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7 Days Before Valentine
Le Titre
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Quatre Ans, Mais Veut Déjà Dominer Le Monde
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Le Titre
Mer 24 Juil 2024 - 12:47
7 Days Before Valentine
Ecrit Par Patrick Rangsimant



Carte D'identité


Pays D'origine : Thailande

Traduction : Amelyma
Correction :MiniElise

Nombre De Chapitres : 10 Chapitres

Status : En Cours


Résumé

A venir

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amelyma
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amelyma
Mar 27 Aoû 2024 - 14:04



Chapitre 1
Le 13 février.

A 23h59.


— C'est la dernière minute de la journée, et la dernière faveur aussi. Choisis, et dis-moi. Qui - vas - tu - effacer ? Choisis bien, car c'est la dernière requête. Qu'il te revienne ou non dépend de ce que tu demandes.

Finissant sa déclaration, Scythupide, le Cupidon de la Mort, se contente de remuer les pieds assis sur la chaise pivotante au bout de mon lit, en attendant la réponse. Je revois les souvenirs des six dernières nuits, vifs comme le présent, depuis le 7 à minuit jusqu'à aujourd'hui. Le 13 approche de la fin, il ne reste plus qu'une minute avant que la date ne passe à la Saint-Valentin.

Au cours des six dernières nuits, j'ai fait mes vœux, demandant au Scythupide d'effacer six personnes. Vous voyez, ma tentative désespérée de "le" récupérer. Je ne sais pas si je peux vraiment appeler cela "faire un vœu", car demander à un ange aussi hérétique d'"effacer" quelqu'un de ce monde semble trop atroce pour être appelé un vœu.

Mais je ne sais pas comment l'appeler autrement.

L'aiguille de l'horloge qui marque la seconde pointe maintenant sur le "6" du cadran.

Trente secondes se sont écoulées. Il ne reste plus qu'une demi-minute avant que l'instant magique n'expire.

Ce soir, c'est la dernière nuit. C'est l'heure du dernier souhait. Il est temps pour moi de décider quelle sera la dernière personne que je pourrai effacer.

Et j'ai décidé.

"Monsieur Scythupide... je veux…


7 février.

Vers minuit.


Il - ne - répond - pas - à - mon - appel.

Je jette le téléphone portable au pied de mon lit. Je n'essaie pas de le casser. Je veux juste me défouler tout en évitant d'abîmer mon téléphone. Il est cher. Je ne veux pas en acheter un nouveau.

Les temps sont durs, je gagne à peine de quoi vivre mois après mois. Au point où j'en suis, j'ai bien peur de ne pas pouvoir m'offrir un nouveau téléphone.

Bref, je suis en colère. Oh, peut-être que le mot "en colère" ne convient pas tout à fait. Je suis plutôt contrarié.

C'est un mélange de sentiments négatifs. Colère. Chagrin. Déception. Dévastation. C'est comme si toutes les émotions négatives se rassemblent pour s'en prendre à moi et c'est devenu si pesant qu'aujourd'hui mes jambes ne peuvent plus supporter le poids de mon corps.

Je n'ai pas réussi à sortir du lit le matin et j'y suis encore, priant pour qu'hier ne soit qu'un rêve.

Mais ce n'est pas le cas. C'est la vérité.

Il a un nouvel amoureux.

Pire encore, il l'a fait dans mon dos. Il a quelqu'un d'autre et ils se parlent depuis un bon moment. Je ne sais pas quand ni où cela a commencé. Cela m'a frappé hier soir, alors que nous étions censés passer du temps ensemble. Il n'est venu que brièvement pour me dire qu'il ne me supportait plus. Il voulait rompre, et il avait un nouveau petit ami maintenant.

— Eh bien... il m'attend. Je dois y aller, dit-il avant de se mordre la lèvre inférieure, regardant ailleurs que dans mes yeux. Écoute, nous avons partagé beaucoup de merveilleux souvenirs pendant ces cinq années passées ensemble, alors je veux qu'on se sépare en douceur.

Intérieurement, j'ai crié qu'il n'était pas possible de se séparer en douceur. C'est absurde ! Comment diable les choses pourraient-elles être agréables alors que nous devons nous séparer ? Je déteste l'expression "se séparer en douceur".

— Ça veut dire... qu'on se sépare  ?

— On peut rester amis ?

Sa réponse n'était pas celle que j'attendais.

En fait, ce n'était pas du tout une réponse à ma question. Et si j'ai dit tout à l'heure que je détestais "se séparer en douceur", je vais maintenant vous dire que je déteste encore plus, voire beaucoup plus, la question "pouvons-nous rester amis  ?”.

— Il... Qui est ce nouveau gars  ?

Question inutile, je sais, mais je l'ai quand même posée. Honnêtement, je n'ai pas pu m'en empêcher.

— Hum… un jeune homme que j'ai rencontré sur Instagram.

Je me suis dit... Donc, c'est ce trou du cul. Je m'en doutais depuis un moment déjà.

Nous avons tous les deux nos petites vies privées, séparément. Il passe son temps en ligne sur Instagram, tandis que je suis sur Twitter et Facebook. Avant, je trouvais ça génial. Nous ne mélangeons pas nos vies privées, ce qui nous laisse à chacun un espace de liberté. Au lieu de cela, cet espace a été envahi par quelqu'un qui s'est interposé entre nous. J'ai baissé ma garde pendant un court instant et j'ai dû changer mon statut sur Facebook, passant de "en couple" à "célibataire". C'est donc ça ?

— Je pars maintenant...

Son intonation à la fin de la phrase s'était un peu élevée, comme s'il s'agissait d'un tâtonnement, pour vérifier si c'était bon pour lui de partir d'ici, ou plus exactement de quitter ma vie. Parce que, je le devinais, il mourait d'envie de partir vers son nouveau mec, vers une nouvelle vie.

J’étais resté immobile, les lèvres figées sur place. Mes yeux le fixaient, mais ils ne se focalisaient pas sur lui. C'était comme si je regardais à travers lui, je voyais son cœur et son passé. Comme si je cherchais l'ancien lui d'il y a cinq ans dans l'homme en face de moi.

Curieusement, ses yeux avaient toujours le même regard. Son regard était le même que le premier jour où nous nous étions connus, et le même que lorsqu'il m'avait regardé dans les yeux et m'avait demandé de sortir avec lui.

Bizarrement, tout sur son visage était identique, et pourtant ce n'est plus pareil...

Il a supposé que mon silence signifiait que je le laissais partir et que je lui souhaitais un bon départ (WTF !). Il m'a salué et  à moitié marchant, à moitié courrant comme un homme heureux, m’a laissé là comme la pierre tombale de notre relation de cinq ans qui était maintenant enterrée.

Que l'étreinte de l'amour soit éternelle.

J'imagine que la pierre tombale en question est gravée de ces mots...

Ma rage s'est déjà un peu calmée, mais le chagrin reste intact. J'essaie de l'appeler depuis ce matin. Je veux juste lui dire bonjour. Pourquoi n'y parviens-je pas ? On peut toujours se parler même après avoir rompu, n'est-ce pas ? Mais il ne répond pas du tout à mon appel. Il a également ignoré tous les messages que j'ai envoyés. Leur statut de livraison est maintenant ‘envoyé’, mais ne passe jamais en ‘lu’, peu importe le nombre de fois que j'ai essayé.

Vous vous moquez de moi ? Ce n'est pas lui qui m'a dit "On peut toujours être amis ?"? Est-ce que les amis ne répondent pas au téléphone ou ne lisent pas les messages ? Pourquoi n'a-t-il pas dit "Pouvons-nous devenir des étrangers ?" ou "Pouvons-nous faire comme si nous ne nous étions jamais connus ?" à la place, alors ?

Les émotions sont réellement fluctuantes. Elles peuvent transiter, se transférer et se transformer. Elles changent d'état.

Lorsque ma rage, autrefois absente, revient et atteint le point le plus haut qu'elle puisse atteindre, elle devient comme de l'eau bouillante. Elle bout et finit par s'évaporer. Et - ensuite - la - vapeur - se - condense - en - eau...

De la même manière, ma rage maximale se transforme en chagrin la seconde suivante. Mes larmes commencent à jaillir alors que mes mâchoires sont toujours serrées.

Je mets mon visage contre l'oreiller et je me mets à brailler. Je n'en ai plus rien à faire. De toute façon, il n'y a personne d'autre dans les chambres voisines de la mienne. Dans tout l'appartement, je suis le dernier résident. Même si je vais m'accroupir et chier dans le couloir, tout le monde s'en fout.

Et puis merde... Putain... J'emmerde ma vie de merde !

— Ahem ! Tu es triste, monsieur ?

Une voix au ton enjoué s'immisce soudain, me faisant sursauter. Cela m'effraie tellement que mes larmes s'arrêtent net. Je lève la tête de l'oreiller et me tourne lentement pour chercher la source de la voix. Qui diable s'est faufilé dans ma chambre ?

— Eh... pourquoi as-tu arrêté de pleurer ? Je t'ai fait peur ?

Huh... Est-ce un fou ? Il fait une chaleur de tous les diables, et pourtant il est vêtu d'un costume blanc, d'une chemise blanche et d'une cravate blanche. Le mouchoir plié dans la poche de son costume est également blanc.Tout comme la montre qu’il porte au poignet. Je jette un coup d'œil à la porte. Elle est toujours fermée à clé, alors comment a-t-il pu entrer ?

— Qui es-tu ?

Ma bouche demande tandis que mes mains cherchent à tâtons... quoi ? Je n'ai aucun objet utile près de mon lit, à part un flacon de somnifères. Oh, d'accord, au moins je peux lui jeter ça à la figure. C'est mieux que rien.

— J'espère que tu ne me jetteras pas cette bouteille d'Ativan. Pour être honnête, l'Ativan est tellement dépassé que j'ai arrêté d'en prendre il y a des années. Laisse-moi te dire que le Zolpidem est bien meilleur, vraiment. Et arrête de demander à ton ami pharmacien de t'acheter ces pilules. Va voir un vrai médecin, tu veux ? Comme ça, tu pourras dormir tranquille, au moins pour une nuit.

Après avoir dit cela, le cinglé hausse les épaules et s'approche de la chaise au bout de mon lit, puis s'y assoit.

— Bonjour, je suis un Scythupide, le Cupidon de la Mort. Je suis en partie Faucheur, en partie Cupidon.

Finalement, comme il n'y a pas d'arme dans ma chambre et que je ne veux pas lui lancer la bouteille à la figure et gaspiller mes somnifères pour l'instant, le Scythupide a l'occasion de m'expliquer qui il est et ce qu'il fait.

Oh, bien sûr. J'ai assez entendu mes propres pensées pour toute la journée. C'est un changement agréable d'entendre quelqu'un d'autre bafouiller des absurdités. Je le laisse donc terminer son explication.

— En résumé, tu es ici pour m'accorder des vœux  ?

Je propose une conclusion après avoir tout écouté.

Monsieur Scythupide acquiesce.

— Tu peux appeler ça comme tu veux, mais je n'appellerais pas ce que je t'accorde "un vœu". Mais oui, je suis là pour que ton désir se réalise. Pour te permettre de le reconquérir. Cependant, ce ne sera pas facile comme tirer une flèche, pfiou ! et le charmer pour qu'il t'aime instantanément, pouf ! et qu'il se précipite de nouveau à tes côtés tadaa ! Non. Je vais te donner la chance de te débarrasser de tes obstacles sept fois. En d'autres termes, je te laisserai choisir sept personnes à effacer. Sept nuits. Sept faveurs. Sept personnes. Je t'accorderai sept fois la faveur d'effacer quelqu'un de ce monde. Une par nuit. Une par une, jusqu'au 13. Tu peux choisir n'importe quelle personne que tu penses être un obstacle. Effacer quelqu'un dont tu penses que ça rendra à coup sûr ton homme - si - telle - ou - telle - personne - disparaît - tout à coup.

— Euh... je peux choisir n'importe qui à effacer, vraiment  ?

Est-ce que je devrais même demander ça... ?

— Du moment que tu le désires, répond-t-il comme si c'était normal.

Qui diable pourrait croire cela... ?

— Hé, toi. Es-tu fou ou stupide  ? demandé-je, effrayé.

Un fou en costume blanc s'est introduit dans ma chambre et maintenant il me dit qu'il va se débarrasser de tous ceux que je veux effacer de ce monde. C'est comme un film noir à l'intrigue boiteuse, une histoire qui ne se termine pas bien... Mais est-ce que ma vie a une bonne fin en ce moment ? Bien sûr que non. Tu ne vois pas ?

— Je ne suis ni fou ni stupide. Je suis un Scythupide. Prononce-le correctement. S-c-y-t-h-u-p-i-d-e, Cupidon avec une faux. C'est juste que nous partageons tous le même nom, nous n'avons pas de noms individuels.

— Vous êtes tous... ? Vous êtes nombreux  ?

Je demande, et il acquiesce.

— Oh, oui. Nous sommes nombreux. Il n'y a pas que les innocents Cupidons et les terriiiiiibles Faucheurs dans cet univers.

Je remarque qu'il s'amuse à prononcer terrible comme terriiiiiible, comme quand je parle avec mes amis.

— Il y a aussi ceux qui se situent entre la Faucheuse et le Cupidon, m’explique-t-il en s’étirant paresseusement avant de poursuivre. Les Cupidons ont leurs propres méthodes et les Faucheurs ont leurs propres tâches. Nous, d'un autre côté, avons notre propre façon de nous amuser. Nous aidons les gens dans leurs affaires amoureuses en manipulant les morts.

— Et pourquoi es-tu venu me voir  ?  demandé-je.

— Parce qu'un Cupidon a rendu visite à quelqu'un d'autre, alors que toi, tu n'as pas encore de visiteur.

Cette réponse me fait mal. Mais bon sang, c'est vrai. Cupidon accorde l'amour à quelqu'un d'autre, alors je reçois ma dose de miracle grâce à la visite d'un Scythupide.

Putain... C'est comme si la vie me traite avec sarcasme.

Le Scythupide sort une montre à chaîne de sa poche.

— Il est exactement onze heures cinquante-neuf, une minute avant le nouveau jour. Très bien, il est temps de me dire ce que tu désires. Pour cette première nuit, choisis quelqu'un pour qui tu passeras ta première faveur. Qui veux-tu effacer ? Dis-le-moi avant minuit.

— C'est quoi cette limite de minuit  ? demandé-je.

Mais il roule les yeux vers moi, l'air irrité.

— Arrête de demander et fais-moi part de ta requête avant que la minute magique ne soit écoulée. Allez, dépêche-toi !

Bah, qui pourrait bien croire ce cinglé ?

Mais qu'importe, autant jouer le jeu avec lui pour un moment. Ne nous arrive-t-il pas à tous de caresser l'idée de posséder un "Death Note" pour y inscrire les noms de ceux que nous détestons ? Même si l'on sait que cela n'arrivera pas pour de vrai, on éprouve une certaine satisfaction à libérer ses émotions par l'imagination.

— D'accord, je veux…

Et je prononce le nom de son nouvel amant.

Bien sûr, à ma place, qui d'autre effacerais-tu ? Sans ce trou du cul, personne ne me l'aurait volé, n'est-ce pas ? Alors, si je dois effacer quelqu'un de ce monde pour reconquérir mon homme, ce doit être son maudit nouvel amant.

— Je veux que ce connard disparaisse de ce monde.

Scythupide se lève de sa chaise et s'incline devant moi si gracieusement qu'on dirait une parodie.

— Comme attendu, tu as choisi cette personne. Il en sera comme tu le souhaites, je me ferai un plaisir d'exécuter ta demande.

Puis il se dirige vers la porte d'entrée de ma chambre.

— Demain, tu verras le résultat de ton choix. Pour l'instant, bonne nuit et fais de beaux rêves. Puisses-tu savourer la joie de la faveur que tu as demandée.

Puis, d'un claquement de doigts, en une fraction de seconde et avant même que le son ne s'estompe, il disparaît sous mes yeux.

— Oh merde... Est-ce que mon pauvre corps s'est défoncé avant même que je prenne les somnifères  ?

Je me gifle une fois le visage. Aïe, ça fait mal. Ce n'est pas un rêve et je n'ai pas encore pris de somnifères.

Mais.....avant que je puisse poser d'autres questions, je m'endors comme sous l'effet d'une malédiction.


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amelyma
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amelyma
Mar 27 Aoû 2024 - 14:04



Chapitre 2
8 février.

10h00, au réveil.


Bon sang, quel sommeil ! J'ai cru que j'étais mort.

Beaucoup d'entre vous sont peut-être habitués à dormir plus de huit heures. Si vous pouvez dormir ainsi, félicitations ! Moi, je ne peux pas. Pour moi, c'est déjà une bénédiction si je peux dormir plus de cinq heures d'affilée. Ce n'est pas que j'ai besoin de me réveiller pour faire des choses. C'est juste que je n'arrive pas à dormir. Et quand je dis cinq heures, c'est avec l'aide des somnifères.

Peut-être que j'ai vraiment besoin de voir un médecin, comme l'a suggéré cette espèce de Scythupide la nuit dernière...

Attendez, quoi ? Scythupide !

Aussi vite que je l'ai pensé, j'attrape mon téléphone portable et j'appelle Wat. Même si je suis encore hésitant entre croire et rejeter cette merde, ça ne fait pas de mal de pencher un peu du côté de la croyance, n'est-ce pas ? En plus, hier soir, le Scythupide s'est vraiment volatilisé devant moi. Alors peut-être, juste peut-être, qu'il a déjà effacé le nouveau copain de Wat pour moi.

Il ne répond pas au téléphone... Bien sûr, ce truc n'a rien fait. Je suis tellement bête de croire et de me fier à ce souhait stupide, ou cette faveur merdique, ou peu importe comment il l'appelle.

Avec un mélange de déception et de besoin de consolation, je vérifie son Instagram sur mon téléphone. Je me souviens qu'il a posté une photo qu'il a prise avec son nouveau mec (c'est la raison pour laquelle j'ai été si frustré et me suis roulé en boule dans mon lit toute la journée d'hier).

Oh... Attendez, quoi  ? Cette photo a disparu !

Il n'y a pas de photo de lui et de son nouvel amant sur son Instagram. Je cherche l'Instagram du gars. (Quoi ? C'est bizarre que je m'en souvienne ? Ne me dis pas que tu n'as jamais regardé en cachette le nouvel amant de ton ex, ou je vais dire que tu mens).

