller, et il n'y a personne dans ce monde avec qui tu n'oses pas te battre, n'est-ce pas ? Tu te prends vraiment pour le petit frère des dieux d'en haut, hein ? Crétin !

Zhao Yunlan resta silencieux un moment, puis répondit :

— Oui, le crétin t'a entendu.

Aucun couteau ou arme à feu ne pouvait le blesser, et aucune parole, qu'elle soit dure ou gentille, ne pouvait l'atteindre. Zhu Hong renonça à essayer et lança un regard noir à Shen Wei. Comme si elle avait mangé de la poudre noire, ses mots claquèrent comme une mitraillette.

— Tu ne l'aimes pas ? Tu n'es pas un expert ? Qu'est-ce que tu faisais quand c'est arrivé ?

Chu Shuzhi et Lin Jing se regardèrent en silence ; cette situation semblait vraiment être quelque peu... gênante.

Zhao Yunlan l'entendit également. Il se sentit immédiatement gêné, et tenta de le dissimuler par une plaisanterie. Il tira sur les manches de Shen Wei, et tenta d'afficher un sourire prétentieux.

— Tu m'aimes bien ? Pourquoi tu ne l'as jamais dit ? Professeur Shen, c'est très étrange de ta part, si tu m'aimes bien, pourquoi tu lui as dit en premier...

Zhu Hong ne voulait pas qu'il prenne une issue facile et l'interrompît.

— Tu te tais !

Le sourire sur le visage de Zhao Yunlan ressemblait à un dessin, et il s'effaça instantanément.

— Ça suffit avec toi, j'ai eu un accident tout seul, qu'est-ce que ça a à voir avec lui ? Est-ce qu'on est obligés d'être liés vingt-quatre heures sur vingt-quatre, sept jours sur sept ? Dis-moi, quand les courses à trois jambes deviendront une discipline olympique !

Le regard de Zhu Hong devint presque hostile, et Shen Wei ne put s'empêcher de les interrompre :

— En fait, c'était ma f...

Zhao Yunlan fronça les sourcils et fit un geste de la main, mettant fin à la conversation de manière autoritaire, bien qu'un peu rigide.

— Je ne veux plus parler de ça maintenant. Nous pourrons discuter de sujets triviaux plus tard. Taisez-vous pour l'instant.

Il sortit ensuite un talisman de l'Ordre des Gardiens et l'alluma. Il dit :

— Da Qing, viens ici.

Avec les sons d'une clochette de chaton remplaçant sa voix, Da Qing émergea du coin et passa silencieusement devant tout le monde. Il sauta sur les jambes de Zhao Yunlan et lui examina les yeux.

Puis Da Qing sauta sur la table.

— J'y ai réfléchi longtemps et j'ai consulté quelques livres. Je sais à peu près ce qui ne va pas avec tes yeux maintenant. Tu as dit que tu avais invoqué le Feu de l'Enfer, brûlé le petit corbeau, puis qu'il s'était sacrifié et avait pénétré dans la cloche d'or, n'est-ce pas ? Le son de son âme est entré en collision avec le Feu de l'Enfer, et la quantité d'énergie noire a dû monter en flèche. Tu te tenais trop près, tes yeux ont été blessés et tu es temporairement aveugle.

Zhao Yunlan acquiesça subtilement, mais Shen Wei remarqua ce que le chat noir avait dit. "Temporairement ?"

Da Qing confirma, mais regarda ensuite Zhao Yunlan.

En fait, on avait l'impression que Zhao Yunlan savait déjà quelque chose.

Mais Shen Wei ne le remarqua pas. Il était quelque peu préoccupé par son angoisse et n'arrêtait pas de se demander : “Quand pourra-t-il se rétablir ? De quels médicaments a-t-il besoin ? Où le trouver ?"

Da Qing jeta un coup d'œil silencieux à Shen Wei, et vit qu'il était sincèrement inquiet. Avec un soupir dans le cœur, il poursuivit :

— La tribu des Fleurs reste généralement cachée du reste du monde. Mais ils possèdent un miel extraordinairement précieux, le miel des Mille Fleurs. Les légendes disent que ce miel est fabriqué à partir de trente-trois sortes de fleurs du ciel, trente-trois sortes de fleurs de la terre et trente-trois sortes de fleurs du monde souterrain, et qu'il ne contient que l'essence la plus pure du nectar de chaque fleur. Il peut guérir toutes sortes de toxines, il guérit et revitalise, et il est le plus approprié pour les blessures aux yeux... si vous voulez les trouver, probablement...

Zhao Yunlan poursuivit doucement :

— Au marché des tribus, à la fin de l'année.

Da Qing demanda sans détour :

— Comment as-tu su ?

Zhao Yunlan tapota la tête de Da Qing, mais ne répondit pas. Il semblait réfléchir à quelque chose. Puis, au bout d'un moment, il dit à voix basse :

— Tu as fini, c'est à mon tour de dire quelque chose... Premièrement, à partir de maintenant, quiconque contacte le monde souterrain doit m'envoyer une transcription, n'oubliez rien. Deuxièmement, le numéro 4 de la Bright Avenue est désormais strictement interdit aux personnes qui n'ont pas d'affaires légitimes avec nous ; ceux qui viennent avec des cadeaux pendant la nouvelle année peuvent simplement s'arrêter au bureau de réception. Troisièmement, informez les autres départements que nous entrons dans la période de finalisation à la fin de l'année, donc à moins que le commissaire ne vous confie une affaire directement, essayez de ne pas prendre d'affaires. Quatrièmement, si une personne sous tutelle ne peut pas venir travailler à l'heure ou doit prendre un congé, je dois l'avoir signé et approuvé. J'ai besoin de savoir où vous êtes à tout moment.

Zhu Hong se déconcentra un peu et demanda :

— Alors, le marché des tribus...

— Ce n'est pas grave, Shen Wei peut m'accompagner, dit Zhao Yunlan avant de marquer un temps d'arrêt. Je vais leur faire préparer une chambre pour toi au troisième étage, si tu as besoin de te reposer, tu pourras y aller.

Sans se soucier des réactions des autres, il se leva en s'accrochant au bureau. Il se dirigea vers la bibliothèque dans le mur.

— Je dois parler à Sang Zan. Shen Wei, attends-moi. Vous autres, informez les autres départements de ce que je viens de dire.

La bibliothèque était très bien éclairée, mais il n'y avait pas un seul rayon de soleil, de sorte que Sang Zan pouvait y passer du temps en toute liberté, même pendant la journée. Il aperçu Zhao Yunlan et le salua joyeusement :

— Hallu, Shief Bègueya Zhao Yunlan !

Zhao Yunlan resta silencieux pendant un moment, puis commenta :

— Bon sang, qui t'a appris ça ?

— Le Bègueya Chat, dit Sang Zan qui savait que sa prononciation n'était pas exacte, alors il se dépêcha de se corriger pour arriver à la prononcer correctement. Shie... Ches... Bègueya Zhao Yunlan !

Zhao Yunlan sourit et ne fit pas attention à lui. Il regarda autour de lui avec son troisième œil et s'aperçut qu'il pouvait voir la forme de la plupart des livres. Il chercha un peu, puis dit à Sang Zan :

— Apporte-moi le livre que j'ai lu l'autre jour.

Sang Zan sortit rapidement le Livre des âmes. Il était impressionnant de constater que même s'il ne pouvait lire aucun mot, il se souvenait parfaitement de l'endroit où se trouvait chacun d'entre eux.

Zhao Yunlan "vit" clairement les mots "Livre des âmes" sur la couverture. Avant qu'il ne bouge, le livre s'ouvrit et il vit quelque chose qu'il n'avait pas remarqué auparavant : une page avait été déchirée et, sous la vision du troisième œil, un sang violet semblait couler de la page déchirée.

Zhao Yunlan referma le livre. Sang Zan regardait son expression, et Zhao Yunlan ne dit pas un mot.

Après un long moment, Zhao Yunlan demanda d'une voix grave :

— Crois-tu qu'il existe des 'coïncidences' parfaites dans ce monde ?

Sang Zan réfléchit beaucoup, et au bout d'un certain temps, il finit par comprendre ce que signifiait le mot "coïncidence". Comme il ne pouvait pas s'exprimer clairement, il avait toujours l'air un peu bête. Mais après tout, il ne l'était pas vraiment, tout le monde le savait.

Sang Zan secoua la tête et dit avec une rare précision :

— Je ne sais pas.

— Moi non plus, dit lentement Zhao Yunlan. Les tribus de métamorphes semblent être amicales avec le monde souterrain, mais elles ne le sont pas vraiment. Je détiens le jeton de l'Ordre des Gardiens, et tout ce que je veux, c'est assumer mes responsabilités et protéger le royaume des vivants, puis profiter de ma vie heureuse avec ma femme et mon gros chat. Mais certaines personnes ne veulent pas me faciliter la tâche.

Sang Zan ne comprenais pas ce qui se passait, car ce discours était trop complexe. Pourtant, il adressa à Zhao Yunlan un regard compréhensif et lui demanda directement :

— Comment je peux t'aider ?

Zhao Yunlan baissa les yeux.

— Donne-moi un morceau de papier.

Il écrivit ce que le changeur de corbeau avait dit l'autre soir. Il s'avérait qu'il feignait l'ignorance ; en fait, il se souvenait de chaque mot. Puis, sous la dernière ligne, il écrivit "Kunlun" en gros caractères, en tournant lourdement la plume au dernier trait.

— Je veux que tous les livres contenant ce mot, dit Zhao Yunlan. Ne le dit à personne, y compris à Wang Zheng. Merci, mon frère.

Sang Zan le traitait comme un demi-sauveur. Bien qu'il ait été un intrigant rusé et manipulateur, au fond de lui, il savait distinguer le bien du mal. Il promit formellement à Zhao Yunlan :

— Ne t'inquiète pas, chef Bègueya Zhao.

Zhao Yunlan répondit en plaisantant à moitié :

— Bien, je vais botter le gros cul de ce gros con pour toi.


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Mar 23 Juil 2024 - 18:51



Chapitre 61
Acte 3 : Pinceau d'Encre de Vertu
Le marché des tribus de la Cité du Dragon se tenait le 28 décembre du calendrier lunaire, soit l'avant-dernier jour de l'année.

Le matin, Zhao Yunlan avait reçu son invitation, livrée par un moineau à sa fenêtre.

Son bureau avait été nettoyé en profondeur par le service d'entretien, les vitres étaient claires comme de l'eau de roche et les tables brillaient de mille feux. D'un côté, il y avait une immense fenêtre qui s'étendait du sol au plafond et qui était orientée vers le soleil. Lorsque les rideaux étaient ouverts, le soleil d'hiver tombait à l'intérieur en un large rayon. Grâce à au chauffage, on pouvait confortablement rester à l'intérieur avec une simple chemise. Deux pots de plantes d'alocasia ruisselaient de la rosée du matin dans une luxuriante iridescence. Il y avait aussi un aquarium près de la porte, avec des poissons arowana argentés qui nageaient tranquillement.

La chaîne hi-fi jouait un morceau de guqin apaisant. Dans le bureau spacieux, les deux hommes profitaient de leur propre espace... Shen Wei entra pour arroser les plantes, puis se mit à l'écart pour lire un livre, comme un assistant temporaire. Zhao Yunlan lui demanda de préparer un bol de poudre de cinabre, et il sortit une épaisse pile de talismans en papier jaune qui n'avaient pas encore été utilisés. Les yeux fermés, il commença à dessiner sur les talismans. Au début, il se trompait souvent, mais peu à peu, il s'y était habitué et cela devenait un moyen de se détendre mentalement plutôt que de tuer le temps. Les talismans d'exorcisme s'accumulaient dans un coin de son bureau.

Même de loin, on pouvait sentir l'énergie chaude et irradiante qui se dégageait de ces talismans. D'ordinaire, il aurait eu du mal à supporter cette tâche ingrate, mais lorsqu'il était avec Shen Wei, il ne pouvait s'empêcher d'être influencé par lui, et son cœur s'apaisait inévitablement.

Zhu Hong frappa, entra et vit les deux hommes qui se complétaient comme des pièces de puzzle, passant du temps ensemble de manière si indépendante et si heureuse. Elle hésita sur le seuil de la porte. Elle avait l'impression qu'entrer ne servait à rien, que cela n'avait aucun sens.

Elle se mordit la lèvre et fit un signe de tête froid à Shen Wei. Puis elle dit à Zhao Yunlan :

— Je sors. La prime de fin d'année est là, je vais à la banque pour Wang Zheng.

Zhao Yunlan, qui n'avait plus un sou, se sentit instantanément revigoré en entendant cela, et hocha la tête en toute hâte.

— Uhuh, d'accord, vas-y.

Zhu Hong sortit un formulaire d'un dossier.

— Il s'agit du budget de notre département pour le dîner de fin d'année. En plus de la nourriture, nous devons acheter des offrandes. Je vais vous le lire et signer s'il n'y a pas de problème. Ensuite, j'obtiendrai un prêt auprès d'un usurier.

Zhu Hong lit chaque ligne, et Zhao Yunlan s'assit et écouta. Ils passèrent rapidement en revue tous les éléments et Zhao Yunlan apposa sa signature sur le papier. Une fois qu'ils eurent terminé, Zhu Hong regarda Shen Wei et demanda en bégayant :

— Alors cette année... cette année, tu passes toujours le Nouvel An avec nous ?

Zhao Yunlan ne leva pas les yeux.

— Oui, pourquoi je ne le ferais pas ?

La joie se lit sur le visage de Zhu Hong, mais l'instant d'après, elle entendit Zhao Yunlan dire :

— Pas seulement moi, j'amène aussi ma famille, n'est-ce pas, ma femme ?

Peut-être s'était-il habitué au harcèlement constant et au flirt, ou peut-être parce que Zhu Hong était là, mais Shen Wei ne réagit pas de manière excessive, et se contenta de sourire doucement, tout en le réprimandant presque de manière espiègle :

— Laisse tomber.

Le visage de Zhu Hong s'assombrit instantanément, et au bout d'un moment, elle dit sans enthousiasme :

— Oh, je vais y aller s'il n'y a rien d'autre.

— Hé, attends. la rappela Zhao Yunlan.

Il rangea les talismans sur le bureau, puis ouvrit le tiroir et en sortit une épaisse pile qu'il avait dessinée auparavant. Il les tendit à Zhu Hong.

— Il y a une petite boutique dans la rue des Antiquaires, derrière le grand arbre pagode tout au bout. Il n'y a pas d'enseigne et seul un vieil homme s'occupe de la boutique. Va à l'intérieur et montre-les au vieil homme. Le même prix que d'habitude, il le sait. Mais dis-lui que je les ai dessinées à l'aveugle, alors s'il y a des défauts, fais-lui une réduction.

Zhu Hong les prit, les fourra dans la poche de sa doudoune et demanda, surprise :

— Tu vends des talismans en papier ?

Zhao Yunlan sourit.

— J'ai une famille à nourrir, tu sais ? Il faut que je ramène de la viande à la maison. Je viens d'acheter une maison, j'ai besoin d'argent de toute urgence pour faire quelques rénovations.

Zhu Hong n'attendit pas qu'il termine et partit sans un mot.

Elle allait lui demander si elle pouvait l'accompagner au marché des tribus, mais il semblait que cela n'était pas nécessaire pour l'instant.

La porte du bureau du chef fut violemment claquée. Shen Wei leva la tête de son livre ancien.

— Est-ce qu'elle a des sentiments pour...

— Euh, dit Zhao Yunlan en prenant un nouveau papier jaune et en mesurant avec ses doigts, Je ne l'avais pas remarqué avant. Mais maintenant que je le sais, je ferais mieux de la faire renoncer dès que possible.

Shen Wei soupira.

— Pourquoi tu soupires ? demanda Zhao Yunlan en riant sans bruit. Les amours de bureau ne peuvent-ils jamais aboutir à quelque chose ? En plus, je suis un humain et elle est une métamorphe, nous ne sommes pas faits l'un pour l'autre.

Zhao Yunlan dit cela sans le vouloir, mais Shen Wei avait bien l'intention d'y lire quelque chose. Après un moment de silence, il dit :

— Alors toi et moi... Je suis un fantôme et tu es un humain, sommes-nous faits l'un pour l'autre ?

— Hein ? s'exclama Zhao Yunlan lorsqu'il plongea le pinceau dans la poudre de cinabre.

Stupéfait, il réalisa qu'il avait dit quelque chose de faux, et se corrigea immédiatement.

— Comment pouvez-vous être les mêmes ? Je t'aime beaucoup.

Il dit cela avec une telle insouciance qu'on ne dirait pas qu'il s'agissait d'une conversation douce et délibérée, mais simplement... d'un bavardage décontracté, comme lorsqu'on levait sa tasse pour humer l'arôme du thé dans une pièce confortable et chaleureuse, alors que les tempêtes hivernales font rage à l'extérieur.

Soudain, la main de Zhao Yunlan fut saisie qui se trouvait sur le papier du talisman. Son pinceau dérapa et la magie du talisman fut perdue ; le papier était gâché.

Avant que Zhao Yunlan ne puisse s'en rendre compte, Shen Wei s'était approché très près et avait posé ses mains sur les accoudoirs de la chaise, ses bras entourant Zhao Yunlan. Il retint son souffle et se rapprocha avec dévotion. Les yeux fermés, les cils frémissants, il embrassa délicatement le nez de Zhao Yunlan. Un peu plus tard, il prit son courage à deux mains et descendit lentement, tâtant le terrain, un millimètre après l'autre, pour finalement se poser sur les lèvres légèrement sèches de Zhao Yunlan.

C'est incroyablement sensuel et doux à la fois. Même s'il ouvrit tendrement les lèvres de Zhao Yunlan et y pénétra la langue, il ne semblait pas vouloir en faire plus.

C'était juste une sensation d'amour qui le submergeait, et il désirait un baiser intime.

Pour Shen Wei, ce sentiment était comme une toxine mortelle. Même s'il se battait vaillamment, tous ses efforts étaient vains, et il tombait inévitablement de plus en plus profondément.

À cet instant, quelqu'un entra sans frapper. Après avoir vu quelque chose qu'il n'était pas censé voir, il gémit et reparti silencieusement.

Shen Wei fut surpris par le bruit de la porte et se redressa, paniqué. Il toussa sèchement, essayant de dissimuler son embarras.

Da Qing grattant la porte, tentant de faire abstraction de ce qui venait de se passer, mais n'y parvient pas. Il demanda à voix haute et avec des mots allongés :

— Chef ? Chef, camarade, tu es là ? Tu es occupé ?

Zhao Yunlan était furieux.

— Entre donc !

Da Qing remua ses fesses à l'intérieur et jeta un coup d'œil à Shen Wei. Il trouvait ce spécimen très intriguant... il n'avait jamais vu un être humain aussi subtil et facilement embarrassé avec Zhao Yunlan. Pendant un moment, Da Qing trouvait étrangement que l'expression de Shen Wei ressemblait à celle des prostituées arrêtées par la police aux informations.

Il était presque en train de mourir d'embarras ; un rougissement s'était répandu de son visage jusqu'à son cou.

Il avait vraiment la beauté des fleurs de pêcher et l'esthétique d'un portrait bien fait. Il n'était pas étonnant que le grand gangster le poursuive avec tant d'acharnement depuis plus de six mois, et qu'il n'ait toujours pas eu son repas. Da Qing scruta silencieusement Shen Wei avec ses yeux de chat.

Puis il remua la queue et se dit joyeusement : aussi beau soit-il, le grand bandit ne le voit toujours pas.

Le grand gangster s'impatienta :

— Tu as deux minutes pour dire ce que tu as à dire, si tu me racontes des conneries, je t'écorche pour te faire un collier de fourrure !

Le chat noir s'accroupit sur le bureau.

— J'ai écrit à la Tribu des Fleurs, tu as reçu l'invitation, n'est-ce pas ? Tu as pas mal de connaissances parmi les métamorphes. Au crépuscule, quelqu'un t'attendra à l'entrée ouest de la rue des antiquaires. Tu n'as qu'à entrer directement, mais n'oublie pas d'apporter des cadeaux.

À ce moment-là, il regarda Shen Wei.

— Le professeur Shen connaît les règles, je suppose ?

Shen Wei acquiesça.

— Ne vous inquiétez pas, je vais m'occuper de lui.

Da Qing était soulagé ; il pensait que si un humain connaissait la honte, c'est qu'il connaissait les limites, et s'il connaissait les limites, c'est qu'il était digne de confiance. Le professeur Shen semblait beaucoup plus fiable.

Zhao Yunlan s'apprêtait à renvoyer le visiteur quand son téléphone sonna soudain. Il le chercha en marmonnant

— Qui c'est encore ?

Puis il décrocha. Da Qing, perché sur le bureau, jeta un coup d'œil à l'écran du téléphone. On pouvait y lire : "Impératrice". Instantanément Da Qing se sentit rafraîchi, se redressa et attendit un spectacle hilarant.

D'abord, Zhao Yunlan dit d'un ton frivole :

— Bonjour, chef Zhao du SI...

Puis sa voix s'arrêta brusquement, et il se transforma en un faible chaton, parlant d'un ton doux et obéissant, et dit :

— Aye, aye, je n'ai pas vu, c'est ma faute, maman.

Quelques instants plus tôt, Zhao Yunlan était assis dans son confortable fauteuil pivotant comme un patron, avec une telle majesté et une telle arrogance. Et pourtant, après avoir décroché le téléphone, il commençait à se mettre en boule, la queue entre les jambes, comme un eunuque qui suivait l'empereur. Da Qing roula sur le bureau en riant doucement.

— Non, je n'oserais pas oublier, dit Zhao Yunlan. J'ai vraiment quelque chose à faire ce soir, vraiment... ow, s'il te plaît ne me le demande pas, c'est le travail... non, pourquoi est-ce que je ferais l'imbécile ? Où est-ce que j'irais m'amuser par ce temps glacial ?

Shen Wei se mit à l'écart, et l'entendit parler à son interlocuteur sur un ton intime et affectueux. Son regard s'assombrit. Cette fois, Shen Wei comprit parfaitement que Zhao Yunlan était un être humain vivant, de chair et d'os, avec des parents et d'innombrables liens dans le monde des vivants. Zhao Yunlan était, après tout, différent de Shen Wei.

Comme Zhao Yunlan trouvait que ce coup de fil nuisait à son image, il se leva en s'agrippant à la chaise et sortit lentement de la pièce.

Da Qing se lécha les pattes et regarda Shen Wei. Au bout d'un moment, il demanda :

— Est-ce que tu es humain ?

Shen Wei en perdit ses mots.

Da Qing s'empressa d'expliquer :

— Oh, je ne te gronde pas. Je l'ai dit littéralement. Le sens littéral, tu comprends, n'est-ce pas ? Alors... tu es humain, ou... quelque chose d'autre, ou quoi que ce soit d'autre, tu sais ?

Cette question toucha le point sensible de Shen Wei. Il resta silencieux pendant un moment, puis secoua la tête.

Mais Da Qing semblait soulagé et murmura :

— Pas humain, pas humain, c'est bien... euh, ce gamin a l'air d'un crétin la plupart du temps, mais il est plutôt gentil. Il t'aime bien, ne lui fais pas de mal.

Shen Wei répondit d'un ton incroyablement doux et majestueux, énonçant un mot après l'autre :

— Tant qu'il voudra de moi, je ne le laisserai jamais tomber, que ce soit dans la vie ou dans la mort.

Da Qing le regarda fixement dans les yeux. Il ressentit l'affection et la sincérité indescriptiblement profondes dans ce regard noir. Cela faisait de très nombreuses années qu'il n'avait pas vu un sentiment aussi sincère chez quelqu'un ; pendant un instant, il fut hypnotisé.

Puis Zhao Yunlan revint, son appel téléphonique terminé. Da Qing reprit ses esprits, s'élança vers ses jambes et tourna en rond autour d'elles.

— Qu'est-ce que la vieille dame a dit ? Je veux manger son corvina jaune frit !

— Mange ton cul. Va-t'en, ne te colle pas à moi.

Zhao Yunlan le repoussa avec sa jambe. Da Qing persista, s'agrippant fermement à son pantalon. Suivant ses mouvements, il fut projeté en l'air comme une boule de poils, hurlant avec beaucoup d'énergie :

— Je veux manger du ... CORVINA ! JAUNE ! FRIT ! !!

— Je t'emmènerai, d'accord, vénérable vieux chat.

Zhao Yunlan se pencha et saisit Da Qing par la nuque, le projetant sur le côté. Puis il lui donna une tape sur les fesses.

— Nous irons dîner le premier jour de la nouvelle année. Ma mère m'a dit : 'Ce chat a vécu tellement d'années qu'il ne lui reste probablement plus beaucoup de temps à vivre'. Elle m'a donc dit de mieux te traiter.

Zhao Yunlan se tourna vers Shen Wei.

— Je lui ai dit de préparer un dîner pour une personne de plus. Tu es libre ? Tu as d'autres projets ? Tu veux venir à la maison avec moi ?

Shen Wei était stupéfait. Il retrouva sa voix après un long moment.

— Je... Je ferais mieux de ne pas le faire. C'est le Nouvel An, un étranger comme moi doit probablement...

— Un étranger ? dit Zhao Yunlan en haussant les sourcils. Alors quoi maintenant, tu as décidé de me larguer ?

Shen Wei fut frappé de stupeur.

Da Qing secoua silencieusement la tête et se faufila par l'entrebâillement de la porte. Puis il donna un coup de patte habile dans la porte avec ses pattes arrière. Il avait l'impression que quelqu'un à l'intérieur avait dû se faire dévorer le sens de la décence par un chien.

~~~

Inutile de dire que Zhao Yunlan était un vrai gangster et qu'à la tombée de la nuit, alors qu'ils se dirigeaient vers le marché des tribus, il avait réussi à convaincre Shen Wei d'accepter.

Les deux hommes arrivèrent dans la rue des antiquaires. Zhao Yunlan portait une paire de lunettes de soleil et tenait une canne sortie de nulle part. Shen Wei l'aidait à marcher d'une main, et de l'autre, il tenait une grande boîte en laque à quatre étages. La première couche contenait des champignons lingzhi et des feuilles de thé yulu cueillis dans les montagnes, la deuxième des instruments rituels antiques en or et en jade, la troisième des perles précieuses et des moustaches de dragon provenant des profondeurs de la mer, et la quatrième de l'or noir et du fer provenant du monde souterrain. Avec tous les trésors qu'elle abritait, cette boîte pesait probablement quelques centaines de kilogrammes.

La rue des antiquaires n'avait en fait pas d'entrée à l'ouest. Son côté ouest était une impasse, et les quelques boutiques qui s'y trouvaient avaient déjà fermé tôt. Il n'y avait qu'un grand arbre pagode auquel était suspendue une lanterne en papier rouge. Le mur tacheté était éclairé par un halo lumineux.

Les deux hommes passèrent en dessous de la lanterne. Dans un éclair de lumière, une voiture sans chevaux surgit devant eux. Une "personne" en descend, exceptionnellement grande et mince, vêtue d'une longue robe étrangement démodée. Elle avait un visage de renard qui, vu de loin, ressemblait à un masque de fourrure.

Le renard cachait ses pattes dans les longues manches de la robe, ses yeux étroits et rusés fixant la boîte dans la main de Shen Wei, et il s'inclina :

— Bienvenue, mes invités de marque, veuillez venir par ici.


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Mar 23 Juil 2024 - 18:51



Chapitre 62
Acte 3 : Pinceau d'Encre de Vertu
Le marché des tribus était organisé en plusieurs sections, une section par district, à l'instar des marchés de village d'antan. Normalement, il avait lieu une fois par an, et dans certaines zones, il était animé, mais il y en avait aussi qui étaient relativement calmes.

Les routes de la Cité du Dragon formaient un réseau de transport élaboré, tellement encombré par la circulation que les citoyens se disputaient tous les jours au bord de la route. Les foules de piétons qui se bousculaient dans la ville étaient également très nombreuses. Pourtant, le marché des tribus de la Cité du Dragon était le plus petit de la région.

Même si la grande ville était densément peuplée de toutes sortes de personnes, et que le dicton "les légendes se cachent dans les villes" était vrai, ce n'était pas un endroit idéal pour la culture des métamorphes. À moins d'avoir des liens avec les vivants ou d'être venus jusqu'ici pour parfaire leur karma, la plupart des métamorphes ne vivraient jamais ici pour leur propre bien.

Depuis que le SIU de Zhao Yunlan avait été établi à la Cité du Dragon, d'innombrables métamorphes avaient été ses informateurs, et il y en avait beaucoup d'autres qu'il considérait comme des frères. Pourtant, il n'avait jamais assisté au marché des tribus. Il s'agissait en fait du dîner de fin d'année des tribus de métamorphes, et même s'il était habituellement proche et informel avec eux, il ne serait pas approprié pour un étranger comme lui d'ignorer les coutumes et de se joindre aux célébrations.

À bien y penser, c'était la première fois qu'il était invité au marché des tribus. Zhao Yunlan était assis dans le wagon qui avançait régulièrement, lorsque ses lèvres se retroussèrent soudain en un sourire étrange et inconstant.

Shen Wei demanda :

— Qu'y a-t-il ?

Zhao Yunlan serra la main de Shen Wei, qui ne l'avait pas lâché depuis le début. Au milieu du vrombissement des roues, il baissa la voix.

— Je pense que notre relation se développe de manière assez traditionnelle. D'abord, nous nous rencontrons et apprenons à nous connaître, puis nous commençons à nous tenir la main, et maintenant, nous sortons ensemble. J'ai l'impression que si nous continuons à nous rapprocher, nous arriverons bientôt à la 'fin de partie'.

Shen Wei jeta un coup d'œil à la porte cochère, car il savait que les renards avaient l'oreille fine. Il baissa la voix et dit à Zhao Yunlan :

— Attends de rentrer à la maison ce soir pour dire ce genre de choses.

Zhao Yunlan dit :

— Mais de quelle façon je dois le dire ?

Zhao Yunlan fut accueilli par un silence.

Il continua sur un ton théâtral, en remuant exagérément les sourcils :

— Mon bon grand frère, je te veux tellement que je n'en peux plus, devient mien.

Shen Wei repoussa sa main. Au bout d'un moment, il vit la main de Zhao Yunlan se balader sans but dans les airs et toucher tout au hasard. Il hésita, puis la reprit d'un geste furtif.

Nul ne sait si le renard les avait entendus, mais la calèche ne cessa pas de rouler à vive allure. Environ un quart d'heure plus tard, elle s'arrêta ; le renard souleva les tentures et fit signe aux deux jeunes gens de sortir. Une brise glaciale s'engouffra à l'intérieur. Quelque part dans les environs, on entendait un duo approximatif de guqin et de xiao (1) ; l'air était mélancolique, et pourtant les joueurs semblaient maladroitement essayer de créer une atmosphère joyeuse, ce qui rendait l'écoute très étrange.

Deux portiers à tête de cheval et au corps humain montaient la garde de part et d'autre de l'entrée. Un peu plus loin, un homme à queue de serpent attendait. C'était l'une des règles tacites du marché des tribus : tous les métamorphes devaient révéler une partie d'eux-mêmes en plus de leur corps humain, afin que les nouveaux venus moins expérimentés puissent reconnaître tout le monde et qu'il n'y ait pas de malentendus malheureux.

Le métamorphe serpent sourit à Zhao Yunlan.

— Seigneur Gardien, vous êtes ici.

Il faisait un froid glacial en hiver, et suivant leur instinct naturel, les métamorphes serpents avaient tendance à ne pas sortir une fois qu'il faisait froid. Ils ne participaient généralement pas aux festivités ; tout ce qu'ils faisaient, c'était envoyer un ou deux membres de la tribu pour montrer rapidement leurs visages et représenter toute la variété de la Tribu des Serpents.

Ce métamorphe serpent qui émergeait de l'entrée attendait manifestement Zhao Yunlan en particulier.

Après avoir écouté attentivement, Zhao Yunlan dit poliment,

— Mes yeux sont quelque peu compromis aujourd'hui. J'espère que je n'ai pas mal entendu, vous devez être Oncle Quatre ?

L'homme-serpent acquiesça.

— Je suis honoré que vous vous souveniez de moi, Seigneur Gardien. Entrez, Zhu Hong m'a tout raconté. Si vous avez besoin de quoi que ce soit, dites-le moi.

Shen Wei remit le coffret de laque à un portier cheval et aida Zhao Yunlan à entrer.

Une fois à l'intérieur, on avait l'impression de marcher dans une zone piétonne. Sur une centaine de mètres de long, deux routes pavées se trouvaient de part et d'autre d'une rivière longue et étroite. Un petit pont de pierre enjambait la rivière, avec de hautes tables installées dessus. Les deux rives étaient bondées et décorées de lanternes lumineuses et de bannières colorées. Les piétons étaient pour la plupart mi-bêtes, mi-humains. Quelques métamorphes avaient installé des stands pour vendre des produits à leurs congénères.

L'Oncle serpent Quatre marchait en tête, menant les deux hommes jusqu'au pont de pierre.

Il y avait encore une fine couche de neige sur le pont de pierre froid, mais le petit pilier de pierre à l'une des ses extremités était entouré d'une fine vigne où poussaient quelques petites fleurs jaune pâle.

Oncle Quatre s'immobilisa et dit aux fleurs :

— Mademoiselle Yingchun, le Gardien est ici. S'il vous plaît, venez à sa rencontre.

Alors qu'il disait cela, la pousse solitaire de jasmin d'hiver se développa soudainement et se répandit rapidement de ce côté du pont, recouvrant les pierres d'un tapis de fleurs. D'innombrables petits bourgeons fleurirent sur le sol. Le haut de son corps était celui d'un être humain, mais le bas était encore lié à la végétation luxuriante et il était pratiquement impossible de la distinguer.

D'après son apparence, elle semblait avoir une quinzaine d'années. Avec sa coiffure en double chignon et ses yeux longs et étroits, elle ressemblait à une jeune fille. Elle regarda Zhao Yunlan, puis Shen Wei.

Pour une raison ou une autre, Yingchun semblait avoir peur de Shen Wei. Elle ne lui jeta qu'un coup d'œil fugace, puis se retourna rapidement vers Zhao Yunlan en ricanant.

— Le chat noir a dit que le Gardien était très beau. Pourquoi vous couvrez-vous le visage avec de si grosses lunettes de soleil ?

Zhao Yunlan enleva les lunettes de soleil et les accrocha à son col.

— Pour attirer la sympathie. Fillette, quand tu vois un beau garçon comme moi, mais que tu découvre que je suis aveugle, tu as peut-être envie de me donner plus de miel.

Yingchun rit, puis regarda attentivement ses yeux. Elle fronça les sourcils et demanda à Oncle Quatre :

— Qu'est-ce qui se passe avec les corbeaux ? Pourquoi font-ils du mal aux humains sans raison ?

Oncle Quatre lui donna une tape sur la tête, baissa les yeux et ne dit rien.

Yingchun jeta un coup d'œil autour d'elle.

— La tribu des corbeaux n'a envoyé personne cette année ?

— Pas seulement ici, mais dans aucun des marchés des autres régions non plus, dit Oncle Quatre. Tu n'as pas besoin de te préoccuper de cela ; concentre-toi sur ta culture et fais pousser de belles fleurs quand le printemps arrivera.

Yingchun marmonna, un peu contrariée. Elle sortit une petite bouteille, tendit la main vers Zhao Yunlan et plaça la bouteille dans sa paume.

— Notre chef m'a dit de vous donner ceci. Il a également dit que si vous avez besoin de quoi que ce soit à l'avenir, Seigneur Gardien, dites-le lui, nous sommes tous prêts à écouter vos ordres.

Zhao Yunlan était stupéfait.

— Mes ordres ? Non, non, non, votre chef est bien trop gentil...

Sa voix fut étouffée lorsqu'un petit singe sauta sur les tables du pont et frappa lourdement deux gongs en cuivre l'un contre l'autre.

Les métamorphes se turent immédiatement, et de nombreuses tables de pierre furent amenées le long de la rue. Yingchun dit :

— Oh, le dîner va commencer, je dois me produire. Cher Gardien, c'est tout ce que je peux dire pour l'instant, veuillez m'excuser. Prenez soin de vous !

— Attendez…

Avant que Zhao Yunlan ne puisse continuer, Yingchun se transforma en un tapis de vignes fleuries et recouvrit rapidement toutes les tables du pont de pierre. Chaque poteau de la balustrade était entièrement enveloppé de lianes, et la petite plate-forme du pont de pierre brillait d'une exubérance resplendissante.

Zhao Yunlan n'avait pas encore sorti sa main de sa poche. Dans celle-ci se trouvait une petite pochette en lin, offerte par Da Qing, qui prétendait qu'elle provenait de l'ancien Gardien... Il semblait donc qu'il s'agissait d'un trésor de son ancienne vie, ou de l'ancienne vie de son ancienne vie, remontant à on ne savait combien de temps. Il s'agissait d'une petite coupe en jade sur laquelle étaient gravés des motifs de fleurs de lune, aussi complexes qu'enchanteurs. On disait que cette coupe pouvait préserver la lumière de la lune ; pour la culture des métamorphes de fleurs, c'était un objet inestimable.

Zhao Yunlan avait l'intention de l'échanger contre le miel des mille fleurs. Il n'aurait jamais pensé qu'elle lui donnerait le miel sans contrepartie, comme une offrande à une divinité.

L'attitude de la tribu des fleurs à son égard, si différente de celle des corbeaux noirs qui l'avaient attaqué, fit réfléchir Zhao Yunlan aux implications possibles. Il y pensa, se retourna pour demander à Shen Wei de partir, et se heurta par inadvertance au coin d'une table en pierre.

Shen Wei s'accrocha à sa taille, l'enlaça et bloqua les regards furtifs de plusieurs métamorphes qui s'approchaient d'eux avec curiosité. Il dit à Oncle Quatre :

— Nous avons ce que nous sommes venus chercher. Puisqu'il s'agit du dîner des tribus, nous, les étrangers, allons nous occuper de nous-mêmes. Nous ne voudrions vraiment pas vous déranger.

Oncle Quatre perçu ses gestes possessifs et dit avec dignité :

— On a déjà dressé les tables pour vous, vous êtes nos invités d'honneur. Veuillez rester pour quelques verres avant de partir, ça ne vous dérange pas ?

Shen Wei fronça les sourcils.

Oncle Quatre dit :

— L'année prochaine, c'est l'année de notre tribu... l'année du serpent. Je vais organiser les activités de ce soir, veuillez m'excuser.

Avant que Shen Wei ne puisse refuser, il monta sur la petite plate-forme, sa longue queue de serpent traînant derrière lui et ses longues manches balayant presque le sol. La musique reprit, mais il ne s'agissait plus d'un duo inquiétant ; cette fois, ils jouaient des chants rituels des temps anciens.

De loin, une voix féminine lumineuse chanta :

— Vies du ciel et de la terre, nées du mont Buzhou.

Tous les métamorphes se turent solennellement. Oncle Quatre arrangea ses manches, baissa le regard et s'inclina respectueusement. Il commença à parler d'une voix grave et résonnante :

— L'ancien se fane, le nouveau approche. C'est la fin de l'année ; toutes les tribus s'inclinent devant les Trois Grands. Inclinez-vous devant le Dieu primordial des montagnes. Inclinez-vous devant nos grands ancêtres...

Les métamorphes se levèrent tous et s'inclinèrent silencieusement vers le nord-ouest.

La voix féminine continuait à psalmodier sur des tons allongés.

— Terres des temps primitifs, collines aux formes indissociables. Des pics au milieu des nuages, des piliers dans les cieux. Fils du Dieu du feu, roi de toutes les mers. Touchez les dragons, les étoiles changeront le temps...

Zhao Yunlan haussa les sourcils d'étonnement et chuchota à Shen Wei :

— De qui parle-t-elle ? On dirait Gonggong, le dieu de l'eau.

Shen Wei fronçait toujours les sourcils, et son visage s'assombrissait de minute en minute. Il entendit sa question et hocha la tête.

— Euh, oui, c'est lui.

Zhao Yunlan poursuivit :

— C'est le moment où Gonggong a renversé le mont Buzhou ?

Shen Wei confirma brièvement une fois de plus.

Zhao Yunlan demanda à nouveau :

— Mais Gonggong n'est-il pas le Dieu de l'eau ? Qui est ce Dieu primordial des montagnes ? Le dieu de la montagne du mont Buzhou ?

Cette fois, Shen Wei resta silencieux un moment, puis répondit vaguement :

— Euh... peut-être ? Je ne suis pas très sûr de ce qui s'est passé à l'époque.

Zhao Yunlan sembla avoir perçu quelque chose dans le ton de sa voix, et il cessa de poser des questions. Le doigt sur la paume, il tapota le rythme de la chanson.

La chanson du métamorphe était longue, racontant la bataille entre Zhuanxu et Gonggong, et comment Gonggong avait fait s'effondrer le mont Buzhou de rage.

La légende disait qu'à cause de l'inconsidération de Gonggong, le monde commença à avoir l'ordre du soleil se levant à l'est et se couchant à l'ouest. Cette histoire semblait être étroitement liée à l'apparition des tribus de métamorphes, mais les paroles ne le disent pas explicitement.

De nombreux récits historiques étaient incomplets, et tout ce que l'on pouvait déduire des bribes d'information, c'est qu'il y avait plus que ce que l'on voyait. Sans compter qu'ils remontaient à la nuit des temps, racontant des légendes et des mythes de dieux loin d'être exacts. Zhao Yunlan savait qu'il ne devrait pas s'embarrasser de ces paroles ancestrales, mais il ne pouvait pas s'en empêcher. C'est comme si une voix dans son cœur lui disait que ces histoires, qui semblaient insignifiantes et sans intérêt, avaient en fait une signification profonde.

Il n'était pas courant que les divinités primitives aient deux fonctions en même temps. Si Gonggong était déjà le Dieu de l'eau, il ne pouvait pas être le Dieu primordial des montagnes que les tribus de métamorphes vénéraient juste après les Trois Grands.

Quel chef de quel village de montagne était entré dans l'histoire en tant que figure divine ?

Les doigts de Zhao Yunlan se crispèrent. Il se souvint soudain de ce qu'avait dit le métamorphe corbeau. Un mot émergea dans son esprit... Kunlun.

Après un long moment, les tribus terminèrent leur culte. De belles femmes métamorphes se précipitèrent, versant le thé, le vin et les plats. Le dîner de réunion des tribus avait officiellement commencé.

Shen Wei se servit de l'excuse de la conduite pour refuser le vin. Il regarda Zhao Yunlan boire une coupe avant d'insister :

— Nous devrions partir.

Zhao Yunlan acquiesça et s'apprêta à se lever.

Il entendit alors une agitation dans la foule des métamorphes.

Zhao Yunlan écouta attentivement.

— Qu'est-ce qui ne va pas ?

Shen Wei regarda l'estrade surélevée.

— Le serpent a poussé un demi-métamorphe sur scène. La chose suinte de la fumée noire et empeste le sang. Il a probablement fait beaucoup de choses horribles. Pour éviter que les Cieux ne punissent les métamorphes innocents, ils vont l'exécuter. C'est une vieille tradition.

Si Guo Changcheng était là, il reconnaîtrait qu'il s'agit du même homme qu'il avait failli écraser auparavant.

Zhao Yunlan écouta, mais se rendit vite compte qu'il s'agissait d'une affaire interne aux tribus, et se désintéressa donc de la question. Pendant que Oncle Quatre récitait les nombreux chefs d'accusation, Zhao Yunlan demanda à Shen Wei de lui tenir le bras et de l'aider à marcher vers l'extérieur.

Alors qu'ils s'apprêtaient à partir, Oncle Quatre a fini de lire les chefs d'accusation. Il annonça :

— Le demi-métamorphe de la tribu des corbeaux s'est écarté de la voie de la droiture. Il a fait du mal à de nombreuses personnes et a enfreint les lois du ciel. C'est une honte pour notre espèce. Je vais maintenant nous débarrasser des hors-la-loi et faire régner la justice dans les cieux...

Les mots "tribu des corbeaux" arrêtèrent Zhao Yunlan et Shen Wei au milieu de leur marche.

Simultanément, une voix interrompit Oncle Quatre.

— Attendez !

La voix était incroyablement grossière, avec un soupçon de mauvais présage indicible.

Shen Wei poussa Zhao Yunlan derrière lui, et son regard lança des éclats de glace. À l'entrée du Marché des Tribus se tenait une rangée de silhouettes noires et hideuses, toutes dotées d'ailes et couvertes de plumes noires.

C'était la tribu des corbeaux.

Notes
1/ Guqin :  instrument de musique traditionnel chinois à cordes pincées de la famille des cithares
Xiao : est une flûte chinoise en bambou à encoche

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Néphély
Mar 23 Juil 2024 - 18:52



Chapitre 63
Acte 3 : Pinceau d'Encre de Vertu
Zhao Yunlan saisit Shen Wei par le poignet. Bien qu'il soit aveugle, il pouvait encore sentir la malveillance émanant des intrus, si glaciale qu'elle le transperçait jusqu'à la moelle des os.

Il entendit la voix de Shen Wei, qui n'était plus aussi douce que d'habitude, mais profonde et indescriptiblement horrifiante.

— Comment les corbeaux osent-ils te faire du mal ? Ces créatures ingrates ! Je vais les tailler en pièces et anéantir leur espèce !

Les derniers mots débordaient d'une soif de sang. Zhao Yunlan n'hésita pas à le retenir, mais Shen Wei se dégagea instinctivement de son étreinte.

À cet instant, pour une raison inconnue, quelque chose surgit dans l'esprit de Zhao Yunlan, et sans réfléchir, il dit :

— Xiao Wei !

Shen Wei se figea. Après une longue pause, il demanda d'une voix tremblante :

— Qu'est-ce... comment viens-tu de m'appeler ?

— Chut, écoute-moi, ne bouge pas.

Zhao Yunlan ferma les yeux, et ouvrit son troisième œil, qui était un peu flou sous l'influence du Marché des Tribus. Il tira Shen Wei en arrière et tous deux se cachèrent dans la foule des métamorphes.

Shen Wei était complètement déstabilisé. Il n'avait pas contrôlé ses paroles, et Zhao Yunlan avait immédiatement saisi le moindre indice... Que voulait-il dire par 'ingrates' ? Shen Wei et la Tribu des Corbeaux... non, Shen Wei et tous les métamorphes, quel était leur lien ?

Zhao Yunlan se souvint de quelque chose qu'il avait entendu il y a très longtemps : Les corbeaux prédisent les calamités.

Que prédisait la tribu des corbeaux ?

Depuis la scène, Oncle Quatre fit un signe de tête en direction des corbeaux avec réserve, et dit calmement, son ton ne changeant pas du tout :

— Et moi qui pensais que les corbeaux ne viendraient pas cette année.

Le chef de la tribu des corbeaux était une femme, mais dans cette tribu, à part les demi-mutants, tous les membres étaient de petite taille, avec de gros nez et des visages ridés. On ne pouvait pas dire s'ils étaient jeunes ou vieux, beaux ou laids.

Ses yeux étaient bridés et il était difficile de savoir si elle regardait impassiblement Zhao Yunlan ou si elle jetait simplement un coup d'œil dans sa direction en général. Ses yeux sombres brillaient d'une lueur discrète. Puis elle frappa le sol du bout de son sceptre et, en levant la main, le métamorphe ligoté fut instantanément libéré de ses liens. La doyenne des corbeaux baissa la voix.

— Enfant, viens ici.

Oncle Quatre cacha ses mains à l'intérieur de ses manches et ignora cette manœuvre, sans avoir l'intention de l'arrêter. Des murmures s'élevèrent de tous les coins du marché des tribus.

Le métamorphe avança en trébuchant, et juste avant qu'il n'atteigne le bout de la plate-forme, Oncle Quatre dit :

— Si l'aîné veut prendre l'un des siens, je n'ai rien à dire. Mais est-ce que cela signifie que la tribu des corbeaux souhaite quitter les autres tribus et rester isolée ?

L'ancienne de la tribu des corbeaux dit d'une voix rude :

— Oui !

Ce mot fut accueilli par un silence complet. Les métamorphes regardèrent autour d'eux, confus ; Yingchun sortit la tête des fleurs et jeta un coup d'œil impuissant autour d'elle.

Oncle Quatre la regardait d'un air impassible.

— Les corbeaux peuvent manger toutes les charognes qu'ils veulent et être aussi proches de la mort que possible. Pourtant, vous êtes toujours des métamorphes, pas des messagers du Monde souterrain, ni des immortels. Les paroles sont sorties de votre bouche, aînée, et il n'y aura pas de retour en arrière, réfléchissez bien.

La doyenne des corbeaux éclata soudain d'un rire tonitruant. Sa voix était rauque et grasse ; on ne pouvait pas dire si elle était contente ou agitée, mais il y avait une forte sensation d'indignation ancestrale et de moquerie. Elle dit avec dignité, en prononçant distinctement chaque mot :

— Si vous ne m'avez pas entendue la première fois, je vais le répéter... Nous, la tribu des Corbeaux, ne ferons plus partie des tribus. Nous formerons notre propre clan et nous ne reviendrons jamais en arrière. Si nous revenons sur ce serment, que la Foudre Céleste nous frappe pour nous punir !

Elle fit un geste de la main et les corbeaux noirs disparurent aussi vite qu'ils étaient apparus.

En quelques instants, comme le tonnerre et la foudre, tout avait été décidé. Les autres métamorphes n'avaient même pas eu le temps de réagir à ce qui venait de se passer.

Les murmures et les chuchotements se transformèrent en une agitation frénétique. Personne ne savait quoi penser de tout cela.

Oncle Quatre fit un signe de la main, et le petit singe à côté de lui commença à frapper ses gongs pour rappeler la foule à l'ordre. Au milieu du chaos, Zhao Yunlan entraînant Shen Wei, tous deux se dirigèrent rapidement vers la route pavée qui menait à la porte, où un gigantesque nuage de brouillard s'était formé.

Au-delà du brouillard, on apercevait les rues éclairées aux néons de la Cité du Dragon. Cette nuit-là, tout était flou.

Une bande de corbeaux noirs se posa sur la pagode géante de la rue des antiquaires. Un taxi passant rapidement, le chauffeur bavard dit à son passager :

— Regardez, monsieur, même les corbeaux fêtent le Nouvel An !

Un chat noir sortit silencieusement d'un coin, ses pattes foulant le sol avec légèreté, et monta agilement sur un mur. Des dizaines de corbeaux se tournèrent simultanément vers lui ; une rangée d'yeux rouge sang brillait comme des ampoules sinistres.

Da Qing s'arrêta à une certaine distance et ne s'avança plus, montrant ainsi qu'il n'était pas une menace.

La vieille corneille s'avança dans l'ombre, où elle ne pouvait être vue, et dit impoliment d'une voix grossière :

— Tu veux quoi ?

Le chat noir resta immobile ; ses yeux émeraude brillaient d'un éclat tamisé, comme deux pierres précieuses Œil de chat, légèrement inclinées vers le haut. La paresse et l'élégance propres aux félins se manifestaient parfaitement ; pendant un instant, on en oubliait presque qu'il n'était qu'une boule de poils risible et dodue.

— J'ai une requête délicate à formuler, dit poliment Da Qing. J'aimerais demander à l'ancienne : comment la cloche que j'ai perdue il y a quelques siècles a-t-elle atterri dans votre tribu ?

L'aîné des corbeaux examina le chat et dit froidement :

— Quelle question insensée ! Notre tribu évoque les calamités, pas la prospérité ; nous sommes proches des morts, pas des vivants. Comment cela a-t-il atterri chez nous ? Par un mort, bien sûr.

Le corps de Da Qing se crispa un instant.

Un peu plus tard, le chat noir demande :

— Quand, où et comment la personne est-elle morte ?

L'aîné corbeau laissa échapper un gloussement strident.

— Un mort est un mort. Son ancienne vie n'existe plus. Une fois réincarnée, elle pourrait être un cochon ou un chien dans sa prochaine vie. Qu'est-ce que ça peut te faire de savoir où et quand ils sont morts ?

Da Qing, la tête baissée, ne dit rien pendant un long moment.

La doyenne des corbeaux regarda à nouveau le chat et, au bout d'un moment, elle dit avec impatience :

— Un pavillon à trente kilomètres du col de ShanHai. Vas-y et vois par toi-même, si tu veux. Je ne mentirais pas à ce sujet. Porter la cloche d'un mort... Je vois que tu n'as pas peur de la malchance.

Elle siffla, et tout l'immense groupe de corbeaux s'envola dans le ciel, disparaissant dans l'horizon d'un noir de jais.

Da Qing baissa la tête dans l'obscurité. Il resta un moment immobile, ressemblant soudain à un chat errant et désolé.

Puis les phares d'une voiture surgirent, et il sauta silencieusement du mur, disparaissant dans la nuit.

~~~

En un battement de cils du Dragon de la Torche, une nuit s'écoula. C'était maintenant la veille du Nouvel An.

La nuit précédant le Nouvel An, les bureaux du SIU étaient brillamment éclairés. Les humains se régalaient d'un somptueux repas et les fantômes d'encens.

Lao Wu avait enfin l'occasion de rencontrer son collègue de jour qui aimait sculpter des os ; il porta joyeusement un toast à son collègue en brandissant un bâton d'encens brûlant. Bien entendu, l'autre lui rendit la pareille en lui offrant du vin dans une tasse en porcelaine d'os. Lao Li semblait avoir une sorte de fascination morbide pour les os.

Plus tard dans la nuit, les cloches sonnèrent, annonçant la nouvelle année, et les hommes ivres et les fantômes commencèrent à devenir légèrement fous. Guo Changcheng était allongé sur la table, pleurant abondamment sans raison apparente. Après avoir cessé de pleurer, il alla s'asseoir dans un coin, tout seul. Il saisit avec précaution un morceau de tissu pour lunettes et commença à essuyer inlassablement sa carte de personnel. Il n'arrêta pas de l'essuyer jusqu'à ce qu'il roule sous la table, où il s'endormit enfin.

Chu Shuzhi, Lin Jing, Zhu Hong et Da Qing avaient organisé une partie de mahjong. Les jetons de jeu se transformaient comme par magie en petits poissons séchés lorsqu'ils étaient placés du côté du chat sur la table. Da Qing affichait une expression sévère... il n'avait pas d'autre choix que de continuer à gagner, puisqu'il avait mangé la quasi-totalité de ses jetons.

Lao Li sortit de nulle part un os géant et commença à faire du pole dance avec. Sang Zan serra Wang Zheng dans ses bras et la souleva par la taille. Wang Zheng s'esclaffa et commença à fredonner un air ancien, puis ils dansèrent la chorégraphie du peuple Hanga.

Heureusement, le numéro 4 de la Bright Avenue était fermé à double tour ; les gens normaux ne pouvaient pas y entrer.

Zhao Yunlan avait beaucoup bu ce soir, et il n'arrivait plus à se tenir droit. Ses yeux voyaient un peu, mais tout était encore très flou, comme s'il était gravement myope. Bien qu'il ne puisse pas distinguer six points de neuf points, il plissait les yeux avec insistance, approchant son visage de la table, et disait derrière Da Qing, en agitant frénétiquement les bras en l'air :

— Pong ! Pong ! Pong (1)!!!

Da Qing le repoussa d'un coup de patte.

— Pong, ta mère ! Professeur Shen, emmenez cet âne bavard... quatre bambous !

Zhu Hong dit :

— Désolé, j'ai gagné.

Zhao Yunlan frappa Da Qing sur la tête, furieux de l'infortune du chat.

— Tu vois, si tu ignores ce que disent tes aînés, c'est toi qui vas payer !

Da Qing regarda son poisson séché être emporté et transformé en frites et rugit furieusement :

— Emmenez-le !

Shen Wei s'approcha en souriant et se pencha vers Zhao Yunlan, le tirant doucement vers le haut. Qu'il s'agisse d'un homme de grande taille ou d'une boîte de laque de quelques centaines de kilos, il ramassait presque tout comme si cela ne pesait pas plus lourd qu'un mince manuscrit.

Zhu Hong baissa les yeux et évita délibérément le contact visuel.

Shen Wei s'assit sur le canapé et fit s'allonger Zhao Yunlan de manière à ce que sa tête repose sur ses genoux. Il lui massa tendrement les tempes et lui dit à voix basse :

— Ferme les yeux. Ils ne sont pas encore complètement rétablis. N'essaie pas de voir tout de suite, tu vas t'épuiser.

Zhao Yunlan ferma les yeux dans une incroyable béatitude, et marmonna :

— Verse-moi du vin chaud.

Apparemment, Shen Wei ne faisait pas attention, il ne l'entendait pas.

Zhao Yunlan ouvrit les yeux et observa Shen Wei avec sa vue trouble. Il s'aperçut que Shen Wei fixait un coin de la table, perdu dans ses pensées.

Son esprit vif comprit instantanément et il tira doucement sur le col de Shen Wei. Il murmura :

— Qu'est-ce qu'il y a, tu es nerveux à l'idée de rencontrer mes parents ?

Shen Wei revint au présent et se passa une main dans les cheveux. D'humeur calme comme à son habitude, il se contenta de dire doucement :

— Tous les parents veulent que leurs enfants aient une vie paisible, qu'ils se marient bien, qu'ils aient des enfants et qu'ils fondent une belle famille. Si tu m'emmènes là-bas de façon si insouciante, et qu'ils ne peuvent même pas profiter paisiblement du Nouvel An, n'est-ce pas un peu trop...

Zhao Yunlan attrapa sa main et ferma les yeux... Maintenant que sa vue revenait, elle interférait avec son troisième œil, et il ne pouvait plus voir la vertu des gens. Pourtant, il se souvenait encore des mots sur Shen Wei, emporté par les ténèbres comme par une marée sans fin.

Zhao Yunlan demanda avec un rare sérieux :

— Si je ne t'emmène pas, où passeras-tu le Nouvel An ?

— Que je fête le Nouvel An ou non n'a pas vraiment d'importance...

— Tu retourneras en bas ? l'interrompit Zhao Yunlan. Dans le monde souterrain ? Là où pas un seul rayon de lumière ne brille, et où seul un fantôme stupide passe de temps en temps ?

Non, c'était encore pire en bas.

Shen Wei n'avait jamais pensé du mal de ce genre de vie. Mais maintenant que Zhao Yunlan en parlait, il eut soudain l'impression d'être passé à côté de quelque chose. Le mode de vie auquel il s'était habitué lui semblait désormais impensable, voire impossible à supporter.

Mais après un long silence, Shen Wei se contenta de dire :

— Ce n'est pas grave, je peux m'en sortir.

Depuis la naissance de tous les êtres vivants aux temps primordiaux jusqu'à aujourd'hui, le monde s'était transformé d'innombrables fois ; et pourtant, il s'accrochait encore au serment qu'il avait fait à quelqu'un qui ne se souvenait plus de rien. C'était comme si toute sa vie s'était résumée à ces mots et à rien d'autre.

Zhao Yunlan ne parla plus. Il tenait la main de Shen Wei contre son cœur. Son rythme cardiaque s'accélérait un peu, probablement à cause de l'alcool. Longtemps après, alors que Shen Wei pensait presque qu'il dormait, il demanda d'une voix basse :

— Wei... pourquoi ce nom ?

— Au début, c'était 'Wei'(2), comme dans 'fantôme de la montagne', dit Shen Wei en baissant les yeux, ses iris sombres regardant à travers le sol poli, dans un passé lointain. Mais quelqu'un m'a dit : "Bien que 'fantôme de montagne' soit tout à fait approprié, c'est peut-être un peu insuffisant. Les mers et les montagnes de ce monde se rejoignent en un splendide nexus, et d'innombrables collines majestueuses s'étendent jusqu'à l'horizon et au-delà. Il m'a suggéré d'ajouter quelques traits et m'a donné un nom plus grandiose.

Zhao Yunlan se frotta le nez - le choix des mots de cette personne lui semblait étrangement familier.

— Qui était cet égocentrique ? Qui lui a donné le droit de changer le nom des autres ?

Shen Wei sourit.

— Quelqu'un que j'ai rencontré par hasard.

Ils cessèrent de bavarder, l'aube arriva et toute l'avenue fut envahie par la cacophonie des pétards qui explosaient. Les joueurs de mahjong firent du bruit. De petits fantômes s'enfoncèrent dans l'ombre pour se cacher du soleil matinal.

Le Nouvel An était si vibrant et trépidant qu'il pouvait aveugler les yeux.

Le rideau s'ouvrit sur une légère chute de neige le jour du Nouvel An dans la Cité des Dragons. La paix et le calme bénissaient les limites de la Terre ; des lanternes flamboyantes furent éteintes pour accueillir le premier lever de soleil.

Le premier souffle d'air, mêlé à la saveur de la neige opportune et à l'odeur de la poudre à canon, atteignit les narines de nombreuses personnes issues de nombreuses familles. Une autre année, une autre multitude de joies et de peines pour les vivants.

Notes :
1/ Au mahjong, un "pong" est un ensemble de trois tuiles identiques
2/ Il y a deux caractère pour écrire Wei en chinois. 嵬 wéi (élevé, imposant, rocailleux) et 巍 wēi (dominant, élevé) les deux caractères ont une montagne au sommet et un fantôme à la base.

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Néphély
Mar 23 Juil 2024 - 18:52



Chapitre 64
Acte 3 : Pinceau d'Encre de Vertu
Vers midi, le premier jour de la nouvelle année, le chaos infernal qui régnait au numéro 4 de la Bright Avenue s'était enfin calmé, les personnes en état d'ébriété attrapaient leurs manteaux et faisaient la queue à l'entrée pour attendre les taxis.

Une fois tout le monde parti, Lao Li se lava le visage, s'empara d'un matériel de nettoyage sorti de nulle part et commença à nettoyer le gigantesque désordre dans le bureau.

Da Qing se faufila à l'intérieur et, voyant la pièce dans un état de désordre total, se tint prudemment les pattes.

Lao Li sortit une serviette et essuya les chaises, avant de les aligner. Il hissa Maître Chat sur une chaise avec révérence.

— Mets-toi là où c'est propre.

— Ils t'ont encore laissé ici tout seul. Les jeunes d'aujourd'hui manquent tellement d'égards, marmonna Da Qing avec une sagacité prétentieuse.

Il sautilla prudemment sur les chaises pour s'asseoir sur le bureau.

— Il n'y a pas que moi, il y a encore quelqu'un.

Lao Li indiqua un coin, et Da Qing vit Guo Changcheng se lever à quatre pattes.

— Oh, c'est parfait. Hé, petit, viens ici, je te cherchais.

Da Qing lança un regard à Guo Changcheng lorsqu'il vit un sous-verre posé sur le bureau de Zhu Hong et le retira d'un coup de patte. En dessous, il y avait une enveloppe rouge avec quelques chèques-cadeaux à l'intérieur. Il saisit l'enveloppe rouge avec sa bouche et la lança en direction de Guo Changcheng.

— Le chef Zhao veut que tu apportes ça à ton oncle. Il a dit qu'il ne perturberait pas les vacances du directeur pour le Nouvel An, alors aide-le à transmettre ce cadeau, peut-être à acheter de nouveaux vêtements pour sa femme et ses enfants... humph, stupides humains, ce genre de mots est sûr de dégoûter un chat.

Guo Changcheng était un peu lent à réagir : il resta sur place, étourdi et à moitié conscient, avant de se souvenir de l'endroit où il se trouvait. Il ramassa prudemment l'enveloppe rouge et la rangea en souriant mollement. Il se retourna et vit Lao Li qui leur souriait, une serpillière à la main. Il retroussa immédiatement ses manches et s'avança.

— Lao Li ! Laisse-moi t'aider, laisse-moi...

Mais il trébucha sur le pied d'une chaise et tomba à plat sur le sol.

Da Qing grommela et s'assit devant l'ordinateur. Il l'alluma, utilisant maladroitement ses pattes de chat pour déplacer la souris, et ouvrit un navigateur web.

Lao Li s'en aperçu et s'approcha avec enthousiasme :

— Qu'est-ce que tu veux taper ? Je vais t'aider.

Da Qing dit négligemment :

— ShanHai...

"Hai" sortit de sa bouche, mais Da Qing changea rapidement de ton pour que cela ressemble presque à "he(1)". Da Qing se tut, fixa l'écran sans expression, puis baissa les yeux.

— Oh, je veux dire que je veux aller sur Weibo.

Zhao Yunlan avait dit qu'il partait s'occuper d'une "grosse affaire" et qu'il reviendrait le chercher plus tard. Pendant ce temps, Da Qing s'installa derrière l'ordinateur, ouvrit son compte Weibo "Maître chat n°1 dans le monde" et commença à poster des selfies par ennui.

Lao Li et Xiao Guo nettoyèrent tranquillement le chaos. Tout à l'heure, Da Qing voulait vraiment en savoir plus sur le pavillon situé à trente kilomètres du col de ShanHai.

Mais l'aîné des corbeaux avait raison. Et si Da Qing l'apprenait ? Un mort était un mort ; tous étaient issus de la poussière, et tous retourneraient à la poussière.

D'un clic, Da Qing afficha sa grosse tête de crêpe sur le web, avec la description suivante : "Le chat le plus beau du monde". En peu de temps, de nombreux amoureux des chats laissèrent des commentaires, certains louant le chat pour sa fourrure de race pure, d'autres émettant gentiment des suggestions : "OP, votre chat est peut-être trop gros. Faites attention à ce qu'il mange et n'oubliez pas de lui faire faire de l'exercice pour qu'il reste en bonne santé".

Da Qing effaça ces commentaires à la vitesse de la lumière. Il pensa avec colère : "Stupides humains."

La cloche autour du cou du chat se balançait au gré de ses mouvements, mais ne sonnait pas ; seul un rayon occasionnel de lumière dorée se reflétait sur les murs blancs comme neige.

Lao Li ne pouvait s'empêcher de se protéger les yeux de la lumière aveuglante. Il se retourna et regarda le chat noir, inhabituellement irritable, et s'apprêta à dire quelque chose. Soudain, Chu Shuzhi se précipite hors du mur. Il semblait que le premier jour de la nouvelle année soit le seul moment où il était autorisé à entrer dans la bibliothèque. Pourtant, il n'avait pas l'air d'avoir emprunté de livres ou d'avoir lu quoi que ce soit. Il arborait une expression incroyablement bizarre : à la fois moqueuse et inconsciemment misérable.

Guo Changcheng se redressa instantanément pour le saluer.

— Chu-ge !

Chu Shuzhi ne sembla pas l'entendre. Il se dirigea vers son sac, ses lèvres se retroussèrent lentement pour former ce que l'on pourrait presque décrire comme un sourire empreint de chagrin et de souffrance. Puis il sortit.

Da Qing apparu de derrière l'ordinateur et demanda d'un ton énigmatique :

— Combien d'années ?

Chu Shuzhi s'arrêta de marcher et dit presque inaudiblement :

— Exactement trois cents.

— Ah, dit Da Qing. Alors... euh, félicitations, je suppose ?

Après avoir dit cela, Chu Shuzhi sortit soudain une petite planche de bois noire de sa poche. Il ne se retourna pas, se contenta de brandir la planche et de la secouer devant le visage du chat. Peut-être était-ce l'imagination de Guo Changcheng, mais un flash d'écriture semblait apparaître sur le visage de Chu Shuzhi, juste sur ses joues, comme les mots gravés utilisés pour marquer les criminels dans les temps anciens.

Les oreilles de Da Qing se dressèrent et ses yeux s'écarquillèrent.

La main de Chu Shuzhi devint vert pâle autour de la planche de bois qu'il tenait à bout de bras. Des veines apparurent sur le dos de sa main, irradiant de férocité.

Sans un mot de plus, il se dirigea vers la sortie à pas précipités. Da Qing se tourna instantanément vers Guo Changcheng.