Whoa... Il n'y a pas d'Instagram de ce type. Le compte n'existe tout simplement pas. Ce n'est pas comme si le compte était en mode privé, et il ne me bloque pas non plus. Il - n'existe - tout - simplement - pas.

Je suis sûr que ce n'est pas parce qu'il m'a bloqué, car j'ai fait une recherche sournoise en utilisant un nouveau nom d'utilisateur inconnu. Juste pour vérifier, vous savez. Il n'y a vraiment aucun compte Instagram de ce type. Tout a disparu, le gars a disparu d'Instagram et de sa vie pour de bon. Je retourne voir le compte Instagram de mon petit ami.

Il a disparu. Il a vraiment disparu. Complètement disparu. Parti de ce monde. Ce connard, le nouvel amant de mon copain, a disparu du monde !

Je devrais pouvoir l'appeler "mon petit ami" maintenant, non ? Parce qu'en ce moment, ce fichu nouveau mec n'existe pas, il a été effacé du monde. Donc, sans le nouveau petit ami, je devrais toujours être son petit ami actuel. Logiquement, je devrais l'appeler mon petit ami maintenant. Oui, il est à moi.

Je passe en revue toutes ses photos.

Non. Non. Pas ici. Aucune. Rien du tout.

Il n'y a aucune trace de ce type.

Ce trou du cul de nouveau petit ami a vraiment disparu. D'Instagram. De lui. Et du monde entier... ?

— Oh ! Putain, oui....... Ça a marché ! lâché-je.

— Eh, bien sûr, il fallait que ça marche, mec.

Je sursaute de peur (encore) et je tourne la tête pour regarder dans la direction de la voix.

Le Scythupide sort par la porte de ma salle de bain, vêtu seulement d'une serviette ( évidemment, elle est blanche) et utilisant une petite serviette (qui, vous le savez, est aussi blanche) pour se sécher les cheveux.

— Tu m'as demandé de l'effacer, alors je l'ai fait. Tu ne me fais pas du tout confiance ?

Il se dirige vers ma coiffeuse et en sort un sèche-cheveux avant de le brancher et de commencer à se sécher les cheveux. On dirait qu'il connaît bien la pièce et qu'il sait où je range mes affaires.

— Pourquoi tu...  ?

Ma bouche s'arrête de fonctionner après avoir prononcé ces syllabes, mais mon cerveau est bien plus lent que ma bouche.

— Pourquoi suis-je encore là, n'est-ce pas  ?

Il se tourne et lève brièvement un sourcil en disant cela, tout en continuant à utiliser le sèche-cheveux.

J'acquiesce, bouche bée, et il rit tout en continuant à se sécher les cheveux.

— Eh, je t'ai dit que je serais ici pour t'accorder des faveurs pendant sept jours, bien sûr que je dois rester dans ta foutue chambre. Nous n'en sommes qu'à la première nuit pour l'instant, il en reste encore six pour que tu puisses faire tes demandes.

Il pose le sèche-cheveux et prend la liberté d'utiliser ma cire pour se coiffer tout en me faisant un clin d'œil.

— Sors du lit, va te laver et habille-toi. Nous sortirons pour vérifier le résultat.

— Vérifier le résultat ? Quel résultat  ?

Je suis encore groggy et confus. J'oublie même que j'ai laissé ma bouche ouverte.

Scythupide roule les yeux vers moi, comme pour me dire non verbalement que j'ai un esprit déficient.

— Eh, vérifier le résultat pour voir ce qu’il s'est passé après qu'on ait effacé ce type, le nouvel amant de ton copain. Arrête de me fixer comme un idiot, lève-toi, lave-toi et prépare-toi. Hier, tu n'as fait que ruminer toute la journée, espèce d'ordure fermentée. Tu commences à puer.

Oh, c'est vrai. Au début, j'ai cru que c'était l'odeur des ordures. Non, c'est moi. Je pue vraiment.

Je me lève et j'entre dans la salle de bains, je mets du dentifrice sur ma brosse à dents avant de me brosser les dents. Ensuite, je prends une douche et je commence à faire toute la routine automatiquement comme un robot programmé.

Les parties émotionnelles et logiques de mon esprit reviennent lentement une fois que je suis propre, sans odeur de sueur ni odeur corporelle.

C'est vrai. Ce type est déjà hors du chemin.

Ce monde est maintenant débarrassé de lui.

Mon petit ami va me revenir comme avant. Youpi !!!

Je sors de la salle de bain et trouve le Scythupide debout dans son t-shirt blanc, son jean décoloré qui semble presque blanc (à ce stade, je ne m'attends pas à voir une autre couleur sur lui de toute façon), et ses baskets Adidas Stan Smith. Whoa, ce Scythupide a bon goût, ces chaussures ressemblent exactement aux miennes.

—  Tu viens avec moi aussi, hein ?

Je demande en ouvrant mon armoire, glissant ma main le long de la rangée de t-shirts accrochés à l'intérieur. Lequel dois-je porter aujourd'hui ?

— Je n'ai rien d'autre à faire. Laisse-moi t'accompagner, ça a l'air sympa. J'ai aussi envie de voir comment ce sera maintenant, après avoir effacé ce type.

— Comment ça va se passer ? dis-je en riant. Ce sera comme si lui et moi étions toujours des petits amis. La rupture n'a jamais eu lieu.

Finalement, j'ai décidé de choisir un t-shirt rouge avec une capuche et de l'associer à mon jean délavé. Il avait l'habitude de dire que ce t-shirt était "mignon".

C'est vrai, je veux qu'il me trouve mignon.

À ma grande surprise, le Scythupide rit plus fort que moi et commente.

— Tu es trop naïf. Tu es sûr que ça se passera vraiment comme ça ?.

Je finis de m'habiller et arrange la position de la capuche en fronçant les sourcils vers lui.

— Qu'est-ce que tu veux dire par là  ?

Il hausse les épaules et arrête de rire, mais conserve ce sourire bizarre sur son visage. Quel sourire étrange, pourtant il me semble familier, comme si je l'avais déjà vu quelque part.

— Allons d'abord voir ce qu'il en est.

C'est sa seule réponse.

…………

— Bonjour, Wat.

Je le salue en entrant dans son café. Je sais que mon ton est un peu trop joyeux, mais c'est plus fort que moi. Je suis heureux. Je suis très heureux parce que maintenant nous sommes redevenus des petits amis comme avant.

Il y a un éclair d'étonnement sur son visage avant qu'il ne sourit à son tour.

— Hé, quelle surprise ! Comment se fait-il que tu viennes dans mon café aujourd'hui ? me demande-t-il tandis que je regarde autour de moi, remarquant qu'il est assez vide aujourd'hui malgré l'heure de midi.

— Euh... euh... J'en ai envie. Pourquoi ne viendrais-je pas  ?

Je dois admettre que j'ai rarement visité son café par le passé. Et ce n'est pas parce que je ne bois pas de café. Mais je n'aime pas les grains de café qu'il utilise. Le café est un peu acide, et il m'a dit que c'était le goût qu'il aimait. Malheureusement, ce n'est pas mon cas. Donc, c'est à peine si je lui ai rendu visite au travail pour prendre un café.

En y repensant, je n'ai pas été un très bon petit ami. J'aurais dû le soutenir davantage.

Mais... ce n'est pas grave. J'ai une chance maintenant. Je vais changer pour le mieux et le soutenir davantage.

— Puis-je avoir une tasse d'Americano chaud  ?

Je le commande noir.

Il fronce encore plus les sourcils.

— Je croyais que tu avais dit que tu n'aimais pas notre café noir. Tu as dit qu'il était acide.

— J'ai changé d'avis et je veux y goûter, gloussé-je.

Toujours aussi confus, il acquiesce et se dirige vers la machine à café tout en faisant un geste de la tête vers la personne qui se trouve derrière moi.

— Et... qui est-ce ?

Oh merde, j'ai oublié que je n'étais pas venu ici tout seul, ce foutu Scythupide me suit.

— Euh, c'est... mon cousin. Il vient de province.

C'est le seul profil que j'ai trouvé pour le moment. Je pense qu'une réponse aussi neutre devrait être la carte la plus sûre à jouer.

— Bonjour, ravi de vous rencontrer. Je m'appelle Cue.

Le Scythupide se présente à mon petit ami.

— Ah... je vois.

Il acquiesce tout en moulant, remplissant et tassant le marc de café dans le panier à filtre. Il verrouille ensuite la poignée de la machine et enclenche l'interrupteur pour lancer la pression de la vapeur. Je regarde les gouttes de café expresso se déverser dans le verre à shot en dessous. L'arôme délicieux du café emplit l'air et mes narines.

— Je croyais que c'était ton nouveau petit ami, me dit-il en se retournant pour m'adresser un subtil sourire et en remplissant un verre vide de glaçons.

Sa remarque me fait réfléchir...

— Huhhh ? Quoi ? Un nouveau petit ami ?

— Oui, je croyais que tu avais amené ton nouveau copain, acquiesce-t-il.

— Attends, quoi ? Comment puis-je avoir un nouveau petit ami ? Toi et moi, on est...

Je ne comprends pas. Comment puis-je avoir un nouveau petit ami alors que lui et moi sommes toujours ensemble. C'est vrai, on doit l'être. Ça devrait être comme ça, parce que j'ai déjà effacé ce trou du cul du monde.

Le sourire disparaît peu à peu de son visage. Un soupçon de tension aux commissures des lèvres revient. C'est l'expression faciale qu'il a l'habitude de faire lorsqu'il se sent stressé ou sous pression.

— Tu ne peux toujours pas lâcher prise, n'est-ce pas ? ... Je pensais que tu étais d'accord avec ça maintenant et que c'était pour ça que tu me rendais visite ici. Je pensais que tu recommençais à m'accepter en tant qu'ami.

J'ignore ce qu'il dit et j'attrape mon téléphone pour vérifier à nouveau l'Instagram de ce connard. Il n'existe toujours pas, mais quand je regarde l'Instagram de Wat, je remarque qu'il vient de poster une nouvelle photo, quelques minutes seulement avant mon arrivée au café. Il s'agit d'une photo en duo de lui et de quelqu'un d'autre, avec une légende douce et affectueuse.

/Photo d'hier soir, mais je n'ai eu le temps de la télécharger que ce matin. Hah ! Je ne me sentirai plus seul à la Saint-Valentin./

— Qu... qui est-ce ?"

Je lui demande, et il me renvoie un regard confus.

— Huh... ? Mon nouveau petit ami. Celui dont je t'ai parlé l'autre jour...

Sur ce, je franchis la porte du café avant même qu'il n'ait fini sa réponse, avec le Scythupide à mes trousses. Ce n'est que lorsque nous atteignons un arrêt de bus proche d'une station du Skytrain BTS que je m'arrête de sprinter. Non pas parce que je veux attendre un bus, mais parce que je suis tout simplement trop essoufflé pour continuer à courir.

— Espèce d'abruti ! Tu m'as piégé ! crié-je au Scythupide.

— Non, je ne l'ai pas fait. Je ne l'ai pas fait. Je ne t'ai pas piégé. Du tout, répond-il en soufflant et en haletant.

Je me demande comment et pourquoi un Scythupide peut s'essouffler. Il a un pouvoir magique si puissant, suffisant pour effacer les gens, pourquoi ne l'utilise-t-il pas pour se renforcer physiquement afin de mieux courir ?

Je secoue la tête.

— Non, c'est un mensonge. Tu m'as piégé. Je t'ai dit d'effacer son nouveau petit ami. Pourquoi est-ce que c'est devenu comme ça ?

Il s'avère que Wat et moi avons toujours rompu comme avant. Il n'est pas revenu vers moi.

— Laisse-moi. Reprendre mon souffle. D'abord.

Il respire encore difficilement à cause de l'effort, alors je le laisse faire. D'ailleurs, j'essaie toujours de reprendre mon souffle aussi.

— D'accord. Maintenant, écoute, dit-il avant d’inspirer profondément. Tu m'as dit d'effacer une personne, en me basant sur le fait que ce type était le nouvel amant de ton petit ami. De Wat.

Je hoche la tête en signe d'affirmation.

— Oui, et tu as dit que tu l'as effacé pour moi.

Il hausse les épaules.

— C'est vrai, je l'ai effacé. Tu l'as vu de tes propres yeux. La personne n'existe plus. Son Instagram a disparu. Toutes les traces de son existence ont été effacées du monde entier, de tout. J'ai exécuté ta demande.

— Mais pourquoi Wat ne m'est-il pas revenu ? Pourquoi sommes-nous toujours séparés  ?

Bien que je fasse tout mon possible pour contrôler le ton de ma voix, la colère écrasante qui bouillonne en moi s'y infiltre tout de même.

— Il a choisi l'un de ses autres choix, me répond le Scythupide d'un ton impassible. Écoute, la vérité, c'est que ce type ne t'a pas volé. Le cœur de Wat s'est éloigné de toi depuis longtemps, avant même que ce type n'intervienne. C'était juste la bonne personne qui s'est présentée au bon moment. Pauvre lui.

La fin de son explication semble contenir une subtile pointe de rire.

— Le pauvre a été effacé pour rien alors qu'il n'avait rien fait de mal. Et tu n'as toujours pas récupéré Wat. Tu as effacé ce type, mais Wat peut toujours rencontrer quelqu'un d'autre, parce que son cœur n'était pas avec toi au départ.

Je ne sais pas si c'est à cause de l'épuisement physique ou de la lourdeur de la vérité, mais mes jambes se dérobent soudainement. Heureusement, il y a un banc d'arrêt de bus juste là, alors je titube vers lui et m'assois pour souffler un peu.

Le Scythupide me suit et s'assoit à côté de moi.

— Je t'ai dit de bien réfléchir et de choisir judicieusement. Tu as eu sept nuits, énonce-t-il en haussant les épaules avant de poursuivre. Maintenant, il te reste six nuits et six personnes.

Je le regarde de travers.

— Putain de conneries ! Tu as triché !

Sur ce, il éclate de rire.

— HA HA HA ! Tu joues avec la mort, tu t'attendais à quoi  ? Laisse-moi te dire une chose, je n'ai pas triché. C'est toi. Tu n'as pas réfléchi. Arrête de me le reprocher. Allez, tu n'as jamais pensé que tu avais peut-être tort ?

Je laisse ma rage me rendre aveugle et sourd à sa question.

— Très bien, si tu veux la jouer comme ça. Ce soir, je te demanderai d'effacer à nouveau cet autre nouveau petit ami, et nous verrons demain ce qu’il se passera...

Avant que je ne puisse terminer ma phrase, Scythupid me coupe la parole.

— Demain, Wat aura encore un autre nouveau petit ami. Je te l'ai dit, son cœur s'éloignait déjà de toi avant que quelqu'un d'autre n'intervienne. On ne t'a pas volé ton petit ami. Ton petit ami t'aimait moins avant même d'avoir trouvé un nouvel amant.

Bon sang, oui... C'est vrai. Son amour pour moi a déjà diminué. Je dois donc viser quelqu'un qui l'a poussé à m'aimer moins...

Qui est donc cette personne ?

— Très bien, je vais aller me promener un peu par ici, dit Le Scythupide en se levant de son siège à côté de moi. C'est une chance rare de pouvoir visiter cette époque du monde.

Il poursuit en me tapotant deux fois l'épaule.

— Réfléchis bien. Ce soir, je te verrai et j'accepterai la deuxième demande. Mais maintenant, je vais m'amuser.

Il disparaît à nouveau avant que je n'aie le temps de cligner des yeux.

Je reste sur le banc de l'arrêt de bus, abandonné et chauffé par la lumière du soleil, perdu dans mes pensées et mes interrogations sur l'identité de cette personne. Qui est la raison pour laquelle lui et moi nous sommes séparés... ?


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Mar 27 Aoû 2024 - 14:04



Chapitre 3
8 février.

Vers minuit.


Comme si nous avions rendez-vous, le Scythupide apparaît dans ma chambre alors que je suis en train de réfléchir à quelque chose dans mon lit. Il porte la même tenue que ce matin, un t-shirt blanc et un jean délavé, en blanc.

— Alors, comment ça se passe ? Tu as trouvé une solution ?

Bien que sa formulation donne l'impression qu'il est inquiet, son ton et son expression faciale disent le contraire. On dirait qu'il profite allègrement de son temps libre à errer dehors, à tel point que je n'ai même pas envie de lui demander où il est allé et ce qu'il a fait. Les affaires d'un Scythupide n'ont pas d'importance pour un gars comme moi. Je n'ai pas envie de le savoir, ni de m'en préoccuper.

— Cette fois, je serai plus prudent, acquiescé-je. Hier soir, j'étais pressé par le temps. Tu m'as brusqué !

C'est vrai, c'est de sa faute. Il est arrivé soudainement, me disant de me dépêcher de faire mon vœu. Bien sûr, je n'ai pas eu le temps de réfléchir.

— Alors, qui penses-tu effacer ?

Le Scythupide tourne en rond de l'autre côté de mon lit et s'arrête sur un poster représentant une carte des constellations dont les couleurs sont passées depuis longtemps. Je l'ai acheté et affiché lorsque j'ai commencé l'université.

À l'époque, j'aimais beaucoup observer les étoiles. J'ai toujours voulu faire un voyage pour observer les étoiles. Le temps a passé et l'affiche s'est décolorée, mais je n'ai toujours pas fait ce voyage. Ma passion passée s'est peu à peu estompée pendant que je vivais ma vie et que je grandissais chaque jour.

Je me promets silencieusement que si Wat revient cette fois-ci, je lui demanderai de faire un voyage avec moi.

Nous apporterons des tentes et nous observerons les étoiles au sommet d'une montagne. Cette fois, je le pense vraiment. Je n'oublierai pas, et je dois atteindre cet objectif.

— Je veux que tu effaces l'ex-petit ami de Wat.

Il détache ses yeux du poster de constellations et se tourne vers moi.

— Intéressant. De quel ex tu parles ?"

— Celui qui m'a précédé, bien sûr.

Quoi ? C'est ridicule. Cette question était-elle nécessaire ? C'est tellement évident, non ? Si je ne parlais pas de celui qui m'a précédé, croit-il que je voulais m'effacer ?

Le Scythupide regarde sa montre à gousset.