— Xiao Guo, appelle un taxi pour Chu Shuzhi !

Guo Changcheng réagit mollement comme d'habitude, et Da Qing continua avec plus de force :

— Il est ivre, ramène-le chez lui et assure-toi qu'il va bien avant de revenir, tu m'entends ?

Guo Changcheng sortit rapidement une serviette et s'essuya les mains, puis il sprinta dehors et aida Chu Shuzhi à porter son sac. Chu Shuzhi agissait comme s'il avait perdu son âme ; lorsque Guo Changcheng lui prit son sac, il ne montra aucune réaction.

De dos, sa silhouette était incroyablement mince. L'espace d'un instant, il semblait n'avoir plus que la peau sur les os.

~~~

Alors que Shen Wei ramenait Zhao Yunlan, ivre mort, à la maison, le doyen de l'université appela soudainement. C'était un bon à rien grassouillet qui ne connaissait que la flatterie. Apparemment, il avait besoin d'un document de toute urgence.

Shen Wei trouva cela très étrange. Avant qu'il ne puisse poser plus de questions, le doyen marmonna quelque chose d'incohérent, comme si quelqu'un lui avait mis le feu aux fesses, et raccrocha précipitamment.

Shen Wei ne pouvait faire autrement que d'emmener Zhao Yunlan, qui s'accrochait toujours à lui et refusait de le lâcher, dans son appartement minuscule, froid et rarement utilisé.

Alors qu'il entrait, le doyen le rappela avec insistance, lui demandant d'envoyer le document à la porte ouest de l'Université de la Cité du Dragon.

Shen Wei déposa Zhao Yunlan sur le canapé. Ce dernier se redressa et ouvrit légèrement les yeux, à moitié réveillé.

— C'est le premier jour du Nouvel An, est-ce que ce gros type a perdu la tête ?

Shen Wei chercha ses affaires, tout en évitant que la tête de Zhao Yunlan ne se cogne contre la table basse. Il lui mit un oreiller sous la tête.

— Je dois y aller, je reviens bientôt, tu...

— J'ai besoin de dormir.

La voix de Zhao Yunlan sombra, tout comme ses paupières.

Shen Wei demanda :

— Tu veux de l'eau ?

— Non.. dit Zhao Yunlan en détournant la tête sur le côté et lui donnant un léger coup sur la main. Pas d'eau.

Ses yeux brillaient d'une lumière trouble, ses lèvres cerise étaient douces et fines. Ses longs sourcils s'arrondissaient, presque cachés sous ses cheveux. Sa tête était légèrement inclinée, prolongeant son cou, et son menton était marqué d'un contour particulier. La chemise dont les boutons supérieurs étaient défaits révélait son cou fin et long, d'une manière à la fois décontractée et charismatique.

Shen Wei eut le souffle coupé et balaya soigneusement sa frange. Il le recouvrit d'une couverture, son pouce s'attardant tendrement sur les lèvres de Zhao Yunlan, qu'il caressa affectueusement. Il se pencha en avant pour l'embrasser sur le front, puis il prit les documents destinés au doyen, ses clés de voiture et sortit.

Un instant plus tard, Zhao Yunlan entendit la porte se refermer.

Il se leva instantanément comme un zombie, alors qu'il était encore ivre et désorienté il y a quelques instants. Il sortit son téléphone et envoya un message : "Retenez-le plus longtemps", puis il téléphona à l'entreprise de déménagement qu'il avait contactée auparavant.

Le jeune homme de l'entreprise de déménagement n'avait jamais reçu un ordre aussi ridicule. Il hésitait.

— Alors... si le propriétaire n'est pas là, on devrait...

— Il n'y a pas de 'devrait', je veux que tout soit déménagé aujourd'hui, dit Zhao Yunlan d'un ton autoritaire. Tôt ou tard, j'ajouterai son nom à mon registre des ménages, vous pensez que je vais écrire deux adresses dans le même livret ? Je suis furieux à chaque fois que je vois tous ses articles jetables. Ramenez votre cul ici dans cinq minutes, vous m'entendez ?

Zhao Yunlan raccrocha et sortit une grosse pile de notes de son sac. Il commença à dresser rapidement une liste de ce qu'il fallait déplacer et de ce qu'il fallait jeter et racheter plus tard.

Soudain, la pointe du stylo de Zhao Yunlan s'arrêta et une pensée extrêmement lubrique germa dans son esprit... Il se mit à réfléchir de manière absurde : où pouvaient bien se trouver les sous-vêtements de Shen Wei ? Surtout ceux qu'il avait portés... Bien que Shen Wei ait récemment été contraint de rester dans le minuscule appartement de Zhao Yunlan, à moitié à contrecœur, il avait réussi à garder ses bonnes manières en matière d'affaires de cœur, même dans cet espace exigu.

En outre, Zhao Yunlan était aveugle depuis plus de quinze jours. Bien qu'il n'ait jamais cessé d'essayer de réaliser ses complots pervers, il avait malheureusement été limité par les restrictions de ses capacités physiques. Il avait vécu sous le même toit que l'homme qu'il aimait tous les jours, et pourtant, il ne pouvait ni voir ni manger, seulement imaginer... Peu à peu, il s'était mis à vivre comme un moine.

— Je n'ai vraiment pas d'autre choix, vois-tu.

Zhao Yunlan se frotta les mains en ricanant et sortit sur le balcon. Cela faisait vraiment longtemps que Shen Wei n'avait pas séjourné ici ; les cintres étaient toujours sur le balcon, mais rien n'y était accroché. Zhao Yunlan n'abandonna pas et ouvrit la grande armoire du salon. Il n'y trouva que quelques chemises, pantalons et manteaux, et quelques paires de chaussures qui se ressemblaient ; il n'y avait même pas une paire de chaussettes.

La vue de Zhao Yunlan n'était pas encore rétablie, et il ne vit pas la petite boîte recouverte d'un long trench-coat. Il ajouta "vêtements" à la fois à la liste "déplacer" et à la liste "acheter". Ne voulant pas abandonner, il en vint à contempler la porte éternellement fermée de la chambre de Shen Wei, qui semblait contenir une dimension d'un autre monde.

La porte n'avait ni poignée, ni serrure apparente. Zhao Yunlan saisit une petite torche et la passa dans l'entrebâillement de la porte. Il ne trouva ni pivot, ni serrure cachée.

Il trouvait cela étrangement suspect. Lorsqu'il posa ses paumes sur la porte, son troisième œil perçut des marques subtiles ; la porte noire semblait contenir une sorte d'énergie fluide en mouvement. Elle s'écoulait de façon régulière, tout à fait calme et sereine, chaque brin s'emboîtant parfaitement, tous imbriqués de façon impeccable.

Zhao Yunlan garda les mains sur la porte pendant un moment, quand tout à coup, elle lui sembla familière. Bientôt, il se souvint.

— Un verrou Kunlun ?

Ces derniers jours, derrière le dos de tout le monde, il avait demandé à Sang Zan de l'aider à faire des recherches sur Kunlun. Mais à part le fait qu'il s'agissait d'une montagne vraiment impressionnante et très ancienne, et qu'il y avait quelques techniques étranges nommées d'après Kunlun, il n'avait pas réussi à trouver quoi que ce soit d'utile.

C'était en parcourant des livres avec son troisième œil qu'il était tombé par hasard sur une description du verrou Kunlun.

On disait que le verrou Kunlun était rond en haut et carré en bas, symbolisant les quatre piliers de la terre sous un ciel incurvé. Il y avait quatorze goupilles au milieu, représentant les huit points cardinaux et les six coordonnées de direction (2). À l'époque, le système des soixante-quatre hexagrammes (3) n'avait pas encore été développé. Le verrou Kunlun n'était basé que sur le Yin et le Yang, et n'était donc pas aussi compliqué que les structures de verrou qui suivirent. Pourtant, à un certain niveau, elle était en fait plus excentrique et capricieuse, et difficile à comprendre.

Qu'est-ce qu'un verrou Kunlun devait protéger ?

Non... quelle était la relation entre le Tueur de fantômes et le Kunlun ? Pourquoi Shen Wei connaissait-il cet ancien sceau ?

Zhao Yunlan resta un moment devant la porte, l'esprit rempli d'incertitude. Puis il rassembla de l'énergie spirituelle dans sa paume et tenta de déplacer le verrou Kunlun. Le verrou s'activa instantanément, et les quatorze goupilles commencèrent à bouger les unes après les autres selon l'ordre du Yin et du Yang. Il était difficile de suivre le mouvement constant. Les connaissances de Zhao Yunlan étaient vastes : il avait une compréhension générale de beaucoup de choses, mais pas au point d'être un expert. Il était téméraire et son imagination était parfois débordante, c'est pourquoi il était loin d'être aussi compétent que Chu Shuzhi pour s'occuper de structures aussi complexes.

Cependant, maintenant que Zhao Yunlan était confronté au verrou Kunlun, pour une raison inconnue, un sentiment de familiarité s'était emparé de lui. Il percevait chaque changement et chaque mouvement, et la serrure mouvante semblait être synchronisée avec un rythme particulier prêt à surgir du fond de son cœur.

Les doigts de Zhao Yunlan coururent rapidement sur la porte, comme si quelqu'un les guidait.

Porte du ciel, joint de la terre, carré rond, le long de trente-six colonnes, jusqu'à ce que...

Kachunk !

La porte noire ouvrit lentement une petite ouverture. Il n'y avait pas un seul rayon de lumière à l'intérieur. Zhao Yunlan se tint sur le seuil, soudain hésitant.

Pour une raison ou une autre, il regrettait d'avoir ouvert cette porte.

Mais après un moment d'hésitation, il sortit une torche miniature de son trousseau de clés et entra prudemment dans la pièce.

Les murs étaient recouverts de quelque chose, et Zhao Yunlan se mit à plisser les yeux dans la faible luminosité lorsqu'il fut soudain pétrifié.

Chaque mur était recouvert d'images, certaines grandes, d'autres petites, certaines en colère, d'autres en train de rire, toutes étaient... La main de Zhao Yunlan trembla et la torche faillit tomber au sol. Le reste de son ivresse s'estompa rapidement.

Au bout d'un moment, la lumière de la torche se dirigea lentement vers une peinture ancienne sur le mur ouest. Elle était gigantesque, occupant presque tout le mur, et faite d'un matériau inconnu : aussi léger et délicat que des ailes de cigale, et aussi lisse et clair que la neige. C'est le portrait d'un homme.

L'homme était peint avec des yeux et des sourcils fins et détaillés ; sa présence était presque vivante, avec de longs cheveux tombant jusqu'au sol, et il portait une longue robe turquoise très simple. Sa tête était légèrement penchée, et il semblait arborer un léger sourire... Zhao Yunlan avait l'impression de se regarder dans un miroir.

Sur le côté du tableau, il y avait une ligne de petits mots. Ils n'étaient pas écrits en chinois simplifié ou traditionnel, en fait, ils n'étaient pas écrits dans une écriture qui lui était familière. Bien qu'il n'avait jamais vu ces caractères auparavant, pour une raison quelconque, il en comprit immédiatement la signification :

À l'ombre des bois, j'ai vu Kunlun-jun pour la première fois ;
un aperçu de sa grâce a semé le chaos dans le chant de mon cœur.
Wei


Dix minutes plus tard, le jeune homme de l'entreprise de déménagement arriva et frappa à la porte. Un homme étrange sortit de l'appartement.

Il n'expliqua rien du tout. Tout ce qu'il dit, c'était qu'il n'était pas nécessaire de déménager quoi que ce soit. Il sortit son portefeuille et leur paya la totalité des frais de déménagement, en s'excusant de les avoir dérangés pour rien.

Notes :
1/ 和 (he) signifie "et", la combinaison de "shan" et "he" n'a donc pas de signification particulière.
2/ nord, sud, est, ouest, haut, bas = au sens figuré "l'univers, le tout".
3/ Le Livre des mutations (Yi jing) est un corpus de divination de la Chine antique. La base de son système divinatoire repose sur les célèbres huit trigrammes (bagua), chacun étant composé d'une combinaison de trois lignes superposées soit pleines, soit brisées. La combinaison de deux trigrammes donne des hexagrammes dont les possibilités combinatoires donnent soixante-quatre variantes.

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Mar 23 Juil 2024 - 18:52



Chapitre 65
Acte 3 : Pinceau d'Encre de Vertu
Lorsque Shen Wei rencontra le doyen, il comprit immédiatement que quelqu'un l'avait intentionnellement éloigné. Son expression s'assombrit. Lorsque le doyen se détourna de lui, Shen Wei lui donna une tape énergique sur l'épaule et lui demanda froidement :

— Qui vous a dit de m'appeler ?

La force de sa voix intimida instantanément le doyen, pesant sur lui jusqu'à ce qu'il soit incapable de bouger. Son regard se perdit et il fixa le vide devant lui, désorienté, comme une coquille sans âme.

Shen Wei resserra son emprise, fit tourner le doyen et s'écria :

— Dites-moi !

Personne ne pouvait délibérément mentir devant le Tueur de Fantômes, qui jugeait tout le bien et tout le mal. Pourtant, l'expression du doyen devenait de plus en plus confuse, et il ne pouvait pas dire un mot. Le cœur de Shen Wei se serra ; il savait que la mémoire de cet homme avait été perturbée.

Shen Wei le lâcha et s'en alla sans se retourner.

Le doyen reprit ses esprits et regarda avec étonnement le professeur Shen s'en aller précipitamment. Heureusement, Shen Wei n'avait pas pensé à vérifier les appareils électroniques ; Shen Wei n'utilise jamais ce genre de choses, et il n'y penserait jamais en fin de compte... sans compter que quiconque oserait s'opposer à lui n'utiliserait pas ces gadgets humains de toute façon.

Bien sûr, avec son esprit de gentleman, il n'aurait jamais imaginé que quelqu'un se donnerait tant de mal et mettrait au point un plan méticuleux juste pour déplacer ses affaires et voler quelques sous-vêtements.

Shen Wei se dépêcha de retourner à son appartement et fit irruption à l'intérieur. Le salon était vide. Son cœur se figea presque.

Il resta figé devant la porte et, soudain, le besoin de tuer ressurgit en lui, comme un énorme dragon endormi depuis une éternité qui se réveillait soudain lorsque quelqu'un frottait ses écailles dans le mauvais sens. Shen Wei avait l'air d'aller bien en apparence, mais depuis que son imprudence avait causé la blessure à l'œil de Zhao Yunlan, il était à bout de nerfs, et sa tension dangereusement haute.

Le salon vide le fit presque craquer, mais heureusement, c'est à ce moment-là qu'il entendit une voix venant du balcon. Shen Wei retrouva la raison juste à temps, et sa silhouette disparut et réapparut instantanément sur le balcon.

Il vit Zhao Yunlan confortablement installé sur le rebord de la fenêtre, fumant paresseusement et hurlant au téléphone.

— Non, pas ceux en pierre, je sais... du marbre blanc ? C'est pas vrai ! Je ne suis pas en train de décorer un putain de palais. Ne sois pas comme ça, Lao Wu, ne me raconte pas n'importe quoi... non, non, non, tu m'écoutes, tu fais bien ton travail, et je te donne une prime supplémentaire. Je ne te donnerai pas un centime de moins que ce que tu mérites, d'accord ? Mais je te le dis, si tu me cherches, tu seras dans la merde...

Shen Wei poussa un soupir de soulagement, se stabilisant contre la porte du balcon. Il se rendit compte qu'il était trempé de sueur froide, et que même ses paumes étaient glacées.

Lorsque Zhao Yunlan entendit le bruit, il se retourna et sourit. Il dit à l'autre bout du fil :

— D'accord, d'accord, ne nous disputons pas pour des choses sans importance, je veux des matériaux respectueux de l'environnement, d'accord ? ...qu'est-ce que tu veux dire par 'Copenhague' ? Il faut que j'y vive, mais ne m'impose rien qui soit imprégné de produits chimiques de qualité industrielle, sinon l'odeur ne disparaîtra pas avant des siècles. Oh, ma femme vient de rentrer, je ne peux pas continuer à bavarder avec toi, bye bye.

Il raccrocha, éteignit sa cigarette et s'appuya contre le chambranle de la fenêtre, au milieu du vent glacial. Il ouvrit les bras avec sa chemise débraillée et dit d'un air entendu :

— Bébé, viens ici et serre ton mari dans tes bras.

Il avait pris l'habitude de taquiner Shen Wei, mais cette fois-ci, celui-ci s'avança vraiment et le serra dans ses bras, enfouissant son visage dans son épaule. Puis il attrapa Zhao Yunlan par la taille, le souleva du rebord et ferma la fenêtre. Il toucha les mains glacées de Zhao Yunlan et fronça les sourcils.

— Es-tu un enfant stupide ? Tu ne te rends pas compte qu'il fait froid ?

Zhao Yunlan, l'enfant stupide, posa ses mains sur le rebord de la fenêtre et coinça Shen Wei entre ses bras. Il s'étira mollement et posa paresseusement son menton sur l'épaule de Shen Wei. Il ferma les yeux avec un sourire tranquille, comme un chat qui prend un bain de soleil avec le ventre plein.

Shen Wei trouva son comportement un peu étrange.

— Qu'est-ce qui ne va pas ?

Zhao Yunlan mit un moment à répondre :

— Rien.

Puis il ouvrit les yeux, regarda le profil de Shen Wei de près, et dit sans changer d'expression :

— Il est rare que la grande beauté montre son affection. Je suis bouleversé par cette agréable surprise. Bien sûr, si tu me laisses devenir intime avec toi, je serai encore plus sidéré.

Profitant de l'étonnement de Shen Wei, il lui donna rapidement baisé sur les lèvres. Avant que Shen Wei ne puisse réagir, il recula rapidement et annonça :

— Je vais aller me passer un peu d'eau sur le visage, récupérer Da Qing, puis je t'emmènerai dans ma famille.

Il ne dit pas un mot sur ce qu'il avait vu.

Zhao Yunlan et Da Qing s'apprêtaient à rentrer les mains et le ventre vides, mais Shen Wei refusa catégoriquement ce plan éhonté. Il traîna Zhao Yunlan, qui bâillait, hors de la voiture pour acheter de nombreux cadeaux.



Plus ils approchaient, plus Shen Wei devenait nerveux. S'il n'était pas si gentleman pour revenir sur sa parole, il s'enfuirait.

La porte de la maison des parents de Zhao Yunlan n'était pas fermée à clé. Il ne frappa pas non plus, mais ouvrit tout de suite la porte, comme s'il savait qu'on l'attendait.

L'endroit était grand et semblait assez vide. Après l'entrée, ils entendirent le bruit des assiettes et des bols qui s'entrechoquent dans la cuisine. Deux paires de pantoufles neuves avaient été déposées près de la porte.

Da Qing rebondit sur Zhao Yunlan, se dirigea sur la pointe des pieds vers l'entrée de la cuisine et miaula poliment.

Zhao Yunlan marmonna en enfilant les pantoufles :

— Gros con sans vergogne, tu es bien trop vieux pour faire le malin.

Da Qing tourna la tête et lui lança un regard féroce.

— Oh, ne serait-ce pas Da Qing ?

La voix douce d'une femme venait de la cuisine. Elle essuya la farine sur ses mains et prit tendrement le gros chat dans ses bras. Le poids du chat lui brisa presque les poignets. Elle soupira.

— Regarde ton petit visage lisse, pourquoi es-tu de plus en plus gros ?

Une attaque impitoyable sur la plus grande faiblesse de Da Qing. Il ne réagit pas. Ses grosses pattes reposaient mollement sur la main de la femme et il gardait son expression mignonne, tandis que son corps ressemblait de plus en plus à une longue et grosse chenille noire.

Zhao Yunlan rit.

Shen Wei ne put s'empêcher de sourire, mais il ne pouvait pas vraiment se résoudre à rire.

La mère de Zhao Yunlan avait bien vieilli. Ses longs cheveux étaient attachés, révélant un cou fin. Elle ne ressemblait pas beaucoup à Zhao Yunlan ; en y regardant de plus près, il y avait peut-être une certaine ressemblance au niveau des yeux et des sourcils. Mais la forme de son visage était beaucoup plus douce et jolie, avec un soupçon de sourire même lorsqu'elle ne souriait pas vraiment. Elle portait une paire de lunettes sans monture.

Au premier coup d'œil, elle avait l'apparence d'une femme de la haute société, bien éduquée et élégante ; peut-être qu'en matière de goût pour un partenaire romantique, tel père, tel fils, c'était la même chose.

Mais qui aurait cru que dès que cette "dame" aperçu Zhao Yunlan à la porte, son regard changea instantanément. Avec une expression de sorcière, elle dit :

— Qu'est-ce qui te fait rigoler, on dirait que tu vas éclater de rire. Ramène ton cul par ici !

Zhao Yunlan s'empressa d'obéir, et sa mère vit Shen Wei derrière lui.

Elle se figea un instant. Elle se tourna pour se laver les mains, ajusta ses lunettes, et dit d'un air doux et accueillant :

— Oh, ce doit être Xiao Shen ?

Zhao Yunlan passe son bras autour de l'épaule de Shen Wei et le poussa vers sa mère.

— Ta future belle-fille. Jolie, n'est-ce pas ?

Shen Wei resta muet d'embarras. Il n'avait jamais autant détesté Zhao Yunlan pour son manque de respect.

Heureusement, la mère de Zhao Yunlan ne le prit pas au sérieux. Elle lui jeta un regard noir, puis remarqua les objets que Shen Wei transportait.

— Oh, tu n'avais pas besoin d'apporter des cadeaux quand tu dînes chez ta tante, pourquoi cette formalité ?

Zhao Yunlan se montre le nez.

— Moi ! C'est moi ! J'ai acheté tout ça.

La mère de Zhao Yunlan prit un rouleau à pâtisserie et le frappa à plusieurs reprises.

— Pas la peine de me raconter des salades. C'est toi qui l'as acheté ? Si tu as un jour la décence de le faire, j'en serai heureuse. Va verser de l'eau à notre invité, puis aide-moi à faire les wontons !

Le dos de Zhao Yunlan était taché de farine à cause du rouleau à pâtisserie, mais il n'osait pas s'énerver.

— Bien reçu.

Shen Wei s'assit prudemment dans un coin du canapé. Lorsqu'on lui donnait des fruits, il grignotait à contrecœur un minuscule morceau de pomme. Quand on lui donnait de l'eau, il se redressait et buvait une toute petite gorgée.

Lorsque la mère de Zhao Yunlan apprit que Shen Wei enseignait le chinois à l'université, elle s'exclama avec passion, comme si elle retrouvait un ami perdu de vue :

— Oh, c'est génial ! Ce serait bien d'avoir un fils comme toi. Les hommes de notre famille... eh bien, je ne veux rien dire à leur sujet. Assieds-toi ici et attends, tatie va te préparer des wontons, puis nous pourrons parler plus longuement.

Shen Wei sourit avec raideur. Son dos était droit et crispé, comme un arc bien tendu.

Cinq minutes plus tard, Zhao Yunlan s'était montré peu utile dans la cuisine ; les wontons sont irréguliers et hideux. Il fut puni par de nouveaux coups de rouleau à pâtisserie. Zhao Yunlan haussa les épaules, esquivant à moitié les coups de la femme, mais en réalité, il ne les esquivait pas du tout - laissant la femme le frapper d'un côté, il lui murmura de l'autre :

— Ne me fais pas perdre la face devant lui.

La mère de Zhao Yunlan dit :

— Tu ne fais que manger ! Tu ne travailles jamais et tu ne rentres même plus à la maison, pourquoi je t'ai élevé ? As-tu au moins un visage à perdre ?

Tout sourire, Zhao Yunlan se mit hors de sa portée, mais ne quitta pas la cuisine. Appuyant sa main contre le mur, il surveilla ses arrières pendant qu'elle s'affairait aux fourneaux. Il regarda autour de lui et demanda soudain d'un air narquois :

— Où est tatie ? Et papa ? Pourquoi notre belle demoiselle est-elle seule à la maison ?

— Ta tante est rentrée chez elle pour le Nouvel An. Ton père doit organiser une fête, il ne reviendra pas ce soir.

— Très bien.

Zhao Yunlan était soulagé. Il observa sa mère par derrière et baissa prudemment la voix.

— Si papa l'apprend... il me tuera à coup sûr.

La mère de Zhao Yunlan se retourna.

— Qu'est-ce que tu as fait maintenant ?

— Actuellement, rien…

Le regard de Zhao Yunlan se posa sur un porte-baguettes. Sa vue n'était pas encore complètement rétablie et il ne pouvait pas s'empêcher de plisser les yeux. Il jeta ensuite un coup d'œil en direction de sa mère.

— Alors... hum, maman, que penses-tu de l'homosexualité ?

La mère de Zhao Yunlan ne sembla pas comprendre.

— Pas grand-chose. C'est un phénomène social normal, qui existe même chez les animaux. Tôt ou tard, la loi le reconnaîtra. Pourquoi poses-tu cette question ? Je parlais de ton problème.

— C'est ça mon problème, dit Zhao Yunlan en se frottant le nez. Ne sois pas si académique avec moi. Je veux juste savoir, si un jour ton fils te faisait son coming out, qu'est-ce que tu ferais ?

— Ne change pas de sujet, je...

— Maman, l'interrompt Zhao Yunlan.

Son regard errant se stabilisa, son expression passa de la culpabilité au courage. Il lui lance un regard inhabituellement sérieux.

— Je suis sérieux, je ne plaisante pas.

Le rouleau à pâtisserie glisse de ses doigts et tomba sur le sol avec un bruit sourd.

Zhao Yunlan soupira et se pencha pour le ramasser, ses muscles toniques bien dessinés sous ses vêtements.

— J'ai peur que papa ait du mal à l'accepter, alors je voulais d'abord te le dire. J'y ai réfléchi, je ne peux plus tenir et je ne peux pas te le cacher, tu es la seule mère que j'aurai jamais...

La mère de Zhao Yunlan était encore pétrifiée. Sous le choc, elle saisit le rouleau à pâtisserie. Après un long moment, elle balbutia :

— Alors... tu l'as amené ici...

Zhao Yunlan acquiesça, les deux mains sur la porte, comme s'il la bloquait avec son corps.

— Je dois te dire que j'ai vécu beaucoup de choses au cours des six derniers mois. J'ai utilisé toutes sortes d'astuces et de tactiques : je l'ai amadoué, je l'ai acculé, je lui ai tendu une embuscade, j'ai utilisé les trente-six stratagèmes, j'ai fait ceci et cela, j'ai utilisé tous les stratagèmes auxquels j'ai pu penser. Le conquérir a été plus difficile qu'une révolution. Si tu es en colère, tue-moi, mais ne fais pas de mal à mon chéri, sinon je mourrai de chagrin d'amour.

La mère de Zhao Yunlan semblait avoir été frappée par la foudre. Elle resta immobile pendant un long moment. Puis, comme un robot redémarré, avec une expression fade, elle commença à ramasser la pâte à wonton et à y mettre des ingrédients au hasard.

Zhao Yunlan se dit qu'il avait peut-être été trop direct et qu'il avait effrayé sa mère.

— M'man ?

La mère de Zhao Yunlan n'entendit pas tout de suite. Pendant quelques minutes, sa tête fut complètement embrouillée, comme si elle ne savait pas ce qu'elle faisait ou entendait, et qu'elle continuait à travailler avec ses mains en pilote automatique.

Ce ne fut que lorsque Zhao Yunlan l'appela à plusieurs reprises qu'elle sortit de sa transe. Elle s'empressa de dire :

— Et ton travail ? Et... que vont dire les autres de toi ? Tes perspectives d'avenir en seront-elles affectées ? C'est vrai, je... Ton père m'a dit que tu avais acheté une maison, tu as encore assez d'argent ?

Zhao Yunlan était stupéfait. Il n'avait aucune idée du lien entre le fait de faire son coming out et les questions d'argent. Il semblait que sa logique était un gigantesque chaos maintenant et qu'elle construisait des phrases au hasard à partir de mots-clés et les débitait sans réfléchir.

Sa mère était bien éduquée et n'avait jamais eu à s'inquiéter des nécessités de sa vie. Son père avait toujours bien subvenu à ses besoins, elle n'avait jamais eu à s'inquiéter de quoi que ce soit, et elle avait l'esprit ouvert. Le plan de Zhao Yunlan était assez simple : s'il pouvait prendre soin de sa mère, alors son père ne serait pas un problème. Heureusement, il était facile de communiquer avec elle, qui était bien informée, d'un tempérament bien trempé, d'un esprit vif et d'un caractère facile. Elle parvenait presque toujours à faire preuve de bon sens.

Il s'attendait à plusieurs réactions possibles de sa part. Par exemple, elle n'accepterait peut-être pas tout de suite, elle serait peut-être en colère contre lui, ou bien elle proposerait calmement de discuter de cette question pendant quelques heures, ou encore, comme d'autres mères, elle commencerait à l'interroger sur les antécédents de Shen Wei... mais il ne s'attendait pas à une réaction aussi inquiète et stupéfaite.

C'était peut-être parce qu'il n'était pas parent lui-même.

Zhao Yunlan resta muet. Pendant un moment, il ne savait vraiment pas quoi dire.

Après sa crise, sa mère sembla s'être un peu calmée. Elle s'arrêta, les baguettes à la main, et demanda :

— Tu es sérieux ou c'est une blague ?

— Comment je pourrais plaisanter à ce sujet ? Si je te mettais en colère comme ça, papa me ferait cuire dans une marmite.

La mère de Zhao Yunlan s'écarta lentement. Un long moment plus tard, elle prit une profonde inspiration.

— Ne... ne le dis pas encore à ton père. Laisse-moi d'abord y réfléchir... Quel genre de personne est-il ? Que... que fait-il ?

Avant que Zhao Yunlan ne puisse répondre, elle se pinça l'arête du nez.

—  Oh, c'est vrai, je me souviens, tu m'as dit qu'il était professeur à l'Université de la Cité du Dragon.

Elle se ressaisit et enchaîna les questions :

— Où vit-il ? Les membres de sa famille sont-ils d'accord ? Comment est-il ? Est-il quelqu'un de bien ? Est-ce qu'il te traite bien ? Je... Je me souviens que tu avais des petites amies avant, pourquoi soudainement...

Zhao Yunlan dit intelligemment :

— Tant que tu es d'accord, personne dans ce monde n'osera te contredire. Papa devra être d'accord avec toi aussi, pas vrai ? Quant à savoir comment il est...

Il sourit.

— Dans mon cœur, il est 'un morceau de jade parfaitement ouvragé, unique en son genre dans ce vaste monde'. Il suffit de lui parler pour s'en rendre compte. Et frappe-moi si tu es fâchée par ce que je vais dire : oui, j'ai eu des petites amies, et je suis sorti avec quelques garçons auparavant, mais je suis prêt à être complètement gay pour lui.

Lorsque sa mère regarda son visage, son cœur se serra un peu. Ce n'était pas de l'égoïsme ; en tant que parent, voir quelqu'un tomber amoureux de son enfant était émouvant, réconfortant et délicieux, mais si c'était l'inverse, c'était un peu amer.

Au milieu de cette amertume, elle dit d'un ton un peu hargneux :

— Je ne te crois pas.

Le visage de Zhao Yunlan resta calme, mais son cœur battait la chamade d'anxiété.

De façon inattendue, elle poursuivit :

— S'il est vraiment aussi bon que tu le dis, alors qu'est-ce qu'il te veut ? Ses lunettes ne sont-elles pas assez bonnes ?

Zhao Yunlan trébucha et tomba presque à genoux devant elle.


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Mar 23 Juil 2024 - 18:52



Chapitre 66
Acte 3 : Pinceau d'Encre de Vertu
Après être monté dans le taxi, Chu Shuzhi se contenta de donner son adresse, puis se pencha en arrière et se reposa en silence, les yeux fermés.

Guo Changcheng ne comprenait pas ce qui se passait. Il jeta discrètement un coup d'œil pendant le trajet et découvrit que le visage de Chu Shuzhi semblait recouvert d'une couche de cendres grises ; avec les yeux fermés, son visage ressemblait aux rochers de montagne patinés par de longues années d'exposition : froid et dépourvu d'émotions.

Après avoir payé le chauffeur de taxi, Guo Changcheng se souvint des instructions de Da Qing. Il ramassa précipitamment le sac que Chu Shuzhi avait oublié et courut derrière lui à petits pas.

Chu Shuzhi vivait au fond d'une petite ruelle. Des vents violents balayaient les deux personnes. Un vent du nord-ouest soufflait dans le col de Chu Shuzhi et gonflait sa veste déjà trop grande, comme s'il était sur le point d'être emporté par le souffle.

Guo Changcheng ne put s'empêcher de l'appeler.

— Chu-ge...

Chu Shuzhi s'arrêta de marcher, se retourna et lança un regard noir à Guo Changcheng. Il dit d'une voix inhabituellement douce mais sinistre :

— Pourquoi est-ce que tu me suis encore ? Tu ne sais pas que je ne suis pas humain ?

Guo Changcheng s'arrêta à trois pas de lui et le fixa d'un regard vide.

— Alors... alors qu’est ce que tu es ?

Plus vite que l'œil ne pouvait le suivre, Chu Shuzhi était à côté de lui. Il arracha son sac à Guo Changcheng avec des doigts glacés ; son corps semblait suinter d'humidité. Une lueur indescriptible brillait dans ses yeux sombres.

— Tu as déjà vu un zombie ? Les zombies se nourrissent de chair humaine. Laisse-moi te dire quel est leur goût. La chair humaine est tendre et grasse, les tendons croquants et croustillants ; les organes sont ronds et puent le sang. Quand on les retire, ils sont fumants, comme de la viande tout droit sortie d'une marmite...

Il lança un regard malicieux à Guo Changcheng et se lécha les lèvres.

— Je suis un zombie.

Guo Changcheng frissonna intensément, mais seulement à cause des mains glacées. Il sentait qu'il aurait dû avoir peur, mais il ne la sentait pas monter en lui comme d'habitude. Peut-être avait-il travaillé trop longtemps avec Chu Shuzhi. Il se disait que, peu importe ce qu'était son Chu Shuzhi, il pouvait l'accepter.

Au lieu de cela, son cerveau lui fournit une pensée très étrange : il n'était pas étonnant que Chu Shuzhi ne mange pas de petits pois.

Chu Shuzhi pensait qu'il était terrifié et en tirait une satisfaction malveillante. Il se retourna pour partir, mais quelques mètres plus loin, il entendit des bruits de pas hésitants derrière lui. Il se retourna, et c'était encore Guo Changcheng qui le suivait.

Chu Shuzhi haussa les sourcils.

— Quoi, tu veux suivre le zombie dans son cercueil ?

Guo Changcheng resta immobile.

— Je... Je...

Chu Shuzhi soupira et se remit à marcher. Et voilà Guo Changcheng qui se précipitait à sa suite avec ses petits pas habituels.

À bout de patience, Chu Shuzhi s'écria :

— Avant que je ne m'énerve, va te faire foutre !

Guo Changcheng bégaya :

— Da... Da Qing m'a dit de m'assurer que tu rentres à la maison. Tu n'as pas...

Avant qu'il ne puisse terminer, il fut écrasé contre un mur avec une force immense. La main d'acier squelettique de Chu Shuzhi le souleva facilement par la gorge. Les pieds de Guo Changcheng ne touchèrent plus le sol, son dos était contre le mur, et le poids de tout son corps suspendu à cette seule main qui saisissait sa gorge. Il commença bientôt à suffoquer, le visage rouge.

Chu Shuzhi le regarda froidement. Ce n'était que de près que l'on pouvait voir la subtile nuance de gris dans les yeux de Chu Shuzhi. Ce n'était pas visible d'habitude, mais à la lumière directe du soleil, ils paraissent sans vie.

Les jambes de Guo Changcheng se débattirent frénétiquement dans les airs, mais en vain. Instinctivement, il saisit la main de Chu Shuzhi, mais il ne put la retirer malgré ses efforts.

— Ma conscience devant le ciel et la terre est claire. J'ai supporté ce châtiment pendant trois cents ans. Peu importe ce que j'ai fait, j'ai déjà été récompensé. Pour qui se prennent-ils, qu'est-ce qui leur donne le droit de juger si je pars ou si je reste ?

Avec une expression interdite, Chu Shuzhi prononça ces mots en serrant les dents.

— Peut-être que je devrais commettre un vrai crime pour qu'ils le voient !

Les yeux de Guo Changcheng devinrent larmoyants. C'était vraiment un pleurnichard ; tout pouvait le faire pleurer. Il était tellement faible et doux que c'était un miracle qu'il ait pu atteindre l'âge adulte. C'était comme s'il n'avait aucune force. Il regarda Chu Shuzhi, incrédule, suppliant, abattu, et pourtant, il n'était pas en colère.

Guo Changcheng remua difficilement la bouche, mais ne parvint pas à émettre le moindre son. D'après le mouvement de ses lèvres, il semblait essayer de dire "Chu-ge".

Chu Shuzhi lâchant prise, Guo Changcheng s'effondra sur le sol. Il retira lentement sa main et se tint froidement à l'écart, regardant Guo Changcheng être pris d'une quinte de toux.

Avec une expression complexe, Chu Shuzhi regardait ce gamin qui portait toujours un petit carnet, le suivait partout et prenait des notes. Ces notes étaient ridicules : une écriture enfantine, gribouillée et griffonnée, sur des sujets sans intérêt. En fait, il notait tout ce que les gens disaient, même des expressions familières. Chu Shuzhi l'avait vu noter le "stupide humain" de Da Qing à de très nombreuses reprises ; on ne dirait pas qu'il essayait d'apprendre à faire son travail, mais plutôt qu'il rédigeait soigneusement les biographies de tous ses aînés.

En le regardant, il pouvait encore voir l'immense lumière blanche de la vertu émanant de Guo Changcheng, qui était toujours occupé à cracher ses poumons. Il trouva soudain cette lumière quelque peu irritante pour les yeux.

La main qui avait saisi la gorge de Guo Changcheng tout à l'heure lui tapota doucement la tête. Par réflexe, Guo Changcheng recula.

Chu Shuzhi lui caressa la tête, puis les cheveux, comme s'il s'agissait d'un enfant ou d'un petit animal. Il dit à voix basse :

— Tu n'as probablement pas beaucoup étudié quand tu étais jeune. Connais-tu cet extrait de 'L'injustice à Dou E' ? Il dit très clairement : 'Ceux qui font le bien mènent une vie appauvrie et courte, ceux qui font le mal sont comblés par la fortune et prospèrent'. Tu en as déjà entendu parler ?

Guo Changcheng en avait plus ou moins entendu parler. Malheureusement, les études n'étaient pas son point fort. Chaque fois qu'il essayait de se souvenir de quelque chose dans un livre, son cerveau effaçait automatiquement tout, comme s'il reformatait un disque dur. Le visage encore rouge et le cou gonflé, accroupi sur le sol, il regarda Chu Shuzhi d'un air misérable.

Chu Shuzhi se pencha légèrement, examina le visage de Guo Changcheng en le tenant par le menton avant de secouer la tête.

— Ton front n'est pas large, ce qui signifie que tes parents n'ont pas eu de chance. Tes oreilles sont fines et molles, ce qui signifie que tu as connu de nombreuses difficultés dans ta jeunesse. Ton pont dorsal est légèrement bombé, ce qui signifie qu'à l'âge mûr, tu perdras le soutien de tes aînés et que tu vivras le reste de ta vie dans la ruine. Ton visage détermine ton terrible destin. Tu as accumulé tellement de vertus, mais à part t'appauvrir, à quoi cela te sert-il ? Ne sois pas si stupide, profite d'être issu d'une famille riche tant que tu le peux. Peut-être qu'il te reste encore quelques jours de prospérité devant toi.

Guo Changcheng leva les yeux vers lui, sans comprendre.

Chu Shuzhi le fixa un moment, puis se mit soudain à rire amèrement.

— Tu n'es vraiment qu'un enfant naïf, pas vrai ?

Puis il souleva Guo Changcheng comme un petit poussin, et lui fit un signe de la main.

— Retourne dire à ce changeur de chat qu'il n'y a pas lieu de s'inquiéter pour moi. Je ne suis qu'un moins que rien. Je n'ai ni tripes ni pouvoirs. Je ne suis qu'une marionnette. Je n'ai pas les moyens de causer des problèmes et je ne suis pas suicidaire. Mais s'il n'y a rien d'autre, je prendrai quelques jours de congé pendant la nouvelle année. Je serai de retour après le 15.

Sur ce, il se volatilisa sous les yeux de Guo Changcheng. Comme un nuage de vapeur, il disparut en un clin d'œil.

La ruelle longue et étroite était déserte, pas une seule personne à l'horizon. Elle sentait le soufre des pétards. Les rues semblaient plutôt désertes en ce premier jour de la nouvelle année. Une brise fraîche fit tourbillonner les cheveux de Guo Changcheng. Il resta longtemps immobile, les larmes aux yeux, reniflant et regardant devant lui d'un air absent. Finalement, il fit demi-tour et rentra chez lui d'un pas lourd.

Il ne savait pas si ce que Chu Shuzhi avait dit était utile ou s'il s'était contenté d'exprimer ses sentiments, mais Guo Changcheng trouvait ce qu'il avait dit déraisonnable.

La malchance était son destin, et il n'y avait rien à y faire. Mais qu'est-ce que cela avait à voir avec ce qu'il faisait de sa vie ?

Guo Changcheng avait toujours eu l'impression d'être un déchet inutile, un véritable gâchis d'espace et de ressources. Quant aux autres choses, certains diraient que c'était de la charité, d'autres que c'était de la gentillesse, mais il ne les faisait que pour avoir l'impression de servir à quelque chose.

Il n'avait jamais rien voulu en retour.

Pourtant... entendre quelqu'un témoigner de son "terrible destin" le troublait un peu.

~~~

Lorsque Shen Wei quitta la maison de Zhao Yunlan, il eut l'impression d'être sur le point de s'effondrer. Il avait fait très attention à ne pas montrer ses "défauts" devant la mère de Zhao Yunlan, craignant que cela n'attire des ennuis à Zhao Yunlan. Mais celle-ci n'avait de cesse de le fixer avec une vision à rayons X, jusqu'à ce qu'il ait l'impression qu'elle le transperçait du regard.

Sur le chemin du retour, il se pinça l'arête du nez.

— Pourquoi ta mère me regardait-elle comme ça, est-ce que j'ai révélé quelque chose ?

Avant que Zhao Yunlan ne puisse dire quoi que ce soit, Da Qing, qui serrait une pleine boîte de poisson séché sur la banquette arrière, intervient :

— Zhao Yunlan avait l'habitude de faire des bêtises avant, c'était un play-boy notoire. Sa mère doit avoir peur de son ombre maintenant.

Shen Wei ne voulait pas faire d'histoires pour rien, mais après avoir entendu cela, il n'a pu s'empêcher de froncer les sourcils.

— Espèce de gros con, si tu continues à dire des conneries, je te jette hors de la voiture, tu m'entends ? dit Zhao Yunlan, impassible.

Da Qing se redressa, laissant sa queue s'agiter d'avant en arrière comme le pendule d'une horloge, incarnation de l'innocence.

— Miaou, miaou...

Zhao Yunlan le regarda fixement dans le rétroviseur. Puis il dit à Shen Wei :

— Ne pense pas trop à ça ; bien que j'ai été... ahem, je n'ai jamais amené quelqu'un à la rencontre de la vieille dame. En plus, je suis une toute nouvelle personne maintenant, j'ai changé mes mauvaises habitudes ; même les criminels ont une chance de commencer une nouvelle vie ! Non, attend, à part le fait d'avoir été largué tout le temps, je n'ai jamais rien fait de mal dans le passé. Ce gros con, il essaie de me faire passer pour une mauvaise personne... En fait, sa réaction de tout à l'heure n'est pas due à toi, c'est surtout parce que lorsque nous faisions des wontons, j'ai accidentellement fait mon coming out...

L'expression de Shen Wei se figea. Heureusement, ce n'est pas lui qui conduisait.

— Oh, dit Da Qing avant de marquer une pause de deux secondes, puis reprendre sèchement. Combattant pour la nouvelle ère, Zhao Yunlan, j'ai confiance en toi.

Shen Wei bégaya :

— Tu... tu as dit à ta mère...

— J'ai dit à ma mère que je t'aimerai jusqu'à ce que le ciel s'écroule et que la terre se brise en éclats. Si elle accepte, elle aura un autre fils, donc deux fils au total, mais si elle refuse, elle perdra un fils, et alors elle n'en aura plus aucun, dit Zhao Yunlan avec force. Ma mère n'est pas stupide, elle peut faire le calcul, ne t'inquiète pas.

Da Qing le fit descendre de ses grands chevaux sans ménagement.

— Laisse tomber, tu n'oserais jamais parler ainsi à l'impératrice... Professeur Shen, vous voyez de la farine sur son corps, non ? Il a dû s'agenouiller devant sa mère dans la cuisine... Il y a deux jours, il s'est même assuré que son père ne rentrerait pas à la maison aujourd'hui, quelle mauviette !

Zhao Yunlan resta sans voix.

Oh... merde....

Shen Wei ne sut pas quoi dire pendant un moment. Après quelques instants, il dit doucement :

— Tu es vraiment...

Vraiment quoi ? Il ne le dit pas. Sa phrase se termina par un léger soupir.

Finalement, Da Qing rompit le silence ambigu, fatigué de leur conversation amoureuse à l'eau de rose. Il dit carrément :

— Oh, Zhao Yunlan, laisse-moi te demander quelque chose, tu savais que l'entrave à la vertu de Chu Shuzhi expirait aujourd'hui ?

— Oh ? dit Zhao Yunlan en hésitant, et un moment plus tard, il se souvient. Cela fait déjà trois cents ans ? Alors, qu'a-t-il dit ? Est-ce qu'il quitte le SIU ? Quoi qu'il en soit, c'est une bonne...

Avant qu'il ne puisse dire "chose", Da Qing l'interrompit :

— Bonne chose, ton cul ! Le monde souterrain ne le laissera pas le retirer.

Zhao Yunlan fronça les sourcils.

— Pourquoi pas ?

— Comment le saurais-je, avec une absurdité comme 'pas assez de vertu'. Ce n'est pas comme s'ils avaient un indice clair, qui sait comment la vertu est mesurée, et quelle quantité est suffisante ; après tout, ce sont eux qui mènent la danse.

Shen Wei demanda :

— Comment se fait-il que Chu Shuzhi porte une entrave à la vertu ?

— Euh, dit Da Qing. Parfois, l'Ordre des Gardiens manque de personnel, et le Gardien recueille un prisonnier du Monde Souterrain, une forme de permutation en travail, je suppose.

Shen Wei acquiesça et expliqua, un peu dépité :

— Il n'y a rien à faire. La plupart des prisonniers du monde souterrain sont de petits fantômes et des esprits, pas particulièrement utiles. Quant à ceux qui ont un réel pouvoir, à moins qu'ils ne se rendent d'eux-mêmes, ce n'est pas si facile pour les Enfers de les capturer. Ils ont l'habitude de prolonger la durée des entraves à la vertu ; ils y ajoutent généralement un ou deux siècles.

Zhao Yunlan ne dit rien. Il fronça les sourcils.

Après tout ce qui s'est passé, la rancune de Zhao Yunlan envers le Monde Souterrain n'était pas nouvelle ; c'était juste que le moment de se retourner contre eux n'était pas encore venu.

Bien sûr, il était normal que chaque camp ait sa propre stratégie. Zhao Yunlan n'était plus un adolescent naïf, il était au courant de tous les complots et de toutes les manigances. Mais tant qu'ils avaient tous les mêmes objectifs, les coups fourrés ne le dérangeaient pas.

Mais ces derniers temps, Le monde du dessous avait beaucoup interféré. Zhao Yunlan ne disait rien, mais il était contrarié.

Shen Wei demanda alors :

— Pourquoi Chu Shuzhi porte-t-il une entrave à la vertu, pourriez-vous me le dire ?

— Je sais seulement grossièrement ce qui s'est passé, mais pas les détails, répondit Zhao Yunlan.  Tu devrais demander à Da Qing.

Da Qing était assis sur le siège arrière, ses yeux de chat fixant Shen Wei... il savait que ce dernier devait être un personnage puissant, mais il ne savait pas exactement à quel point il l'était. Même Zhao Yunlan ne pouvait expliquer toutes les règles non écrites et sans scrupules du Monde Souterrain, alors comment se faisait-il que Shen Wei semblait les connaître sur le bout des doigts ?

Da Qing hésita un long moment avant de dire lentement :

— La culture de Chu Shuzhi est la Voie des Morts-Vivants ; vous avez dû vous en rendre compte, Professeur Shen ?

Notes :
1/ Dou E Yuan, communément traduit par L'injustice faite à Dou E, et également connu sous le nom de Neige au milieu de l'été, est une pièce de théâtre zaju chinoise écrite par Guan Hanqing (vers 1241-1320) pendant la dynastie des Yuan.

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Mar 23 Juil 2024 - 18:53



Chapitre 67
Acte 3 : Pinceau d'Encre de Vertu
— Au départ, Chu Shuzhi a été mis sur cette voie par un sage. On pourrait appeler cela le destin, ou la fortune. Mais il n'est pas devenu l'un de ses disciples... et cela n'a rien d'exceptionnel : les morts-vivants sont souvent excentriques et peu orthodoxes. Chu Shuzhi est meilleur que la plupart des autres ; les morts-vivants ont généralement du mal à communiquer avec qui que ce soit, et c'est pourquoi la plupart des gens les considèrent comme des créatures diaboliques et immondes. Il y a des années de cela, Chu Shuzhi est tombé sur leur espèce, et il n'était pas au courant de toutes les règles et de tous les tabous.

— Professeur Shen, vous êtes sage et bien informé, vous devez donc savoir que la base de la culture des morts-vivants est leurs tombes. Si leurs tombes sont détruites avant qu'ils n'atteignent un certain niveau de culture, leur essence spirituelle est également endommagée. Tous les cultivateurs sont préoccupés par l'importance du karma. Saboter la culture d'un autre sans raison valable sera l'objet d'une vengeance légitime, et cela s'aligne sur la conscience des Cieux, et personne ne peut intervenir.

Da Qing étreignait ses précieux petits snacks de poisson séché, et racontait avec dignité tout en agitant lentement la queue :

— Un jour, quelqu'un essayait d'attraper un grillon et l'a poursuivi jusque dans des tombes non marquées. Il a accidentellement déterré la tombe de Chu Shuzhi en le cherchant. Comme il ne l'a pas trouvé, il est devenu tellement furieux qu'il a brûlé toute la forêt où se trouvait la tombe de Chu Shuzhi. Heureusement, Chu Shuzhi avait déjà franchi les portes du monde souterrain et se dirigeait vers la porte du ciel. Il n'avait plus peur du soleil et pouvait sortir librement de sa tombe. Ainsi, bien que sa tombe ait été démolie, son corps n'a pas été endommagé.

— Pas étonnant que Chu Shuzhi soit toujours aussi nerveux, il est encore pire que moi, dit Zhao Yunlan, qui n'a jamais entendu parler de cela. Je pensais que c'était juste parce qu'il est mort-vivant. Il s'occupe des morts tous les jours ; il va bien quand rien ne se met en travers de son chemin, mais s'il est en colère, il arracherait la tête de n'importe qui. Alors, qu'a-t-il fait à cette personne ? Il lui a découpé l'estomac et a mangé tout l'intérieur ? Il l'a avalé en entier ?

— Il l'a suspendue pour la faire sécher, puis l'a engloutie comme du bacon, répondit Da Qing. Normalement, on considère que c'est la faute de cette personne, et personne n'intervient. Mais le problème, c'est que le vandale de la tombe n'était qu'un enfant, un enfant gâté issu d'une famille aisée. Au moment de l'incident, il était à un jour et demi de son septième anniversaire.

Zhao Yunlan ne comprenait pas très bien.

— Eh, en quoi le fait qu'il n'ait pas encore sept ans est-il important ?

Shen Wei expliqua doucement :

— Les jeunes métamorphes qui n'ont pas encore achevé leur culture craignent surtout les enfants de moins de sept ans. S'ils sont blessés par des adultes, ils peuvent se venger, mais les enfants sont innocents, et le dicton dit que 'le ciel ne juge pas les mauvaises actions des enfants, il n'enregistre que leurs bonnes actions'. Donc, s'ils sont tués par de vilains enfants, ils ne peuvent que succomber à leur destin. Et s'ils osent leur faire du mal, c'est un grave péché. Son cas a été tranché il y a trois cents ans, et les affaires classées ne peuvent être rouvertes, sinon je...

Sinon, l'autorité du Tueur de Fantômes pourrait peut-être permettre de négocier.

— Lao Chu, s'exclama Zhao Yunlan, ne sachant pas quoi dire d'autre.

En fait, ce type de culture allait intrinsèquement à l'encontre des Cieux. Les chances de réussite étaient d'une sur dix mille. Il fallait du talent, de l'assiduité et de la chance - surtout de la chance.

Si c'était Zhao Yunlan, il aurait pu penser que le gamin était un sale gosse, mais tout ce qu'il aurait fait, ce serait de lui faire faire un cauchemar pour l'effrayer un peu. Après tout, il n'y avait pas eu de blessés ou de morts. Il aurait su qu'il ne fallait pas en vouloir à un enfant de six ans. 'Le ciel ne juge pas les enfants’ était une règle qui se justifiait. Un jeune enfant pouvait-il distinguer le bien du mal ? Les cultivateurs pouvaient les éviter, faire le mort ou se camoufler. Il n'était pas difficile de se cacher des enfants. Quant à ceux qui ne pouvaient vraiment pas être évités, il s'agissait peut-être du karma, peut-être d'un piège, ou tout simplement de la 'volonté du Ciel'.

Malheureusement, Chu Shuzhi était aussi borné que possible, et lorsqu'il voulait se venger, il ne laissait pas le Ciel l'arrêter.

En effet, le destin était aussi inexorable qu'insidieux.

Le regard de Zhao Yunlan devint froid. Certes, il ne fallait pas désobéir à la volonté du Ciel, mais depuis quand la même chose s'appliquait-elle à la volonté du Monde Souterrain ?

Il sortit son téléphone et le lança vers la banquette arrière, en disant à Da Qing :

— Appelle Chu Shuzhi.

Dès la première tentative, Chu Shuzhi raccrocha.

Zhao Yunlan lui dit d'un ton impassible :

— Essaie encore.

Après le troisième appel, Chu Shuzhi éteignit son téléphone.

Zhao Yunlan freina et arrêta la voiture sur le trottoir. Il sortit un talisman de l'Ordre des Gardiens de son portefeuille et griffonna rapidement quelques mots sur le talisman : "Retrouve-moi au numéro 4 de la Bright Avenue avant minuit". Puis il le plia en une grue de papier.

Avant qu'il ne puisse l'envoyer, un agent de la circulation frappa à la fenêtre.

— Hé, qu'est-ce qui se passe, pourquoi vous garez-vous ici ?

Zhao Yunlan se pencha et fit semblant de souffrir.

— Désolé, j'ai une crampe à la jambe. J'ai besoin d'une minute, juste une minute.

Tout en parlant, il passa la main par la fenêtre et s'essuya furtivement la paume de la main sur la portière de la voiture. La grue en papier qu'il tenait dans sa main se transforma en un tourbillon de fumée et disparut dans l'air.

Ensuite, Zhao Yunlan ne retourna pas chez lui. Comme le ciel n'était pas encore trop sombre, il conduisit jusqu'à leur nouvelle maison, près de l'Université de la Cité du Dragon.

La maison n'était qu'à une rue de l'enceinte de l'université. C'était une villa-jardin au style architectural unique. Zhao Yunlan chercha à tâtons un trousseau de clés dans la boîte à gants de la voiture, en retira soigneusement une de l'anneau et la tendit à Shen Wei.

— Je sais que tu n'as pas besoin de clés pour entrer, mais rendons les choses officielles.

Shen Wei était abasourdi. Sa main se crispa par inadvertance autour de la clé.

Zhao Yunlan lui prit la main et lui ouvrit la voie, l'entraînant avec lui.

— Les murs et les plafonds de notre maison sont pratiquement terminés. Ils ont commencé à poser les planchers avant le Nouvel An, alors ça doit être assez désordonné pour le moment, mais dans une semaine, ce sera probablement terminé. Tu pourras alors déménager tes affaires ici, et mettre ce que tu utilises souvent chez moi. Nous attendrons la fin du mois et nous pourrons alors emménager ensemble. Viens, l'ascenseur est par là.

Sa paume était chaude et sèche. Shen Wei avait l'impression que son cœur avait été plongé dans l'eau; il souffrait, s’adoucissait et se gonflait.

Il n'y avait que quatre étages, et un seul appartement par étage. Le parking se trouvait au sous-sol, avec un accès par ascenseur ; il y avait encore des débris de rénovation à l'intérieur de l’ascenseur.

Mais à l'intérieur de l'appartement, la lumière naturelle était abondante. Même au coucher du soleil, les lueurs du crépuscule brillaient et dessinaient des contours dorés sur les objets sales posés au sol. De la fenêtre, on apercevait d'un côté la vue luxuriante de l'université de la cité du Dragon. et de l'autre un ruisseau artificiel. Même si le ruisseau était à sec en hiver, la ligne d'eau était encore visible dans les taches sur les statues de pierre au bord de la rivière.

Zhao Yunlan déclara :

— Comme le dit le proverbe, une femme mérite une maison en or. Mais je n'ai pas beaucoup d'argent, et si je construisais une maison en or, je ferais probablement l'objet d'une enquête pour corruption. Tu devras te contenter de celle-ci pour l'instant. Quand je gagnerai plus d'argent, nous en construirons une meilleure.

Puis il se retourna, tout sourire.

— La chambre principale est au sud, elle a un balcon ; tu peux choisir l'une des autres chambres pour en faire ton bureau.

Les yeux de Shen Wei s'alourdissaient ; ses pensées et ses sentiments, refoulés depuis des millénaires, jaillissaient comme une flamme, avec un désir presque indicible. Il voulait l'étreindre et réduire sa chair et ses os en poussière dans sa paume.

Mais Shen Wei savait qu'il ne toucherait même pas à un cheveu de sa tête.

Bien sûr, il y avait toujours une troisième roue du carrosse : il y avait toujours un chat insolent qui aimait se faire remarquer. C'était une victoire féline que d'empêcher les deux tourtereaux de s'installer trop confortablement sur le sol en désordre.

Avant que Shen Wei ne puisse dire quoi que ce soit, Da Qing bondit sur le rebord de la fenêtre et annonça à tue-tête :

— Je veux une chambre d'amis ! Je veux un lit de chat suspendu ! Style balançoire !

— Va te faire foutre, dit Zhao Yunlan sans ménagement. Suspendu, ton gros cul, est-ce que tu arriverais à sauter avec tout ce poids ? Laisse les gens du dessous tranquilles... En plus, je ne t'ai rien demandé, tu ne vois pas que j'ai besoin d'un peu de temps seul ici ? Ne te mêle pas de mes affaires avec ton nez de chien, n'oublie pas que tu es un chat !

— Mon pouvoir de saut est très bien, et je suis beaucoup plus rapide que toi. C'est toi le chien stupide, espèce d'aveugle !

Zhao Yunlan ne sourcilla pas.

— Gros con.

Da Qing était furieux à l'idée de parler de problèmes de poids. Il bondit sur l'épaule de Zhao Yunlan et passa ses griffes dans les cheveux de ce dernier.

— Je vais te montrer ce qu'un gros peut faire !

— Putain, tu as bousillé ma coiffure, tu es un gros tas mort !

L'homme et le chat se disputèrent rapidement de manière chaotique.

Shen Wei soupira lentement et s'adossa à la fenêtre. Les derniers rayons du soleil couchant touchèrent son corps, et même son visage toujours aussi pâle commença à se réchauffer. Il observa tranquillement le salon en pleine effervescence et sourit faiblement.

À ce moment-là, une ombre noire sortit de sa manche. Le sourire de Shen Wei s'estompa ; il fronça les sourcils, claqua des doigts et la fumée noire se transforma en une lettre. Shen Wei ouvrit la lettre et y jeta un coup d'œil. On pouvait y lire :

“Des nuages noirs sont apparus au nord-ouest des Trente Trois Cieux. Très mauvais présage. Je demande à Votre Honneur de revenir rapidement.”

Shen Wei froissa la lettre en boule et la serra dans sa paume.

— Yunlan, dit-il soudain, et Zhao Yunlan et Da Qing se tournèrent simultanément vers lui. J'ai une affaire urgente à régler, je dois partir pour un moment. Si tu es libre pendant les vacances, rentre chez toi pour passer du temps avec tes parents. Qu'ils s'occupent de toi pour que je n'aie pas à m'inquiéter.

Zhao Yunlan fronça les sourcils.

— Qu'est-ce qu'il y a ?

— Je ne sais pas encore. Ma marionnette m'a remis une lettre des Enfers, des nuages noirs dans les Trente-Trois Cieux ; j'ai bien peur que ce soit important. Quoi qu'il en soit, je dois y aller.

Shen Wei se pinça doucement l'arrête du nez.

— Des nuages noirs ? demanda Zhao Yunlan surpris.

Shen Wei pensa à tort que Zhao Yunlan ne comprenait pas, et expliqua brièvement :

— Les nuages normaux n'atteignent jamais les Trente Trois Cieux. Il n'y a que deux types de nuages là-haut : les nuages de bon augure qui arrivent de l'est et brillent d'une aura violette, ou les nuages noirs, qui sont de mauvais augure.

Da Qing se lécha les pattes.

— Cela faisait longtemps que les nuages noirs n'étaient pas apparus. D'après ce que je sais, les nuages noirs ont été vus pour la dernière fois dans les Trente Trois Cieux il y a huit cents ans.

— Quelle en était la cause à l'époque ? demanda aussitôt Zhao Yunlan.

Da Qing était étonné.

— Comment le saurais-je ?

Shen Wei ne dit rien, et il ne pouvait s'empêcher d'éviter le contact visuel avec Zhao Yunlan.

Il était en train de devenir un expert dans l'art de lire les gens... en particulier ceux qui cachaient mal leurs sentiments, comme Shen Wei. Une étincelle jaillit dans son esprit et il s'empressa de dire :

— Est-ce que c'est lié à Visage Fantôme ? C'était lui aussi la dernière fois ? Qui est-il vraiment, pourquoi est-il si puissant ?

Da Qing était encore plus perplexe :

— Visage Fantôme ? Qui est ce Visage Fantôme ?

La teinte rouge du coucher de soleil disparut du visage de Shen Wei.

Zhao Yunlan ne supportait pas de le voir dans cet état. Il lança un regard d'avertissement à Da Qing, puis desserra sa mâchoire et cessa d'interroger Shen Wei.

— Alors vas-y, et sois prudent. Je laisserai la porte ouverte pour toi ce soir. Reviens vite.

Shen Wei ne pouvait pas dire grand-chose, puisque Da Qing était là. Il regarda longuement Zhao Yunlan et, en l'espace de trois pas, il disparut dans un nuage de fumée noire.

Zhao Yunlan sortit sur le balcon et regarda le ciel ; les lueurs de l'après-soleil s'estompaient. Il alluma une cigarette.

Da Qing sauta sur la balustrade et demanda, inquiet :

— Est-ce que tu connais vraiment les antécédents du professeur Shen ?

Zhao Yunlan acquiesça en silence.

Da Qing pencha la tête d'un côté.

— Qu'est-ce qui t'inquiète ?

— Un tas de choses, dit Zhao Yunlan en soufflant un anneau de fumée et en plissant les yeux à travers la fumée. Hé, Da Qing, laisse-moi te demander quelque chose. Comment se fait-il qu'il y ait une personne dont je n'arrive pas à trouver le moindre mot, quel que soit le nombre de classiques que je consulte ?

— Qui ?

Zhao Yunlan hésita, puis dit :

— Le Seigneur Kunlun.

Da Qing ouvrit la bouche, puis la referma. Il soupira et marcha le long de la balustrade jusqu'à faire face à Zhao Yunlan.

— Les plantes et les animaux ne sont pas comme les humains, nous ne naissons pas avec l'intelligence. Il faut être extrêmement chanceux pour avoir la possibilité de mettre le pied sur le chemin de la culture, et ce n'est qu'avec beaucoup d'expérience que l'on commence à comprendre les humains. Le Seigneur Kunlun était présent à l'époque des Trois Souverains et des Cinq Empereurs. Lorsque le mont Buzhou s'est effondré, il était déjà considéré comme une divinité. Puis il a disparu, il y a au moins cinq mille ans. Oui, j'étais là moi aussi, mais j'étais comme un enfant ignorant. Tu te souviens de ce qui s'est passé quand tu étais tout petit ? À vrai dire, jusqu'à ce que tu me quittes, je n'étais qu'un chaton paresseux qui ne se souciait de rien d'autre que de dormir et de manger. Tu surestimes ma culture.

Zhao Yunlan alluma impatiemment une autre cigarette.

Da Qing baissa la tête et murmura :

— Si je le savais, je ne te mentirais pas. Nous sommes différents des humains : nous sommes stupides, et même des siècles de culture n'apportent qu'une connaissance limitée. Nous savons simplement que nous avons un propriétaire. Je t'ai comme propriétaire, et c'est tout ce dont j'ai besoin.

Zhao Yunlan jeta quelques cendres et dit brusquement :

— En fait, j'ai vu un portrait du Seigneur Kunlun quelque part.

Da Qing leva les yeux.

Zhao Yunlan ne poursuivit pas, mais Da Qing comprit à son expression.

— Un chaton… murmura Zhao Yunlan avant de rester silencieux un moment, puis de souffler un autre anneau de fumée. Combien de temps es-tu resté un chaton... Quel endroit sur terre peut entraver la croissance d'un chat ?

Le sommet du mont Kunlun était l'origine de toutes les divinités, ainsi que le lieu de repos de nombreux dieux et démons, à jamais enveloppé de neige blanche. Sur la montagne poussait une fleur ancienne. Depuis l'aube des temps jusqu'à aujourd'hui, elle n'était rien de plus qu'une mince tige, mais chaque anneau de croissance marquait une ère d'innombrables récits.

Da Qing était de plus en plus mal à l'aise. Depuis que Zhao Yunlan avait dit 'Lord Kunlun', il ne pouvait s'empêcher de penser qu'une main invisible les poussait tous vers une issue fatale.

Comme toutes ces années où Pangu avait mis fin au Chaos, où Gonggong avait démoli Buzhou (1), où les gens s'étaient même inquiétés de voir le ciel s'effondrer, où Kuafu avait chassé le soleil(2), où Houtu(3) s'était dispersé dans les profondeurs du Monde Souterrain...

Da Qing eut la chair de poule partout, et ses poils se hérissèrent.

Tout va et vient. Du passé au présent, il n'y avait qu'à regarder en arrière : en seulement cinq mille ans, d'innombrables divinités s'étaient levées et étaient tombées. Elles étaient aussi insignifiantes que des fourmis, pas différentes des humains. Dans ce monde, rien ne pouvait rester au sommet.

Pangu avait-il vraiment mis fin au Chaos ? Ou avait-il simplement pris une autre forme ?

Les yeux émeraude de Da Qing brillaient d'une terreur indescriptible. La plupart des souvenirs de l'époque où il était chaton avaient disparu, et pourtant, tout comme il pouvait encore reconnaître l'odeur de la première incarnation de cet homme, certains souvenirs s'étaient frayés un chemin jusqu'au plus profond de sa chair et de ses os.

Le Seigneur Kunlun, le Dieu Primordial des Montagnes, aussi divin que les Trois Souverains et les Cinq Empereurs, pourquoi avait-il disparu sans un mot pendant des milliers d'années ?