— Il reste encore un peu de temps avant que la demande puisse être faite. Peux-tu m'expliquer pourquoi tu veux effacer cette personne  ?

Puis il va s'asseoir au bout de mon lit, sur la même chaise qu'hier.

— Wat mentionnait souvent son ex-petit ami, disant qu'il est ceci, qu'il est cela, qu'il a fait ceci, qu'il a fait cela, bla bla bla. Je n'y avais jamais prêté attention auparavant. J'étais assez compréhensif et indulgent avec lui. Je pensais que j'étais son présent, et qu'il n'était pas mauvais qu'il se souvienne parfois du passé. Tout le monde a son propre passé, tu vois  ? Mais... en y réfléchissant, je pense que Wat a trop parlé de son ex. Il l'a mentionné si souvent que je pense qu'il ne pouvait pas oublier l'ombre de son ancien petit ami. Et moi, j'étais un remplaçant qui essayait de projeter une image sur cette ombre. Mais peu importe à quel point j'ai essayé, ça n'a jamais pu coller. Je pense que... l'ex-petit ami de Wat était la raison, le frein qui éloignait son cœur de moi.

— Uh-huh, je comprends ce que tu veux dire maintenant, acquiesce le Scythupide. Alors, tu as décidé de me demander d'effacer du monde l'ex-petit ami de Wat, celui qui t'a précédé, n'est-ce pas ?

Je lui réponds par un signe de tête. Il se lève alors de sa chaise et sort sa montre à gousset pour vérifier à nouveau l'heure.

— Très bien, onze heures cinquante-neuf, une minute avant minuit. Il est temps pour toi de me demander une faveur. Si tu es sûr de toi, dis-le à voix haute.

Je prends une grande inspiration et la retiens un moment tout en comptant mentalement trois, deux, un.

— Je veux que M. Scythupide efface…

Et je prononce le nom de l'ex-petit ami de Wat. (Bien sûr, je connais son nom, Wat en a beaucoup parlé.)

— ... de ce monde, s'il te plaît.

En terminant ma demande, la pointe de l'aiguille de l'horloge qui indique les secondes atteint le "12" sur le cadran. Bien que la montre n'ait pas de tic-tac audible, j'ai l'impression d'entendre un déclic dans ma tête à ce moment-là.

Comme auparavant, le Scythupide s'incline d'un air moqueur.

— C'est fait. J'ai effacé cette personne de ce monde. Maintenant, c'est l'heure d'aller au lit,  nous verrons le résultat ensemble demain.

Encore une fois... ma conscience est emportée et je tombe dans un sommeil profond.



……….



9 février, 10 heures du matin, je me réveille comme par enchantement.

C'est la deuxième fois que j'arrive à dormir plus de huit heures sans avoir recours aux pilules. C'est une sacrée bonne sensation. Quel matin parfait pour un nouveau départ. Hier soir, j'ai souhaité que l'ex-petit ami de Wat soit effacé. Aujourd'hui, ce sera donc le jour de mon nouveau départ.

Wat et moi serons toujours amants. Wat ne saura même pas ce qu’il s'est passé. (J'espère que la magie du Scythupide couvre aussi ce genre de choses.) Aujourd'hui, c'est un nouveau départ pour moi pour devenir son bon petit ami, et je jure que je le chérirai et le garderai près de moi, je ne le perdrai plus jamais comme ça.

Je m'étire et jette un coup d'œil au lit... Oh, regardez ! Il y a une bosse sur le matelas, comme si quelqu'un d'autre avait dormi à côté de moi. Et je suis sûr que ce n'est pas moi qui l'ai causée.

Est-ce que j'entends le bruit d'une douche dans la salle de bain ?

C'est peut-être Wat. Oh, oui ! Ce doit être lui. Il a dû revenir vers moi et dormir dans ma chambre comme d'habitude.

Bravo ! Je suis sur la bonne voie. La magie merdique du Scythupide a fonctionné cette fois-ci ! Mais mon train de pensée déraille et mon sourire se fige sur place lorsque la porte de la salle de bain s'ouvre. Celui qui en sort n'est autre que ce foutu Scythupide, vêtu d'une serviette blanche ( une vieille ?) et utilisant une petite serviette blanche ( une vieille ?) pour s'essuyer les cheveux. Quel genre de personne se laverait les cheveux le matin ? Oh, attendez... Ce n'est pas vraiment une personne, je suppose.

— Toi !?

Je le pointe du doigt.

— Oh, oui, merci de m'avoir laissé passer la nuit ici, glousse-t-il.

— Vous ne m'avez pas demandé la permission ! Je ne vous aurais jamais laissé rester.

— Ha ha ha, rit-il prenant le sèche-cheveux. C'est pour ça que je n'ai pas demandé.

Bon sang ! Cela signifie que la bosse du lit à côté de moi appartient en fait à ce stupide Scythupide. Et moi qui croyais que c'était Wat. Merde ! C'est vraiment décevant. Mon humeur positive du début tombe presque dans la zone de dépression. Compte tenu de mes circonstances de vie actuelles, c'est probablement là qu'elle devrait normalement se trouver.

— Ne t'embête pas à vérifier son Instagram, dit le Cupidon de la mort au moment où je m'apprête à saisir mon téléphone portable, comme s'il pouvait prédire mon prochain mouvement.

Comme je suis gêné, je m'abstiens et j'utilise mon téléphone pour vérifier mes messages à la place. Il y a des tonnes de messages de mes amis, tous envoyés après minuit. Ils étaient au Brick Bar sur Khaosan Road et ont essayé de m'inviter à les rejoindre.

— Désolé, hier soir je me suis endormi tôt.

Je tape une réponse à renvoyer, me sentant un peu coupable. Avec mon travail, ma vie et d'autres choses, j'ai rarement du temps à passer avec eux ces derniers temps. Et ce malgré le fait que nous nous connaissons depuis longtemps. Je suis proche d'eux depuis l'école secondaire. Ensuite, pendant les années d'université, même après avoir obtenu notre diplôme et commencé à travailler, ils sont restés avec moi.

Ils sont mes copains de beuverie depuis la première fois où j'ai essayé de draguer un homme et où j'ai échoué. Nous sommes même allés boire un verre lorsque Wat a rompu avec moi.

Ok, en plus de devenir un meilleur petit ami pour Wat, je serai aussi un nouvel homme, un meilleur et plus gentil ami pour eux. Vous voyez, ce matin est déjà un bon matin. Ça peut aussi être un bon départ, un nouveau départ.

Je me lève et j'attrape une serviette.

— Hé, tu n'auras plus besoin de la salle de bains, n'est-ce pas ? Cue.

J'ai la flemme de l'appeler Scythupide, c'est trop long. Et comme hier il s'est présenté à Wat sous le nom de Cue, je peux aussi l'appeler Cue, non ?

— Hah, non. Tu peux l'utiliser à ta guise.

Bon sang, cet abruti parle comme s'il était le propriétaire de cette pièce. Peu importe, je n'ai pas le temps de me disputer avec lui. Je dois me dépêcher de me préparer à sortir et à rencontrer Wat. Un jour heureux et un avenir radieux m'attendent...

N'avez-vous pas l'impression que cela ressemble un peu au dialogue de la Team Rocket dans l'univers Pokémon ? Et vous le savez ? Même si la Team Rocket parlait toujours de " lumière aveuglante ", d'" avenir radieux " ou de " demain ", elle n'a jamais rencontré d'avenir radieux ou de matin heureux. Dans chacune des fins, les membres de la Team Rocket étaient... condamnés à être déçus.



……



— Bonjour, Wat.

J'ouvre la porte d'entrée de son café, sachant que le ton de ma voix est profondément joyeux (c'est vrai, je suis bien plus enjoué qu'hier), mais j'opte pour le laisser aller. Je ne vais pas réprimer mon émotion ou surveiller mon expression aujourd'hui. Pourquoi devrais-je le faire ? Je suis son petit ami. Voir mon copain me rend heureux et c'est tout à fait normal.

— Bonjour, monsieur. Qu'est-ce que vous voulez aujourd'hui  ?

Huh, et puis zut, ce n'est pas la réaction que j'attendais de lui.

— Wat, pourquoi m'as-tu appelé 'monsieur' ? Je suis un peu perdu. C'est une blague de copain ou quoi ?

— Hum, alors, puis-je avoir votre nom, s'il vous plaît  ?

Il n'a pas l'air de plaisanter. En fait, il a l'air confus, et même un peu méfiant à mon égard.

— Huh, pourquoi as-tu besoin de me demander mon nom alors que nous sommes...

Avant que je puisse terminer ma phrase, Cue m'attrape par le bras et m'éloigne.

— Je suis désolé. Mon ami s'est trompé de personne.

Cue me coupe la parole en inclinant la tête pour s'excuser, puis moitié me conduisant, moitié m'entrainant, il m'emmène hors du comptoir.



— Non, laisse-moi partir, Cue. Je suis encore en train de parler avec Wat.

Je dégage mon bras et je reviens vers lui.

— Nous sommes petits amis, Wat , dis-je en gardant les yeux rivés sur son visage, attendant une réponse.

— Euh, eh bien…, dit-il en me regardant, puis regardant Cue à la recherche d'une réaction,  ...est-ce que c'est une sorte de farce, est-ce que vous filmez une caméra cachée ou quelque chose comme ça ?

— Pourquoi penses-tu que c'est une farce  ?

Le ton de ma réponse est proche du hurlement. Je suis en colère, n'est-ce pas ?

Mais contre qui suis-je en colère ? Wat ? Ou peut-être contre moi-même ?

En colère contre moi-même parce qu'au fond de moi, je me doutais que... peut-être que le vœu d'hier soir ne marcherait pas...

— Euh... parce que je ne vous connais pas, monsieur.

Et c'est ainsi que la question dans ma tête trouve sa réponse, par les propres mots de Wat.

C'est vrai, ça n'a pas marché.

Soudain, mes jambes se dérobent. Tout mon corps a l'impression que le tonus musculaire ne fonctionne plus. Je laisse Cue me prendre la main et me conduire hors du café.

Le - souhait - n'a - pas - fonctionné.

Il - n'est - pas - revenu.

Il - ne - me - connaît - même - pas.

Cue m'a amené à un arrêt de bus... Le même endroit qu'hier, le même endroit où je suis venu après avoir perdu mon pari dans le premier vœu. Je n'avais pas envie de revenir ici. Et puis zut. C'était encore comme hier. Ça n'a vraiment pas marché.

— Tu te souviens de ta première rencontre avec Wat ? me demande Cue en s'asseyant à côté de moi, son ton donne l'impression qu'il s'inquiète vraiment pour moi.

Je me tourne pour croiser son regard, soupçonnant qu'il ne s'agit que d'un jeu de dupes. Mais la façon dont il me regarde me donne l'impression qu'il est sincèrement inquiet. Je me plonge alors dans mes souvenirs, à la recherche d'un moment précis datant d'il y a plusieurs années. Il s'est passé tellement de choses entre nous, en effet.

Quelle ironie. J'ai toujours pensé que je me souvenais très bien de tout ce qui nous concernait. Pourtant, comme je dois me le rappeler en ce moment, j'ai du mal à retrouver dans ma mémoire la première fois que nous nous sommes rencontrés et de la façon dont cela s'est passé.

— Je l'ai rencontré dans un pub.

Le vieux souvenir revient peu à peu et apparaît devant moi. Lorsque nous nous rappelons quelque chose d'ancien, c'est comme si nous regardions un vieux film que nous avons déjà vu. Au premier abord, il se peut que nous ne nous souvenions pas de beaucoup de choses, mais en continuant à regarder pendant une minute, toutes les scènes nous deviennent familières, comme si nous les avions regardées hier.

— Il est allé boire un verre avec son meilleur ami, et moi avec le mien. À ce moment-là, le groupe jouait une chanson, et le chanteur sur scène a demandé si quelqu'un avait récemment eu le cœur brisé...

Maintenant, je me souviens. À l'époque, je venais de rompre avec un ex, et mes amis m'avaient emmené boire un verre pour me consoler. D'ailleurs, à la table voisine, les amis de Wat buvaient un verre pour le consoler, pour la même raison.

— À l'époque, seuls Wat et moi avons levé nos verres et crié en réponse. Nous nous sommes croisés par hasard, et la circonstance était si invitante. Nos amis nous ont hués. En fait, tout le pub a fait de même. Le chanteur nous a taquinés en nous disant que nous pourrions tout aussi bien essayer de bavarder. Nous avons donc fait tinter nos verres et fait connaissance.

Cue hoche de la tête.

— Parce qu'il a rompu avec son ex-petit ami, il est allé boire un verre là-bas et t'a rencontré. S'il n'avait pas rencontré cet ex, il n'aurait pas rompu avec et ne serait pas allé boire un verre là-bas non plus. Vous ne vous seriez jamais rencontrés.

Cue fait une pause, laissant l'engrenage de mon cerveau tourner et traiter cette information plus en détail.

— C'est donc pour ça qu'on ne s'est pas encore connus ? Je suis encore un étranger pour lui, c'est ça  ? demandé-je, me tournant vers lui pour le regarder.

Il acquiesce en guise de réponse, sans sourire ni remarque acerbe. Étrangement, j'ai l'impression qu'il y a un soupçon de compassion dans son expression. Non, j'ai dû l'imaginer. Il ne compatira jamais avec moi. Il s'amuse.

— Mais tu as une chance de le convaincre. Tu veux essayer  ? suggère-t-il.

Quand je regarde à nouveau son visage, je sais que j'avais raison. Il sourit. Il n'y a pas de compassion en lui.

— Ça veut dire que je dois repartir de zéro  ?

Je connais la réponse à cette question.

— Uh huh, c'est ça, acquiesce-t-il, donnant la réponse que je connaissais déjà.

— Cela signifie que même si j'ai effacé son ex, il n'a pas poursuivi sa relation avec moi. Pire encore, il ne me connaît même pas maintenant. C'est bien ça  ?

Mon ton commence à montrer ma colère.

— Ding Ding ! C'est ça !

Il semble excessivement heureux lorsqu'il prononce cette réponse. On dirait qu'il ne remarque pas que je suis en colère, ce qui ne fait qu'attiser ma rage. Je lui crie.

— Tu m'as encore roulé dans la farine. Putain, c'est la deuxième fois !

Cue s'éloigne de moi en levant les deux mains en signe de reddition.

— Hé, ce n'est pas moi, mec. Je ne t'ai pas piégé.

— Alors, comment tu appelles ça ? Tu m'as dit de faire un vœu, mais…

Je n'arrive même pas à finir ma phrase car je n'ai aucune idée de ce qu'il faut dire ensuite. Mais... quoi ? C'est vrai, Cue a suggéré qu'il effacerait quelqu'un pour moi, et il a fait ce qu'il avait promis. C'est seulement qu'il y a un fossé impossible à combler entre ce qu'il propose et ce que je veux.

Je veux que Wat me revienne, alors que ce que Cue peut m'accorder, c'est de me débarrasser de quelqu'un.

Faire le lien entre "tuer quelqu'un" et "récupérer quelqu'un" est une énorme énigme à résoudre. C'est une énigme tellement difficile à résoudre qu'on a l'impression que la réponse dépasse les capacités du cerveau humain.

Cela me rappelle l'histoire du Génie, qui trompait les humains en leur faisant faire trois vœux.

Ces victimes de l'escroquerie n'ont reçu que de la déception...

En sera-t-il de même pour moi ?

Suis-je le même type de victime ?

Victime de ce Génie-là, un escroc qui se fait appeler Scythupide.

Il me fait espérer en utilisant un appât appelé vœux magiques. Pourtant, plus je les dépense, plus les résultats sont décevants.

Je pense aux personnages fictifs du conte. La déception les a mis sur la mauvaise voie, au plus profond du labyrinthe de leur propre esprit. À la fin, ils sont noyés dans leur propre folie, sous l'effet du poison mortel qu'est la déception.

— Hé, oh. Hé.

Cue agite une main d'avant en arrière devant mon visage, peut-être parce que je suis devenu immobile et silencieux au moment où j'ouvrais la bouche pour l'insulter.

— Tu vas bien ? Ou est-ce que ton âme a déjà quitté ton corps ?

Mon esprit se libère du labyrinthe de mes propres pensées et revient à l'environnement réel. Je fixe le Scythupide en face de moi tout en remarquant que ma rage débordante de tout à l'heure est un peu retombée, mais pas complètement.

— Tu n'as pas essayé de m'avertir.

Je l'accuse en serrant les dents.

— Eh bien... ce n'est pas inclus dans le contrat. Mon devoir est de t'accorder les faveurs. Je ne suis pas tenu de spéculer et de commenter les possibilités de résultat.

Cue secoue la tête et hausse les épaules. J'ai vraiment envie de connaître ses véritables sentiments pendant qu'il me donne cette réponse.

— Ce qui veut dire que tu connaissais le résultat  ? demandé-je.

— Je pouvais le prédire. Et ça ne demande aucun pouvoir particulier. Si tu étais plus attentif, si tu y réfléchissais bien, et si tu te souvenais de tout ce qu’il s'est passé entre toi et Wat, tu aurais pu le prédire aussi.

Puis il siffle une fois avant de froncer un sourcil dans ma direction.

— Tu étais trop insouciant, trop occupé à te sentir triomphant d'avoir obtenu des faveurs magiques. Tu étais trop occupé à te réjouir, à penser que ça marcherait cette fois-ci. C'est de ta faute si tu as été imprudent. Eh bien, laisse-moi te dire que.... Une personne intelligente n'échoue pas à cause de sa stupidité. Les personnes intelligentes sont intelligentes, la stupidité ne peut pas leur faire de mal. En revanche, une personne intelligente échoue, et parfois meurt, à cause de son imprudence. Un oubli peut conduire à la destruction et à la mort. Il en a toujours été ainsi depuis le début de l'existence de l'homme dans ce monde. Crois-moi… J'en ai - vu - beaucoup -.

Aïe ! Ça - fait mal...

Ça fait - mal - comme - l'enfer.

Parce que - Cue - a - raison.

J'ai été négligent. Je me croyais si intelligent. Je pensais que je connaissais bien les choses et que je les avais bien calculées. Je pensais pouvoir espérer un résultat, et pourtant je n'ai rien gagné. C'était contre-productif et c'était encore pire qu'avant. Le coupable de mon échec d'aujourd'hui est la négligence.

C'est vrai.

— Alors ? Je marque un point, hein  ?

Changeant de posture, Cue lève une jambe, pose la cheville sur le genou opposé et remue le pied.

— Oui, c'est vrai, dis-je d'un ton vif, mais il ne semble pas s'en préoccuper. Faire le lien entre ce que j'ai et ce que je veux, c'est difficile. Au début, je pensais que c'était facile et évident. Il suffisait d'effacer tel ou tel type, et Wat me reviendrait.

Je fais une pause pour avaler ma salive, j'ai l'impression que ma gorge est rugueuse et qu'il est plus difficile d'avaler.

— Mais maintenant, je me rends compte que c'est foutrement difficile.

— Allez, ne t'énerve pas, bébé, dit-il en riant. Ça ne fait que deux nuits et deux personnes. On n'est même pas encore à la moitié du chemin. Tu as maintenant une nouvelle arme, la pleine conscience. Rentre chez toi et réfléchis bien, élabore un plan épique. Je pense qu'il n'est pas si difficile de reconquérir Wat.

Puis il se lève du banc.

— J'ai une longue liste de plats à essayer. Il est temps de m'excuser. Je te laisse le temps d'y réfléchir avant la tombée de la nuit. On se voit plus tard !

A ce moment-là, un bus no. 59 arrive à point nommé. Cue lui fait signe avant de se tourner vers moi en haussant à nouveau les sourcils.

— Pourquoi ne penses-tu pas au moment où vous avez rompu ? Peut-être que tu auras ta foutue réponse.

Et il s'en va, sautant à travers la porte du bus climatisé no. 59. Je ne sais pas où il va, mais... pourquoi ne s'est-il pas simplement volatilisé comme il l'a fait hier ? Pourquoi diable a-t-il dû prendre un bus ?

Je n'ai pas le temps de trouver la réponse. Je n'ai pas de temps à perdre à essayer de percer le mystère de la raison pour laquelle un Scythupide utilise un véhicule de transport en commun au lieu de s'évanouir avec sa magie. Mon temps est précieux. Je me précipite dans une papeterie et j'achète un carnet, un stylo et des post-it.

Non. Non. Non.

Ce n'est pas assez. Pas du tout.

Je ferais mieux de prendre aussi un tableau en plastique blanc. J'y inscrirai la cartographie de ma relation. Je dois revoir tout ce qu'il y a entre nous et analyser où cela a commencé. Je dois trouver qui est responsable de notre rupture.

Pour que ce soir... ce soir, je puisse faire un vœu correct et effacer la bonne personne. Et demain, Wat me reviendra... pour de bon, cette fois.


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Mar 27 Aoû 2024 - 14:04



Chapitre 4
— Oh. Whoa... c'est quoi tout ça ?

Je regarde l'intrus, c'est Cue. Ces derniers jours, je me suis habitué à avoir un membre bizarre dans ma maison et dans ma vie. Il y avait un Scythupide, celui qui peut apparaître soudainement dans ma chambre sans avoir besoin d'ouvrir la porte.

Je ne suis plus surpris, mais il n'est pas étonnant qu'il soit surpris par l'état actuel de ma chambre. Au milieu de la pièce, il y a un énorme tableau blanc pour mon projet. Sur ce dernier, d'innombrables notes autocollantes sont affichées, reliées entre elles par des fils rouges (j'ai choisi le rouge pour contraster avec le tableau blanc) pour former une carte de connexion complexe.

— Schéma des interactions concernant Wat et moi.

J'ai réexaminé la chronologie depuis notre première rencontre. Chacun des événements importants de notre relation a été inscrit sur une note autocollante. Tous les événements qui ont conduit à un autre événement sont reliés à l'aide d'un fil, afin de me donner une image facile pour analyser la logique et voir la relation entre les causes et les effets.

Si Cue est apparu, c'est que...

Je tourne la tête pour regarder mon horloge murale. 11h43, c'est déjà presque un nouveau jour.

J'ai été plongé dans la création du tableau et j'ai perdu la notion du temps.

— Quand tu es sérieux à propos de quelque chose... c'est assez impressionnant, commente Cue, balayant le tableau de gauche à droite et de haut en bas.

Je remarque seulement qu'il n'est pas habillé de la même façon que ce matin. Le jean décoloré a été remplacé par un pantalon gris. Il n'y a plus de t-shirt non plus. Il porte maintenant une chemise blanche aux manches retroussées, avec quelques taches de thé. En observant bien, cette tenue lui donne l'air d'un serveur d'une maison de thé luxueuse après le travail.

Il apparaît dans ma chambre à peu près à la même heure tous les soirs, me parle un moment, exauce mon vœu, m'endort, puis disparaît (ou dort à côté de moi). Le lendemain matin, quand je me réveille, il est toujours debout. Il prend sa douche et s'habille, puis me suit pour vérifier le résultat du vœu et me voir déçu...

Ensuite, il disparaît, pour ne revenir qu'avant minuit. C'est... une bien curieuse routine de vie, vous ne trouvez pas ?

A-t-il d'autres parties de sa vie, je veux dire d'autres emplois, que moi ? Rencontre-t-il d'autres personnes comme il m'a rencontré ? Et ces personnes font-elles aussi des vœux comme moi ?

— Hé, toi... Où étais-tu ? Tu servais du thé ou quoi ? demandé-je.

— Beaucoup de choses intéressantes sur le tableau, hein ? Qu'est-ce que c'est que ça ? Premier anniversaire.

Je pense qu'il a entendu ma question, mais qu'il a fait semblant de ne pas l'entendre pour éviter d'avoir à répondre. Peu importe. Il a peut-être d'autres tâches à accomplir en tant que Scythupide. Il a son propre devoir à remplir, sa propre vie à vivre. Au moins, j'ai demandé. S'il choisit de ne pas répondre, ça lui appartient.

— Premier anniversaire ? C'est une longue histoire. Le temps sera écoulé avant que je puisse finir.

C'est un mensonge. Ce n'est pas long. C'est très court. Mais puisqu'il a ignoré ma question, je ne lui dirai pas ce qu'il veut savoir. Ce n'est que justice. J'espère qu'il ne lit pas dans mes pensées.

— Je demandais juste de toute façon, je ne voulais pas vraiment en entendre parler, dit-il avant de se retourner avec un sourire au coin de la bouche. D'accord, dis-moi, qui veux-tu effacer ce soir ?

— Attends une minute, j'ai quelque chose à demander d'abord. Est-ce que j'ai encore besoin d'effacer quelqu'un ? Pour l'instant, c'est déjà un plus gros gâchis qu'avant. Wat ne me connaît plus, est-ce que je dois encore effacer quelqu'un  ?

C'est la première question que j'ai placée en haut de mon tableau, avant toute autre chose. La réponse décidera de ma prochaine stratégie.

— Aucun souci à se faire. Pour chaque faveur, ça commence par le même début, c'est-à-dire quand lui et toi venez de rompre. Donc, ne t'inquiète pas, une fois que tu auras fait ta demande, l'événement se poursuivra à partir du moment où il a rompu avec toi. Il calcule le résultat à partir de là.

Je passe près d'une demi-minute à digérer et à comprendre cette information dans ma tête.

— Pourquoi cela fonctionne-t-il ainsi ? Je ne comprends pas.

Cela va à l'encontre de la logique temporelle, des séries temporelles, de l'espace-temps, etc.

— C'est vrai, ça défie la logique de l'espace-temps, si tu penses comme Einstein. Mais si tu penses comme Darren, c'est logique au niveau quantique. Tu sais, une série temporelle ne se déroule pas toujours comme le pensaient ces scientifiques.

Cue argumente contre ma pensée... Attendez, quoi ? Est-ce que cela signifie qu'il...

— Oui, je peux lire dans tes pensées.

Cue complète la phrase de mon esprit.

—  Et qui est Darren  ? lui demandé-je.

—  Un musicien. Pas un scientifique, répond-il en haussant les épaules.

Hein ? Qu'est-ce que... ? Je suis encore plus confus maintenant. Pourquoi et comment un musicien a-t-il sa propre théorie des séries temporelles ?

—  Il a trouvé une théorie des séries temporelles alors qu'il était défoncé à l'herbe et qu'il écrivait une chanson avec ses amis, s'esclaffe Cue en terminant.

—  Un jour, quand tu deviendras un être qui vit au-delà de la dimension des séries temporelles comme moi, tu te moqueras des théories que certains scientifiques ont prêchées. En fin de compte, la personne qui a le mieux parlé de la théorie du temps est en fait un musicien thaïlandais sur YouTube. Ce type nommé Damrong, qui se faisait appeler Darren pour des raisons d'internationalité, n'avait que des milliers d'abonnés. Il a élaboré cette théorie alors qu'il était sous l'emprise du cannabis.

Sacrément épique... C'est foutrement sacrément épique.

— Alors, tu peux vraiment lire dans mes pensées ?

Si c'est le cas, je dois faire attention à mes pensées. Cue fait un hochement de tête en guise de réponse.

—  Mais ne t'inquiète pas, je lis rarement les pensées des gens. En fait, j'essaie de réduire le bruit des pensées autour de moi, parfois je les mets même en sourdine. Elles sont agaçantes, je te le dis. Mais pour l'instant, nous ne sommes que tous les deux, et il est tard dans la nuit, alors ta pensée était forte et claire. »

Finissant son explication, il se dirige vers la chaise au bout de mon lit, avec le même maniérisme, à la même place, arborant le même sourire, et bien sûr, me demandant de la même manière.

— Qui veux-tu effacer maintenant ? Dis-le-moi. J'ai hâte de l'entendre.

D'accord, alors. Comme ça va recommencer à partir du moment où Wat a rompu avec moi, il va falloir que j'utilise ma stratégie au dos du tableau.

Je me dirige vers mon tableau blanc et le retourne.

— As-tu entendu le dicton qui dit qu'un verre qui se fissure se brise un jour ? lui demandé-je.

—  Oui, je l’ai entendu, acquiesce-t-il, et je peux même chanter cette chanson thaïlandaise.

Cue s'apprête à chanter, mais je lève la main pour l'en empêcher, ce qui me fait rire.

— Les relations aussi peuvent se briser ou être ruinées dès le premier craquement, continué-je à expliquer comme s'il s'agissait d'une présentation devant un client.

Cue hoche la tête d'un air approbateur.

— C'est logique. La fissure ne peut pas être réparée, et un jour elle grandira et brisera le verre. Je suis d'accord avec toi. Et maintenant, qu'est-ce qu'on fait ?

— Donc, pour éviter qu'il ne se brise à la fin, nous devons d'abord empêcher la fissure.

Je claque des doigts, ce qui est ma marque de fabrique lorsque je termine une présentation. Je me sens un peu soulagé que Cue ait dit qu'il était d'accord avec moi et que cela avait du sens.

— Et dans notre cas, cette fissure s'est formée dès la première fois que nous nous sommes disputés, conclué-je en sortant une note autocollante.

On peut y lire ‘la première dispute’.

Heureusement, je m'en souviens. Je me souviens de la première fois que nous nous sommes disputés. C'était une affaire insignifiante, en fait. Mais cela a conduit à la deuxième, à la troisième et à d'autres disputes...

C'est comme ce qu'on dit, tu le fais une fois, tu le referas, et puis il y aura la troisième et la quatrième fois, et ainsi de suite. C'est vrai, pour Wat et moi, il y a eu de nombreuses suites à cela, avant de finir par mettre fin au comptage. Inévitablement, il s'est terminé. Nous - avons - terminé - en - nous - séparant.

— S'il n'y avait pas de première fissure, il n'y aurait pas de raison pour que le verre se brise, résumé-je.

Cue se lève de la chaise et applaudit.

— C'est incroyable ! J'aime beaucoup ta façon de penser.

Il dit cela comme s'il était impressionné, mais je ne sais pas pourquoi j'ai l'impression qu'il est sarcastique. C'est comme s'il y avait quelque chose dans son sourire qui...

Ugh, allez, peu importe. Je réfléchis trop. J'ai été déçu deux fois et je deviens paranoïaque. Cette fois, ça doit marcher. J'ai fait de mon mieux pour être prudent.

—  À l'époque, nous nous sommes disputés à propos d'un politicien à la télévision. Lui et moi n'étions pas d'accord sur quelque chose que le politicien avait dit.

Vous voyez, ce fichu truc était vraiment un sujet insignifiant.

Ça n'avait même rien à voir avec nous. C'est l'affaire de quelqu'un d'autre. Ce politicien n'avait absolument aucun lien avec moi, ou avec Wat. Pour l'amour du ciel, nous ne le connaissons même pas personnellement. Pourtant, il est devenu le point de départ de nos querelles, provoquant la première dispute entre Wat et moi.

La première dispute qui a mené à la deuxième, la troisième, la quatrième, la cinquième, et plus encore.

Se débarrasser de ce foutu type... Pour qu'il n'y ait pas de fissure, et qu'il n'y ait pas d'étape suivante vers la destruction.

— Intéressant. Très intéressant, en effet.

Cue quitte la chaise et prend la note collante de ma main, l'étudiant.

— Bon, tu veux effacer cette personne, n'est-ce pas ? Effacer ce politicien.

Il croise mon regard, le nom du politicien est écrit sur la note autocollante qu'il tient dans sa main. J'acquiesce.

— Oui, je veux que tu l'effaces, parce qu'il est à l'origine de ma première dispute avec Wat.

Cue consulte sa montre à gousset, ce qui m'incite à regarder également mon horloge murale. Il est maintenant 23h59. D'une manière ou d'une autre, notre conversation se termine toujours à l'heure, une minute avant minuit.

—  D'accord, si tu es sûr de toi, fais la demande.

Il me fait signe, ce à quoi j'acquiesce.

—  Je veux que vous effaciez M...

Je prononce le nom de ce politicien à voix haute.

— ...de ce monde. Faites en sorte qu'il ne soit jamais né dans ce monde.

Cue s'incline à nouveau devant moi.

—  Il en sera comme tu le souhaites. Cette personne disparaîtra de ce monde, comme si elle n'y était jamais née. Pour l'instant, poursuit-il, faisant une pause pour regarder l'horloge avant de terminer, il est minuit pile. Bonne nuit, nous verrons le résultat demain. »

Sans qu'il ait besoin de claquer des doigts ou de faire quoi que ce soit, c'est terminé pour la nuit. Je ne vois même pas s'il se retourne pour partir ou s'il fait quoi que ce soit d'autre, car au moment où il prononce les mots « bonne nuit », mes yeux commencent à se fermer et mon corps se sent lourd. Mes jambes commencent à vaciller même si mes oreilles captent la fin de sa déclaration, quelque chose à propos de voir le résultat.

Puis, ma conscience s'enfonce dans le sommeil.

— Bonne nuit, Cue, marmonné-je.

………..

10 heures, 10 février

Heure du réveil.


Le bruit de la douche dans la salle de bain me réveille comme hier. Lorsque je me redresse pour m'asseoir sur le lit, je remarque, à côté de moi, l'enfoncement du matelas laissé par une autre personne. Bien sûr, je sais que c'est Cue. Aujourd'hui, je ne me laisse pas tromper à nouveau. Je SAIS que c'est Cue qui prend sa douche là-dedans, c'est sûr.

Ce n'est pas que je n'espère plus que ce soit Wat. Je l'espère toujours. Mais je l'ai déjà compris. Quand on laisse son cœur bondir de joie au sentiment d'espoir, on tombe immédiatement au bas de la falaise quand l'espoir est détruit. Alors, oui, j'espère que Wat me reviendra. (Meh, c'est sûr que j'espère. Hier, je me suis creusé la tête - presque à m'en faire péter les plombs - pour trouver une stratégie. Vous seriez fous de croire que je n'espère pas).

En attendant, je m'abstiens de me réjouir pour l'instant. Je me contente d'espérer et d'attendre patiemment de voir le résultat de mon espoir. La porte de la salle de bain s'ouvre en grinçant et je me retourne pour dire bonjour à Cue.

Mais... non. Putain de non. Ce n'est pas Cue. Wat sort par la porte de la salle de bain, portant une serviette et se séchant les cheveux.

— Bonjour, tu as bien dormi ? demande-t-il.


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Mar 27 Aoû 2024 - 14:05



Chapitre 5
— Bonjour, tu as bien dormi ? me demande Wat, mais je reste figé sur place.

Bon sang, oui... c'est Wat !

Bon sang, oui... il est maintenant avec moi !

Bon sang, oui... il vient de prendre une douche dans ma chambre.

Bon sang, oui... il est de retour. Il est vraiment de retour cette fois.

— Hé, ça va  ?

Wat s'approche de moi et se penche en agitant la main devant mon visage.

— Wat, c'est toi !?

Je n'arrive toujours pas à croire que la personne en face de moi est vraiment Wat. Même si j'espérais, je ne m'attendais pas à me réveiller et à voir le résultat de ma victoire devant moi, comme ça. C'est trop soudain et trop difficile à gérer.

— Oui... c'est moi. Qu'est-ce qu’il se passe ? Ne me dis pas que tu es amnésique et que tu ne te souviens pas de moi.



Il s'assoit sur le lit à côté de moi, les épaules et le torse parsemés de gouttes d'eau qui tombent de ses cheveux mouillés. Je suis à la fois heureux et confus. Est-ce que ça veut dire que le vœu a fonctionné cette fois-ci ?

— Oh, Wat, tu es là, pour de vrai  ?

Merde, quelle question stupide !

Il me regarde en fronçant les sourcils.

— Qu'est-ce que tu veux dire ? Hier soir, tu m'as invité. Tu me mets à la porte maintenant ? On n'a même pas encore pris le petit-déjeuner.

— Pas du tout. Non. Ce n'est rien. Je, euh… m’empressé-je de répondre avant de faire une pause en me grattant la tête avec embarras. Je crois que j'étais un peu groggy et confus.

Wat continue de se sécher les cheveux et je continue de le fixer, incapable d'empêcher ma bouche de sourire de le revoir. Il est là, devant moi, en train de se sécher les cheveux après la douche. C'est une scène familière. Quand nous étions encore ensemble, il passait souvent la nuit ici, et je m'y étais habitué. Je ne sais pas, c'est peut-être parce que je l'ai perdu plus tôt et que je pensais que je ne verrais plus jamais ces choses dans notre routine quotidienne. Aujourd'hui, quand je le revois dans le même décor, dans ma propre chambre, je me sens comblé, je déborde de bonheur.