Da Qing se souvenait vaguement de la robe verte, de la couleur des montagnes au loin, dont les manches exhalaient l'arôme de la neige fraîche et du bambou. Des rires incontrôlés, des mains chaudes qui soulevaient tendrement son corps... pouvait-il vraiment être... ?

À cet instant, le cri perçant d'un oiseau provint d'un endroit proche. Da Qing et Zhao Yunlan regardèrent tous deux dans la même direction. Même en hiver, la région près de l'université était couverte de végétation et de nombreux oiseaux y vivaient. D'innombrables corbeaux s'envolèrent dans le ciel à la suite de ce cri de deuil. Tous les corbeaux de la ville battirent des ailes, couvrant presque tout le ciel.

Les corbeaux annonçaient des calamités.

Au milieu du bruit du vent et des corbeaux, Zhao Yunlan posa soudain une question sérieuse.

— Je veux te dire quelque chose, peux-tu garder un secret ?

Da Qing se retourna prudemment et leva la tête pour le regarder droit dans les yeux.

— Mes lèvres sont scellées. Dis-moi.

— Shen Wei est le Tueur de Fantômes, dit Zhao Yunlan avec désinvolture. Je suis un peu inquiet pour lui.

Da Qing vacilla comme s'il était victime d'une attaque ; son pied heurta l'air vide et il tomba directement de la balustrade.

Notes :
1/ Le dieu de l'eau Gonggong s'est écrasé sur le pilier du ciel Buzhou avec son dragon
2/ Kuāfù est un géant légendaire qui a essayé d'attraper le soleil
3/ Hòutǔ Déesse de la Terre, autre nom de Nüwa

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Néphély
Mar 23 Juil 2024 - 18:53



Chapitre 68
Acte 3 : Pinceau d'Encre de Vertu
Da Qing tomba à terre, tête la première, d'une manière embarrassante, et se redressa comme une grosse boulette de viande. Sa première réaction fut de rugir à l'adresse de Zhao Yunlan :

— Je n'arrive pas à croire que tu aies ce culot !

Zhao Yunlan marmonna distraitement.

— Tu... tu tu tu.... !

Da Qing ne savait plus où donner de la tête. Il parcourait le monde depuis des siècles et avait vu d'innombrables phénomènes étranges, mais ce n'était qu'aujourd'hui qu'il réalisait ce que signifiait 'penser avec sa queue'.

À présent, il comprenait pourquoi le roi Zhou de Shang avait tué pour plaire à Daji, pourquoi le roi You de Zhou avait fait une farce à son armée, ou pourquoi l'empereur Xuanzong de Tang avait abandonné les affaires de son empire... Ces hommes insensés étaient prêts à faire n'importe quoi devant la beauté !

Da Qing était troublé et pétrifié. Il demanda alors d'une voix faible :

— Alors... vous... quoi... jusqu'où êtes-vous allé ?

Zhao Yunlan se frotta le nez.

— Pas loin, nous avons été au lit ensemble, mais nous n'avons fait que dormir ; il est timide, il ne m'a jamais laissé le toucher.

Da Qing resta sans voix.

Au lit... ensemble... timide... ne jamais le laisser le toucher...

Ces mots étaient comme un bombardement ; des explosions retentissaient autour de Da Qing et son âme était bombardée d'une force encore plus grande que le tonnerre et les éclairs des Neuf Cieux.

En un instant, des images de Zhao Yunlan et du professeur Shen lui traversèrent l'esprit. Chaque scène faisait un trou dans sa petite tête. Ce pauvre chat fit soudain l'expérience de nouveaux mondes fantastiques et merveilleux... enfoiré, y avait-il pire propriétaire de chat que Zhao Yunlan en ce monde ?

Da Qing s'efforça d'allonger son cou couvert d'épaisses couches de graisse et fixa longuement Zhao Yunlan avec déférence, admiration et incrédulité. "Quel pervers !" Des mots plus vrais n'avaient jamais été prononcés.

Le chat noir revint sur le rebord de la fenêtre en sautillant.

— Sais-tu quel genre de personne est le Tueur de Fantômes ?

Zhao Yunlan enleva quelques cendres.

— C'était la question que je voulais te poser.

— Je ne sais pas non plus, dit Da Qing avec sérieux. Depuis le début, j'ai vu et connu toutes les divinités du ciel et tous les métamorphes de la terre. Mais le Tueur de Fantômes, c'est une autre histoire. Tu sais à quel point c'est sérieux ?

Zhao Yunlan n'était pas surpris. Il avait vu la peinture de Shen Wei... S'il avait rencontré le Seigneur Kunlun, alors ce devait être à l'époque où Da Qing était encore ignorant.

— Dis-moi juste ce que tu sais.

— Est-ce que tu connais Houtu ? demanda Da Qing.

Zhao Yunlan hésita, puis dit :

— Selon le Classique des Montagnes et des Mers (1), Gonggong a donné naissance à Houtu, elle est donc une descendante de l'Empereur des Flammes. Dans les Invocations de l'Âme, on dit que Houtu est la déesse responsable du Monde Souterrain. Dans certains contes populaires ultérieurs, 'Houtu' est généralement considérée comme la contrepartie de 'Huangtian', et son statut semble donc encore plus élevé... Dans certaines légendes, on pense que Houtu est Nüwa.

— Plus ou moins, dit Da Qing. Lorsque Gonggong a détruit le Mont Buzhou et que Nüwa a réparé le pilier du ciel, elle s'est transformée en terre et a séparé le Yin et le Yang, ce qui a marqué le début de l'ordre de l'univers. Certains disent que le Tueur de Fantômes est né d'une pure énergie noire, d'autres qu'il est né dans les profondeurs du Monde Souterrain. Mais le caractère lugubre des Enfers n'est que le fruit de l'imagination des humains, et cette soi-disant énergie noire n'a rien à voir avec les Enfers... Après tout, le Tueur de Fantômes existait déjà avant la création du Monde Souterrain. Pourquoi dire qu'il est né à des milliers de kilomètres sous terre ?

— Tu veux dire que le Tueur de Fantômes n'est pas né dans les profondeurs du Monde Souterrain ?

— Peut-être quelque part à proximité. Mais je pense qu'il ne travaille avec le Monde Souterrain que pour un partenariat mutuel, ils ne sont pas réellement liés, dit Da Qing. Je ne peux pas me prononcer avec certitude sur des incidents trop anciens, je ne peux qu'avancer une hypothèse. La plupart des gens disent que Houtu est la terre, mais la vraie terre a été formée lorsque Pangu a frappé avec sa hache et détruit le Chaos. Penses-y, Nüwa a réparé le ciel, elle a terminé son travail, pourquoi a-t-elle dû se transformer en Houtu et ne faire qu'un avec la terre ? Essayait-elle de dissimuler la véritable terre ? Quoi qu'il y ait en bas, cela doit avoir un lien avec le Tueur de Fantômes.

La cigarette dans la main de Zhao Yunlan était presque consumée, mais il ne le remarqua pas.

Da Qing soupira.

— Je n'ai pas beaucoup d'idées en tête. Ces choses sont trop anciennes, cette eau est bien trop profonde, et toi... comment t'es-tu retrouvé avec lui ? Tu ne peux vraiment pas la garder dans ton pantalon, hein ?

Il était peut-être encore plus tragique qu'il n'ait même pas eu l'occasion d'enlever son pantalon...

— Trop tard, répondit Zhao Yunlan en éteignant sa cigarette et en la jetant par terre parmi les débris. Tu me dis ça bien trop tard.

Da Qing répondit en grognant :

— C'est parce que tu ne m'as pas dit qui il était quand tu as commencé à le séduire ! Sinon, je t'aurais arrêté quoi qu'il en coûte...

— Non, quand je dis que tu arrives trop tard, interrompit Zhao Yunlan. Je veux dire que tu es en retard de quelques milliers d'années.

Le chat noir le regarda d'un air absent. Pendant un instant, il crut presque que Zhao Yunlan se souvenait de quelque chose. Mais Zhao Yunlan se contenta d'allumer une nouvelle cigarette et de se tenir près de la fenêtre, sa silhouette se découpant dans la lumière déclinante et projetant une longue ombre.

Da Qing lui tint compagnie pendant qu'il terminait un paquet entier de cigarettes. Lorsque le sol fut recouvert de mégots et sa poche vide, Zhao Yunlan fit signe à Da Qing de sauter sur son épaule et ils sortirent.

Da Qing demanda :

— Où va-t-on ?

Zhao Yunlan dit avec un visage froid :

— Bright Avenue. Je vais d'abord voir Chu Shuzhi, puis rencontrer quelqu'un du Monde Souterrain... mon peuple ne sera pas exploité par qui que ce soit.

~~~

Les travailleurs journaliers du N° 4 de la Bright Avenue venaient de partir. Chu Shuzhi n'était pas encore arrivé. Zhao Yunlan sortit du poisson séché et du lait pour Da Qing et entra dans la bibliothèque.

Il prit une paire de lunettes de protection accrochée à la porte et la mit. Il remarqua Wang Zheng dans un coin, qui s'éloignait paniqué de Sang Zan. Zhao Yunlan dit calmement :

— Continuez, ne vous occupez pas de moi.

Wang Zheng lui fit un petit signe de tête et s'en alla précipitamment.

Sang Zan se passa la main dans les cheveux ; il avait la peau épaisse et ne semblait pas du tout gêné.

— Toujours besoin de Kunlun ?

Pour une raison quelconque, obscurcie par les verres en plexiglas, le regard de Zhao Yunlan semblait exceptionnellement froid. Son nez semblait encore plus droit et plus long, et ces derniers jours, il semblait s'être aminci. Son beau profil semblait inaccessible et replié sur lui-même.

— Pas besoin, tous ceux qui sont utiles ont été effacés par quelqu'un, expliqua Zhao Yunlan ses doigts parcourant les livres sur les étagères. Je veux en savoir plus sur Nüwa.

Sang Zan hésita.

— Nüwa a créé les humains et réparé les cieux, Chiyou a combattu l'Empereur des Flammes, Gonggong s'est battu contre Zhuanxu... Je veux tout cela. Ils peuvent éliminer une personne, mais je ne crois pas qu'ils puissent changer toute l'histoire.

Zhao Yunlan ajusta ses lunettes et grimpa sur l'échelle d'acier.

Croisant les jambes, il s'assit sur le barreau le plus haut de l'échelle. Il parcourut les livres et les jeta l'un après l'autre. Sang Zan ne le dérangea pas, il attendait tranquillement en bas et organisait les livres en une pile.

La plupart des gens pensaient que les loisirs de Zhao Yunlan consistaient à lire Playboy ou à regarder Sora Aoi (2) sur sa tablette, mais sa connaissance des textes anciens était exceptionnellement profonde et il lisait à une vitesse impressionnante. Il saisit rapidement l'essentiel en faisant voler ses doigts sur la page, et l'on n'entendit plus que le bruit des pages tournées dans la bibliothèque.

De temps en temps, Zhao Yunlan s'arrêtait un instant, posait le livre et se frottait énergiquement les yeux. En utilisant des mots simples et en parlant lentement, il échangea quelques mots avec Sang Zan.

— Le Mont Buzhou est le chemin du Ciel, dit Zhao Yunlan en faisant signe vers le bas et en inclinant la tête de façon un peu épuisée, la voix un peu rauque. Comme le rapporte l'histoire, Gonggong et Zhuanxu se sont battus pour le pouvoir. À la fin, Gonggong a été vaincu. Dans sa fureur, il a chevauché un dragon divin et a détruit le Mont Buzhou.

Sang Zan écoutait de toutes ses forces, et au bout d'un moment, il hocha lentement la tête.

— Je n'y crois pas, dit Zhao Yunlan en fixant Sang Zan. L'Empereur des Flammes a combattu Chiyou pendant d'innombrables années, le ciel, la terre et l'univers étaient dans le chaos le plus total, mais le Mont Buzhou n'a jamais été affecté ; Pangu a ouvert le ciel et la terre avec une hache, mais le Mont Buzhou est resté intact. Même si le dragon divin était né avec des pouvoirs divins, cela suffirait-il à faire tomber le Mont Buzhou ?

Sang Zan avait l'habitude d'ignorer tous les adjectifs et les noms inutiles. Au bout d'un moment, il dit avec son accent bizarre :

— Si c'est irréalisable, c'est que quelqu'un a réussi à le faire.

— Détruire le Chemin du Ciel, murmura Zhao Yunlan, son doigt s'attardant sur le livre ancien. Huangtian, Houtu... sans compter ceux qui sont tombés, ou ceux qui ont disparu, alors il ne nous reste plus que...

Sang Zan leva les yeux vers son regard profond.

— Après l'effondrement du Mont Buzhou, Nüwa a réparé le ciel effondré avec ses pierres multicolores, puis s'est transformée en Houtu, avant de se dissiper complètement, lu Zhao Yunlan en fronçant les sourcils, puis il poursuivit. Le Mont Buzhou était relié au ciel, mais pas à la terre... le Monde Souterrain n'était pas encore formé à l'époque. Nüwa a donc réparé le ciel et créé la terre... le ciel était troué et il pleuvait sans cesse, mais qu'en est-il du trou dans la terre ? La terre... le sol... la terre...

La voix de Zhao Yunlan s'éteignit progressivement jusqu'à ce qu'il ne fasse plus que marmonner, mais il dit soudain :

— Attends, redonne-moi le passage sur la création des humains par Nüwa.

Au moment où Sang Zan lui tendait le livre, Da Qing entra furtivement et dit à Zhao Yunlan :

— Chu Shuzhi est ici.

Zhao Yunlan rangea le livre et descendit l'échelle. Il enleva ses lunettes et les tendit à Sang Zan avant de lui donner une tape sur l'épaule.

Il s'apprêtait à partir quand Sang Zan dit :

— À l'époque, il n'y avait pas d'ordre. Chacun voulait plus d'arc... de pouvoir. La montagne... tu as dit 'le chemin du ciel' - si elle ralentit, Ah L’or, quelqu'un voulait que ça se termine en..."

Il n'arrivait pas à trouver le mot approprié, alors il a fait un geste avec ses mains. Zhao Yunlan comprit immédiatement : il essayait de dire "guerre". Il salua Sang Zan d'un signe de tête en sortant. C'est ainsi qu'il lui avait donné une nouvelle perspective.

L'univers avait été créé pour la première fois, à une époque où d'innombrables divinités s'affrontaient. L'Empereur des Flammes avait vaincu Chiyou et donné naissance à un nouvel ordre. L'humanité s'était épanouie après que Nüwa eut insufflé la vie à des figurines d'argile ; c'est ainsi que naquit ce que l'on appelait le pouvoir. Peu importe qui l'avait fait, abattre le Mont Buzhou était peut-être une tentative de mettre fin à l'ordre ancien et d'en instaurer un nouveau, de ramener le monde à... son tout début, lorsque tous les êtres prospéraient et vivaient en paix ?

Zhao Yunlan se souvint de son étrange rêve. Qui lui parlait dans ce rêve ? Que voulait-il dire ?

~~~

Chu Shuzhi n'était pas seul, il avait une petite suite : Guo Changcheng était habillé comme une boule de coton, son cou était enveloppé d'au moins deux écharpes. Elles couvraient la moitié de son visage, le faisant ressembler à une tortue Ninja mutante de la nouvelle génération. L'une des écharpes n'était manifestement pas la sienne.

Apparemment, lorsque Chu Shuzhi avait disparu, Guo Changcheng avait marché en direction de la gare routière pendant quelques minutes. Mais il avait changé d'avis et n'avait finalement pas attendu le bus. Ce n'était que le premier jour de l'année, et il avait déjà échoué dans la mission que Da Qing lui avait confiée. Se sentant coupable, il était retourné dans la petite ruelle et avait cherché sans relâche, se forçant à demander son chemin à des inconnus en bégayant.

Son expression constipée et ses paroles inarticulées ressemblaient à celles d'un étranger s'entraînant à parler chinois.

Alors que Guo Changcheng cherchait depuis plus d'une demi-heure dans le vent mordant, une gardienne de quartier au grand cœur avait eu pitié de lui. Elle avait conduit Guo Changcheng, qui avait froid et le nez rouge, devant la porte de Chu Shuzhi.

Lorsqu'elle était partie, Guo Changcheng n'avait pas osé frapper à la porte. Il avait tourné en rond devant la porte de Chu Shuzhi et n'avait entendu aucun signe d'activité à l'intérieur. Il ne pouvait et ne voulait pas partir, mais quand il pensait à l'agacement de Chu Shuzhi, il n'osait pas non plus frapper à la porte. Lorsque le talisman de l'Ordre des Gardiens convoqua Chu Shuzhi au n°4 de la Bright Avenue et que ce dernier sortit, il se rendit compte qu'un enfant stupide et gelé était assis sur le pas de sa porte depuis longtemps, il l'emmena donc avec lui.

~~~

L'atmosphère dans le bureau était tendue. Chu Shuzhi était assis à son bureau, une main dans sa poche, l'autre jouant avec le briquet de Zhao Yunlan. Il jeta un regard menaçant à son bureau. Da Qing faisait des allers-retours sur le côté, tranquillement. Le seul bruit dans le bureau de la SIU était celui de Guo Changcheng, qui reniflait et se mouchait.

Voyant Zhao Yunlan sortir du mur avec un livre, Chu Shuzhi leva légèrement les yeux.

— Pourquoi je suis là ?

Zhao Yunlan s'assit en face de Chu Shuzhi, étudia son expression et dit sans détour :

— Nous n'avons pas besoin de mâcher nos mots. Je n'ai qu'une question : est-ce que tu as l'intention de partir ?

Chu Shuzhi baissa les paupières et ne dit rien.

Zhao Yunlan dit froidement :

— Sors cette main de ta poche, ne crois pas que je ne peux pas sentir ce qu'il y a dedans !

Chu Shuzhi ricana et sortit sa main de la poche, tenant un petit morceau d'os. Son extrémité brillait d'une faible lueur indigo ; l'os était creux et percé de quatre trous sur toute sa longueur. Il s'agissait d'un sifflet en os, utilisé pour contrôler les zombies et autres créatures mortes-vivantes. Comme il était irrespectueux de manipuler le cadavre d'un mort, le sifflet en os avait toujours été considéré comme une sorte de magie noire.

Guo Changcheng éternua. Chu Shuzhi lui jette un regard en coin et dit lentement :

— Je pense que vous devriez d'abord renvoyer ce pauvre enfant chez lui...

Zhao Yunlan l'ignora et dit à Guo Changcheng :

— Xiao Guo, assieds-toi. Da Qing, demande à la cuisine de lui faire du thé de guimauve.

— Dis-moi, qu'as-tu l'intention de faire ? le pressa Zhao Yunlan. Tu vas prendre cette chose puante et retourner dans la terre pour devenir le roi des zombies ? A jamais prisonnier dans les chaînes de la vertu, se cachant dans les ombres, fuyant sans cesse le Monde Souterrain ?

Le visage de Chu Shuzhi se figea.

— Il y a trois cents ans, j'étais impétueux et je ne connaissais pas les règles. Je les ai enfreintes et j'en ai subi les conséquences ; je n'ai rien fait de mal pendant les trois cents dernières années... Qu'est-ce que ces types du Monde Souterrain veulent de plus de moi ? Ils ne peuvent pas m'écraser comme ça !

— Étendre les entraves à la vertue est une procédure standard. Si d'autres personnes peuvent l'accepter, pourquoi pas toi ?

La voix de Chu Shuzhi se fit plus grave alors qu'il crachait un mot après l'autre,

— Je. Ne. Suis. Pas. Les. Autres. Personnes. Laisse-moi te rappeler, Zhao Yunlan, que j'ai volontairement mis les entraves. Je m'y suis soumis, mais cela ne veut pas dire que j'admets avoir eu tort...

Zhao Yunlan l'interrompit furieusement :

— Tu as l'audace de défendre les erreurs que tu as commises dans le passé ?

Chu Shuzhi frappa le bureau.

— Oui, je l'ai dit, et alors ? Je ne le regrette pas. Si c'était à refaire, j'écorcherais encore ce morveux vivant, ça ne me dérange pas de passer encore trois cents ans en prison ! En quoi les enfants et les adultes sont-ils différents ? Il n'y a que deux sortes de personnes : celles que je peux tuer et celles que je ne peux pas. Après tout, chef Zhao, je ne cherche pas les ennuis, ils viennent me chercher. Si trois cents ans n'ont pas suffi, ils ne suffiront jamais... Alors autant le faire, peu importe le nombre de fois que je le ferai. Ces enfants feraient mieux de se méfier de moi ; mon sifflement d'os dissoudra leurs âmes et les transformera en petits fantômes.

Zhao Yunlan le frappa au visage. Rapidement, précisément, fermement et bruyamment. Le visage de Chu Shuzhi fut projeté sur le côté.

Chu Shuzhi ne semblait pas s'en préoccuper, mais Guo Changcheng recula sous le choc et tomba de sa chaise, atterrissant sur les fesses.

Les deux hommes se jetèrent un regard hostile. Da Qing grognait doucement. Pendant un instant, on aurait dit qu'ils allaient se battre.

À ce moment-là, un nuage de brume grise s'infiltra par la fenêtre. Il tourbillonna autour de l'épaule de Zhao Yunlan, coula le long de son bras et se transforma en lettre.

C'était une lettre urgente de Shen Wei :

"Un messager des Enfers arrive, peu importe ce qu'il te demande de faire : n'accepte pas, attends mon retour. - Wei."

Notes :
1/ Texte classique décrivant l'histoire et la géographie mythologiques de la Chine
2/ Sora Aoi est une actrice japonaise de films pour adultes, connue en Chine sous le nom de "Teacher Cang"

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Néphély
Mar 23 Juil 2024 - 18:53



Chapitre 69
Acte 3 : Pinceau d'Encre de Vertu
Zhao Yunlan lu la note en silence et son expression froide et sévère se détendit. Soigneusement, comme il le faisait rarement, il plia le billet et le rangea en toute sécurité dans son portefeuille, comme s'il s'agissait d'une lettre d'amour.

Chu Shuzhi lui jeta un coup d'œil et se leva pour partir. Mais avant qu'il ne puisse le faire, trois talismans de l'Ordre des Gardiens s'envolèrent de la main de Zhao Yunlan en projetant des étincelles et en s'élevant dans les airs. Guo Changcheng n'avait même pas eu le temps de se relever qu'ils s'enflammèrent et fusionnèrent pour prendre la forme d'une entrave, fonçant droit sur Chu Shuzhi.

Une force énorme écrasa Chu Shuzhi sur la chaise ; il ne pouvait plus bouger.

Le contrat de Chu Shuzhi avec l'Ordre des Gardiens n'avait pas encore été résilié. Quelle que soit sa puissance, il était toujours lié par ce pacte.

Zhao Yunlan le regarda et sortit un enregistreur vocal du tiroir de son bureau. Il appuya sur play, et les derniers mots de Chu Shuzhi furent répétés : "Ces enfants feraient mieux de se méfier de moi ; mon sifflet en os dissoudra leurs âmes et les transformera en petits fantômes."

Sa voix, qui sortait de la machine, était horriblement froide et atrocement grossière.

— Tu t'entends ? Est-ce que c'est quelque chose qu'une personne saine d'esprit dirait ? demanda Zhao Yunlan inexpressif.

Les yeux de Chu Shuzhi s'illuminèrent, mais l'instant d'après, il se détourna obstinément et dit avec défi :

— Je ne suis pas une personne.

Guo Changcheng marmonna :

— Chu… Chu-ge, ne t'énerve pas.

Chu Shuzhi le regarda froidement, sans dire un mot.

Guo Changcheng hésita un long moment avant de s'approcher prudemment et de tirer sur ses vêtements. Il murmura d'une toute petite voix :

— Je... je pense que tu... tu ne crois pas du tout à ça ; je n'ai pas compris, mais je sais que tu es quelqu'un de bien, Chu-ge, tu ne ferais pas de mauvaises choses sans raison...

Zhao Yunlan fredonna et s'adossa à sa chaise. Il tapota plusieurs fois son briquet sur la table, alluma une cigarette et se tourna vers Chu Shuzhi d'un air furieux.

— Mets la selle sur le bon cheval, Chu Shuzhi. Même un petit garçon comme Guo Changcheng le comprend, mais tout ce que tu fais quand tu es en colère, c'est baiser tout le monde. J'ai vraiment honte pour toi.

Chu Shuzhi lui lança un regard noir.

— Qu'est-ce que tu regardes ? Tu n'as pas honte de toi ? Je n'ai pas le temps de m'occuper de toi pour l'instant... Xiao Guo, pousse-le dans mon bureau, ferme la porte à clé et surveille-le. Il y a un lit une place, si tu es fatigué, tu peux t'allonger et te reposer.

Guo Changcheng demande immédiatement :

— Et Chu-ge ?

— Lui ? dit Zhao Yunlan en jetant un coup d'œil à Chu Shuzhi. Il peut s'asseoir, il faut lui laisser le temps de réfléchir et de retrouver ses esprits.

Il ramassa sa tasse de thé et fit tourner les restes de thé froid. D'un calme trompeur, il poursuivit :

— J'ai vraiment envie de te renverser ce thé au visage.

Guo Changcheng poussa la chaise avec Chu Shuzhi vers la porte du bureau. Puis il ne put s'empêcher de se retourner pour regarder Zhao Yunlan. Voyant le chef lui faire un signe impatient, il poussa Chu Shuzhi jusqu'à l'intérieur du bureau et referma doucement la porte derrière lui.

Zhao Yunlan reposa ses jambes sur le bureau, posa un livre sur ses genoux et commença à lire.

Les légendes liées à Nüwa étaient dispersées dans différentes sources. Le livre qu'il tenait en ce moment s'appelait le Registre des Anciens Secrets. Il contenait notamment un chapitre intitulé 'Feng Nüwa(1)'. Le livre original avait probablement été écrit par un érudit daoïste de la dynastie Song, mais l'auteur était inconnu et la version originale avait été perdue ; il s'agissait d'une copie illustrée imprimée à l'époque moderne.

Le début de l'ouvrage citait le Lecteur Impérial (2), le passage sur la création de l'homme par Nüwa : "La légende raconte qu'à l'aube des temps, les humains n'existaient pas encore. Nüwa créa des hommes à partir d'argile, mais la quête de la création s'avéra onéreuse et pénible. La déesse fit donc descendre une corde à travers le sol et fit remonter de la terre d'innombrables personnes."

L'auteur notait ensuite : "Les humains, dotés de cinq sens, prirent tous la forme de l'impératrice Nüwa elle-même. Ils naissaient avec le pouvoir de la parole du sol de la terre. Les vents du Ciel nourrissaient chacun d'eux de trois feux éternels, le sol de la terre leur transmettait trois maux éternels. Ils étaient doués d'intelligence mais étaient impurs. De l'enfance à la sénescence, ils naissaient à l'aube et périssaient au crépuscule. Nüwa les prit en pitié et joua le rôle d'entremetteuse. La déesse les maria par paires et c'est ainsi que l'espèce prospéra pendant des siècles."

Zhao Yunlan prit un stylo sur le bureau et souligna "Les vents du Ciel nourrissaient chacun d'eux de trois feux éternels, le sol de la terre leur transmettait trois maux éternels". Puis il tourna la page et commença à lire la partie intitulée "Réparer le Ciel".

— Huainanzi" écrit : Dans les temps primitifs, les quatre piliers se sont effondrés, les neuf continents se sont fissurés. Le ciel a cessé d'abriter, la terre a cessé de porter. Le monde fut dévoré par des flammes intarissables et des torrents irrépressibles. Les bêtes s'attaquaient aux humains, les rapaces happaient les vieillards affaiblis. Alors Nüwa répara le ciel avec cinq pierres multicolores(3), fendit les quatre pattes de l'Ao (4) pour remplacer les quatre piliers, tua le dragon noir pour libérer le peuple, et brûla du roseau pour arrêter le déluge. Par la suite, les cieux furent réparés, les piliers intacts, l'inondation tarie, la terre en paix, le monstre tué et le peuple sauvé.

Il y avait une autre note de bas de page qui disait : "L'ancien Ao lui a donné ses jambes, et l'impératrice Nüwa lui en a été éternellement reconnaissante. Elle lui accorda des vêtements extravagants en guise de nageoires. Les quatre piliers soutiennent l'univers. Au nord-ouest des cieux, Kunlun proclamait : La roche, pas encore vieille mais ravagée ; l'eau, pas encore froide mais gelée ; le corps, pas encore vécu mais mort ; l'âme, pas encore brûlée mais dispersée. Tels sont les impossibles, ainsi scellés là où ils sont inaccessibles, et nommés les Quatre Mystiques. Le ciel ne s'effondrera pas, la terre ne s'effritera pas et les quatre mystiques ne sortiront pas. Désormais, le monde est en paix."

Zhao Yunlan caressa la fourrure de Da Qing, et dit tranquillement :

—  Il est dit ici que le mal des humains vient de la terre, puis que Nüwa a utilisé les pattes de la Grande Tortue pour soutenir le ciel. Kunlun a parlé des quatre piliers... les montagnes ne parlent pas, donc ici 'Kunlun' doit faire référence au Seigneur Kunlun... aussi, j'ai déjà entendu parler de ces quelques lignes auparavant.

— Où ?

— Au Poinçon des Montagnes et des Rivières, dit Zhao Yunlan. Si 'l'impossible' fait référence aux quatre artefacts mystiques, cela signifie-t-il que lorsque les quatre seront réunis, 'l'impossible' sera achevé et les quatre piliers du ciel pourront être atteints ?

Da Qing tapota en cercle autour de sa main, et marmonna :

— C'est quoi ce bordel, j'ai mal à la tête rien qu'en t'écoutant.

Zhao Yunlan l'ignora et poursuivit le fil de ses pensées :

— Cinq pierres multicolores pour réparer le ciel, alors si j'ai raison, peut-être que les quatre piliers sont en fait destinés à fonder la terre.... Je crois que tout s'explique maintenant : Visage Fantôme veut utiliser les quatre artefacts mystiques pour détruire les quatre piliers.

Zhao Yunlan avait touché les snacks de poisson séché, et leur arôme persistait sur ses doigts. Bien que Da Qing ne veuille pas paraître trop désespéré, il ne put résister à la tentation. Il reniflait sans cesse les doigts de Zhao Yunlan et demanda :

— Qui est ce Visage Fantôme dont tu n'arrêtes pas de parler ?

Zhao Yunlan résuma brièvement ce qui s'était passé au Poinçon des Montagnes et des Rivières, puis il dit d'un air sévère :

— Visage Fantôme porte un masque, mais je crois que j'ai une idée de ce à quoi il ressemble.

— Ce n'est pas possible... s'interrogea Da Qing.

— Je crains qu'il ne ressemble beaucoup à Shen Wei, soupira doucement Zhao Yunlan. Ce type, il garde beaucoup trop de choses pour lui. Il est gentil avec tout le monde, sauf avec lui-même ; qui sait pourquoi il est ennemi de lui-même. Je m'inquiète vraiment pour lui...

Da Qing leva les yeux.

— Quoi ?

Zhao Yunlan regarda le chat noir et leurs yeux se rencontrèrent. Soudain, il retira ses jambes du bureau, se redressa et murmura :

— Il y a quelqu'un ici.

À peine avait-il dit cela que l'on entendit un léger bruit de claquement de bois qui se rapprochait lentement. Une aura lourde et froide commença à se manifester, et le vent du nord-ouest fit trembler les fenêtres. Zhao Yunlan sortit calmement de l'encens du tiroir, l'alluma et le plaça dans le pot de fleurs posé sur son bureau. Il sortit ensuite un cendrier et y brûla un peu de papier-monnaie. De la fumée s'éleva, il rangea le livre et se servit une tasse de thé bien chaude.

Ayant appris sa leçon la dernière fois, l'intrus se tint à distance devant la porte et dit :

— Mes excuses, Seigneur Gardien. Je viens du monde souterrain sans y avoir été invité. Pourriez-vous trouver le temps de me laisser entrer ?

Zhao Yunlan lissa son expression et s'éclaircit la gorge.

— Je vous en prie, entrez.

La porte du bureau du SIU s'ouvrit en grinçant. Le visiteur sentit immédiatement l'odeur de l'encens et du papier-monnaie en train de brûler. Comme prévu, il n'y avait rien que l'argent ne puisse accomplir. L'expression du visiteur s'adoucit imperceptiblement en un sourire. Il s'inclina rapidement et dit poliment :

— Le Seigneur Gardien est trop aimable.

Lorsque Zhao Yunlan vit qui était le visiteur, il fut également stupéfait pendant un moment. Il se leva et dit avec surprise :

— Qu'est-ce qui vous amène ici, Votre Honneur ?

Le juge garda son attitude amicale, non pas comme un envoyé des Enfers, mais peut-être comme un aimable entremetteur.

Les deux hommes prirent le temps de bavarder avant de s'asseoir l'un en face de l'autre, polis à l'extérieur mais méfiants à l'intérieur. Da Qing sauta sur les genoux de Zhao Yunlan, enroulant sa queue autour de son poignet. Il fixait le juge de ses yeux émeraudes, comme s'il protégeait Zhao Yunlan.

Le juge devint enfin sérieux.

— Désolé de vous déranger si tard dans la nuit, mais je suis venu vous voir pour une raison précise. J'ai une requête, et j'espère que le Seigneur Gardien pourra m'aider pour le bien du peuple.

— Oh, s'il vous plaît... dit Zhao Yunlan en agitant la main. Ne me flattez pas. Je ne suis qu'un humain ordinaire qui connaît un peu de magie. Merci de me considérer comme un arbre robuste, mais je ne suis qu'une petite herbe. Je ne sais pas quoi faire si vous me flattez ainsi. Allez, si c'est quelque chose que je peux faire, j'essaierai de faire de mon mieux.

Le juge resta assis et soupira. Il voulait attendre que Zhao Yunlan commence à poser des questions, mais celui-ci ne semblait pas s'en rendre compte et continuait à boire du thé. Au bout d'un moment, le juge ne put s'en empêcher et demanda :

— Avez-vous remarqué les corbeaux le soir, Seigneur Gardien ?

Zhao Yunlan afficha un visage surpris.

— Non. Je regardais la répétition de la célébration du Nouvel An à la télévision avec ma mère cet après-midi, je n'y ai pas prêté attention.

Le juge resta sans voix.

Zhao Yunlan demanda avec la plus grande innocence :

— Mais qu'en est-il des corbeaux ?

Le juge savait qu'il jouait les idiots. Il ne voulait vraiment pas venir parler au Gardien. Pour commencer, le juge était l'un des rares à connaître Zhao Yunlan, et il préférait vraiment ne pas mettre en colère ce dieu puissant. De plus, ce dernier avait la peau la plus épaisse possible, et il était aussi rusé qu'un renard. Il possédait trois talents divins : être effronté, gagner du temps en évitant le sujet... même un seul de ces talents pouvait rapidement conduire un homme à boire. Bref, il était à l'origine des cauchemars des juges.

— Les corbeaux sont toujours de mauvais augure. Des nuages noirs se forment au nord-ouest. Quelqu'un qui n'a pas peur du châtiment divin a dressé un autel au sommet du Mont Kunlun, tentant de voler l'âme de chaque personne vivante.

Zhao Yunlan stupéfait, demanda :

—  Chaque personne ? Il y a des milliards de personnes sur terre, est-il assez fort pour toutes les emporter ?

Il se heurtait à un silence déconcertant.

Zhao Yunlan sourit et dit :

— Je suis confus, expliquez-moi. Qui se trouve sur cette montagne tibétaine enneigée, qu'ont-ils construit, et pour quoi faire ?

Le juge sortit un avis de recherche, et même au premier coup d'œil, Zhao Yunlan le reconnut : c'était Visage Fantôme.

— C'est le roi des créatures les plus répugnantes de l'endroit le plus répugnant du monde. Pour faire court, Nüwa l'a enfermé dans les profondeurs du monde souterrain à l'époque primordiale. Peu à peu, le sceau s'est relâché et il a réussi à s'échapper. Vous comprenez, Seigneur Gardien, je ne vais pas tourner autour du pot avec vous. Je dirais que les huit dixièmes de son pouvoir sont encore sous le sceau de la déesse Nüwa. Si nous l'affrontons ensemble, nous avons encore une chance, mais s'il brise complètement le sceau...

Zhao Yunlan écouta ce mélange de vérité et de mensonges et ne put empêcher le coin de sa bouche de tressaillir. Il refusait de croire à la façade profondément inquiète du juge et faisait semblant de ne pas comprendre.

— C'est terrible. Une créature immonde scellée par Nüwa... Est-il donc pire que les autres créatures maléfiques ? Est-il plus puissant ?

Le juge n'avait rien à dire.

Zhao Yunlan poursuivit avec enthousiasme :

— Alors pourquoi a-t-il besoin d'autant d'âmes ?

Le juge prit une inspiration, et dit :

— Il veut s'emparer du Pinceau d'Encre de la Vertu. Chaque personne porte une âme sur laquelle sont inscrites les bonnes et les mauvaises vertus des vies passées et présentes, en rouge pour le bien et en noir pour le mal. S'il recueille les âmes et les rassemble au sommet du Mont Kunlun, il obtiendra le Pinceau d'Encre de la Vertu. Nous ne pouvons pas laisser cela se produire, sinon...

Zhao Yunlan l'interrompit soudain :

— Il y a quelque temps, un petit changeur de corbeau m'a appâté avec un faux Pinceau d'Encre de la Vertu, et m'a blessé les yeux. Aujourd'hui, ma vision n'est toujours pas parfaite, je vois des ombres tout le temps, et quand je vous regarde, vous semblez avoir pris du poids. Maintenant que j'y pense, ce 'quelqu'un' m'a piégé intentionnellement, n'est-ce pas ?

Le cœur du juge battit plus vite, mais aucun mot ne sortit de sa bouche. Il regarda Zhao Yunlan qui lui répondait d'un air moqueur. La tribu des corbeaux se nourrissait de cadavres en décomposition, et avait toujours été opprimée par le Monde Souterrain. Que les corbeaux soient envoyés par les Enfers étaient une absurdité ; le juge ne pouvait s'empêcher de se demander quel était l'idiot qui avait eu cette idée.

Les pensées du juge tourbillonnaient et la sueur coulait dans son dos.

— Les quatre artefacts mystiques sont dispersés dans l'univers depuis si longtemps, mais le Monde Souterrain n'y a jamais prêté attention, n'a jamais pensé à les rechercher ou à les mettre en sécurité. Maintenant qu'il s'est passé quelque chose, vous me dites que c'est grave, et vous me laissez avec ce gâchis de dernière minute. Ce n'est pas très raisonnable, n'est-ce pas ?

Le juge esquissa un sourire.  

— Eh bien... il s'agit d'une négligence de notre part...

— Une négligence ? répéta Zhao Yunlan en haussant les sourcils. Pourquoi j'ai l'impression qu'il s'agit d'un abus de pouvoir ?

Le juge était vraiment sur les dents.

Zhao Yunlan frappant sur le bureau, son visage s'assombrit.

— Nous avons travaillé ensemble pendant de nombreuses années. Allons droit au but, que voulez-vous que je fasse ?

Le juge dit :

— Seigneur Gardien, pourriez-vous me conduire jusqu'au Mont Kunlun pour mettre fin à ses plans ?

Zhao Yunlan dit calmement :

— Pourquoi moi ? Je reste à l'intérieur toute la journée, je ne suis pas un randonneur. Je n'ai jamais escaladé le Mont Lianxiang, je ne sais même pas de quel côté approcher le Mont Kunlun, et vous me demandez d'ouvrir la voie ?

Voilà enfin une réponse que le juge avait prévue. Il avait préparé sa réponse et s'exprima avec beaucoup plus d'aisance.

— Vous ne le savez peut-être pas, Seigneur Gardien, mais le Jeton de l'Ordre des Gardiens est en fait un morceau de bois provenant de l'Arbre Sacré situé au sommet du Mont Kunlun. Cet arbre sacré a été planté par Pangu, le créateur, et il est aussi vieux que le monde. Le sommet du Mont Kunlun est un lieu interdit, et seul ce morceau peut servir de laissez-passer.

Zhao Yunlan pointa du doigt la photo de l'avis de recherche,

— Alors ce... 'roi du mal', comment est-il monté là-haut ? Par la porte de derrière ? Ne me dites pas que c'est le beau-frère de Pangu.

— Je ne manquerais pas de respect à la divinité, dit prudemment le juge. Mais cette créature maléfique est née dans le Monde Souterrain, à côté de l'Ancien Arbre de la Vertu, qui a jailli d'une branche de l'Arbre Sacré sur le Mont Kunlun. En effet, il est quelque peu lié à Kunlun, alors...

Zhao Yunlan poursuivit avec un demi-sourire :

— Alors invoquer le Pinceau d’Encre de la Vertu au sommet du Mont Kunlun est également lié à cet arbre ?

Le juge n'était pas certain de ce qu'il voulait dire, et n'osait pas répondre à la légère.

Zhao Yunlan dit :

— Dans le Monde Souterrain... hé, ce n'est pas tout près de l'endroit où vit le Tueur de Fantômes ?

Le juge hésita, et répondit de façon ambiguë :

— On peut dire ça.

— Oh ! dit Zhao Yunlan dont le visage s'illumina d'un sourire, mais qui n'atteignit pas ses yeux. Le juge sous-entend donc que le Tueur de Fantômes est lié à la créature maléfique.

Le juge ne savait pas s'il était vraiment stupide ou s'il jouait les idiots en parlant de cette vérité inavouée avec autant de désinvolture. Il examina Zhao Yunlan d'un œil hésitant, mais ne trouva pas le moindre indice.

Ils lui avaient déjà donné le livre noir, savait-il que Shen Wei était le Tueur de fantômes ou non ?

La dernière fois, le messager était revenu et avait rapporté que le fait d'être aveugle n'avait pas empêché Zhao Yunlan de s'amuser avec son amant. Alors... peut-être ne le savait-il pas ? Sinon, comment le Tueur de Fantômes pourrait-il tolérer...

Le juge se calma, caressa sa barbe et afficha un sourire dissimulateur.

— Je n'oserais pas parler des Immortels dans leur dos, hein ? Vous devez plaisanter, Seigneur Gardien.

Zhao Yunlan le regarda et commença à fouiller dans ses poches.

— Vous voulez le Jeton de l'Ordre du Gardien ? Attendez, laissez-moi le trouver pour vous.

Le juge s'empressa de lui faire signe.

— Non, non, nous ne pouvons pas toucher le Jeton de l'Ordre sacré des Gardiens. Vous devrez venir avec nous au Mont Kunlun, Seigneur Gardien.

Zhao Yunlan arrêta ce qu'il était en train de faire, et fixa le juge comme s'il ne comprenait pas. Ses iris étaient noirs et brillants, et son regard était perçant. Le juge se força à le rencontrer. Comme toujours, il s'aperçut qu'il était confronté à une tâche difficile mais vaine.

Notes :
1/ 风 (Feng) est considéré comme le plus ancien nom de famille de Chine. Il s'agit du nom de famille de Nüwa et Fuxi, les deux anciennes divinités sœurs du mythe de la création chinoise.
2/ 太平御览 (Tàipíng Yù Lǎn) = le " Lecteur impérial " ou " Lectures de l'ère Taiping ", est une encyclopédie chinoise compilée entre 977 et 983 de notre ère.
3/ Nüwa colmate le ciel déchiré avec cinq pierres colorées qu'elle a fondues ensemble.
4/ 鳌 (Ao) - une tortue de mer géante et mythique (ou parfois une simple tortue)

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Néphély
Mar 23 Juil 2024 - 18:53



Chapitre 70
Acte 3 : Pinceau d'Encre de Vertu
Au bout d'un moment, Zhao Yunlan cessa de le presser du regard, baissa les yeux et fronça les sourcils à moitié sincèrement. Lentement et calmement, il demanda :

— D’ailleurs, je trouve très étrange que vous n'osiez même pas toucher le Jeton de l'Ordre du Gardien, et que vous reconnaissiez pourtant un humain ordinaire comme moi en tant que Gardien. Comment cela se fait-il ? Moi, je ne suis qu'un type qui est doué pour le bluff et la connerie, mais il n'y a rien derrière. Je ne sais rien faire, je me contente de me goinfrer, et mon cerveau ne fonctionne pas bien non plus. Vous voyez, je perds la tête dès qu'on me drogue.

Le juge éprouva un pincement au cœur, mais il se força à sourire.

— Ce n'est pas vrai.

Zhao Yunlan se pencha soudain plus près.

— Ne me dites pas que mes ancêtres sont liés à Kunlun. C'est vraiment trop fort.

Le juge se désola silencieusement de son sort.

Malheureusement, Zhao Yunlan n'avait pas l'intention de le laisser s'en tirer à si bon compte et continua à jacasser.

— Les six derniers mois ont été très mouvementés : d'abord le Cadran Solaire de la Réincarnation, puis le Poinçon des Montagnes et des Rivières, et maintenant le Pinceau d'Encre de la Vertu. Si le quatrième apparaît aussi, nous aurons un jeu complet, un pour chaque direction cardinale.

— Hé, qu'en pensez-vous, d'où viennent les quatre artefacts ? Il semblerait que le Pinceau d'Encre de la Vertu soit lié à Kunlun. Quant au Cadran Solaire, la légende raconte qu'il a été fabriqué à partir de la Pierre des Trois Vies. J'ai entendu dire qu'à l'époque où Nüwa a créé l'humanité, un caillou se formait pour chaque être humain créé. Elle finit par lever la tête et vit que les cailloux s'étaient déjà accumulés pour former un grand pilier en forme d'entonnoir, qui perçait presque le ciel et menaçait d'engloutir les Trois Royaumes. Nüwa s'empressa de le faire tomber et de le sceller, le transformant en une pierre contenant la vie passée, présente et future de l'homme. C'est ainsi qu'on l'appela plus tard la Pierre des Trois Vies. Ainsi, le Cadran Solaire est lié à l'impératrice Nüwa. Quant au Poinçon des Montagnes et des Rivières, la tortue Xuanwu(1) appartient à l'eau, alors peut-être est-elle liée à Fuxi ? Nous sommes en eaux profondes, n'est-ce pas ? Je suis terrifié rien que d'y penser.

Le juge essuya la sueur sur son front.

— Mes connaissances sont limitées, c'est vraiment…

— De plus, une calamité dans les Trente-trois Cieux attirerait certainement de nombreux personnages formidables. Sauver toutes les âmes vivantes, quelle action extrêmement vertueuse ; il doit y en avoir beaucoup qui voudraient saisir cette opportunité. Avec qui d'autre les Enfers ont-ils uni leurs forces ? Les fées ? Les cultivateurs des différentes sectes ? Les anges ? Le Tueur de Fantômes doit également être obligé de faire son devoir et d'éliminer les corrompus, n'est-ce pas ? dit Zhao Yunlan avant de s'arrêter un instant et jeter un coup d'œil vers le juge. Vous savez, je suis un tel menu fretin, je ne peux rien faire à ce sujet. Je ne connais personne à part le Tueur de Fantômes, que pourrais-je faire si j'y allais ? A moins que...

Le cœur du juge battait à tout rompre tandis qu'il écoutait Zhao Yunlan rire légèrement et dire lentement :

— Je suis juste supposé approcher sa Seigneurie, lui dire bonjour, et bavarder un peu ?

Le juge était terrifié. Il leva brusquement les yeux et rencontra l'expression implacable de Zhao Yunlan.

Pendant un instant, il crut que l'homme assis en face de lui avait peut-être compris, mais il ne vit aucun indice perceptible.

La fourrure de Da Qing se hérissa et il poussa un grognement inamical. C'était un son qui venait du fond de sa gorge, pas comme celui d'un chat, mais plutôt comme le rugissement d'un tigre. Il se dressa sur les jambes de Zhao Yunlan et dévoila ses griffes acérées en direction du juge ; la cloche de son cou tremblait.

Le juge sembla le craindre et se recula sur sa chaise. Il leva les yeux vers Zhao Yunlan, tout sourire et enjoué.

— Seigneur Gardien, qu'essayez-vous de dire... ?

Zhao Yunlan se détendit complètement et se pencha en arrière pour se prélasser de manière nonchalante sur sa chaise.

— Je pense que nous devons en parler correctement : c'est le Nouvel An, je ne suis qu'un faible petit mortel, et pourtant vous m'entraînez dans une épreuve aussi dangereuse ? Que ferons-nous si quelque chose tourne mal, si je ne vois pas l'année prochaine ?

— Nous jurons d'assurer votre sécurité, Seigneur Gardien.

— Vous n'êtes même pas capable de gravir la montagne tout seul, ricana Zhao Yunlan. Comment allez-vous assurer ma sécurité ?

— Eh bien...

Zhao Yunlan sauta sur l'occasion.

— J'amène mes propres hommes, cela ne devrait pas poser de problème, n'est-ce pas ?

Le juge eut l'air hébété.

Puis, Zhao Yunlan, tel un fléau, prit l'air d'avoir mal aux dents, et le juge ne put s'empêcher de penser que lui aussi ressentait la même chose. Zhao Yunlan poussa un long soupir.

— Mais je n'ai pas assez de personnel. Presque tous mes employés sont nocturnes ; au mieux, ils ne peuvent faire que des courses, ils ne servent pas à grand-chose. Les seuls que je peux commander pendant la journée sont un petit serpent qui ne peut pas encore se transformer complètement, un chaton de moins d'un pied de long, un stagiaire inutile et un geek obsédé par les selfies...

Le juge voyait bien où il voulait en venir.

— Nous avons un roi zombie assez fort, mais... oh, quel dommage !

Le juge se demandait ce qui était le plus important, les affaires de Chu Shuzhi ou le Pinceau d'Encre de la Vertu. Bien sûr, il n'était pas stupide, il le savait déjà. Bien que le Monde Souterrain ait pris l'habitude de prolonger les peines d'emprisonnement, il semblait qu'il ne lui serait pas utile de s'opposer à Zhao Yunlan dans un moment pareil, surtout pour quelque chose d'aussi insignifiant. Le juge trouva donc un compromis.

— La peine de Chu Shuzhi a été purgée ; il ne nous reste plus que quelques questions de procédure à régler. Maintenant que vous en avez parlé, Seigneur Gardien, je vais émettre l'ordre immédiatement. Il est libre de partir immédiatement.

— Whooo, s'exclama Zhao Yunlan en entendant son ton et en saisissant l'opportunité pour enfoncer le couteau plus profondément dans la plaie, rendant son expression plus froide.  De la façon dont vous le dites, vous m'avez fait croire qu'il ne valait rien, ou qu'il avait encore fait quelque chose d'horrible dans mon dos. Je l'ai même enchaîné et enfermé à côté pour qu'il réfléchisse à ses actes ! Regardez ce gâchis, vos gens ne sont pas très efficaces, semble-t-il. Quel malentendu ! Ceux qui ne connaissent pas les détails pourraient même penser que les Enfers font exprès de gagner du temps.

Le juge ne savait plus où donner de la tête ; il avait vraiment envie de tomber raide mort devant Zhao Yunlan. Il ne voyait pas à quel moment il avait pu offenser ce Gardien gênant qui, selon lui, faisait exprès de jouer avec lui : il l'avait frappé deux fois sur la tête, puis lui avait donné un bonbon pour lui redonner un peu d'espoir et, avant même qu'il n'ait repris son souffle, il avait reçu à nouveau deux coups sur la tête.

Zhao Yunlan fit un signe de la main, puis prit à contrecœur une feuille de papier sur son bureau et commença à écrire.

— Oubliez ça, Chu Shuzhi et moi ne sommes toujours pas en bons termes. Cela signifie que je n'ai pas assez de soutien en ce moment, mais, Votre Honneur, ce dont vous parlez est une affaire importante. Je ne peux pas m'y opposer ! Cela pèserait éternellement sur ma conscience...

Le juge semblait s'habituer à sa torture. Il retint son souffle, se sentant comme dans un film d'horreur : le ciel était clair et lumineux, quelque chose de menaçant devait certainement se profiler à l'horizon. Le juge regarda Zhao Yunlan avec une anxiété croissante.

Zhao Yunlan continua :

— Je ne peux pas y aller, mais vous n'osez pas non plus prendre le Jeton de l'Ordre des Gardiens, alors j'ai trouvé le plan parfait : trouver quelqu'un qui ose le prendre.

Le juge eut immédiatement un mauvais pressentiment. Il jeta un coup d'œil à la lettre, parvenant à peine à décrypter l'écriture de Zhao Yunlan, qui ressemblait à un gribouillis de médecin : “Au Tueur de Fantômes : cette lettre parle pour moi.”

Le juge manqua de tomber de sa chaise.

Bien sûr, ce n'était pas parce que le Monde Souterrain avait peur de prendre le Jeton de l'Ordre des Gardiens. C'est juste que les membres des Dix Salles avaient discuté et conclu que trois des quatre artefacts mystiques étaient apparus dans le monde. Le Cadran Solaire était probablement tombé entre les mains de Visage Fantôme, mais on ne savait pas encore où se trouvait le Poinçon des Montagnes et des Rivières. Même si le Tueur de Fantômes n'aimait pas travailler avec eux, il n'était pas stupide ; il ne l'aurait évidemment pas remis de son propre chef. Qui pouvait dire avec certitude que le Tueur de Fantômes ne tenterait jamais de faire ce que faisait Visage Fantôme ? S'il se retournait contre eux, vers qui pourraient-ils se tourner pour pleurer ?

Pour l'instant, personne du côté des Enfers ne pouvait tenir tête à ces deux puissants dieux, et ils se méfiaient du Tueur de Fantômes, alors ils avaient utilisé Zhao Yunlan pour l'influencer.

Mais ce Gardien était si rusé qu'il comprenait très vite le fond des choses. Essayer de prendre l'avantage sur lui était pratiquement impossible. Rien qu'en lisant les lignes qu'il avait écrites, le juge avait l'impression que Zhao Yunlan savait déjà tout ce qu'ils pensaient et qu'il ne faisait que s'amuser avec lui.

Il ne savait pas exactement ce que Zhao Yunlan avait compris, ni s'il avait déjà contacté le Tueur de Fantômes en privé, mais il n'en pouvait plus, et son expression devint sérieuse.

— Que voulez-vous dire par là, Seigneur Gardien ?

Zhao Yunlan dit innocemment :

— Rien de particulier. Le juge pense-t-il que c'est inapproprié ?

Le juge le fixa froidement.

Zhao Yunlan continua, se montrant encore plus surpris.

— Comment cela se fait-il ? Le Tueur de Fantômes ne vient-il pas lui aussi du Monde Souterrain ?

Encore une question à laquelle le juge ne pouvait pas répondre.

Pendant un moment, il resta assis dans un silence amer. Il comprenait enfin ce que signifiait l'expression "pour cacher un mensonge, il en faut mille autres", surtout avec ce type qui trouait tous ses mensonges comme si sa vie en dépendait. Après une demi-minute de confrontation maladroite, le juge dit avec raideur :

— Cette créature immonde est née dans le Monde Souterrain, devant l'Ancien Arbre de la Vertu, et est quelque peu liée au Tueur de Fantômes, il est donc en quelque sorte impliqué.

— Oh, dit Zhao Yunlan en laissant son sourire s'estomper un peu, et en hochant la tête. Monsieur le Juge, vous venez juste de dire qu'il ne fallait pas parler des Immortels dans leur dos ; n'êtes-vous pas un hypocrite ? Si vous avez des doutes à son sujet, dites-le franchement, ce n'est pas comme si je ne pouvais pas comprendre. Alors j'ai vraiment abordé la question de la mauvaise façon.

Il froissa la lettre en boule et la jeta au loin.

— Je viens avec vous.

Le juge était sonné par cette soudaine aubaine.

Ensuite, Zhao Yunlan sortit son téléphone et appela la RH.

— Hé, Wang Zheng, c'est moi, tu as eu mon message ? Mhmm, c'est ça, imprime une copie et apporte-la à l'étage pour notre invité.

Wang Zheng était bien entraînée à cela : trois minutes plus tard, elle arrivait avec une longue liste de noms. Lorsque la porte s'ouvrit, le juge put voir une horde de fantômes flottant dans le couloir, des grands et des petits, s'entassant dans la fente de la porte, tous fixant silencieusement la pièce, ce qui fit dresser les cheveux sur la tête du juge.

Zhao Yunlan appuya son menton sur une main ; de l'autre, il poussa la liste des noms vers le juge.

— Ces dernières années ont été riches en affaires injustes. Certaines ont été perpétuellement reportées pour des questions de procédure, d'autres ont simplement fait l'objet de punitions disproportionnées. Puisque vous êtes déjà là, pourquoi ne pas régler cela une fois pour toutes ? Ah, oui, en ce qui concerne les affaires de Chu Shuzhi, n'y avait-il pas quelques unes de ses 'vieilles affaires' encore chez vous ?

Le juge resta assis en silence.

Zhao Yunlan insista :

— Hm ?

Le juge finit par grincer entre ses dents :

— Elles seront rendues.

Zhao Yunlan n'était toujours pas satisfait.

— Quand ? Il va nous falloir un peu de temps pour faire nos bagages.

Le juge en avait assez de Zhao Yunlan. Il enroula la liste des noms et s'en alla en disant :

— Avant l'aube.

Zhao Yunlan sourit à sa silhouette fuyante, allumant une cigarette avec le papier-monnaie qui brûlait avant d'éteindre le feu, et ouvrit la fenêtre pour prendre l'air.

Da Qing sauta sur le rebord de la fenêtre.

— Le Tueur de Fantômes ne t'a pas dit de ne pas y aller ?

— Pourquoi es-tu si curieux ? dit Zhao Yunlan lui jetant un coup d'œil, avant de reprendre son sérieux. Il n'y a pas de débat, je dois y aller.

Bien que Shen Wei semblait doux et poli à l'extérieur, il était en fait extrêmement têtu. Il n'y avait pas beaucoup de choses pour lesquelles il était prêt à perdre sa dignité en se disputant. Même si le gouvernement des Enfers le soupçonnait ou essayait de l'impliquer dans des combines, il suivait toujours ses propres principes. Zhao Yunlan pensait qu'il s'accrochait à un devoir qu'il devait remplir et qu'il avait déjà planifié l'issue de l'affaire. Il avait un mauvais pressentiment à propos de ça.

Il frotta la tête de Da Qing, esquivant rapidement la contre-attaque de la patte de chat.

— Je veux le Pinceau d'Encre de la Vertu, je pourrai l'utiliser comme cadeau de mariage...

Da Qing était furieux.

— Ne sois pas ridicule !

— Mettre en place un voleur pour attraper un voleur, murmura Zhao Yunlan son visage s'assombrissant. Les Rois des Enfers ont un mandat d'un siècle ; cette fournée n'est là que depuis vingt ans, et ils deviennent de plus en plus mauvais. Je n'ai jamais eu l'intention de les affronter, mais ils ont commencé par m'embêter... alors je t'emmène avec moi au Mont Kunlun. C’est un lieu interdit et sacré, pas une arrière-cour pour leur spectacle de monstres.

Da Qing bondit sur son épaule.

— Et Chu Shuzhi ?

— Laisse-le, comment ose-t-il parler à son patron comme ça.

Et pourtant, Zhao Yunlan ne put s'empêcher de sortir la clé, de pousser doucement la porte de son bureau et de regarder à l'intérieur.

Guo Changcheng dormait déjà profondément, mais il n'avait pas osé s'allonger sur le lit, il s'était simplement laissé tomber sur le bureau de Zhao Yunlan. Chu Shuzhi ne pouvait rien faire contre l'Ordre des Gardiens, il ne pouvait donc que rester assis. Mais il était enveloppé d'une couverture, et Guo Changcheng craignant probablement qu'il ne s'ennuie, lui avait donné des écouteurs, puis mis une longue liste de films en lecture.

Chu Shuzhi jeta un coup d'œil nonchalant vers Zhao Yunlan, le regarda comme s'il n'était pas là, puis se retourna vers l'écran de l'ordinateur.

Zhao Yunlan ferma la porte à clé et s'en alla.

— Garder un œil sur un prisonnier est devenu servir un grand roi. Guo Changcheng, ce putain d'idiot, comme j'ai pitié de son oncle.



Le lendemain, Guo Changcheng fut réveillé par un appel téléphonique de Zhao Yunlan. Il se frotta les yeux et découvrit avec stupeur que Chu Shuzhi était déjà debout. La couverture était maintenant enroulée autour de lui. Chu Shuzhi se tenait devant la fenêtre, l'air sévère, fronçant les sourcils et regardant le ciel... il faisait nuit noire ; les lampadaires étaient éteints.

Le ciel était encore sombre.

Zhao Yunlan dit :

— Xiao Guo, tu es debout ?

Guo Changcheng se frotta à nouveau les yeux et fit un bruit affirmatif.

Zhao Yunlan prit un ton doux très rare.

— Dans un instant, quelqu'un va venir au n°4 de la Bright Avenue. C'est quelqu'un du Monde Souterrain, tu devrais préparer des cadeaux. Garde un œil sur Chu Shuzhi, dis-lui de rester calme, ce n'est pas le moment de se battre. Pas besoin de trop leur en dire, mais ne sois pas effrayé non plus, compris ?

Guo Changcheng acquiesça mollement.

— Chef Zhao, où êtes-vous ?

— J'ai quelque chose à faire, dit Zhao Yunlan, mais le signal était brouillé, il y a eu un bourdonnement statique avant qu'il ne dise à Guo Changcheng. Appelle ta famille, et écoute Chu Shuzhi.

Guo Changcheng raccrocha le téléphone et entendit immédiatement un bruit glacial de claquettes en bois. Il se retourna, et l'on frappa à la porte du bureau de Zhao Yunlan. Chu Shuzhi se retourna et dit calmement :

— Entrez.

La porte verrouillée s'ouvrit, et un homme de papier portant un chapeau haut de forme entra avec un gigantesque sac, qu'il déposa devant Chu Shuzhi avec révérence. L'homme joignit les mains, marmonna quelque chose et le corps de Chu Shuzhi commença à se transformer : des écritures apparurent sur son visage, et des chaînes devinrent visibles autour de son cou, de ses poignets et de ses pieds. Elles tombèrent ensuite et atterrirent sur le sol, où elles s'enroulèrent en boule et furent aspirées dans les mains de l'homme de papier.

Guo Changcheng en resta bouche bée de stupeur.

L'homme de papier s'inclina ; Guo Changcheng lui rendit la pareille et se cogna accidentellement la tête contre l'écran d'ordinateur de Zhao Yunlan.

Chu Shuzhi lança un regard arrogant au messager des Enfers, puis ouvrit le sac. La plupart des objets qu'il contenait étaient faits d'os et étincelaient d'une lumière violette et froide. Tous ces objets lui étaient familiers, ils dataient d'il y a trois siècles.

Chu Shuzhi fronça les sourcils, puis demanda froidement :

— Où est le Gardien ?

Le messager avait dû se faire sermonner par le juge. Il secoua la tête pour indiquer qu'il ne pouvait pas parler et, feignant l'ignorance totale, il s'inclina devant les deux hommes et s'éloigna en vacillant.

~~~

Au même moment, le Tueur de Fantômes se trouvait au pied du Mont Kunlun. Il respirait à pleins poumons l'air raréfié et glacial qui rappelait les anciennes terres arides. C'était l'aube, et pourtant le sommet était noir comme la nuit et les nuages étaient bas.

De vagues bruits de gémissements et de pleurs se mêlaient au vent, macabres et glaçants, comme si les âmes endormies des Enfers se réveillaient.

Il porta la main à sa lame. C'est à ce moment qu'il entendit des bruits de pas derrière lui. Sans se retourner, il dit d'un ton indifférent :

— Allons-y.

— Attends, dit une voix familière. Celui qui m'a invité n'est pas encore là. J'ai eu peur que l'avion soit retardé, alors je suis venu plus tôt.

Le Tueur de Fantômes se retourna brusquement et aperçut Zhao Yunlan : il était emmitouflé dans plusieurs couches de vêtements de randonnée, et un chat noir le suivait. Il tenait une tasse de café et mordait dans un hamburger. Il fit un signe de la main et dit avec un sourire béat :

— Tu as mangé ? Il me reste un hachis parmentier.

Notes :
1/ 玄武 (Xuánwǔ) = la tortue noire des cieux du Nord

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Mar 23 Juil 2024 - 18:53



Chapitre 71
Acte 3 : Pinceau d'Encre de Vertu
Le Tueur de Fantômes - Shen Wei - était à bout de nerfs et ses mains tremblaient de rage.

Zhao Yunlan ne semblait pas se rendre compte qu'il faisait bouillir le sang de Shen Wei... ou peut-être faisait-il semblant de ne pas s'en apercevoir. Il trouva un rocher un peu moins enneigé et s'assit sur le bord. Il finit sa tasse de café, puis retira la tranche de fromage du hamburger avec ses dents et la jeta au loin avant de mordre dedans.

Shen Wei le protégea silencieusement du vent jusqu'à ce qu'il ait terminé son petit-déjeuner. Il lui demanda alors, en baissant délibérément la voix :

— Qu'est-ce que je t'ai dit ?

— Peu importe ce que demande le Monde Souterrain, ne l'accepte pas et attends mon retour, dit Zhao Yunlan en s'essuyant la bouche.

Shen Wei baissa encore le ton.

— Alors qu'est-ce que tu fais ici ?

Zhao Yunlan regarda autour de lui, s'assurant qu'il n'y avait personne avec eux à part le chat noir. Il s'approcha ensuite du Tueur de Fantômes et l'entoura de ses bras, qui semblaient aussi froids qu'une sculpture de glace. Se hissant sur la pointe des pieds, il dépose un léger baiser sur le front sous la grande capuche.

— Tu es en colère ?

Da Qing détourna le regard, trouvant le spectacle trop horrible à supporter.

Shen Wei ne bougeant pas, resta aussi immobile qu'un roc.

— Tu aimes vraiment m'énerver ? Je... J'aimerais vraiment...

Zhao Yunlan le lâcha et regarda son visage voilé. Pendant un instant, il put voir où se trouvaient ses yeux sous la brume noire, et il put même sentir l'éclat de son regard. Il soupira, saisit la main de Shen Wei, puis la lâcha en murmurant :

— Tu peux me punir comme tu veux, d'accord ? Je m'agenouillerai même sur une planche à laver. Il n'y aura pas de prochaine fois, je te le promets... D'ailleurs, ce n'est pas entièrement ma faute, tu peux demander à Da Qing, c'est à cause de ce morveux de Chu Shuzhi ; sinon, le juge n'aurait pas eu la mainmise sur moi...

Bien sûr, c'était Zhao Yunlan qui avait mis la main sur les plans des Enfers, et qui avait même réussi à négocier la libération de Chu Shuzhi ! Le chat l'ignora et commença à se nettoyer le visage avec ses pattes... si l'on pouvait faire confiance à cet homme fourbe, alors les cochons pourraient voler.

— Il n'y a pas de retour en arrière possible, dit Zhao Yunlan qui tendit les paumes en signe d'impuissance, Hé... ne t'énerve pas, je ne supporte pas de te voir t'énerver... Shen Wei ? Ah Wei, Xiao Wei, bébé.... ne m'ignore pas, dis quelque chose.

Shen Wei n'émit aucun son, ses poings se serrant douloureusement dans ses manches.

Cette histoire de "bébé" fit frémir Da Qing de la tête à la queue, comme s'il avait des crampes. Il s'éloigna en silence, ne voulant plus rien entendre.

Zhao Yunlan était sur le point de se pencher en avant, mais il s'immobilisa soudain. Il adopta rapidement une expression neutre et recula de quelques pas. Une foule s'approchait, le juge en tête, suivi de Tête de Bœuf, Tête de Cheval, Fantôme Noir, Fantôme Blanc, et de nombreux autres, dont les tribus de métamorphes, et peut-être quelques sages. Zhao Yunlan savait d'emblée qu'aucune de ces personnes n'était ordinaire.