— Qu'est-ce qui te fait sourire ? demande Wat en se retournant et laissant échapper un rire.

— Ce n'est rien, dis-je en secouant la tête. Je suis juste content de te voir.

Wat arrête de se sécher les cheveux et me regarde intensément dans les yeux.

— "Arrête, ne dis pas une chose pareille, surtout sur ce ton et en me fixant comme ça.

— Ou alors ? Si je le dis quand même  ? dis-je en riant.

Wat jette la petite serviette qu'il utilisait pour se sécher les cheveux, tout en laissant tomber la serviette qu'il portait sur le sol, avant de se diriger vers moi, les sourcils froncés.

— Parce que c'est très tentant. Et c'est trop tard maintenant, tu vas y passer, dit-il en m'attrapant par les poignets, me plaquant sur le matelas.



— Heyyy, Wat, je viens de me lever.

Je proteste sans trop me débattre lorsque son nez caresse la peau le long de mon cou. C'est un contact familier, mais j'y aspire désespérément.

— Oui, je sais que tu viens de te lever, répond-il en se plaçant à califourchon sur moi et en regardant la moitié inférieure de mon corps. Oh, oui, c'est vraiment debout. Allez, c'est parti pour le quatrième round. Hier soir, c'était ton tour, alors maintenant, c'est mon tour. Pas de tricherie.

Sans attendre ma réponse, il pose ses lèvres contre les miennes. C'est le tempo que nous connaissons bien, la mélodie qui nous est familière. Wat sait où me toucher et je sais où poser mes mains et comment positionner mes membres.

Nous savons quand inspirer, quand retenir notre souffle et quand expirer lentement. C'est le rythme familier des amoureux qui se font l'amour.

Il n'est pas nécessaire de l'enseigner. Il n'est pas nécessaire de le dire. C'est un souvenir qui s'est incrusté dans mon corps, mes muscles et chacune de mes cellules. C'est comme si toutes les parties de notre corps communiquaient.

Je ne sais pas ce que j'ai crié. Je ne vois presque rien au-delà des épaules de Wat.

Ma vision se brouille, mes oreilles bourdonnent et mon corps tremble de plaisir. Puis, au moment où l'extase nous envahit, nous surfons tous les deux sur la vague.

………………..

— Ce matin, tu as l'air…

Wat s'affaisse et s'allonge à côté de moi, légèrement essoufflé.

— De quoi ai-je l'air  ? demandé-je en penchant la tête, me servant toujours de son bras comme oreiller.

— Tu as l'air joyeux. J'aime ça, répond-il.

— Merci. Je ne pense pas être différent, pourtant.

Je mens. Je sais que je suis différent. En fait, je jubile à l'idée qu'il ait fini par revenir vers moi. Il est loin de se douter que le temps que j'ai passé sans lui a été brutalement angoissant.

Mais, selon Cue, l'univers a tout réinitialisé et m'a donné le résultat par défaut. Ainsi, Wat ne saura pas que nous avons rompu.

— Hé, tu as faim  ? me demande-t-il et je fais un signe de tête en guise de réponse.

— Allons manger quelque chose, suggère-t-il.

— Bien sûr, je t'offre à manger, lui proposé-je.

— Oh wowww, on peut faire un festin, alors ? Pourquoi pas D&D ?

— Bien sûr ! Tout ce que tu veux.

J'ai envie de manger là aussi.

Il rit et se lève pour aller prendre une douche (encore) pendant que je reste allongé nu dans le lit, à regarder le plafond. C'est vraiment génial ! Les deux premiers jours ont peut-être été décevants, mais le troisième soir, j'ai choisi la bonne personne à effacer avec le vœu, et il est revenu à moi.

— Merci, Cue.

Je ne sais pas s'il entendra cela. Je suppose qu'il ne reviendra pas, parce que j'ai obtenu ce que je voulais maintenant. Où ira-t-il ensuite ? Est-ce qu'il exaucera les souhaits de quelqu'un d'autre ?

Peu importe. Où qu'il aille, je veux lui dire merci. Grâce à toi, Mr Scythupide, je n'aurai plus à passer cette Saint-Valentin seul.

Parce que - maintenant - j'ai - Wat.

…………….

Le téléphone portable de Wat sonne pendant que nous prenons le brunch. Il décroche et jette un coup d'œil à l'écran, avant de secouer la tête et de décliner l'appel. Il reprend la conversation de tout à l'heure avec moi.

— Le mois prochain, Captain Marvel sera à l'affiche.

Wat adore les films de super-héros.

— On y va ensemble  ?

Normalement, je n'aime pas ce genre de films, mais comme je me le suis déjà promis, je vais devenir un meilleur petit ami, en le soutenant et en passant plus de temps dans son univers. Regarder le film qu'il aime est un bon début.

— Hum...dit en mettant de la purée de pommes de terre dans sa bouche. Voyons si nous sommes libres.

Je hoche la tête et recommence à manger mon sandwich, tout en me demandant pourquoi il doit d'abord vérifier son agenda. Nous sommes des petits amis, pourquoi devons-nous vérifier notre emploi du temps alors que nous pouvons regarder un film ensemble n'importe quel jour si nous le voulons ?

— Oh, tu ne dois pas travailler aujourd'hui ? lui demandé-je, parce qu'il devrait être au café aujourd'hui.

— Quoi ? Tu as oublié que j'ai pris deux jours de congé pour passer du temps avec toi  ?

Il a l'air déconcerté, alors je ris pour le cacher.

— Hahaha, je suis encore groggy, Wat. Je ne suis même pas sûr de savoir quel jour on est aujourd'hui.

— Hahaha ! Quel idiot tu fais, commente-t-il en secouant la tête.

Puis son téléphone portable sonne à nouveau. Mais cet appel est différent. Sa sonnerie sonne...oh ! Cette - sonnerie - est - différente - de - l'appel - précédent.

Wat la regarde et change d'expression.

— Bon sang, il faut que je réponde à celui-là. Je reviens tout de suite.

Il se lève et quitte la table, se dirigeant vers la porte d'entrée du restaurant.

En fait, l'endroit où nous sommes assis n'est pas si bruyant. La musique est légère et il n'y a pas foule. Il ne devrait pas y avoir de problème pour parler au téléphone ici. Pourquoi devait-il se lever et répondre devant le restaurant ? Je ne comprends pas.

Mais peu importe. Ça n'a pas d'importance, je suppose.

Wat revient à notre table, range son portable et continue à manger.

— C'est mon petit ami. Il a dit qu'il était bien arrivé en Espagne, dit-il en buvant une gorgée de sa tasse de café.

Attendez, qu'est-ce que... ? Petit ami ? Son petit ami a appelé et a dit... ?

— Petit ami... ton petit ami ?

— Oui, mon copain est parti en Espagne.

— Attends, ton copain ? Tu as un copain  ?

J'ai l'impression que mon cerveau est entré dans une zone de turbulences.

— Pourquoi es-tu si confus ? Ne me dis pas que tu as encore perdu la mémoire, dit-il en posant son café et en se penchant plus près de moi. Mon copain est parti en Espagne pour un voyage professionnel de trois jours. J'ai donc profité de cette occasion pour prendre deux jours de congé, pour rester avec toi afin que nous puissions nous amuser un peu.

Puis, il sourit, montrant une canine tout en haussant un sourcil vers moi.

— Wat, je ne comprends pas. Qu'est-ce qu'on est l'un pour l'autre  ?

J'ai l'impression que ma voix tremble.

— Nous sommes des amis avec des avantages. Des copains de sexe occasionnel. Qu'est-ce qu’il se passe avec toi ? Tu fais semblant d'oublier ? Ce n'est pas drôle, tu sais, dit-il en fronçant les sourcils.

— Je... Je...

Le reste de la phrase reste coincé comme une boule dans ma gorge, je n'arrive pas à la recracher. Je pose précipitamment les ustensiles et attrape mon téléphone portable et mon portefeuille, avant de franchir la porte de D&D sans écouter Wat qui appelle derrière moi.

Je ne me souviens pas de la direction que j'ai prise et je ne sais pas non plus quelle est la distance parcourue. Lorsque j'arrive au comble de l'épuisement et que mes poumons commencent à protester contre le manque d'air, mes pieds s'arrêtent et je lève les yeux.

L'arrêt de bus... le même vieil arrêt de bus.

L'arrêt de bus de la déception et le banc sur lequel je finis toujours par m'asseoir et fumer. Quand - j'ai - compris - que - mon - souhait - ne - fonctionne - pas.

— Aww, pourquoi tu t'es enfui  ?

Cue est déjà là, assis à m'attendre. Il me pose la question avec un journal dans les mains.

— ......

Je ne peux pas répondre. Je suis trop essoufflé. En soufflant, je m'avance et je m'assois à côté de lui sur le banc. Cue se déplace un peu pour me faire de la place.

— Tu n'aimes pas ça ? Être un ami avec des avantages.



— Qui aime ce genre de position, putain ?lui crié-je. Comment est-ce arrivé ? Pourquoi Wat et moi sommes devenus des copains de baise ? Qu'est-ce qu’il se passe ?

— Tu te souviens de ce qui est arrivé après votre dispute  ?

Cue commence à répondre par une question.

— Nous avons parlé et nous nous sommes réconciliés. C'est évident.

Je réponds en me rappelant qu'après, nous nous sommes mis d'accord pour ne plus parler de politique, parce que nous ne voulions pas nous disputer.

— Sais-tu ce que signifie se disputer  ?

Cue continue de tourner autour du pot, de poser des questions absurdes, mais j'en ai assez et je me contente de secouer la tête.

— Mon instructeur m'a appris que lorsque les gens se disputent ou se battent, la bagarre agit comme un tamis. Elle filtre les problèmes pour en extraire l'essence de la relation. Sais-tu que les gens peuvent se rapprocher à travers les problèmes ?  Lorsque vous vous disputez avec votre partenaire, cela montre qu'il y a une divergence dans votre conception des choses. Et lorsque vous reconnaissez l'origine du problème, du désaccord, vous le réglez. Cela renforcera les liens dans la relation. Les amoureux qui ne traversent jamais de difficultés n'ont pas la possibilité d'améliorer leur relation, de la rendre plus forte. Ils finissent par devenir un couple qui n'a plus rien à apprendre l'un de l'autre. Penses-tu que ce genre de couple durera longtemps ? Un couple dont les liens ne s'améliorent jamais pour devenir plus durables. Un couple qui reste au même niveau de compréhension, qui n'augmente ni ne diminue, et qui ne progresse jamais. Wat et toi êtes ce genre de couple. Et après plusieurs années, vous vous êtes séparés parce que ça s'est estompé, ça s'est atténué. S'il y a quelque chose qui vous relie encore, c'est la compatibilité sexuelle. Il a suivi sa voie, et tu as suivi la tienne. Mais chaque fois qu'il a envie de sexe, chaque fois qu'il a l'occasion de s'adonner goulûment au sexe avec toi, il vient à toi. C'est comme ça. Tu vois ? Tu as récupéré Wat, c'est sûr. C'est juste une nouvelle forme de relation. Tu n'aimes pas ça ?

Je serre les dents pendant toute la durée de son explication. Ce n'est pas que je lui en veuille.

Je m'en veux de n'avoir jamais rien compris.

En colère contre moi pour m'être réjoui tout à l'heure de l'intelligence de mon plan. En colère contre moi de n'avoir eu aucun pressentiment ce matin et d'avoir succombé à la tentation du sexe et de son plaisir. Alors que je ne suis pour lui qu'un ami avec des avantages.

Je ne dis pas que cette position est nulle. C'est juste que ce n'est pas ce que je veux.

— Tu ne vas pas m'engueuler un peu aujourd'hui  ? siffle Cue.

— Non, soupiré-je. Je me sens comme un imbécile.

— Pourquoi ça  ?

Je n'arrive pas à croire ce stupide Cupidon et son audace. Je lui réponds quand même.

— Eh bien... je ne sais rien de l'amour ou des relations. J'ai toujours pensé que les disputes et les conflits ruinaient l'amour. Mais en t'écoutant me dire que les disputes peuvent même améliorer la relation...

Je soupire à nouveau.

— Je me sens si bête. Maintenant, je ne sais pas si ces expériences qui sont passées dans ma vie peuvent être appelées de l'amour. Parce que je n'ai jamais rien compris.

— En clair, tu n'aimes pas être l'ami de Wat avec des avantages, n'est-ce pas ? me demande à nouveau Cue.

Je réponds par un hochement de tête.

— Et tu vas continuer à demander d'autres faveurs, continuer à te battre, pour le ramener  ?

A cette question, j'hésite...

Suis-je prêt à souffrir encore ?

Suis-je prêt à être déçu une fois de plus ?

J'ai l'impression que trois fois, c'est déjà trop.

Mais... il me reste quatre jours. Je peux encore me débarrasser de quatre personnes. J'ai quatre chances à utiliser encore.

Si vous étiez à ma place... vous laisseriez tomber ces quatre chances ?

Je serre les poings et acquiesce.

— Il reste quatre nuits, c'est suffisant. Je n'ai même pas encore dépensé la moitié de mon capital. Pourquoi m'arrêterais-je ? Au moins, j'ai appris de ces trois erreurs en trois jours. Je vais faire un vœu, confirmé-je après avoir croisé son regard.

Cue sourit et me tape sur l'épaule.

— D'accord, donc, ce qu’il est passé dans ta vie, c'est l'amour. Écoute-moi. Je suis peut-être un Faucheur, mais une autre moitié de moi est un Cupidon. Je comprends l'amour parce que mon ADN a été conçu pour le comprendre. Mais ton ADN ne l'était pas. Le fait que tu ne le comprennes pas est la raison pour laquelle les humains comme toi peuvent jouir de l'amour. L'amour peut toujours faire mal. Qu'il s'agisse d'un amour qui atteint un sentiment mutuel, d'un amour non réciproque, d'un amour avec une bonne personne, une mauvaise personne ou une personne moyenne, il y aura des moments où tu seras blessé. Il est donc ridicule d'essayer de trouver un amour indolore. Nous devrions plutôt rechercher l'amour qui vaut la peine d'endurer la douleur, si elle doit être douloureuse. Tu as choisi de prendre un risque en dépensant les faveurs, malgré la possibilité d'une déception, et de risquer de souffrir une fois de plus. Tu es prêt à prendre ce risque parce que tu veux que Wat te revienne. C'est ça, l'amour. Continue à croire en toi.

Cue se lève alors de son siège et s'étire.

—  Ça fait longtemps que je suis là à t'attendre. Mon corps est devenu sacrément raide, et j'ai faim aussi.

Il se retourne et me tape sur l'épaule, plus lourdement cette fois.

— Je vais aller gambader, et je te reverrai ce soir. Je viendrai prendre ta demande.

Un bus climatisé no. 39 arrive à l'heure, comme prévu. Les portes s'ouvrent, laissant l'air frais frapper mon visage. Cue monte dans le bus et se retourne pour me sourire.

— Passe le reste de ton temps à réfléchir avant de faire ton vœu ce soir. Fais attention. C'est la quatrième nuit, on en a déjà dépassé la moitié.

Je reste assis sur le banc. C'est vrai, après ce soir, on en sera déjà à plus de la moitié.

La première nuit, j'ai cru que c'était une blague.

La deuxième nuit, je n'ai pas été assez attentif.

La troisième nuit, j'ai manqué de compréhension.

Ce soir, c'est la quatrième nuit.

Je - ne - ferai - plus - d'erreur.


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Mar 27 Aoû 2024 - 14:05



Chapitre 6
— Je veux que tu effaces Neth.

Je me suis assis sur mon lit pour attendre Cue. Lorsqu'il apparaît dans ma chambre, j'annonce immédiatement ma prochaine cible sans qu'il me le demande d'abord. Il semble un peu déstabilisé, comme s'il n'était pas sûr d'être au bon endroit. Je lui laisse quelques secondes pour gérer sa confusion avant de répéter la même phrase.

— Je veux que tu effaces Neth.

— Whoa, whoa, whoa, calme-toi, mec. D'où ça sort, ça ?

Il lève la main pour me faire taire. Vous savez, je déteste vraiment ça. Je déteste qu'on me dise ‘calme-toi’.

Laissez-moi vous dire que lorsque quelqu'un semble pressé ou irritable, cela ne veut pas toujours dire qu'il est impétueux. Parfois, nous ne voulons tout simplement pas perdre de temps et nous avons déjà bien réfléchi à la question. Ainsi, lorsque je suis pressé, ce n'est pas parce que je m'emporte. Je veux simplement gagner du temps.

Quand on dit à quelqu'un de se “calmer”, c'est de la condescendance. C'est comme si on accusait la personne de faire un caprice, alors qu'en réalité, elle ne perd pas son sang-froid. Peut-être qu'elle ne veut tout simplement pas perdre son temps à négocier avec vous.

Dire “calmez-vous” implique un point de vue supérieur. Du genre : "Oh, si j'étais vous, je serais plus calme, bla-bla-bla". Cela signifie également que vous jugez la personne, en disant que, selon vos critères, elle est émotive et prend une décision irréfléchie. Un tel conseil n'est absolument pas amical. À mon avis, ils sont aussi mauvais que les conseils d'un ennemi.

— Je suis calme. Je te fais juste gagner du temps, réponds-je. Pour que nous n'ayons pas à le gaspiller en bavardages sur des sujets sans intérêt. Tu es là, je fais un vœu, je te dis ma cible. Fin de l'histoire, rapide et efficace. Tu fais ton devoir, je fais ce que je dois faire, nous pouvons donc nous arrêter là et attendre le résultat demain…

... Qui sera probablement une nouvelle déception.

La dernière phrase n'est pas prononcée à haute voix, mais elle sera probablement vraie de toute façon... N'est-ce pas ?

Oui, c'est vrai. C'est ridicule. Je suis vraiment un imbécile. Sachant que ce vœu va me décevoir, pourquoi continuer à faire ces vœux de merde à ce Scythupide ?

Franchement, je parie que vous avez déjà été dans le même bateau que moi. Vous savez, parfois vous jouez à un jeu et il ne vous reste plus beaucoup de HP ( point de vie) dans votre barre de santé. Vous savez très bien que vous ne finirez jamais ce niveau à ce rythme. Vous allez bientôt vous casser la figure si vous continuez. Pourtant, vous continuez à avancer, en comptant sur le peu de HP qu'il vous reste. C'est la même chose.