Zhao Yunlan et le Tueur de Fantômes se tenaient côte à côte, ce dernier toujours aussi énigmatique, Zhao Yunlan sans expression, peut-être à cause du froid ou du manque d'oxygène à cette altitude. Son visage était pâle et ses lèvres incolores. Il se retourna en fronçant légèrement les sourcils et hocha poliment la tête.

— Bonjour.

Le juge ne put dire depuis combien de temps Zhao Yunlan était là, ni ce qui se passait entre eux.

Pourtant, la rencontre entre Zhao Yunlan et le Tueur de Fantômes était leur plan, après tout... Maintenant qu'ils étaient au pied du Mont Kunlun, le Tueur de Fantômes n'allait pas laisser Zhao Yunlan repartir seul, il n'avait pas d'autre choix que de l'emmener avec lui. Ils pensaient que même s'il avait des doutes, il n'oserait pas faire quoi que ce soit avec son bien-aimé ici.

Mais avec ce plan, le Monde Souterrain le mettait mal à l'aise. Ils l'exaspéraient complètement.

Le juge essaya de cerner le Tueur de Fantômes, dont la forme était enveloppée d'une fumée de plus en plus dense et sombre ; son cœur battait la chamade de peur.

Malgré son titre, le juge était un subalterne des Dix Rois du Monde Souterrain et n'avait aucun réel pouvoir. Il avait parfois l'impression que son travail se résumait à faire des courses fastidieuses et à servir de bouc émissaire. Maintenant que les dirigeants étaient une jeune génération, ils ne connaissaient que peu ou pas du tout les ancêtres. Dans l'esprit du juge, ces dix-là étaient simplement des idiots qui se croyaient infaillibles parce qu'ils avaient un grand pouvoir.

Peu importe Zhao Yunlan, mais quelqu'un comme le Tueur de Fantômes... Oubliez les courbettes et les flatteries, ils s'attaquaient délibérément à lui. N'avaient-ils pas entendu dire que les chiens qui mordaient n'aboyaient pas ? Si le Tueur de Fantômes se mettait sérieusement en colère, non seulement le Monde Souterrain, mais aussi les Trente-Trois Cieux pourraient ne pas survivre à sa lame.

Le juge sourit tristement, le cœur dans la gorge, et marmonna :

— Seigneur Gardien, vous êtes arrivé bien tôt.

Puis il se tourna vers le Tueur de Fantômes, s'inclina presque jusqu'au sol et dit très respectueusement :

— Votre Hon...

Le juge était encore courbé et n'avait pas fini de parler quand le Tueur de Fantômes se retourna et se dirigea vers le sommet de la montagne sans un mot. Face à cette misérable créature, il bousculait les convenances, il était vraiment furieux.

Le juge n'osa pas se plaindre. Se forçant à rire, il s'empressa de faire avancer la foule pour le rattraper; il savait que le Tueur de Fantômes ne contenait sa colère que parce que Zhao Yunlan était présent.

Le ciel s'assombrissait de plus en plus. De violents coups de vent s'abattaient sur les Neuf Cieux tonnants ; au-dessus, on aurait dit qu'un dragon noir tanguait et dansait derrière les nuages.

Perpétuellement recouvert de neige, d'une hauteur infinie, magnifiquement dentelé et escarpé, le Mont Kunlun perçait les nuages.

De colline en colline, pas d’oiseau en vol, de chemin en chemin, pas d’homme en vue. (1)

Alors qu'ils pénétraient dans la chaîne de montagnes, Da Qing commença à s'agiter sur l'épaule de Zhao Yunlan ; il semblait avoir reconnu quelque chose.

Dès que Zhao Yunlan aperçut le Mont Kunlun, tous ses doutes et ses soupçons s'évanouirent.

Il ne l’avait jamais vu auparavant. Jamais il n'aurait pensé qu'une gigantesque montagne enneigée puisse avoir un lien avec lui. Et pourtant, alors qu'il y entrait, privé de sommeil, il se sentit instantanément lié par le sang.

C'était un sentiment subtil, comme si une ligne de données au plus profond de son âme se connectait soudain à toute la chaîne de montagnes comme un réseau élaboré.

Pendant un instant, il oublia toutes les complications, toutes les créatures étranges derrière lui, et ne regarda même plus Shen Wei, qui était en colère.

Il avança, guidé par son instinct, le Jeton de l'Ordre des Gardien qu'il portait dans sa poche intérieure brûlant de plus en plus fort contre sa poitrine.

— Gardien... Seigneur Gardien ?

Zhao Yunlan fut surpris par le juge qui le tirait en arrière, et il sortit de sa transe. Il se retourna, encore confus.

Sans qu'il ne s'en rende compte, le groupe avait atteint une plaine recouverte d'une neige vierge. Sur les côtés, des rochers géants, plus grands qu'une personne moyenne, étaient disposés selon un ordre de 64 hexagrammes. De minuscules tourbillons passaient de temps en temps, mais l'atmosphère silencieuse était presque solennelle.

Le juge poursuivit prudemment :

— Au-delà de ces rochers se trouve l'entrée du Mont Kunlun ; Seigneur Gardien, pourriez-vous nous montrer le chemin ?

Bien que Zhao Yunlan ne puisse pas voir le visage de Shen Wei, il sentit son regard. Mais lorsqu'il essaya de le trouver, Shen Wei se retourna comme s'il n'en avait rien à faire.

Zhao Yunlan sourit misérablement et donna une tape sur le derrière de Da Qing pour qu'il descende de son épaule. Il sortit le Jeton de l'Ordre des Gardien et s'avança dans la gigantesque rangée de rochers.

À chacun de ses pas, la foule retenait son souffle et le vent cessa de souffler lorsqu'il atteint le centre des rochers. Il laissa derrière lui une longue traînée d'empreintes de pas, semblant solitaire et paisible.

Il ferma les yeux, le profil parfaitement calme, et écouta l'écho des chaînes de montagnes sans limites.

Au nord de la Rivière Écarlate, un pilier reliait le ciel et la terre ; la grande colline aux neuf mille pentes était le berceau des dieux.

Le sommet du pic colossal, qui surplombait les vastes plaines jusqu'à la mer et au-delà, était l'origine de toutes les montagnes et de tous les fleuves, la trame du monde et de toutes les choses qui s'y trouvaient.

Voici Kunlun (2).

Personne ne lui dit ce qu'il devait faire, et il n'avait rien demandé à personne. Pourtant, Zhao Yunlan savait tout simplement, comme si une voix au fond de son cœur guidait chacun de ses gestes. Il ouvrit les yeux et regarda les rochers géants qui tournaient autour de lui, dirigés par son esprit ; ils orbitaient autour de lui comme des étoiles, imprévisibles et trop complexes pour être suivies.

Enfin, quelques personnes commencèrent à bavarder, se demandant qui se trouvait à l'intérieur du cercle de pierre. Shen Wei les ignora et ne regarda qu'une seule personne.

Bien qu'il portait une veste démodée et des chaussures de randonnée, ses cheveux courts étant coiffés en un nid d'oiseau désordonné, aux yeux de Shen Wei, cette silhouette fusionna miraculeusement avec celle de la longue robe verte des années et des années plus tôt.

Il commença à perdre le contrôle ; un brouillard sombre s'échappa de ses manches, englobant Zhao Yunlan et occultant tous les autres, comme s'ils étaient les deux seuls au monde.

Soudain, Shen Wei se met à rire de lui-même. Il y avait quelques milliers d'années, tout ce qu'il voulait, c'était que l'autre le regarde ; il serait mort pour lui, et pourtant, il craignait d'être indigne et trop sale pour être regardé. Aujourd'hui, sa cupidité débordait, il voulait l'avoir pour lui tout seul, ne voulant même pas que d'autres posent un regard sur lui.

Sans qu'il s'en rende compte, une graine avait été semée il y a des siècles, et elle avait germé et s'était répandue en lui jusqu'à devenir une obsession inébranlable.

C'était peut-être sa nature, peut-être son instinct, mais Shen Wei s'était battu contre cette obsession depuis sa naissance, et pourtant, une rencontre fortuite l'avait plongé dans une spirale sans espoir de s'en sortir.

La terre trembla ; un écho de tonnerre se fit entendre au loin, sur le Mont Kunlun. Des éclairs traversèrent d'épais nuages et frappèrent la terre. Au sommet de la montagne, un masque étrange clignota et scintilla. Il semblait s'agir de Visage Fantôme, qui se tenait debout et jetait un regard glacial vers le bas.

Dans un énorme grondement, la rangée de rochers s'enfonça dans la terre et, en un instant, le groupe se retrouva au sommet du Mont Kunlun, le Lieu Interdit, inaccessible à tout autre que les dieux.

La plupart n'avaient pas encore trouvé leur équilibre, et le chat dans les bras de Zhao Yunlan poussa un cri. Le groupe suivit le regard du chat vers l'Arbre Sacré, qui vivait depuis aussi longtemps que l'univers. Les branches entrelacées étaient déjà à moitié flétries ; plus de feuilles, plus de fleurs, l'énergie vitale s'estompait.

Le chat noir se libéra de l'étreinte de Zhao Yunlan. Au moment où ses pattes touchaient le sol, son corps s'allongeait brusquement, se transformant en humain.

Zhao Yunlan ignorait que Da Qing pouvait se transformer. Il tressaillit de stupeur : l'homme devant lui avait de longs cheveux noirs qui descendaient dans son dos et une paire d'yeux de chat étincelants comme des gemmes précieuses, éblouissant d'une lumière froide. Mais il ressemblait toujours au Da Qing dont Zhao Yunlan se souvenait.

Il dit d'une voix grave :

— Qui ose profaner le Mont Kunlun ?

Da Qing fixait l'arbre en train de se dessécher, les yeux rougis par les larmes.

À ce moment-là, d'innombrables bêtes démoniaques sortirent du sol, absorbant l'énergie des racines de l'Arbre Sacré. Soudain, le sol se fissura, et elles s'y engouffrèrent en une horde gigantesque, poussant des cris stridents et des gémissements.

Un violent coup de vent souffla tandis que la tête gigantesque de Visage Fantôme émergeait des nuages épais, longs de mille mètres, recouvrant le soleil et le ciel, avec un sourire diabolique.

Puis, ses membres montagneux vacillèrent dans l'obscurité des nuages qui entouraient toujours le sommet du Mont Kunlun. L'une de ses mains était crispée, et l'autre cachée dans son dos. Derrière lui flottait un énorme chaudron, aussi haut qu'un immeuble de plusieurs étages, qui tournait rapidement. Il souleva des vents hurlants qui firent souffrir les oreilles jusqu'à l'agonie.

Quelqu'un hurla de peur :

— Chaudron des Âmes ! C'est un Chaudron des Âmes !

La main de Visage Fantôme réapparu soudainement de derrière son dos sans un bruit ; il brandit une énorme hache, puis la laissa s’abattre impitoyablement sur le sol

Zhao Yunlan fut poussé sur le côté, manquant de perdre l'équilibre. Il tituba un peu avant de se relever. Un cyclone à l'odeur de sang tourbillonnait devant lui et il peinait à ouvrir les yeux. La hache s'abattit avec le poids d'une montagne, mais elle fut arrêtée par une lame épaisse d'à peine un mètre de long.

Le Tueur de Fantômes était comme une fourmi qui soutenait un énorme rocher. Une rafale vicieuse déchira sa manche, révélant ses mains pâles et fines. Puis, avec un léger craquement, le poignet du Tueur de Fantômes se tordit, provoquant une cassure dans la hache géante.

Il donna un autre coup et, dans un fracas retentissant, la hache géante s'éloigna, tandis que de plus en plus de fissures se propageaient depuis la petite cassure. La hache tomba au sol, créant un gouffre d'une centaine de mètres de long au sommet de la colline enneigée. De nombreuses bêtes démoniaques périrent sous la hache de leur maître.

Après le premier round de ce duel pétrifiant, le Tueur de Fantômes dit à voix basse :

— Un Chaudron des Âmes ! Tu as perdu la tête.

Notes :
1/ Citation du poème classique "Neige de rivière" de Liu Zongyuan
2/Il s'agit d'une citation de 山海经 (Shānhǎi Jīng) "Le classique des montagnes et des mers", un texte classique et une compilation de la géographie mythique.

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Mar 23 Juil 2024 - 18:54



Chapitre 72
Acte 3 : Pinceau d'Encre de Vertu
Visage Fantôme prit enfin la parole.

— Ce n'est pas le cas. Tu as le Poinçon des Montagnes et des Rivières, et c'est bien comme ça, tu me l'apporteras un jour ou l'autre. Mais je dois avoir le Pinceau d'Encre de la Vertu. Si deux des quatre piliers qui soutiennent le ciel s'effondrent, plus personne ne pourra m'arrêter, dit-il en laissant son regard sombre balayer la foule. Je vois que tu as amené de la compagnie. Ont-ils peur que tu changes de camp ?

Ces mots furent comme une gifle pour la quasi-totalité des personnes présentes.

Visage Fantôme regarda autour de lui et aperçut Zhao Yunlan ; son sourire devint de plus en plus étrange.

— Oh, le Gardien est là aussi, ce n'est pas étonnant.

Da Qing s'apprêtait à faire un pas en avant, le visage froid, mais Zhao Yunlan saisit ses longs cheveux à mi-course et le tira en arrière.

Affichant un faux sourire, il enroula une main dans les cheveux de Da Qing pour le bloquer, tandis qu'il enfonçait son autre main dans sa poche pour y chercher une cigarette.

Même sous sa forme humaine, Da Qing avait encore des instincts de chat ; il se retourna et griffa Zhao Yunlan. Mais sans griffes, il était inoffensif et ne laissait que de vagues traces. La main de Zhao Yunlan était suffisamment froide pour le faire tressaillir.

— Ne me cause pas d'ennuis, gros con.

Zhao Yunlan osa même continuer à utiliser son surnom insultant pour cette personne immortelle.

Da Qing dit :

— Qu'est-ce qui ne va pas chez toi ?

Les yeux de Zhao Yunlan brillaient tandis qu'il soufflait un anneau de fumée de ses lèvres pâles et exsangues. En tripotant sa cigarette, il murmura :

— Je suis un peu nerveux.

Les yeux de Da Qing s'écarquillèrent. Zhao Yunlan jeta un coup d'œil sur les côtés.

— Les corbeaux sont avec le Monde Souterrain, les autres métamorphes avec leurs propres tribus, il y a les Arhats (1) de l'Ouest, et qui sont ces types là-bas, des Taoïstes ?

Après l'effondrement de la hache fracassante de Visage Fantôme, la foule s'était naturellement divisée en groupes distincts.

— Certains sont des sages, d'autres se sont transcendés et travaillent pour le Ciel, dit Da Qing. Mais aucun d'entre eux n'a ce qu'il faut pour s’immiscer entre ces deux-là ; sans toi, ils ne pourraient même pas monter jusqu'ici. À part ces deux-là, la seule qui oserait se battre ici est celle au corps de serpent.

Le visage d'une personne, un corps de serpent : c'était la déesse antique et impératrice toute-puissante, Nüwa.

Des flocons de neige commencèrent à voler dans le ciel lugubre. Des bêtes démoniaques hideuses, des anges et des fantômes venus de tous les horizons se confrontaient, au bord du combat.

Da Qing évitait de regarder l'Arbre Sacré, parvenant à peine à garder son calme. Il dit à Zhao Yunlan :

— Tu ferais mieux de reculer.

La neige tomba sur la cigarette de Zhao Yunlan. Il sortit un mouchoir en papier, le roula et le glissa dans sa poche de manière écologique. Suivant les conseils de Da Qing, il se déroba de la confrontation. Passant devant tout le monde, il se dirigea directement vers l'Arbre Sacré et posa sa main sur le tronc flétri et glacé.

Il était difficile de déterminer sa taille, mais ses racines sortaient de terre jusqu'au niveau de la poitrine de Zhao Yunlan ; l'arbre lui-même était comme une divinité.

— Je ne connais rien, dit Zhao Yunlan dans son esprit, mais vous me reconnaissez, n'est-ce pas ?

Tout à coup, une pousse verdoyante jaillit du tronc de l'arbre, s’entortillant lentement comme une mèche de cheveux, et s'enroula doucement autour de son doigt.

Zhao Yunlan s'accrocha à la sangle de son petit sac à dos et sourit faiblement.

— Alors je vais essayer.

Au même moment, Visage Fantôme tendit la main vers l'énorme Chaudron des Âmes et le tint dans ses paumes. Il était si grand qu'il semblait s'étendre à travers tout le ciel. Une substance sombre et fumante écumait sur le bord du chaudron, contrastant avec ses doigts pâles.

— L'Ancien Arbre de la Vertu... un corps qui n'a pas encore vécu mais qui est mort, entendit Zhao Yunlan marmonner le Visage Fantôme. Le Gardien sait-il ce qu'est vraiment le Pinceau d'Encre de la Vertu ?

Zhao Yunlan se retourna, s'adossa à l'Arbre Sacré et regarda Visage Fantôme de loin.

— Écoutons-le.

— Avant que les Empereurs Yan et Yellow ne se battent contre Chiyou, les conflits entre divinités étaient courants. Fuxi et Nüwa voulaient rétablir l'ordre, alors ils sont allés au Mont Kunlun, et ont récupéré une branche de l'Arbre Sacré. Nüwa s'est souvenue qu'elle avait créé des humains porteurs des trois maux éternels à partir du sol, et elle a donc pris sur elle de planter la branche dans les Terres Profanes...

Le Tueur de Fantômes rugit :

— Tais-toi !

De la fumée noire s'éleva soudain autour de son corps tout entier, la Lame Tranchante de l'Âme dans ses mains s'allongeant de plus en plus, comme le légendaire Bâton de Cerceau d'Or du Roi Singe ; seule la poignée resta de la même taille, supportant le poids colossal de l'immense lame.

Elle semblait toucher le ciel, soulevant un violent orage, comme si elle avait percé le ciel pour faire tomber le tonnerre et la foudre, frappant vers la tête de Visage Fantôme.

Dans un grand éclat de rire, celui-ci leva simplement la tête, ouvrit la bouche et avala la foudre. La Lame Tranchante de l'Âme s'abattit immédiatement, visant le Chaudron des Âmes qu'il tenait dans ses mains et s'approchant de sa poitrine. Un vent violent se leva autour d'elle, projetant des grêlons de la taille d'un poing un peu partout. Une masse de bêtes démoniaques bondit vers l'avant.

Dans le noir absolu au sommet du Mont Kunlun, la bataille de nombreux dieux et démons était en cours.

Zhao Yunlan lutta longtemps pour garder l'équilibre, jusqu'à ce qu'il abandonne et s'assoie sur les racines saillantes de l'Arbre Sacré. Il n'y avait rien à faire au milieu de ce chaos, alors il alluma une autre cigarette. Il comprenait enfin le dilemme du Tueur de Fantômes : Visage Fantôme ne le traitait pas comme un ennemi, les autres ne le traitaient pas comme un allié... le fait était que personne d'autre n'était à leur niveau.  Ici, ils montraient enfin leurs véritables pouvoirs. La dernière fois, sous le Poinçon des Montagnes et des Rivières, si Visage fantôme ne s'était pas retenu, il n'aurait pas été aussi facile de mettre un terme au combat.

Visage Fantôme ne semblait pas vouloir se battre contre le Tueur de Fantômes.

— Les Terres Profanes ? répéta Zhao Yunlan en retenant son souffle.

Visage Fantôme avait brièvement répondu à toutes ses questions : la légende disait que les humains naissaient avec trois maux : l'avidité, la haine et l'ignorance, également appelés les Trois Corps (1). Et ce livre disait que les trois maux éternels venaient du sol, donc les Terres Profanes étaient probablement à l'origine de "l'avidité, la haine et l'ignorance".

Visage Fantôme s'élança, esquivant la Lame Tranchante de l'Âme. Elle fendit le sol, faisant trembler l'ensemble du Mont Kunlun. Il poursuivit :

— L'Arbre Sacré a fait preuve de clémence. Il s'est desséché et est mort, puis il a repoussé et est devenu le légendaire Ancien Arbre de la Vertu. Puis, après la bataille entre Chiyou et les deux empereurs…

—  Tais-toi ! Tais-toi !

La lame du Tueur de Fantômes se dirigea à nouveau vers lui. Zhao Yunlan ne voyait pas où se tenait Shen Wei, et ne parvenait pas à imaginer comment il pouvait manier une lame de cent mètres de long avec aisance.

D'un coup de lame à la taille, les paroles de Visage Fantôme furent une fois de plus interrompues ; son corps rétrécit de moitié et la Lame Tranchante de l'Âme manqua de peu de lui passer sur la tête. Le Chaudron d'Âme s'écrasa au sol dans un bruit sourd, et d'innombrables voix crièrent instantanément son nom.

Une procession sans fin de bêtes démoniaques surgissait du Chaudron des âmes.

Zhao Yunlan le fixait, mais il ne semblait ni indigné, ni agité. Il ne se retourna même pas lorsqu'il remarqua que quelqu'un s'approchait de lui par derrière.

Da Qing était beaucoup moins calme. Il bondit de l'arbre, une dague à la main, comme s'il cachait des griffes de chat dans ses pattes, s'élançant vers cette personne comme un fantôme.

Visage Fantôme leva la main et fut rapidement poignardé par Da Qing. Mais son poignet était aussi dur que de l'acier et, avec un bruit sourd, il dévia la Lame Tranchante de l'Âme et l'envoya valdinguer. Il tendit la main pour attraper Da Qing par le cou, mais même après sa transformation, Da Qing était toujours aussi agile que sous sa forme féline. Il rebondit sur l'Arbre Sacré en deux sauts périlleux arrière, où il se blottit et fixa Visage Fantôme comme un tigre guettant sa proie.

— Réfléchis à l'identité du propriétaire avant d'essayer de frapper un chat, dit finalement Zhao Yunlan.

Il marqua une pause, transforma son sourire en une expression indifférente et se tourna lentement vers Visage Fantôme. Il lui jeta un regard peu impressionné, puis se mit à rire soudainement.

— Tu n'es arrivé jusqu'ici qu'à cause du feu de l'âme sur mon épaule, tu crois vraiment que c'est ton territoire ?

Cette phrase fonctionna mieux qu'une grêle de balles. L'arrogant Visage Fantôme s'arrêta net, à trois mètres de Zhao Yunlan, et n'osa pas s'approcher davantage.

Shen Wei, qui se précipitait, l'entendit également et se figea de stupeur.

— Après la bataille entre les Empereurs Yan, Yellow et Chiyou, les Trois Souverains n'ont pas supporté de voir le monde dans cet état, alors ils ont créé le Pinceau d'Encre de la Vertu à partir de l'Ancien Arbre de la Vertu. Toutes les choses du monde ont un esprit, et le Pinceau d'Encre de la Vertu enregistre toutes les actions, bonnes ou mauvaises.

Zhao Yunlan prit son temps, fit face au masque de Visage Fantôme et lui souffla un anneau de fumée.

— Le Pinceau d'Encre de la Vertu, l'un des quatre artefacts mystiques, a été scellé lorsque Nüwa a réparé le ciel et transformé les quatre pattes de l'Ao en quatre piliers célestes. Le Cadran Solaire de la Réincarnation a été laissé sur terre, le Poinçon des Montagnes et des Rivières a été enterré sous terre, le Pinceau d'Encre de la Vertu...

Les lèvres de Zhao Yunlan se retroussèrent légèrement, tandis qu'il laissait son regard se diriger de l'autre côté.

— Le Pinceau d'Encre de la Vertu s'est brisé en d'innombrables morceaux, et a atterri sur chaque âme vivante sur terre... C'est bien ça, honorable juge ?

La silhouette qui se cachait derrière l'Arbre Sacré s'avança et s'agenouilla sur le sol, la tête contre la terre, tremblant.

— Je n'avais pas d'autre choix que de cacher la vérité. Veuillez pardonner ma malhonnêteté, Seigneur Kunlun.

Zhao Yunlan ne regarda plus le juge, et se contenta de soupirer.

— Peut-être que le juge est une bonne âme et qu'il n'est pas très doué pour le mensonge... Laisse-moi te dire que la clé du mensonge, c'est d'avoir les bons détails. Ce que tu m'as dit hier soir n'était qu'un tissu d'inepties, tout le monde pouvait s'en rendre compte ! Les âmes humaines sont apparues avec la création de Nüwa, alors comment les morceaux du Pinceau d'Encre de la Vertu peuvent-ils être des âmes humaines ? Est-ce que les âmes de chaque personne vivante ont été utilisées pour former le Pinceau d'Encre de la Vertu ? Je n'en serais pas capable, aucun d'entre nous n'en serait capable, n'est-ce pas ? Je crains que beaucoup de ceux qui sont venus ici aujourd'hui n'aient été trompés par votre petite histoire ?

Le juge tremblait comme une feuille.

À cet instant, l'énorme Chaudron des Âmes, pour lequel tout le monde se battait, trembla, et tout le Mont Kunlun avec lui. L'Arbre Sacré derrière Zhao Yunlan fit soudain pousser d'innombrables bourgeons, et dans un gargouillement, quelques fleurs poussèrent sur les branches mortes depuis longtemps dans cet endroit désolé et couvert de neige.

Zhao Yunlan s'appuya paresseusement contre le tronc d'arbre, apparemment insensible à cette agitation, et parla dans le silence qui suivit le tremblement de terre :

— Puisque je suis Kunlun, le Pinceau d'Encre de la Vertu m'appartient, alors pourquoi ne le rendrais-tu pas à son propriétaire légitime ?

Le masque que portait Face Fantôme se tordit et se déforma. Zhao Yunlan le regarda paresseusement, ramassa quelque chose avec un mouchoir en papier, mouillé par la neige, chassa quelques cendres, puis lâcha une bombe :

— Ne me jouez pas de mauvais tours, je sais à quoi vous ressemblez.

Sentant son voisin se raidir, Zhao Yunlan baissa la voix pour expliquer :

— L'apparence n'est qu'une illusion, tu crois vraiment que je ne peux pas faire la différence ?

Avant que le Tueur de Fantômes ne puisse ouvrir la bouche pour répondre, une gigantesque tempête se déchaîna sur le Mont Kunlun, soufflant encore plus fort que lors du duel précédent. Da Qing fut presque projeté hors de l'arbre ; il se transforma en chat et s'accrocha à la branche avec ses griffes. Le Tueur de Fantômes et Visage Fantôme ne semblaient pas affectés, tout comme Zhao Yunlan qui réussissait à rester debout grâce à l'Arbre Sacré qui lui servait de couverture, mais tous les autres étaient balayés.

Le juge, qui était déjà agenouillé, fut projeté tête la première dans la neige boueuse, ceux qui se battaient dans les airs furent projetés vers le sol, ceux qui tentaient de fuir dans la terre furent déterrés ; de nombreuses bêtes démoniaques furent projetées dans le cyclone qui menaçait d'aspirer tout le monde.

Dans l'œil du cyclone, la forme vague et vacillante d'un gigantesque pinceau d'encre apparu : c'était le Pinceau d'Encre de la Vertu !

Le Chaudron des âmes se brisa instantanément, et le Pinceau d'Encre de la Vertu redevint entier.

Pourtant, Zhao Yunlan, Shen Wei et Visage fantôme ne bougeaient pas, comme si le pinceau d'encre géant qu'ils cherchaient tous n'avait soudain plus d'importance.

Visage Fantôme demanda :

— Puisque le Garde... Dieu de la montagne doit l'avoir, pourquoi ne vas-tu pas le chercher ?

Même secoué par les rafales violentes, Zhao Yunlan parvint à garder l'air imperturbable, et dit d'un ton significatif :

— J'ai peur que quelqu'un n'essaie d'en profiter.

Le juge garda la tête baissée et n'osa pas prononcer un mot.

Visage Fantôme soupira.

— On vous en doit une pour l'incendie, je n'ai vraiment pas envie de faire ça.

Il siffla, et une horde de bêtes démoniaques surgit du sol, entourant le groupe de personnes. Le Tueur de Fantômes vient immédiatement se placer à côté de Zhao Yunlan, lame en main.

— Oh, dit froidement Zhao Yunlan. Mon arbre est donc infesté de vers.

Après ces mots, il tira quelque chose de sa main, une sorte d'acide puissant qui se répandit sur tout le sol. Les bêtes démons qui venaient d'émerger du sol poussèrent des gémissements inhumains ; le juge pâlit, comme si une brise pouvait le renverser. Il recula rapidement en criant :

— Infusion des Cinq Noirs ! C'est... c'est de l'Infusion des Cinq Noirs !

Elle était fabriquée à partir du sang de cinq animaux noirs : le chien, le chat, la mule, le cochon et le poulet. Ils devaient tous être nés à une heure sombre d'un mois sombre, avec des entrailles noires et une fourrure complètement noire. Ce n'était pas très précieux, mais c'était particulier et difficile à obtenir. C'était une recette secrète qui pouvait retenir les habitants des Enfers.

Il était évident que c'était pour eux qu'elle avait été préparée à l'origine.

Avant que quiconque ne puisse faire un geste, le Pinceau d'Encre de la Vertu rétrécit et s'envola vers l'Arbre Sacré. Tout le monde le regarda attentivement s'enfoncer dans le tronc de l'arbre.

Personne n'aurait pu prévoir la tournure des événements. Visage Fantôme frappa le juge, l'envoyant voler, et tendit la main vers l'Arbre Sacré. Zhao Yunlan bloqua sa main.

Le bras de Visage Fantôme était si dur que Zhao Yunlan avait l'impression d'avoir heurté une barre d'acier renforcée ; il n'avait pas besoin de regarder sous sa manche pour savoir que son poignet devait être noir et bleu.

Mais il ne laissa rien paraître, et Visage Fantôme ne sembla pas vouloir l'affronter de front ; il changea de tactique, se faufilant du côté de Zhao Yunlan pour toucher l'Arbre Sacré.

Un grincement sec se fait entendre, et le grand arbre rebondit contre la main de Visage Fantôme avec une telle force que deux de ses ongles durs comme le fer se brisèrent, ruisselant de sang noir.

Zhao Yunlan enfonça ses mains dans ses poches et fit une grimace, comme s'il savait ce qui allait se passer. Tout sourire, il dit :

— Je t'ai bloqué parce que j'avais peur que ta main soit blessée, mais tu ne peux vraiment pas distinguer le bien du mal, n'est-ce pas ?

Le Visage Fantôme grinça des dents, puis disparut dans un nuage de fumée noire. Il ne parvient pas à éloigner ses sbires. Ils continuèrent d'avancer vers Zhao Yunlan, mais chacun d'entre eux fut rapidement décapité par la Lame Tranchante de l'Âme.

Zhao Yunlan poussa un soupir de soulagement et afficha un sourire narquois. Il toucha ensuite le tronc de l'Arbre Sacré, et sentit une force l'attirer.

Quel grand arbre, se dit Zhao Yunlan, agréablement surpris.

—  Toi...

La capuche de Shen Wei s'était envolée lorsque le Pinceau d'Encre de la Vertu était apparu, et même le brouillard sombre qui enveloppait habituellement sa silhouette s'était dissipé. Le visage familier montrait des émotions complexes : de l'espoir, de l'inquiétude, et un peu de tension prudente.

— Tu te souviens de tout ?

— Bien sûr que ce n'était que des conneries, vous êtes des idiots, si crédules, dit Zhao Yunlan en faisant un clin d'œil et en agitant son poignet. Oh putain, ça fait un mal de chien, ce gamin de Visage Fantôme est dur comme du diamant.

Shen Wei resta sans voix.

Son cœur, qu'il avait en travers de la gorge quelques instants plus tôt, s'effondra, battant douloureusement contre sa poitrine.

Zhao Yunlan dit :

— Prends ma place ici et bloque-les. L'Arbre Sacré m'appelle, je dois aller y jeter un coup d'œil. C'est encore mieux si je peux obtenir le Pinceau d'Encre de la Vertu.

Il sauta dans l'Arbre Sacré. Alors que la moitié de son corps était déjà immergée, il pensa à quelque chose. Tournant la tête vers Shen Wei, il dit :

— Celui qui rentre le premier à la maison laisse la lumière allumée et la porte déverrouillée. Je t'aime.

Sur ces mots, il disparut dans l'Arbre Sacré.

Notes :
1/ 三尸 (Sān Shī) "Trois corps" = croyance daoïste selon laquelle les humains portent en eux trois démons qui causent des maladies et accélèrent la mort.

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Néphély
Mar 23 Juil 2024 - 18:54



Chapitre 73
Acte 3 : Pinceau d'Encre de Vertu
Une fois Visage Fantôme parti, Shen Wei entreprit de nettoyer le sommet du Mont Kunlun, le débarrassant de l'infestation de bêtes démoniaques. Bientôt, la plupart des gens que le juge avait amenés avec lui étaient partis. Il ne reste plus que Tête de Bœuf et Tête de Cheval, qui aidaient le juge à se relever. Il semblait avoir quelque chose à dire, mais n'osait pas s'approcher. Shen Wei leva la main vers Da Qing et lui dit :

— Viens, je vais te ramener.

Da Qing sauta sur son épaule. Shen Wei avait à peu près la même carrure que Zhao Yunlan, et ses épaules n'étaient pas plus étroites que les siennes. Pourtant, se tenir sur l'épaule du Tueur de Fantômes semblait étrange, alors il se roula en boule noire, s'accrochant aux vêtements de Shen Wei à l'aide de ses griffes.

A ce moment-là, le juge semblait avoir repris courage et commença :

— Votre Honneur...

Shen Wei rangea sa lame mais continua d'avancer. Il se contenta de dire d'un air impassible :

— Fuyez, ne m'obligez pas à maudire.

Le ciel s'éclaircit enfin, brillant de rayons tardifs.

Lorsque Shen Wei retourna dans le petit appartement de Zhao Yunlan, il était déjà midi passé. Toutes les chaînes de télévision relataient les anomalies de la matinée, invitant toutes sortes d'experts à s'exprimer sur ce qui s'était passé.