Il est difficile de trouver une raison ou une excuse à cela, et le sentiment lui-même est encore plus difficile à expliquer avec des mots. Pour l'instant, mon esprit est fixé sur le fait qu'il me reste quatre jours et que je dois continuer d’essayer. Même si cela va me décevoir, pouvoir effacer quelqu'un que je n'aime pas... c'est un sacré avantage, non ?

Et si, par chance, j'arrive à récupérer Wat, c'est comme si j'avais tiré un numéro gagnant à la loterie sans me faire trop d'illusions.

— Mais ce n'est pas encore le moment de faire ta demande, dis Cue en tapotant sur sa montre à gousset blanche et en s'asseyant sur la chaise au bout de mon lit. Tu n'as pas la même tête aujourd'hui. Qu'est-ce qu'il y a ? Quel genre d'humeur est-ce  ?

Je sens que ses yeux me regardent attentivement. S'en soucie-t-il  ? Peut-être pas. J'ai plutôt l'impression qu'il me jauge.

— N'importe quelle humeur. J'ai beaucoup d'humeurs, dis-je en haussant les épaules nonchalamment. Une chose est sûre, cependant, c'est que je ne suis pas d'humeur à discuter avec un Cupidon stupide et trompeur qui joue avec l'esprit des gens.

Je n'ai pas trouvé mieux que la dérision pour me venger de lui. Je ne sais pas si le coupable de ma déception est Cue et s'il le mérite, mais je l'attaque quand même avec mon humeur massacrante.

— Owwww, c'est tellement cruel. Ça me fait mal au cœur !

Il réagit avec une exagération évidente dans son ton, et cela m'irrite encore plus.

— Quoi ? Tu peux aussi souffrir ? Je croyais que tu n'étais bon qu'à blesser les autres.

— Huh huh huh ! rit-il. Qui t'a fait du mal ? Moi ? C'est vrai ? Ou toi ?

— ....

Cette réponse me laisse sans voix.

Je suis seulement en colère, je ne suis pas stupide. Et je sais qu'il a raison. Je l'ai fait moi-même.

— Mon instructeur m'a appris que l'espoir devient un malheur lorsqu'il naît d'un égarement. C'est un malheur parce que tu as été mal conseillé.

Cue termine sa déclaration par un sifflement. Comme il s'agit d'une nuit calme et silencieuse, son sifflement résonne dans l'air et s'accroche à mes oreilles avec une sonorité perçante.

Pourtant, il me fait moins mal que ses mots qui semblent avoir transpercé le cœur de mes sentiments.

C'est vrai, j'ai été mal conseillé, et c'est un malheur qui s'est abattu sur mon espoir. Mais pour être juste, c'est à cause de lui.

Il n'est pas directement à l'origine de ma déception, il m'a simplement rendu visite et m'a offert ses vœux. Le seul problème, c'est que les vœux consistaient à "se débarrasser de quelqu'un" pour l'écarter de mon chemin, alors que ce que je veux en fait, c'est "reconquérir quelqu'un".

Le contraste est énorme. Comment diable pourrais-je concocter une solution à partir de cette merde ?

Que dois-je faire pour "tuer quelqu'un" en échange de mon "amour" ?

C'est n'importe quoi ! Si un dieu stupide veut vraiment m'offrir un vœu, pourquoi ne pas me donner quelque chose de plus facile à faire. Allons, allons !

C'est un cadeau ou c'est vraiment une farce ? Compte tenu de la distance qui nous sépare, cela ressemble plus à une farce. Pourquoi diable faut-il que ce soit aussi difficile ?

Je dois admettre qu'au début, j'étais content, d'accord. Mais là, j'ai l'impression de n'être qu'un rat, un rat de laboratoire à l'intérieur d'une expérience où quelqu'un me fait des farces en permanence.

— Qu'est-ce que tu veux que j'espère d'autre, alors  ? réponds-je.

— Je ne sais pas. Ce n'est pas mon devoir de te montrer la bonne voie. Quel que soit le chef religieux que tu vénères, utilise ses enseignements pour te guider. Quant à moi, mon seul devoir est…

Cue omet le reste de sa phrase, sourit au coin de sa bouche et n'en dit pas plus.

— Quoi qu'il en soit, dis-moi au moins quelque chose sur Neth avant que je ne l'efface pour toi, d'accord ?change-t-il de sujet, et aussi de ton. Tu ne crois pas que je devrais au moins savoir qui il est dans le schéma de ta relation avec Wat ? Juste pour être sûr que je n'efface pas la mauvaise personne.

Il marque un point, un point sensé. C'est du moins ce que dit la voix dans ma tête. D'accord, je vais donc lui dire qui est Neth.

— C'est le meilleur ami de Wat, réponds-je.

— Ohhh, je voiiiis…répond Cue en faisant traîner sa phrase. Il est jaloux que Wat et toi soyez petits amis, c'est ça ? C'est le genre d'envieux qui attend l'occasion de t'arracher ton petit ami ?



Il a maintenant un regard inquisiteur.

Je secoue la tête.

— Non. C'est juste un ami ordinaire. Le genre d'ami que tout le monde a dans sa vie. Un ami qui est un vrai ami.

Je me souviens de la première fois où Wat m'a présenté Neth. C'est ce genre d'ami, un ami qui est prêt à raconter des histoires drôles ou embarrassantes à propos de son propre meilleur ami à l'amant ou futur amant dudit meilleur ami lorsqu'on le lui présente pour la première fois.

— Neth est quelqu'un de bien.

Le moins que je puisse faire avant de demander à Cue d'effacer Neth, c'est de lui exposer l'ensemble du tableau de mon point de vue. Comment devrais-je appeler cela ? Une sorte de mini-éloge funèbre, peut-être ? Avant de tuer quelqu'un, il faut lui montrer un peu de respect, et je suppose que mon éloge funèbre de Neth est qu'il est quelqu'un de bien.

— Pourquoi l'effacer, alors  ?

— Parce qu'il est gentil. Il est gentil avec ses amis.

— Et ?

— Il a convaincu Wat de rompre avec moi.

Voilà, c'est le verdict. Les bons amis font ça. Quand quelqu'un souffre d'une mauvaise relation, ce que font les bons amis, c'est de pousser la personne à s'éloigner de cette relation.

Neth était de ce côté-là. Il a conseillé à Wat de rompre avec moi. Et ce n'est pas arrivé qu'une seule fois, d'après ce que je sais.

— Uh-huhhh. D'accord, dit Cue en se levant de sa chaise. Connais-tu la signification du mot 'ami' ?

— Oui, dis-je en hochant le tête.

Et je ne dis rien d'autre, économisant les mots, économisant le temps.



— Alors, fais ta demande, acquiesce Cue.

L'heure sur mon horloge indique 23h59.

— Monsieur Scythupide, je veux que tu effaces Neth de ce monde.

Je prononce mon souhait rapidement, d'une traite, sans aucune pause au milieu.

Lorsque j'ai formulé mes demandes précédentes, elles n'étaient pas courtes, ni longues d'ailleurs. Mais je fais toujours une pause au milieu de ma phrase. Sans doute est-ce comme un meurtrier qui hésite une fraction de seconde avant d'enfoncer le couteau lorsqu'il tue quelqu'un. Peu importe à quel point ils sont vicieux, il devrait y avoir un moment où ils hésitent ou reconsidèrent leur décision avant de prendre une vie, je suppose. Cette analogie devrait bien décrire ce que j'étais.

Mais pas cette fois-ci. Je ne sais pas pourquoi. Peut-être parce que je m'y suis habitué, ou parce que je suis devenu insensible, ou même froid.

Cue hoche de nouveau la tête et s'incline en signe de reconnaissance, comme d'habitude. Mais cette fois, il n'a pas de remarque ou de sourire moqueur à m'adresser.

— J'espère que cette fois-ci, la faveur exaucera ton souhait.



C'est assez curieux. Étrange, à la fois ses mots et l'expression de son visage. Normalement, il aurait l'air plus joyeux en m'écoutant faire le vœu de me débarrasser de quelqu'un. Mais ce soir, il a l'air... plutôt compatissant, peut-être ?

— Meh... Je l'espère aussi, ricané-je.

— Je le pense vraiment, me répond Cue.

— Tu veux que mon vœu soit exaucé  ? lui demandé-je.

— Parce que c'est ce que font les amis. Souhaiter du bien à leurs amis. Je veux que tu obtiennes enfin ce que tu souhaites vraiment, acquiesce-t-il.

Le sourire qu'il affiche à la fin de sa réponse est si triste qu'il ne ressemble pas à un sourire. Je ne sais pas comment l'expliquer. C'est encore plus triste que des larmes.

— Je suis désolé de ne pouvoir t'accorder mes faveurs qu'en tuant quelqu'un, et non en invoquant l'amour lui-même. Tu n'es pas le seul à attendre avec impatience le résultat, moi aussi.

Cue se dirige vers la porte d'entrée de ma chambre.

— Fais de beaux rêves ce soir.

Puis il disparaît en même temps que mes paupières se ferment, me plongeant à nouveau dans un profond sommeil.

……………..

11 février, 10 heures.

C'est l'heure à laquelle je dois être réveillé.

— Bonjour. Es-tu prêt  ?

Cue se tient au bout de mon lit, il m'attend dans sa tenue blanche et son jean délavé.

— Je vais d'abord prendre une douche et m'habiller, acquiescé-je.

Bizarrement, ce matin, je ne me sens pas du tout excité ou anxieux. Je franchis la porte de la salle de bains et me lance automatiquement dans ma routine matinale.

Je ne décroche même pas mon téléphone portable pour vérifier Intagram ou un quelconque message. C'est comme si je savais qu'il y avait une tâche à accomplir. Je n'ai qu'à me réveiller, me préparer et sortir pour le faire. Voir le résultat. Et que cela soit un succès ou un échec, je n'ai plus qu'à réfléchir à partir de là.

J'ai l'impression de n'être qu'un organisme vivant programmé, mais sans énergie vitale.

En sortant de la salle de bains, je dis à Cue :

— Aujourd'hui, je veux y aller tout seul, ça te va ?

— D'accord, j'ai aussi une course à faire, répond-il.

Je n'ai même pas le temps de lui demander de quel genre de course il s'agit.

Mais vous savez, ce n'est pas important.

J'entre dans le café et Wat n'est pas au comptoir.

— Bonjour, un Americano glacé, s'il vous plaît, dis-je au serveur, dont le visage ne m'est pas familier. Excusez-moi, Wat n'est pas là aujourd'hui ?

— Wat ? De quel Wat parlez-vous, monsieur  ?

Le garçon de café me regarde d'un air confus.

— Le grand garçon de café qui porte des lunettes et qui a une tache de naissance rouge sous le menton. Il travaillait ici avant ?

Mon explication semble troubler encore plus le garçon de café.

— Je n'ai jamais vu cette personne. Aucun des baristas ici ne correspond à la description, monsieur.

— Euh...o...ok, dis -je en hochant la tête.

— Votre boisson coûte soixante-quinze bahts, s'il vous plaît.

Il fait sonner la caisse et je lui tends un billet de cent bahts avant de me diriger vers une table.

— Connais-tu la signification du mot 'ami'  ?

Je repense à la question que Cue m'a posée hier. Hein ? Et ai-je répondu à cette foutue question ?

— Votre café est prêt, monsieur.

Le garçon de café m'appelle depuis le comptoir. Je me lève pour aller chercher ma boisson tout en utilisant une autre main pour lancer Instagram sur mon téléphone portable afin de vérifier ce qu'il en est de Wat. Au moins, ça devrait me donner une idée de l'endroit où il se trouve.

Là, j'ai ma réponse... La réponse à la question du pourquoi Wat n'est pas au café.

…………..

11 février. A 22h58.

Je suis dans ma chambre et je n'ai pas encore pris de douche. Ce soir, Cue arrive plus tôt que d'habitude.

— Tu le savais, hein ? Cue.

Je lève les yeux de l'oreiller serré dans mes bras. Il acquiesce et s'assoit sur la chaise au bout de mon lit.

Je hoche la tête en réponse à sa confirmation.

— C'est donc pour cela que tu m'as demandé si je savais ce qu'était un ami.

Cue ne répond pas. Ses yeux sont fixés sur l'écran de mon ordinateur, où j'ai laissé la page Instagram de Wat affichée. La dernière image qui y figure est une photo de Wat avec son beau sourire éclatant.

Cependant, elle est en noir et blanc, et il y a un texte disant #RIP écrit dessus. Wat est déjà mort... depuis un certain temps.

Un ami autorisé par Wat à accéder à son compte Instagram et à s'en occuper après son décès a dû mettre la photo en ligne. En dessous, plusieurs commentaires ont été postés pour pleurer sa mort. La date de mise en ligne de la photo indique que cela fait déjà trois ans. C'est même avant que Wat et moi ne nous rencontrions pour la première fois, et aussi avant qu'il ne devienne barista.

— Wat s'est suicidé,dis-je d'un ton plat.

J'ai passé tout l'après-midi à pleurer jusqu'à ce qu'il n'y ait plus d'eau dans mon réservoir de larmes, semble-t-il. Même si j'ai l'impression que je vais pleurer à nouveau en prononçant cette phrase, mes yeux sont trop secs pour produire le moindre liquide en ce moment.

— As-tu déjà traversé une période de crise dans ta vie ? demande Cue.

— Tu ferais mieux de me demander combien de fois j'en ai eu, réponds-je.

—  N'as-tu jamais été privé d'un ami à tes côtés dans ces moments-là ?

— ... Jamais.

— As-tu déjà été privé de l'aide de tes amis quand tu en avais besoin ?

— ...ça, jamais non plus.

J'ai de plus en plus de mal à répondre car je commence à sentir une boule dans ma gorge.

— Cette fois-là, c'est Neth qui a aidé Wat à s'en sortir.

Cue me donne la réponse à la question que je me suis posée toute la journée. En fait, je m'en doutais, mais une confirmation de sa part m'assure que j'ai deviné juste.

— Quand il n'y a pas de Neth, il n'y a personne pour l'aider, et personne à qui s'accrocher...

J'acquiesce pendant qu'il développe, mes larmes apparemment séchées remontent et coulent à nouveau.

— C'est la signification du mot ‘ami’, comme tu l'as demandé, alors ?

Cue acquiesce avant de poursuivre.

— C'est vrai, et au cas où tu ne le saurais pas, avant que Neth ne conseille à Wat de rompre avec toi, il lui a en fait dit d'essayer de rester avec toi et de faire la paix. Pendant les premières disputes entre vous deux. Il a sauvé votre relation à plusieurs reprises, en fait.

— Je sais, dis-je alors que mes larmes continuent de couler. Cela signifie que j'ai tué quelqu'un que je n'aurais pas dû, n'est-ce pas ?

Pour vous dire la vérité, les nuits précédentes où j'ai pris la vie de personnes, j'étais indifférent à ce sujet.

Peut-être parce que les trois personnes des trois premières nuits étaient des gens que je ne connaissais que de loin. Neth, en revanche, est quelqu'un que j'ai rencontré, que j'ai connu et avec qui j'ai ri.

Nous avons mutuellement existé dans la ligne temporelle de l'autre. Même si ce n'est pas en tant qu'amants, c'est toujours significatif. Oh mon dieu, putain... Qu'est-ce que j'ai fait, putain ?

Dans quelle situation diable suis-je ? Quel genre de jeu merdique est-ce ? La situation ne cesse de se dégrader. Plus j'avance, plus je fais des vœux, plus mes émotions s'effondrent.

— Ce soir, j'ai une nouvelle règle pour toi, dit Cue en donnant une tape sur l'épaule. A partir de maintenant, tu peux effacer plusieurs personnes à la fois, en utilisant le mot-clé ‘qui que ce soit…’ et voilà ! Comment tu trouves ça ? Ça a l'air sympa, hein ?

Le ton de sa voix est repassé du côté de la joie et cela me déstabilise complètement. J'inspire brusquement par le nez en reniflant et j'essuie les larmes sur mon visage, me demandant si mes oreilles me trompent. Une issue aussi tragique vient de se produire, et il veut encore que je fasse un autre vœu stupide ? T'es vraiment sérieux, putain ?

— Tu veux encore que je tue d'autres personnes  ? lui réponds-je d'un ton sec.

— C'est mon devoir, répond-il.

Pas de haussement de sourcils, pas de haussement d'épaules, pas de sourire. C'est la première fois que je le vois arborer une expression aussi sérieuse.

— Tu vas continuer, ou ça suffit ? N'oublies pas que tu as déjà tué beaucoup de gens. Tu ne le vois peut-être pas, mais tes mains sont maintenant tachées de sang. Ce n'est pas la première nuit que tu utilises tes faveurs, d'ailleurs. Nous avons largement dépassé la moitié du chemin. Ce soir, c'est déjà la cinquième nuit. Si tu veux te dégonfler, tu aurais dû te dégonfler depuis la première nuit, pas seulement maintenant. Ne - t'avise - pas - de - te - comporter - comme - une - victime - ce - soir.

Il insiste sur chaque mot de sa dernière phrase, parlant lentement et clairement. Mes larmes s'arrêtent instantanément, et je ne sais pas si c'est à cause de la peur ou d'autre chose. C'est apparemment la première fois que je perçois vraiment le côté Faucheur de Cue. Ce n'est pas juste un type idiot et gaffeur qui ne fait que rire toute la journée et faire des grimaces pour me ridiculiser.

— Maintenant, c'est la cinquième nuit, tu peux me demander de tuer plus d'une personne à la fois. Allez-y, dis “qui que ce soit…” et demande-moi de... Allez, finissons-en. C'est le grand enjeu maintenant. Vas-tu laisser mourir en vain ceux qui ont déjà été effacés ? Tu as peur maintenant ? Tu es une vraie poule mouillée ? Je croyais que tu m'avais dit que tu voulais reconquérir Wat coûte que coûte.

Son ton se fait plus intimidant tandis qu'il se lève et se dirige vers moi, toujours assis sur mon lit. Instinctivement, je recule jusqu'à ce que mon dos bute contre la tête de lit.

Cue se penche vers moi et me fixe de près avant de sourire. Mais ce sourire, c'est un sourire si glacial que je me sens complètement terrifié. C'est le sourire d'une Faucheuse...