Mais Shen Wei ne fit qu'une chose : attendre près de la porte.

Littéralement. Il déplaça un petit fauteuil face à la porte, puis resta assis, immobile.

Da Qing était tranquillement installé près de la fenêtre, comme une statue de chat, feignant de ne pas exister.

Trois ou quatre heures plus tard, alors que le soleil avait presque disparu, le téléphone de Shen Wei fini par vibrer.

Il ne réagit pas tout de suite. Lorsqu'il le saisit enfin et le regarda, ce fut comme s'il revenait à la vie.

Il y avait trois messages d'affilée.

“J'ai enfin reçu un signal. Je vais bien, je reviens bientôt.”

Une minute plus tard.

"Merde, mon patron m'appelle, il y a un dîner. Ne m'attends pas."

Une autre minute plus tard.

"Va te coucher tôt, sois sage."

Da Qing sauta du rebord de la fenêtre, fit le tour du fauteuil à mi-chemin et trouva enfin le courage de demander, le plus poliment du monde :

— Votre Honneur, si je peux me permettre, était-ce le Gardien ?

Shen Wei acquiesça.

— Il a quelque chose à faire, il reviendra plus tard dans la soirée.

Da Qing soupira, hésita, puis dit :

— Alors...., je vais retourner au 4 de la Bright Avenue.

Shen Wei le regarda, et Da Qing baissa instinctivement son regard... il ne semblait pas se souvenir d'avoir dit "Professeur Shen ceci", "Professeur Shen cela" tout le temps.

Shen Wei acquiesça.

— Prenez soin de vous.

Avec un grand soulagement, Da Qing ouvrit la porte et s'en alla. Partager une pièce avec le Tueur de Fantômes n'était pas une plaisanterie ; s'il n'y avait pas eu cet abruti de Zhao Yunlan, il n'aurait pas laissé un frigo entier de snacks de poisson séché sans le manger et ne serait pas venu ici pour souffrir.

— — — — — — —

Zhao Yunlan ne participait à aucune réunion. Il n'allait vraiment nulle part. Après avoir envoyé les messages, il commença à errer sans but dans les rues de la Cité du Dragon.

D'habitude, les hivers étaient secs, mais cet hiver était exceptionnellement neigeux et brumeux. Le sol était recouvert d'une fine couche de neige fondue ; de temps en temps, une voiture passait lentement et prudemment. La plupart des petits commerces de bord de route étaient déjà fermés, et il n'y avait que quelques piétons ; tout cela semblait un peu désolé.

Il avait l'air perdu et ne semblait pas savoir où aller. Des traînées de sang atteignirent ses iris, il était pâle et hagard.

Quelque instant plus tard, le téléphone de Zhao Yunlan sonna. Il répondit d'une voix rauque.

— Salut, papa.

— Hm, répondit une voix à l'autre bout du fil. Comment se fait-il que je n'ai pas pu te joindre plus tôt ?

Zhao Yunlan ne savait pas quoi répondre. Il se tenait sur le bord de la route, où le vent soufflait très fort. Les rafales sèches et froides lui firent rougir les yeux. Après quelques secondes, il répondit, penaud,

— Pas de signal peut-être.

Le père de Zhao Yunlan demanda :

— Où es-tu maintenant ?

Lui non plus ne savait pas. Après avoir cherché un panneau de signalisation, il communiqua sa position.

Son père lui dit :

— Attends là, je viens te chercher.

Zhao Yunlan s'accroupit sur le bord de la route et attendit. Une vingtaine de minutes plus tard, une voiture s'arrêta à côté de lui. Le conducteur le regarda avec dédain.

— Pourquoi as-tu l'air d'un mendiant ? Monte dans la voiture.

Zhao Yunlan lui fit une grimace, tapa ses pieds engourdis et monta dans la voiture. Comme un chien à l'agonie, il posa ses fesses sur le siège à côté du conducteur, les bras croisés contre sa poitrine, les épaules voûtées, transmettant clairement le message suivant : “Je ne veux pas te parler, ni répondre à tes questions.”

Son père commença à conduire et lui jeta un coup d'œil.

— Où es-tu allé, et pourquoi es-tu habillé de la sorte ?

— Plateau tibétain, répondit Zhao Yunlan sans ambages.

—  Qu'est-ce que tu faisais là-bas ?

— J'ai aidé à capturer de vilains braconniers dans la réserve de Kekexili.

Le père de Zhao Yunlan dit :

— Foutaises.

Zhao Yunlan ne répondit rien.

Après un moment de silence, son père dit :

— Ta mère me l'a dit il y a deux jours. Je ne savais pas quoi te dire, alors je ne suis pas venu te chercher plus tôt.

Zhao Yunlan lui lança un regard fatigué.

— Quand tu étais jeune, c'était à l'époque où ma carrière a décollé. J'étais plus occupé que jamais. À l'époque, c'était toujours ta mère qui s'occupait de toi, et je n'ai jamais vraiment fait quoi que ce soit, mais je n'y ai jamais pensé. Jusqu'à ce que tu ailles à l'école et que ta mère me traîne au club des parents de l'école. Ce n'est qu'à ce moment-là que j'ai réalisé, après avoir passé mes week-ends libres à discuter avec les enseignants et les autres parents, que tu étais différent des autres enfants.

Zhao Yunlan sourit amèrement.

— Pas seulement différent, de toute évidence ton fils est un monstre... D'accord, papa, trouvons un autre moment pour parler. Je n'en ai vraiment pas envie aujourd'hui.

Le père de Zhao Yunlan le regarda tranquillement.

— Je crois que je t'ai trop gâté.... Ai-je dit quoi que ce soit lorsque tu as eu l'idée saugrenue de créer l'unité d'enquête spéciale ? Je t'ai même aidé en tirant quelques ficelles. Ne va pas trop loin.

Zhao Yunlan reste assit en silence pendant un moment.

— D'accord, qu'est-ce que tu veux demander ?

— Je sais que je suis vieux jeu, mais je dois te demander si tu peux rompre avec ce professeur ?

— Non, dit Zhao Yunlan d'un ton ferme et résolu.

— Je ne veux pas me battre avec toi, nous pouvons en discuter calmement, dit le père de Zhao Yunlan en fronçant les sourcils. Dis-moi, qu'est-ce que tu aimes chez lui ? Qu'est-ce qui est irremplaçable chez lui ? En quoi vaut-il la peine de supporter la stigmatisation sociale, et le fait que vous ne puissiez pas être ensemble légalement ? Faut-il que ce soit lui ?

— Maman n'est pas aussi belle que Zhiling, pourquoi as-tu abandonné toute la forêt pour un arbre ? dit Zhao Yunlan avec impatience, puis pousse un grognement désagréable. Qu'est-ce que j'en ai à faire de la stigmatisation, et que signifie "légalement", de toute façon ? Si je veux, je peux faire mon propre certificat de mariage. Sur University Street, je peux acheter toutes sortes de sceaux officiels sculptés dans des radis, cinq dollars chacun, où est le problème ?

— Je discute avec toi calmement, c'est quoi cette attitude ?

— Désolé... répondit Zhao Yunlan avant de rester silencieux un moment, de baisser les yeux et de se pincer l'arête du nez.

— Peut-être qu'un jour, quand ton taux d'hormones sera redevenu normal, tu regretteras cette décision.

Le père de Zhao Yunlan garda un ton calme et digne. Cela lui permis de se détendre ; personne ne le qualifierait d'intimidant. Au contraire, il était beaucoup plus facile de persuader quelqu'un de cette façon. Il dit :

— La passion est attirante ; j'ai été jeune, je connais ce sentiment. Mais je n'approuve pas du tout l'amour trop difficile. Sais-tu pourquoi ?

Zhao Yunlan ne répondit pas.

— As-tu lu 'Anna Karénine' ? demanda le père de Zhao Yunlan en roulant lentement dans les rues désertes. Pourquoi Anna est-elle morte à la fin ? Bien sûr, on pourrait dire que son histoire d'amour est immorale et que votre relation ne l'est pas. Et je suis d'accord. Mais il y a quand même une similitude... l'amour est fort mais fragile ; peut-être que face à l'adversité, il peut s'élever avec une grande puissance, se transcender en une sorte d'ardeur exemplaire, et c'est pour cela qu'il est loué depuis l'Antiquité. Mais il faut se souvenir du dicton : "Ce n'est pas la montagne qui t'épuise, c'est le grain de sable dans ta chaussure”.

Zhao Yunlan ne prononça pas un mot.

Son père soupira.

— Un amour difficile peut être supporté avec persévérance et courage. Mais l'amour finit toujours par s'estomper, tu y as pensé ? Quand la passion aura disparu, vous ne vous souviendrez plus des souvenirs agréables et excitants lorsque vous vous regarderez l'un l'autre. Vous vous souviendrez seulement des difficultés que vous avez rencontrées. Comment le verras-tu à ce moment-là ? Et comment te verra-t-il ? Tu y as déjà pensé ? Tout le monde est pareil, ne pense pas que tu es l'exception. Tu te souviens du marchand de glaces que tu aimais beaucoup quand tu étais petit ?

Zhao Yunlan secoua lentement la tête.

— Ta mère pensait que c'était mauvais pour ta santé, alors elle ne te laissait pas manger de la malbouffe. Tu en étais obsédé toute la journée, et tu as même fait une grève de la faim. C'est alors que j'ai eu une idée... Je t'ai emmené chercher des glaces trois fois par jour, et tu en as mangé au moins deux grands bols à chaque fois. Même quand tu as eu des maux d'estomac, j'ai continué à t'y emmener pendant un mois. Par la suite, dès que je mentionnais le magasin de glaces, tu pleurais et t'accrochais au chambranle de la porte, refusant d'y aller.

Les lèvres de Zhao Yunlan se retroussèrent à contrecœur en un sourire. Le père de Zhao Yunlan dit calmement :

— Réfléchis encore. Peux-tu vraiment continuer comme ça avec ce professeur ?

Lorsqu'il parlait raisonnablement comme cela, personne ne pouvait faire la sourde oreille. Zhao Yunlan fit une pause avant de répondre. Il attrapa une bouteille d'eau, en but la moitié, puis dit lentement :

— Je connais Shen Wei depuis très longtemps, depuis que j'ai commencé à travailler ; cela fait quelques années maintenant. Papa, je comprends ce que tu veux dire, mais il y a des gens dans ce monde, indépendamment de l'attraction, de l'attrait, de l'obsession ou de la simple convoitise, si tu ne les traites pas correctement, tu te sentiras comme un connard sans valeur.

Le père se tourna pour le regarder. Zhao Yunlan était appuyé contre le siège, les yeux à moitié fermés. Peut-être à cause de son manque de sommeil, ses doubles paupières avaient presque triplées, ce qui lui donnait l'air encore plus fatigué.

Son père resta silencieux pendant un long moment. Puis il dit à contrecœur :

— D'accord, tu es un adulte maintenant, il y a des choses dont je n'ai pas à me mêler. Si tu le crois vraiment, alors je n'ai rien à dire... Quand je serai libre et à la maison, tu pourras l'inviter à manger.

— Merci.

Zhao Yunlan n'avait pas l'air soulagé ou heureux. Il continuait à froncer les sourcils. Au bout d'un moment, il dit avec hésitation :

— Papa, on va boire quelques verres ?

Le père de Zhao Yunlan lui jeta un coup d'œil. Il fit demi-tour et l'emmena dans un restaurant tenu par des gens du coin, petit et relativement calme. Il présenta la carte des boissons à Zhao Yunlan et lui dit :

— Vas-y, commande quelque chose, je t'en prie.

Puis il fit un signe de tête au serveur.

— Donnez-moi une tasse de thé de la déesse de fer.

Le fils et le père s'assirent l'un en face de l'autre, l'air et l'apparence étant sensiblement les mêmes. L'un buvait du thé, l'autre de l'alcool ; aucun ne faisait de bruit, aucun ne dérangeait l'autre.

L'ivresse ne se lisait pas sur le visage de Zhao Yunlan : plus il buvait, plus il était pâle. Lorsque deux bouteilles vides se trouvèrent devant lui, son père l'arrêta et appela le serveur :

— Apportez-lui une tasse d'eau au miel. Tu peux boire un peu quand tu te sens mal, mais je suis ton père, je dois garder un œil sur toi. Je ne peux pas te laisser t'abîmer l'estomac ou t'empoisonner à l'alcool.

Zhao Yunlan hésita et dit :

— Je n'ai pas mangé. Je vais prendre du riz frit.

— Alors, tu peux me dire ce qui t'arrive ? Tu t'es disputé avec ton professeur ? demanda son père.

— Bien sûr que non, répondit Zhao Yunlan avec un sourire mal à l'aise. J'ai largement dépassé l'âge de piquer des crises de colère pour des choses insignifiantes.

— Alors qu'est-ce que c'est ?

Pendant un moment, Zhao Yunlan ne dit rien. Ses yeux fixèrent le plateau de marbre, comme s'il cherchait un motif parmi les veines irrégulières. Lorsque la nourriture et la boisson arrivèrent, son regard vacilla et il baissa la tête.

— Il se passe tellement de choses que je n'arrive pas à savoir si j'ai raison ou tort. Que dois-je faire ?

Le père de Zhao Yunlan alluma une cigarette et resta silencieux un moment avant de répondre :

— Je ne peux te parler que de ma propre expérience. Toutes ces années m'ont fait comprendre qu'il y a quatre choses dans la vie sur lesquelles il ne faut pas trop s'attarder : pour toujours, le bien ou le mal, le gentil ou le méchant, et la vie ou la mort.

Zhao Yunlan leva les yeux pour le regarder.

— Le dévouement peut parfois être une vertu. Mais si tu insistes trop pour avoir 'toujours', ton intérêt pour les résultats à long terme peut facilement te faire perdre de vue la route qui se trouve sous tes pieds. Si tu insistes trop pour avoir raison, il est facile de finir par couper les cheveux en quatre, car la plupart des choses ne sont pas noires ou blanches. Si tu insistes trop pour être bon, tu deviendras vaniteux et étroit d'esprit, et tu pourras essayer de changer les règles pour qu'elles correspondent à tes valeurs. Si tu insistes trop pour rester en vie, tu t'attarderas sur l'insignifiant et tu ne vivras qu'une vie de second ordre.

Zhao Yunlan écoutait en silence.

— Il y a des choses qu'il ne faut pas remettre en question, sur lesquelles il ne faut pas s'attarder. Elles ne valent certainement pas la peine qu'on s'en préoccupe. Ce qui est fait est fait, que ce soit bien ou mal n'a pas d'importance. Il vaut mieux regarder vers l'avenir, tu ne crois pas ?

Une fois que Zhao Yunlan entendit ses paroles, il but immédiatement toute la tasse d'eau mielleuse, puis dit calmement :

— J'ai perdu l'appétit. J'ai besoin de vomir. Après ça, ramène-moi à la maison.

Le père de Zhao Yunlan le conduisit chez lui, mais s'arrêta avant même de monter à l'étage.

— Ce professeur est chez toi, n'est-ce pas ? Tu ne m'attendais pas, et je ne veux pas passer à l'improviste. Monte tout seul. Nous nous retrouverons une autre fois.

Le dos déjà tourné, Zhao Yunlan fit un petit signe de la main et monta les escaliers.

Shen Wei attendait depuis longtemps près de la porte. Lorsqu'il entendit le bruit d'une clé, il ouvrit la porte avant même que le verrou ne tourne. Zhao Yunlan avait l'air encore assez sobre, mais il empestait l'alcool. Il trébucha sur le seuil de la porte et Shen Wei tendit rapidement la main pour le retenir.

— Combien as-tu bu ?

— Je vais bien.

Zhao Yunlan s'appuya un peu contre lui, laissant son front reposer sur l'épaule de Shen Wei. Au bout d'un moment, il sourit.

— Je vais prendre une douche... quelque chose à manger ?

Shen Wei en resta bouche bée.

Concernant la décision irréfléchie de Zhao Yunlan d'escalader le Mont Kunlun, Shen Wei avait pas mal de choses à lui reprocher. Pourtant, lorsqu'il voyait à quel point il avait l'air pitoyable en se tenant l'estomac, rien ne sortit de sa bouche. Finalement, il se contenta de soupirer.

— Je vais te faire chauffer des boulettes.

Zhao Yunlan lui donna rapidement une tape dans le cou, puis il se dégagea de l'étreinte et sortit une petite boîte en bois très fine. Il la tendit à Shen Wei en disant "C'est un cadeau" et se dirigea vers la salle de bains.

Shen Wei ouvrit la boîte et découvrit à l'intérieur un pinceau à encre élancé, dont le manche était en bois et la pointe en poils d'une espèce inconnue, d'une surprenante brillance dorée. Le pinceau était étonnamment lourd dans sa main, il brillait luxueusement tout en étant d'une élégance discrète.

Il s'agit sans aucun doute du légendaire Pinceau d'Encre de la Vertu.

Shen Wei était fasciné. À ce moment-là, il entendit un bruit sourd provenant de la salle de bain, en plus du bruit de l'eau qui coulait.

Surpris, Shen Wei rangea rapidement l'artefact mystique et frappa à la porte.

— Yunlan, tu vas bien ?

La salle de bain de Zhao Yunlan disposait d'une baignoire équipée d'une pomme de douche. Lorsqu'il en avait le temps, il pouvait prendre un bain, et lorsqu'il était pressé, il pouvait prendre une douche rapide.

Zhao Yunlan avait accidentellement monté la température à un niveau trop élevé. Il n'était que légèrement ivre auparavant, mais la vapeur lui avait soudainement fait monter l'alcool à la tête. La baignoire était très glissante sous ses pieds nus, il avait trébuché et était tombé dedans la tête la première, manquant de s'infliger une commotion cérébrale.

Il ne voyait que des étoiles scintillantes et n'entendait pas du tout la voix de Shen Wei.

Sans réponse, ce dernier ne put s'empêcher de pousser la porte de la salle de bains.


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Néphély
Mar 23 Juil 2024 - 18:54



Chapitre 74
Acte 3 : Pinceau d'Encre de Vertu
Personne ne porte de vêtements sous la douche.

Zhao Yunlan, étourdi par sa chute, se retrouva allongé dans la baignoire. L'eau chaude s'abattant sur son corps et frappant sa tête le désorienta. Il s'agrippa aux bords de la baignoire à deux mains et lutta pour se relever. Son dos voûté dessina ses solides omoplates, la ligne lisse de ses muscles s'incurvant étroitement vers sa taille et formant une forme très séduisante ; en dessous de cela... Shen Wei n'osa pas regarder plus bas. La simple vue des poignets rougis par l'eau chaude était une attaque pour ses yeux.

La salle de bains était trop chaude pour Shen Wei. En quelques secondes, il eut l'impression d'être en train de cuire.

Il s'empressa d'attraper une grande serviette et allait la jeter sur Zhao Yunlan lorsqu'il se rendit compte que l'eau coulait encore alors il coupa frénétiquement le robinet. Dans un souci de bienséance, il détourna les yeux et, les bras tendus, enveloppa Zhao Yunlan dans la serviette. Une fois cette dernière placée entre eux, il porta Zhao Yunlan avec précaution hors de la salle de bains, rougissant jusqu'aux oreilles.

Heureusement, Zhao Yunlan ne rajouta aucune offense à son impudeur habituelle ; en fait, il ne donna pas la moindre réponse. Son cerveau avait été réduit à l'état de flaque par l'alcool et l'eau chaude.

La chaleur du corps de Zhao Yunlan s'infiltra rapidement à travers la serviette, qui le recouvrait encore en grande partie, mais Shen Wei pouvait distinguer la forme de ses longues jambes nues. Il écoutait le pouls qui battait dans ses tempes tout en déposant doucement Zhao Yunlan sur le lit. Celui-ci se mit en boule et se tint la tête.

Comme s'il avait touché une poêle à frire brûlante, Shen Wei retira rapidement ses mains et se tint à l'écart, impuissant, en s'agitant.

Ce ne fut que lorsque Shen Wei vit la tache d'eau grandissante sur l'oreiller qu'il revint à lui. Il remonta d'abord la couverture sur Zhao Yunlan, puis tira sur un coin de la serviette, essayant avec précaution de l'extraire de dessous la couverture.

Mais à ce moment-là, Zhao Yunlan lui attrapa soudain la main.

Sa paume était chaude et humide, et sa poigne était étonnamment forte pour une personne ivre. Il ouvrit un peu les yeux, mais ils ne semblaient pas pouvoir se concentrer. Son regard était encore plus dispersé que pendant les quelques jours où il avait été aveugle, et ses joues rougissaient fortement.

La chaleur monta à la gorge de Shen Wei. Il déglutit sèchement.

Zhao Yunlan ouvrit la bouche et marmonna quelque chose d'inaudible. Shen Wei se pencha près de sa bouche.

— Qu'est-ce que tu as dit ?

La poigne de Zhao Yunlan se resserra et cette fois, Shen Wei l'entendit clairement.

Il répéta à voix basse :

— Désolé... Je suis désolé...

Shen Wei tressaillit.

La poigne de Zhao Yunlan se resserra au point de devenir douloureuse.

Shen Wei s'assit sur le bord du lit et, la couverture toujours enroulée autour de Zhao Yunlan, l'entoura avec précaution et lui tapota légèrement le dos.

— Pourquoi es-tu désolé ?

Zhao Yunlan se retourna et passa ses bras autour de la taille de Shen Wei, dévoilant son torse nu. Ce dernier se figea, sa main planant maladroitement dans les airs, comme s'il s'était transformé en statue. Les veines de son front commencèrent à sortir.

Il lui fallut un moment pour se rendre compte que Zhao Yunlan tremblait de tous ses membres.

Il essaya de se détacher doucement, voulant soulever la tête de Zhao Yunlan pour regarder son visage, mais ce dernier resserra son étreinte de façon irrémédiable, et Shen Wei se rendit compte que ses propres vêtements se mouillaient. Il souleva de nouveau son menton, et bien qu'il n'y ait pas de taches de larmes sur son visage, ses yeux étaient d'un rouge profond.

— Tu...

Si Zhao Yunlan n'était pas aussi ivre, il pourrait peut-être encore faire semblant. Mais là, il l'était vraiment, et n'était qu'à moitié conscient après sa chute ; il ne savait probablement même pas ce qu'il disait. Tout ce qu'il faisait, c'était involontairement de répéter la même phrase :

— Je suis désolé.

Un feu brûlait dans le cœur de Shen Wei. Tous les lacs et toutes les rivières du monde ne pourraient éteindre cette flamme ardente.

Sa paume se posa finalement sur le dos nu de Zhao Yunlan, doucement mais sûrement. La chaleur qui émanait de chaque centimètre carré de la peau de Zhao Yunlan était séduisante. La voix de Shen Wei devint rauque et ses yeux s'assombrirent. Il chuchota à son oreille :

— Tu es la seule personne au monde qui n'a pas à s'excuser auprès de moi.

Zhao Yunlan secoua la tête. Il ferma les yeux, et une larme émergea sur ses cils. Il voulait pleurer à chaudes larmes, il n'y avait pas d'autre moyen d'évacuer son chagrin. Mais il n'en avait pas la force. Il perdait même la faculté de parler. En trente ans de vie, il n'avait jamais connu une détresse aussi profonde... et Shen Wei ne l'avait jamais vu en larmes. Bien que celui-ci ait secrètement veillé sur lui pendant toutes ces années, à ce moment-là, il fut presque submergé à l'intérieur.

Shen Wei baissa la tête et embrassa les yeux de Zhao Yunlan avec la plus grande attention. Il savoura la saveur légèrement salée et dit :

— Tu m'as donné ma vie, tu m'as donné mes yeux, tu m'as donné tout ce que tu as... qu'est-ce que tu as à regretter ?

— Si j'avais su... murmura Zhao Yunlan de façon presque inaudible. Si j'avais su, j'aurais préféré te tuer que...

Il n'en dit pas plus. Laissant tomber la couverture froissée, Shen Wei enlaça Zhao Yunlan, le poussant sur le lit et l'entourant de ses bras. Il semblait reprendre son souffle, sa poitrine se soulevait. Au bout d'un long moment, il murmura :

— Kunlun, c'est toi ?

Zhao Yunlan leva les yeux vers lui, une larme coulant depuis le coin de son œil. Il ferma les yeux, et la peau autour devint rouge, ce qui lui donna l'air complètement abattu. Ses lèvres tremblèrent pendant un long moment, mais finalement, il n'eut rien d'autre à dire et ne put que répéter encore une fois :

— Je suis désolé.

— Cela fait cinq mille ans, là-bas en haut et ici en bas. C'est tout ce que tu as à me dire ? demanda Shen Wei, puis au bout d'un moment, il soupira. Lors de l'affaire du Cadran solaire, te souviens-tu de ce que j'ai dit à Li Qian ? J'ai dit qu'il n'y avait que deux choses pour lesquelles il valait la peine de mourir : premièrement, son pays et le monde, et ce pour le bien du peuple ; deuxièmement, son âme sœur, et ce pour le bien de soi-même. Depuis la nuit des temps, les gens ont trouvé l'amour pour lequel il valait la peine de mourir. Si je peux mourir pour toi, alors bien sûr je peux vivre pour toi. Je n'ai aucun regret. Tu n'as jamais pleuré auparavant. Ne pleure pas pour moi.

Shen Wei caressa doucement le visage de Zhao Yunlan du revers de la main.

— Il y a des choses qu'il vaut mieux garder à l'intérieur plutôt que de les dire à voix haute. Mais les garder à l'intérieur trop longtemps peut devenir étouffant. Ils veulent tous que le Seigneur Kunlun revienne. Dans mon cœur égoïste, c'est ce que je veux aussi, en fait. Tu as l'esprit vif, alors inutile de tourner autour du pot... Autant le dire tout de suite : ceux qui se sacrifient, même volontairement, même discrètement, espèrent toujours secrètement que l'autre s'en rendra compte un jour. Je ne suis pas différent.

Shen Wei plongea son regard dans celui de Zhao Yunlan.

— Parfois, je me dis que si un jour tu pouvais te souvenir de tout, alors je pourrais te dire : regarde, je l'ai fait, j'ai fait tout ce que je t'ai promis ; je n'ai rien raté, je ne suis pas revenu sur un seul de mes mots. Quelle sera alors ton expression ? Personne n'est entièrement désintéressé, Ah Lan, et cela vaut aussi pour moi... mais je ne pouvais vraiment pas le supporter. Le destin commande la vie, même les Trois Souverains et les Cinq Empereurs ont dû suivre une voie toute tracée, Pangu s'est effondré, l'âme de Nüwa s'est dissipée. Tu étais le tout-puissant Dieu de la Montagne, mais tu étais néanmoins soumis au même destin que les Grands avant toi... tu n'avais pas le choix. Le Seigneur Kunlun portait le poids de toutes les montagnes du monde ; je ne pouvais pas supporter de te voir vivre dans la douleur. Être un humain heureux me semblait un bien meilleur choix. Quand ils se sont tous retournés contre toi au sommet du Mont Kunlun, j'ai vraiment... vraiment voulu tous les tuer.

Zhao Yunlan demanda en baissant la voix :

— C'est donc toi qui as bloqué les premiers souvenirs de Da Qing ? Et c'est toi qui as coupé mon lien avec l'Ordre des Gardiens ? Je suis... un humain heureux ? Et je te laisse porter tous mes fardeaux ? Qu'est-ce qui te donne le droit ?

La voix de Zhao Yunlan s'affaiblit de plus en plus, jusqu'à devenir à peine audible. Ce n'était plus qu'un murmure rauque, mais avec beaucoup d'efforts, il parvint à formuler quelques mots :

— Quand tu as fait cette promesse, pensais-tu que la vie d'un humain ne durant pas plus de soixante-dix ou quatre-vingts ans et disparaissant en un clin d'œil, j'allais vite t'oublier ? Tu comptais donc rester avec moi pour cette dernière ligne droite, puis suivre les traces de Nüwa ?

Shen Wei ne répondit rien.

Zhao Yunlan attrapa son col. Les doigts tremblants, les dents claquant de façon incontrôlée, il força le trait :

— Je n'accepterai jamais, pas sur mon cadavre ! Pas sur mon corps démembré ! Pas sur mon âme dissipée !

Shen Wei fut tiré vers le bas par le poids de Zhao Yunlan qui s'accrochait à son cou comme un fou. Zhao Yunlan le ramena dans ses bras et l'embrassa frénétiquement. Il arracha deux boutons de sa chemise, révélant la poitrine pâle de Shen Wei.

— Je n'accepterai jamais !

Cette passion inédite fut comme une traînée de poudre instantanée, parallèle aux innombrables rêves euphoriques dont Shen Wei avait l'habitude de se réveiller la nuit. C'était comme un autre rêve magnifique qui mettait son monde sens dessus dessous.

Il ne savait pas quand ce rêve prendrait fin. Même si le ciel s'effondrait et que la terre se brisait, il ne devait jamais voir la lumière du jour. Il ne pouvait pas être avoué et n'aurait jamais dû naître ; mais maintenant qu'il était né, il ne pouvait ni mourir, ni être oublié, et y penser lui procurait une douleur insupportable.

Finalement, Shen Wei perdit le contrôle et retourna Zhao Yunlan, l'enfonçant dans l'oreiller moelleux. Les eaux qui montaient dans son cœur débordèrent et rompirent le barrage.

— — — — — — — — — — — —

Le lendemain matin, Zhao Yunlan fut réveillé par le soleil qui brillait à travers les rideaux. Son esprit resta vide pendant un moment, complètement vide. Pendant la majeure partie de la nuit précédente, il avait été dans un état d'hébétude confuse. Tantôt suffocant, tantôt complètement intoxiqué, il ne pouvait dire s'il faisait un rêve ridicule ou si c'était la réalité...

Il tenta d'ouvrir les yeux, mais ses paupières étaient lourdes. Il parvint à se redresser avec difficulté, mais sa tête se mit à tourner, le plafond tourbillonna, et il retomba.

S'il se regardait dans un miroir, il verrait qu'il n'était pas simplement fatigué. Son visage avait une teinte grise et il était manifestement au-delà de l'épuisement, presque comme s'il était mort. Puis, des mains le soulevèrent avec précaution et placèrent un bol devant sa bouche. Il ne pouvait pas dire ce qu'il y avait dedans, mais l'odeur était très étrange. Zhao Yunlan détourna instinctivement la tête pour ne pas sentir la puanteur.

— Qu'est-ce que...

— Un médicament à base de plantes. Je t'ai fait mal hier soir.

La voix de Shen Wei était incroyablement douce, mais ses mains non. Il tourna Zhao Yunlan face à lui et l'obligea à avaler le médicament.

Zhao Yunlan reprit soudain des forces et repoussa la main de Shen Wei. Il toussa pendant un moment, sentant que le goût affreux était sur le point de le faire vomir. Shen Wei lui porta alors un verre d'eau à la bouche, et il se réveilla enfin complètement. Il ouvrit les yeux pour regarder Shen Wei et but l'eau tranquillement.

Après avoir vidé le verre, il se redressa et s'appuya contre la tête de lit. Les coudes appuyés sur les genoux, il jeta un regard sombre à Shen Wei. Il baissa la tête et réfléchit un moment, avant de lancer à Shen Wei un regard encore plus déprimé. Finalement, il s'étrangla :

— J'étais innocent, putain, tu... tu... tu n'aurais pas pu être plus doux avec mon cul de vierge ?

Le visage de Shen Wei se teinta d'un voile rouge. Il se détourna et toussota maladroitement.

— Je suis désolé.

— Je…

Une douleur à la taille fit se tordre le visage de Zhao Yunlan. Il haleta, mais en regardant l'expression de Shen Wei, il eut presque l'impression que c'était lui qui avait profité de la situation.

Bien qu'il avait rêvé un nombre incalculable de fois de mourir dans le lit d'une belle, il n'avait jamais imaginé cela de cette façon...

C'était des conneries. Qui essayait-il de convaincre ?

Des émotions contradictoires traversèrent le visage de Zhao Yunlan pendant un moment. Puis, il regarda le bol qui contenait le médicament inconnu. Le goût lui revint et il fit une nouvelle grimace.

— Donne-moi un autre verre d'eau chaude. Les analgésiques devraient faire l'affaire.

Shen Wei prit le bol.

— C'est efficace, je ne voulais pas faire de mal.

Zhao Yunlan répondit d'un ton calme :

— Tu ne voulais pas me faire de mal, tu voulais juste me torturer jusqu'à la mort.

Toujours gentleman, le professeur Shen vint se placer à côté de lui, l'air honteux. Il avait l'air d'avoir échoué devant un saint, exactement comme une jeune épouse qui a accidentellement cassé un bol.

Zhao Yunlan resta sans voix.

Shen Wei l'aida à se rallonger.

— Tu devrais... dormir encore un peu. Que veux-tu manger ?

Zhao Yunlan s'obstina :

— Toi, allonge-toi et laisse-moi te dévorer.

Shen Wei baissa rapidement les yeux tandis que le bout de ses oreilles rougissait. Il fit la moue, embarrassé.

— En plein jour ? Quelle ineptie !

Bon sang, pensa Zhao Yunlan.

Ce que Shen Wei lui avait donné semblait l'aider à s'endormir. Une fois allongé, Zhao Yunlan s'assoupit rapidement, mais il s'accrochait obstinément à la main de Shen Wei.

— Je ferai tout ce qu'il faut. Je donnerais ma vie pour toi, alors ne me cause plus d'ennuis, tu m'entends... il y a toujours un moyen... Je trouverai un moyen... Je trouverai…

Shen Wei s'assit à côté de lui et posa tendrement sa paume sur son front. Il sentit la respiration de Zhao Yunlan s'apaiser. Sous l'effet de cette 'herbe médicinale', son visage commença à perdre sa teinte grise cadavérique et reprit rapidement sa couleur normale. Shen Wei fut soulagé. Il se leva tranquillement et ramena le bol à la cuisine pour le nettoyer.


Zhao Yunlan dormit jusqu'au soir, accompagné de rêves épars et fragmentés.


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Tome 3

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