— Très bien, je m'amuse. Ne pleure pas, ne te dégonfle pas. N'interromps pas mon plaisir. N'arrête- pas -  de - tuer. Vas-y, fais-moi part de ta demande. Maintenant. Qui que ce soit... Et je ferai en sorte qu'elle se réalise. Dépêche-toi, dis-le.

J'ai du mal à avaler. Je me suis fait prendre dans le piège d'un Faucheur... N'est-ce pas ?


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amelyma
Mar 27 Aoû 2024 - 14:05



Chapitre 7
— Très bien, je m'amuse. Ne pleure pas. Ne te dégonfle pas. N'interromps pas mon plaisir. Ne t'arrête pas de tuer. Vas-y et fais-moi part de ta demande. Maintenant. Qui que ce soit... Et je ferai en sorte qu'elle se réalise. Dépêche-toi, dis-le.

Je suis déjà adossé à la tête de mon lit. Je ne peux plus reculer.

—  Cue... tu me fais peur, dis-je en tremblant sans croiser son regard.

—  C'est bien ! Tu aurais dû avoir peur de moi depuis le premier jour, dit-il en soulevant un coin de sa bouche en guise de sourire.  As-tu oublié que je suis aussi un Faucheur ? Souviens-toi, la moitié de moi est peut-être un Cupidon, mais l'autre moitié est un Faucheur. Même si je discute et plaisante avec toi, cela ne veut pas dire que je ne suis pas un être redoutable.

Il me pique le front avec un doigt.

—  Mon objectif principal est de prendre la vie des gens. Quelle partie de cela... n’est pas épouvantable à ton avis ?

Un frisson part de mon front et traverse tout mon corps. Suis-je pris au piège de la Faucheuse ? Comme dans un film absurde de série B, comme ces gens qui ont fait des vœux par le biais d'un contrat avec Satan et qui ont été conduits à leur propre perte. Vais-je finir comme eux... ?

Il se met à glousser au fond de sa gorge.

— Non, tu ne finiras pas comme eux.

Il s'éloigne de moi et s'assoit, à l'indienne, à l'autre bout de mon lit, semblant lire à nouveau dans mes pensées.

— Tu es fou ? Je ne suis pas là pour te tuer, mon frère. Mon boulot, c'est de tuer tous ceux que tu veux que je tue. Quelle partie de mon explication ne comprends-tu pas ?


Eh... ? L'expression intimidante de tout à l'heure a disparu du visage de Cue. Il est redevenu enjoué. Pourquoi donc ?

—  Euh, mais...

Je ne sais pas quoi dire.

—  Mais quoi ? demande-t-il en fronçant et croisant les bras.

—  Toi, tu m'as fait peur. Alors je...

—  Tu réfléchis encore trop mec, m’interrompt Cue en secouant la tête. Je voulais seulement que tu sois plus sérieux avec tes demandes. N'oublie pas que tout le monde n'a pas la chance d'avoir une telle opportunité comme toi. Tu l'as prise trop à la légère, pensant que c'était irréel et que tu pouvais faire n'importe quelle demande bâclée et attendre le résultat.

Il marque une pause, décroise les bras et pose les mains sur ses genoux.

—  Mais les personnes qui ont disparu l'ont fait pour de vrai. Bien qu'il ne s'agisse pas exactement de tuer, c'est-à-dire de tuer physiquement en poignardant, en empoisonnant ou en poussant du haut d'un immeuble, effacer quelqu'un du monde, c'est aussi tuer. Non... en fait, l'effacer complètement des registres, comme s'il n'avait jamais existé dans ce monde, pourrait être pire que tuer... Si vous êtes tué, ou si vous mourez, ce n'est pas une mort absolue. Vous êtes toujours en vie.

—  Comment ça ? Mort mais toujours vivant ?

Je doute qu'il soit possible de mourir et d'être encore en vie.

—  Tant que quelqu'un pense encore à toi, tu vivras.

Le ton de la voix de Cue change lorsqu'il dit cette phrase.

—  Mais effacer quelqu'un, effacer toute son existence du monde, signifie que personne ne se souvient de lui. Personne ne pense à lui. Il disparait complètement de votre univers, pour finir ailleurs, comme dans une poubelle d'un autre univers. N'importe où, mais personne ne se souvient d'eux. C'est pire que de se faire tuer, tu sais. Être mis au rebut, c'est horrible, je sais. Mais disparaître de la mémoire de tout le monde, c'est bien pire que d'être éliminé. C'est encore plus douloureux. Enfin, si tu peux encore ressentir les choses...

En disant tout cela, je ne sais pas s'il me fait la morale, s'il m'explique des faits, ou s'il me fait part de ses propres émotions cachées. Un Faucheur (Cupidon) aurait-il un passé dur et amer ? Avant de me rendre visite, qui était-il ?

Ou, pour être exact, qu'était-il ? Et - quel - genre - de - choses - a-t-il - traversé ?

—  Je n'y ai... jamais pensé avant, avoué-je.

Cue a raison sur tout, sur mes pensées.

— Commence à réfléchir, alors. C'est la cinquième nuit. Tu devrais y penser plus sérieusement.

Il prend une telle inspiration que sa poitrine se gonfle, puis il sourit.

— Désolé de t'avoir fait peur tout à l'heure. Parfois, ça m'énerve tellement que je n'arrive pas à contrôler ma colère quand les gens ne prennent pas la mort au sérieux.

—  Ce n'est pas grave. Tu n'as pas à t'excuser. C'est moi qui devrais m'excuser, d'avoir pris ça à la légère et de ne pas t'avoir respecté en tant que Faucheur, acquiescé-je en souriant, m’y sentant obligé à mon tour.

—  Alors, on est quittes maintenant, hein ?

Cue me tend la main, souriant à nouveau.

—  Uh-huh, on est quittes.

Je lui serre la main, me sentant soulagé et souriant à mon tour avec plus d'aisance.

— Très bien, il faut que tu réfléchisses à la personne que tu vas me demander d'effacer, me dit Cue avant de se tourner pour jeter un coup d'œil à l'horloge. Il ne reste plus beaucoup de temps jusqu'à la minute magique où je pourrai t'accorder ta faveur. Efface celui qui...

— Oh, attends une seconde, laisse-moi te demander quelque chose.

— Uh-huh, demande-moi. Je répondrai si je peux.

— Pourquoi ai-je une nouvelle règle ?

—  Haha ! Je ne sais pas, répondit Cue en haussant les épaules. C'est un ordre qui vient d'en haut, alors je dois m'y plier.

— Oh, je suppose que tu es aussi un employé comme les gens ordinaires, alors  ?

Je ne veux pas que cette question soit drôle, mais elle l'est déjà en elle-même. Cue me sourit en guise de réponse.

J'ai soudain pitié de lui. Moi aussi, j'en ai été un. Souvent, nous devions suivre une politique stupide ou folle parce que la direction de l'entreprise l'imposait. Je pensais que je serais libéré de cette obligation à ma mort. Mais il semble évident que même un faucheur ne peut y échapper.

— Garde la capacité de ton cerveau pour réfléchir à ta prochaine faveur. Ne te sens pas désolé pour moi.

Il hausse un sourcil, ayant lu dans mes pensées une fois de plus.

— Je suis content de mon travail. C'est agréable, tu sais, si tu gères bien ton emploi du temps. As-tu décidé qui tu vas effacer ?

Je réfléchis...

Le premier jour, j'étais trop obsédé par le présent et je lui ai demandé d'effacer le petit ami actuel de Wat. Les trois jours suivants, j'ai joué avec le passé, effaçant son ex, effaçant la cause de la dispute, effaçant son ami.

Les deux n'ont pas fonctionné...

Alors, aujourd'hui, je devrais essayer quelque chose de nouveau. J'ai reçu une nouvelle règle, effacer qui que ce soit..., autant essayer.

— Maintenant, je sais. Mais avant de faire mon vœu, je peux te demander quelque chose ?

— Une autre question ? m’interroge Cue en fronçant les sourcils. D'accord, d'accord, dépêche-toi de me la poser, comme ça on ne sera pas en retard.

— Y a-t-il une limite au nombre de personnes que je peux définir avec 'qui que ce soit' ?


Cue secoue la tête.

—  Non. Par exemple, si tu dis quiconque était dans la même année d'université et dans la même faculté que Wat, et que tu supposes qu'il y a quatre cents personnes, tu effaceras ces quatre cents personnes. Par conséquent, la valeur de N dépend de la manière dont tu définis la limite de l'ensemble qui représente ce que tu veux effacer.

J'acquiesce d'un signe de tête.

— Je comprends. Ce sera plus facile.

La réponse surgit immédiatement dans mes pensées, comme un feu d'artifice bruyant et flashy à l'intérieur de ma tête.

Cette fois, Wat reviendra définitivement vers moi. Cette règle joue en fait en ma faveur. En outre, les quatre derniers jours m'ont appris suffisamment de choses pour que je sois attentif et que je délimite mes souhaits, de manière à ce qu'ils soient exhaustifs. Très certainement, nous recommencerons à nous aimer l'un l'autre.

— Peux-tu faire ta demande maintenant ? C'est bientôt l'heure.

Cue regarde l'horloge et j'acquiesce.

— Quel que soit l'obstacle qui empêche Wat de revenir vers moi, je veux qu'il soit effacé de cet univers.

Vers la fin de mon souhait, j'ai l'impression que ma voix résonne un peu. Cue acquiesce et s'incline pour confirmer ma demande, comme d'habitude.

— Cette fois, tu as fait une demande intelligente, me félicite-t-il. Maintenant, je suis curieux. Que se passera-t-il demain ?

— Facile, dis-je en haussant les épaules à mon tour. Puisque tous les obstacles entre lui et moi ont disparu, il reviendra vers moi, c'est sûr. Il n'y a aucun doute là-dessus. Même pas besoin de deviner.

— Et si...si demain, quand tu te réveilles, il - n'y a - plus - personne - sur - terre ?

Je laisse ma bouche grande ouverte...

— N'oublie pas que tout le monde est lié. L'existence de chaque personne affecte les autres, à plus ou moins grande échelle, directement ou indirectement. Certaines personnes sur le continent australien peuvent être concernées par les obstacles qui empêchent Wat de revenir vers toi. Tu penses que c'est facile... mais je ne crois pas.

Cue se dirige vers la porte comme il en avait l'habitude, avant de se retourner et de me regarder avec des yeux inquisiteurs.

Tout mon corps est froid, encore plus froid que lorsqu'il m'a intimidé. C'est vrai... et si ça arrive...

— Ne t'inquiète pas pour ça. C'est inutile de toute façon. Tu m'as déjà demandé cette faveur, tu ne peux pas revenir en arrière. Attends juste - et - on verra - demain.

Il claque des doigts... et je tombe dans un profond et paisible sommeil.


.............


10 heures, 12 février.

Le jour suivant la nuit de mon cinquième vœu.

Je - me - réveille - tout - seul - sur - mon - lit.

En regardant l'espace à côté de moi, il n'y a pas de bosse sur le matelas. Personne n'a dormi à côté de moi la nuit dernière... Cue y compris. Je me lève et j'écoute les bruits provenant de la salle de bain... Rien d'autre que le silence. Personne ne prend de douche, contrairement aux cinq derniers jours. Il n'y a pas de Wat. Il n'y a pas de Cue.

La remarque de Cue, hier soir, résonne dans ma tête.

‘N'oublie pas que tout le monde est lié. L'existence de chaque personne affecte les autres, dans une mesure plus ou moins grande, directement ou indirectement. Certaines personnes sur le continent australien peuvent être concernées par les obstacles qui empêchent Wat de revenir vers toi. Tu penses que c'est facile... mais je pense que non’

Oh, merde ! Attendez. Ou alors, c'est vraiment devenu comme l'a dit Cue ? Luttant contre mes propres pensées, j'attrape la télécommande et allume une chaîne d'information. D'accord, il y a encore des nouvelles, et c'est le même journaliste qui parle. Ce qui signifie que la fin du monde n'a pas eu lieu comme je l'avais souhaité. Ouf... Quel soulagement !

En regardant la télécommande dans ma main, je me moque de moi-même. Il m'arrive de faire des choses ridicules ou folles. J'ai eu peur que toute la population mondiale ait disparu.

Ce que l'on devrait faire dans une telle situation, c'est ouvrir la fenêtre et vérifier s'il y a des gens dehors.

Mais non, j'ai préféré allumer la télévision et regarder les informations pour voir si le journaliste était toujours là. C'est fou et stupide.

Je suppose que tout le monde a déjà fait l'expérience de faire quelque chose de fou, quelque chose qui semble hilarant rétrospectivement. C'est parce qu'à ce moment-là, vos émotions ont pris le contrôle de vos actions.

J'ai ma propre théorie à ce sujet. Comment pensez-vous que notre cerveau fonctionne ? J'imagine toujours le cerveau comme un vaisseau spatial. Il y a un cockpit avec deux capitaines en service.

Le premier est le capitaine Délibération.

L'autre est le capitaine Emotion.

Ils se battent l'un contre l'autre pour prendre le contrôle du vaisseau.

Chaque fois que le capitaine Délibération lâche le gouvernail, le capitaine Émotion prend immédiatement les commandes. C'est un bon arrangement, en fait, parce qu'au moins le navire n'est jamais laissé à la dérive.

Simplement, il arrive que notre délibération et notre émotion ne soient pas d'accord sur la direction à prendre. Par conséquent, dans certains cas, lorsque notre délibération revient, notre émotion a déjà modifié la trajectoire du vaisseau spatial, laissant la délibération gérer et résoudre les conséquences des actions dirigées par l'émotion.

Je monte le volume de la télévision et pose la télécommande, puis je prends une serviette avant d'aller dans la salle de bains. Je déteste que ma chambre soit silencieuse. J'ai besoin du bruit de fond de la télévision pour m'accompagner dans ma vie quotidienne. C'est une routine à laquelle je me suis habitué depuis mon enfance.

Je pensais que ma sensibilité à la solitude était moyenne. Je pensais que tout le monde faisait cela, que c'était courant. Mais lorsque j'en ai parlé à mes amis, j'ai découvert que j'étais beaucoup plus enclin à la solitude que la moyenne des gens. Ce n'est que mon observation. Je n'ai pas encore consulté de psychiatre pour le confirmer. Je me suis aussi habitué à la solitude.

Mais seulement avant que Wat ne fasse partie de ma vie. En fait, Wat y est entré  à cause de ma solitude. Je sais que je l'ai accueilli dans ma vie parce que je me sentais seul. Mais après avoir partagé une partie de notre vie, j'ai fini par tomber amoureux de lui.

Les gens peuvent prêcher que nous ne devrions pas laisser entrer quelqu'un dans notre vie lorsque nous nous sentons seuls. Mais une fois qu'ils sont entrés, nous devons apprendre à les connaître, n'est-ce pas ? J'ai eu la chance de rencontrer Wat alors que j'étais seul.

Je n'ai tout simplement pas réussi à maintenir notre relation. Je suis reconnaissant qu'il soit entré dans ma vie, mais je suis désolé d'avoir été incapable de le garder. À vrai dire, j'aurais aimé ne jamais le perdre.

C'est pourquoi les vœux que Cue m'accorde sont mes chances. J'espère vraiment que le vœu " quiconque " que j'ai fait hier soir me permettra de retrouver mon Wat adoré. Honnêtement, je ne peux pas continuer à vivre sans lui.

Parce que la vie sans lui, pour moi, n'est pas une vie du tout.

.............

J'ouvre la porte et j'entre dans le café.

Aujourd'hui, il y a peu de clients. (J'espère que ce n'est pas parce qu'une partie de la population humaine a disparu de ce monde). Je me dirige vers le comptoir. Je n'ai pas encore vu Wat, mais j'ai l'intuition qu'il sera là aujourd'hui, car j'ai fait mon vœu. Quand j'arrive au comptoir, je passe ma commande.

—  Un Americano glacé, s'il vous plaît.

— Boire un café glacé le matin n'est pas bon pour vous, je vous conseille plutôt un café chaud.

Je détourne mon regard de mon portefeuille pour jeter un coup d'œil.

—  Cue, woaw, qu'est-ce que... !

Le barista mignon derrière le comptoir n'est pas Wat, mais le Scythupide avec qui je suis (un peu) familier. Il hausse un sourcil.

— Un Americano chaud, c'est ça. Soixante-quinze bahts, s'il vous plaît.

Encore abasourdi, je paie timidement avec un billet de cent, car il y a quelqu'un qui fait la queue derrière moi.

— Comment se fait-il que tu sois là ? demandé-je en baissant le ton et acceptant la monnaie qu'il me rend.

— Votre café sera servi à la table, monsieur.

Bien qu'il ne réponde pas directement à ma question, je devine qu'il viendra me voir pour m'expliquer.

— Et où est Wat ? Est-il ici  ?

Je reste au comptoir, essayant désespérément de poser une dernière question.

— Veuillez nous suivre sur Facebook et Instagram pour plus de mises à jour et de promotions.

Encore une fois, une autre réponse douteuse. Mais Cue lève rapidement un sourcil, alors peut-être veut-il que je consulte Facebook ou Instagram... Oh, c'est ça, il a dû vouloir dire que je devais vérifier l'Instagram de Wat.

Je quitte le comptoir et trouve un bon endroit pour m'asseoir avant de sortir mon téléphone portable. Je viens de réaliser que je n'ai pas vérifié  son Instagram aujourd'hui. C'est pourtant la première chose que je fais presque tous les jours.

Comment ai-je pu - oublier - aujourd'hui ?

Eh, attendez. Quel est le pseudo de Wat sur Instagram ?

Euh... est-ce qu'il a utilisé son vrai nom ?

Et quel est le nom complet de Wat ?

Mon historique de recherche est vide. Il n'y a rien sur Wat dans le cache non plus. Attendez, il s'appelle Wat, c'est ça ?

— Voilà votre café.

Une tasse d'Americano chaude est placée devant moi tandis que Cue s'installe sur une chaise en face de la mienne.

— J'ai un moment pour parler avec toi, le patron m'en a donné l'autorisation.

Cue se tourne et regarde un autre barista qui a pris la relève derrière le comptoir. Je lève les yeux de mon téléphone et je le regarde dans les siens.

— Pourquoi - je - commence - à - oublier - Wat ?

C'est vrai, je commence à oublier Wat. Ce matin, je me suis souvenu qu'il s'appelait Wat, mais maintenant je n'en suis plus très sûr. Ce matin, je me souvenais de son visage... je crois. Mais maintenant, son image n'est plus qu'un flou dans ma mémoire.

— C'est parce que Wat a été effacé.

Cue me donne la réponse, une réponse que je craignais.

— Pourquoi ? Pourquoi Wat a-t-il été effacé, alors que j'ai demandé...

J'essaie de me rappeler ce que je lui ai demandé hier soir.

—  Quelle est la faveur que tu as demandée hier soir  ?

Cue me répond par une question.

/Quel que soit l'obstacle qui empêche Wat de revenir vers moi, je veux qu'il soit effacé de cet univers./

— Au début, je pensais qu'il me faudrait effacer des centaines ou des milliers de personnes. J'étais tellement heureux de pouvoir marquer un grand coup.

Cue joint les mains sur ses genoux et tape du pied en rythme, tap tap tap. Je remarque qu'il évite de me regarder dans les yeux lorsqu'il me parle.

— Il s'avère cependant que je n'ai effacé qu'une seule personne. Parce que le seul obstacle... la seule personne qui a éloigné Wat de toi - était - Wat - lui-même. Il n'a jamais voulu revenir vers toi. Peu importe le nombre de personnes que tu effaces. Il - ne - reviendra - jamais - vers - toi. C'est pourquoi, conformément à ta demande, j'ai dû... effacer Wat.

On dirait que Cue a encore des choses à dire... mais je n'ai pas le courage de l'écouter. Je me lève d'un bond, attrape mon téléphone portable et mon portefeuille, et je pars immédiatement en courant. Je ne veux plus entendre un seul mot de sa part.

C'est quoi ce bordel ! Ce Scy de merde... ce cupidon stupide. Ce n'est qu'un Faucheur bidon. Un trou du cul trompeur.

Il devrait être reconnaissant que je ne l'ai pas aspergé de café avant de m'enfuir. Il m'a piégé. Il m'a acculé à faire des vœux, ce qui a fini par effacer la personne que j'aime.

Depuis le début, il voulait seulement que je l'aide à tuer des gens. Il voulait seulement récolter plus de vies. C'est une putain d'arnaque ! Et dire que je le considérais comme un ami.

Connerie ! Putain de connerie !

J'arrive à l'arrêt de bus, le même que celui vers lequel j'ai toujours couru après avoir reçu ma dose amère de déception. Mais pas pour aujourd'hui... Je ne m'arrêterai pas ici.

Je cours encore et encore. Je ne sais pas si c'est l'angoisse qui m'étreint plus profondément que les autres jours ou la colère qui alimente et pousse mes pieds à continuer. Mais comme je ne sais pas où aller, je finis par rentrer à la maison, guidé par mon subconscient.

J'enlève mes chaussures et je plonge sur mon lit, enfouissant mon visage dans l'oreiller. J'ai d'abord cru que mes larmes allaient jaillir aussitôt, mais ce n'est pas le cas. Je n'ai même pas envie de pleurer, j'ai l'impression que mon cerveau est vide...

Tout à l'heure, c'est mon Capitaine Emotion qui m'a guidé, et il a ramené mon corps dans ma chambre. En ce moment, le Capitaine Délibération est retourné à la console de pilotage. Mes pieds se sont arrêtés et mon cerveau a recommencé à fonctionner. Je réexamine toute la situation dans ma tête.

Maintenant, Wat est parti, grâce à mon souhait de me débarrasser des obstacles. Il s'avère cependant que le seul et unique obstacle qui l'éloignait de moi...

....n'était - nul - autre - que - Wat - lui-même.

C'est clair. Wat ne voulait pas revenir dans notre relation. Ce qui veut dire que même si ce monde n'a plus personne d'autre que nous deux, Wat pourrait préférer mourir plutôt que de revenir vers moi.

Wow, c'est vraiment triste. Plus triste qu'avant.

Merde, vous savez, je n'étais pas complètement inconscient de cette possibilité. J'y ai déjà pensé, mais je ne voulais pas l'admettre. Je savais que si Wat disait qu'il voulait partir, cela signifiait que son cœur était déjà parti, depuis longtemps.

Je ne suis qu'un homme ordinaire au cœur brisé, qui lutte contre les cinq étapes du deuil : le déni, la colère, le marchandage, la dépression et l'acceptation. Au cours des cinq dernières nuits, mes souhaits ont été la manifestation de ces cinq étapes par lesquelles j'ai fait face au chagrin de ma perte.

La première nuit, j'étais dans le déni. J'ai nié qu'il m'avait déjà quitté. Je pensais que s'il n'avait pas eu l'autre homme, il serait resté.

La deuxième nuit, j'ai été consumé par la colère et je me suis déchaîné contre son ex-petit ami. Je lui reprochais d'être la cause de notre rupture.

La troisième nuit, je me suis tourné vers le marchandage. J'ai essayé de négocier la prolongation de notre relation en évitant les disputes. Je pensais que si nous n'avions jamais eu notre première dispute, nous n'aurions pas rompu.

La quatrième nuit, j'ai été frappé par la dépression. Je me suis senti tellement déprimé et désespéré que j'ai souhaité qu'un ami soit effacé. Pourtant, cela n'a fait qu'ajouter un autre facteur de remords à ma dépression.

La cinquième nuit, il est temps pour moi d'accepter. Le résultat me fait accepter qu'il - ne - reviendra - pas - quoi - qu'il - arrive. Maintenant, c'est à moi de réfléchir et de décider ce que je dois faire.

J'essuie mes larmes et je regarde autour de moi, dans cette pièce où il y a trop de souvenirs. Il n'y a pas un coin de cette pièce où il n'y a pas d'image de Wat. En fait, il n'y a aucun endroit à Bangkok qui ne me rappelle pas des souvenirs entre Wat et moi. Bien que nous ayons connu des moments difficiles vers la fin de notre relation, nous avons créé une quantité de joie l'un pour l'autre tout au long du chemin. Nous avons fait beaucoup de choses ensemble, nous avons créé beaucoup de bons souvenirs, dans presque tous les endroits où nous sommes allés ensemble.

Eh bien, c'est pratiquement partout où j'ai vécu ma vie. Partout où j'ai avancé dans ma vie, il y avait Wat dans le tableau.

Dans mes meilleurs et mes pires jours.

Les jours où j'étais joyeux et ceux où j'étais malade ou faible.

Les jours où j'étais riche et ceux où je n'avais plus rien.

J'ai - toujours - eu - Wat - à - mes - côtés.

Et maintenant, je dois l'accepter.

Accepter - que - ma - vie - n'aura - plus - de - Wat.

La question est de savoir si l'on peut encore parler de vie.

Je me dirige vers mon bureau et j'ouvre un tiroir pour y prendre un carnet. C'est un cahier de type journal, un nouveau, que j'ai acheté il y a longtemps. C'est le moment de commencer à l'utiliser.

En regardant l'horloge, je constate qu'il reste encore beaucoup de temps avant la tombée de la nuit. Mon estomac ne semble pas vouloir manger. Pour être plus précis, à ce rythme, mon estomac ne semble pas capable d'accepter de la nourriture. Super. De toute façon, je n'ai pas envie de perdre mon temps à manger. J'ai une mission à accomplir.

Je prends un stylo et ouvre le carnet, puis je commence à écrire tout ce qu’il s'est passé au cours des six derniers jours, ou des cinq dernières nuits. J'écris tout. Les cinq premiers jours, les cinq premières nuits, quand j'espérais que Wat reviendrait, et le sixième matin, quand j'ai finalement appris... qu'il n'en serait jamais ainsi.

.....


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Mer 13 Nov 2024 - 19:25



Chapitre 8
— Tu es épuisé     ?

En entendant ma question, Cue semble légèrement surpris, mais il se tourne ensuite vers moi, souriant, et secoue la tête. Peut-être qu'il ne s'attend pas à ce que quelqu'un l'accueille avec une telle question. Il est minuit moins le quart, et il est apparu au milieu de ma chambre comme d'habitude. Mais aujourd'hui, il porte l'uniforme du café où Wat travaille.

— Non, je vais bien, répond-il avant de marquer une pause, merci de demander. Personne ne m'a jamais posé cette question.

— Je suis désolé d'apprendre que personne ne semblait s'intéresser à toi auparavant, dis-je en hochant la tête.

Je pense à moi et à Wat. ‘Tu es épuisé ?’ était la formule de salutation habituelle que nous nous disions chaque fois que nous nous retrouvions après le travail.

C'est une salutation qui n'a pas besoin de réponse. Son seul but est de transmettre un sentiment de chaleur à l'autre personne, de lui faire savoir qu'au moins, il y a quelqu'un qui se soucie toujours d'elle. La question ‘Tu es épuisé  ?’ est un enchantement qui permet de reconstituer comme par magie l'énergie mentale affaiblie.

C'est un encouragement qui nous aide à continuer chaque jour.

Je pense que Cue mérite ce genre d'encouragement, car il a dû être épuisé par son travail.
— Tu... tu vas bien ?

Cue enlève le tablier avec le logo du café et le suspend, avant d'aller s'asseoir sur la chaise pivotante au bout de mon lit, son endroit habituel. Il a l'air préoccupé par mon attitude actuelle. Haha, c'est bizarre. Quand je suis contrarié, il devient joyeux, mais quand je suis gentil et que j'exprime mon inquiétude à son sujet, il pense que quelque chose ne va pas chez moi.

— Aujourd'hui, tu as travaillé à la place de Wat parce qu'il a été effacé    ?

—  Oh, les règles du temps ne sont pas si simples, tu sais.

— Ah, et pourquoi tu as travaillé là-bas   ?

—  Hum…, répond Cue en se touchant la lèvre inférieure avec un doigt, apparemment en pleine réflexion. Eh bien, si je n'avais pas été là, qui d'autre aurait pu te donner l'indice de la disparition de Wat ? Il fallait donc que je sois là. Cependant, il aurait été étrange que je me présente simplement là-bas, alors j'ai dû me fondre dans la masse en devenant un employé.

Puis il s'étire, détend ses muscles.

—  Mais je ne savais pas qu'être employé dans un café pouvait être aussi épuisant. Je pensais qu'il suffisait de faire du café, de sourire gentiment et de faire sonner le tiroir-caisse. Ça a l'air facile, non ? C'est faux ! C'est aïe... Argh, mon dos !

— Uh-huh...dis-je, ne sachant pas quoi dire d'autre.

Je regarde l'horloge et il est presque temps de faire mon prochain vœu. Cue baisse lentement les bras de la position d'étirement et se balance tout en tournant la chaise. Il s'agrippe au haut du dossier qui est maintenant orienté dans cette direction et me fixe directement, les yeux plissés.

— Sérieusement, cependant. Tu es sûr que tu vas bien ? demande-t-il à nouveau.

— Pourquoi tu demandes ça, Cue ?

Cette fois, c'est à mon tour de répondre à sa question par une question.

— Eh bien, aujourd'hui, tu sembles être... plus détendu que d'habitude, dit-il.

Cue a choisi le mot ‘détendu’ au lieu de ‘calme’. À première vue, ces deux mots se ressemblent, mais l'usage est très différent. Et cette fois, je pense qu'il a choisi le bon mot. Je me sens détendu, mais pas du tout calme.

— Parce que je...

Je traîne, reconsidérant ce que je m'apprête à lui dire.

— … je suis arrivé à une conclusion après que mon esprit ait tout décanté. Au cours des cinq dernières nuits, j'ai reçu de brèves leçons qui m'ont éclairé sur beaucoup de choses. Je veux dire, les choses entre Wat et moi.

—  Je ne comprends pas. Qu'est-ce que tu veux dire ? demande-t-il en penchant la tête.

— Maintenant, je sais que Wat ne reviendra pas, quoi qu'il arrive, résumé-je.

— Eh, non, allez, ne te laisse pas abattre, lance Cue en fronçant les sourcils.

— Je ne suis pas abattu. En fait, je suis soulagé d'avoir fini par l'accepter, dis-je en secouant la tête.

— Eh... ? Alors, tu ne vas plus utiliser tes faveurs ? demande Cue un peu déçu. Il reste encore deux nuits, tu sais.

— Non, le corrige-je, je vais faire une autre demande.

— Ok d'acc, c'est mieux. Je pensais que tu allais abandonner.

— Je veux que tu m'effaces - moi - de ce monde.

Un silence de mort s'installe dans la pièce.

Cue laisse sa bouche ouverte. Je pense qu'il était peut-être sur le point de dire quelque chose avant que je n'exprime le souhait que j'avais prévu de faire ce soir. Il se lève de la chaise et m'attrape par les épaules en me fixant intensément.

— Qu'est-ce que tu viens de dire   ?

— Je veux que tu m'effaces de ce monde.

Je répète la même phrase sans aucune hésitation. Ma voix ne tremble pas, et il n'y a aucune émotion dans son intonation. C'est comme une déclaration de fait. C'est une phrase qui a été pensée et réfléchie, le résultat de la mise en place de toutes mes émotions et de tous mes sentiments, avec un mélange de raisonnement aussi.

— Tu veux que je te tue ? me demande Cue.

Maintenant, c'est lui qui a la voix tremblante.

— Exact, je veux que tu me tues, réponds-je. Si tu appelles ça ‘tuer’, évidemment. Je croyais que tu appelais ça ‘effacer’, non   ?

— Mais pourquoi ?

Il m'agrippe toujours l'épaule, alors je bouge et retire doucement ses mains de moi.

— Parce que j'ai fini par l'accepter, Wat ne reviendra jamais. Peu importe ce que je fais ou qui je tue, Wat ne reviendra pas dans notre relation. Même quand j'ai dû le tuer, il n'est pas revenu vers moi.

C'est vrai, le dernier souhait que j'ai fait l'a montré. Il n'y a qu'une seule chose qui fait obstacle entre Wat et moi. C'est Wat, c'est lui. C'est clair comme de l'eau de roche.
Pour le résumer en une phrase accrocheuse, « tu ne peux pas reconquérir le cœur de quelqu'un qui n'a pas de sentiment pour toi », je suppose que c'est comme ça.

Cue recule lentement pour s'asseoir sur la chaise au bout de mon lit. Il semble en état de choc, même si c'est moi qui vais quitter ce monde, pas lui. Il agit comme si c'était lui qui venait d'être condamné à mort.

— Je ne peux pas ramener l'amour qu'il avait pour moi. Mais je peux garder l'amour qu'il m'a donné un jour. C'est un merveilleux souvenir que personne ne pourra jamais m'enlever. Et je pense... que c'est tout ce dont j'ai besoin. Je n'ai pas besoin d'une vie sans Wat. Parce que pour moi, une vie sans lui - n'est - pas - une - vie - du - tout.

— Mais il y a encore...

Cue commence à protester, mais je lève la main pour l'arrêter.

— Je sais que tu vas me dire qu'il y a beaucoup plus de choses, d'autres choses à désirer dans ce monde. Tout le monde le dit, c'est une opinion populaire, je le sais. Mais laisse-moi te demander une chose, est-ce que j'ai vraiment encore tant de choses à désirer dans ce monde ? Ce que je veux, je l'ai obtenu et je l'ai eu pendant un certain temps. Maintenant, ce n'est plus qu'un souvenir. Je suis sacrément satisfait, Cue. Je suis totalement satisfait. Laisse-moi partir. Envoie-moi au loin. Je n'ai plus rien à faire avec ce monde, ni avec ce corps. Je n'ai plus de liens, plus d'obligations avec cette vie qui est la mienne. J'ai accepté de ne m'accrocher à rien. Je pars pour mon prochain voyage.

Je fais un signe de tête vers le bureau près de Cue.

— Sur ce bureau, il y a un journal rempli de mes pensées. Je t'en supplie, laisse-le là. Je veux laisser quelque chose derrière moi, laisser les dernières bribes de mes pensées parcourir le monde en mon nom, au cas où le prochain locataire de cette pièce parviendrait à le lire.

Le regard de Cue suit mon geste.

— Peux-tu me le promettre, Cue ? Ne l'efface pas. Tu peux m'effacer, mais laisse le journal à sa place. S'il te plaît   ?


Je lui demande de me faire une promesse, et il acquiesce. Peut-être que je me fais des idées, mais je crois que le bord de ses yeux est humide et rouge, comme s'il était sur le point de pleurer.

— Merci, Cue. Merci de m'avoir rendu visite et de m'avoir accordé ces vœux.

— Tu appelles ça des vœux maintenant ? Le premier jour, tu...

— Non, Cue, s'il te plaît. J'étais bouleversé à l'époque. Mais maintenant, je ne le suis plus... Merci d'être venu me voir.

— Merci… répond Cue en se mordant la lèvre. Merci aussi de m'avoir traité comme un ami. Aucun être humain ne m'a jamais traité comme un ami auparavant.

— Quand tu veux, lui dis-je en souriant.

Je regarde l'horloge et il est maintenant 23h58, il ne reste plus qu'une minute avant que je puisse faire mon vœu. Tout est prêt. Mon journal est sur le bureau et je suis dans mon pyjama préféré (bien sûr, pas le préféré de quelqu'un d'autre, seulement le mien.) J'ai pris une douche et je me suis brossé les dents.

A 23h59, le 12 février.

— Je souhaite…

Je regarde Cue dans les yeux, et il me regarde à son tour. Il n'y a plus rien à dire, plus d'adieux.

— Je souhaite que Mr. Scythupid m'efface de ce monde.

En terminant cette phrase, l'intérieur de ma poitrine me semble si clair, si léger, c’est si agréable de respirer, plus que jamais. Je crois que je souris, même si je ne me vois pas dans un miroir. Je sais que c'est un sourire dû au meilleur sentiment de soulagement que j'ai ressenti de toute ma vie. Les images des vieux souvenirs de mon enfance se précipitent dans ma vision comme le ruisseau d'un barrage brisé. Je suppose que c'est ce que l'on ressent lorsque l'on a des flashbacks avant de mourir.

Cue s'incline devant moi, comme d'habitude. Mais cette fois, il a les larmes aux yeux…

— Il en sera comme vous le désirez, monsieur, dit-il en claquant des doigts comme il le faisait régulièrement ces dernières nuits.

Je ferme les yeux et inspire le dernier souffle dans mes poumons, embrassant la mort qui s'abat sur moi.

Au revoir à tous. Merci de m'avoir prêté vos oreilles jusqu'au bout…

.....................


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