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Manner Of Death
Le Titre
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Quatre Ans, Mais Veut Déjà Dominer Le Monde
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Le Titre
Mer 24 Juil 2024 - 12:49
Manner Of Death
Ecrit Par Sammon



Carte D'identité

Pays D'origine : Thailande

Traduction : Amelyma
Correction :Johanne

Nombre De Chapitres : 34 Chapitres

Status : En Cours

Soutenir L'auteur : MEB


Résumé

Le Dr Bun est médecin légiste dans un hopital de province.

Un jour, après avoir pratiqué une autopsie sur le corps d'une femme qui s'était apparemment pendue, le Dr Bun écarte la thèse du suicide, car ses constatations vont dans le sens d'un homicide. Sa conclusion lui vaut soudain d'être la cible de quelqu'un de très puissant.

Lorsqu'un inconnu s'introduit chez lui et le menace de modifier son rapport en faveur d'un suicide, le Dr Bun ne prend pas cette menace au sérieux. Mais tout bascule lorsque l'un de ses amis, un procureur, disparaît soudainement.

Le Dr Bun mène alors tranquillement son enquête afin de découvrir la vérité. Tous les indices mènent à un seul suspect, un certain Tan, qui nie toute implication. Tan convainc le Dr Bun de faire équipe pour trouver le véritable meurtrier.

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amelyma
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amelyma
Ven 6 Sep 2024 - 23:28



Chapitre 1
Préjugé...

Ce fut le premier mot qui me vint à l'esprit lorsque je remarquai le regard de dédain d'une jeune employée. Elle envoyait ce regard dégoûtant à un vieil homme qui venait d’entrer dans un magasin de marque. D'après ce que j'avais pu voir, il devait avoir une soixantaine d'années. Ses cheveux gris étaient ébouriffés. Il était vêtu d'une chemise trop grande et d'une paire de jeans minables. L'homme était entré en boitant dans le magasin et avait essayé de choisir des vêtements comme s'il voulait les acheter.

Je remis la chemise, celle que j'avais choisie plus tôt, à sa place initiale sur le portant avant de me retourner pour regarder ce phénomène avec grand intérêt. Saurait-elle que, sous la chemise en lambeaux, se trouvait un collier en or de 156 300 bahts accroché au cou de l'homme ?

Comme je l'ai dit, les préjugés obscurcissent la perception de la réalité. Elle pourrait ne pas être capable de voir ce collier en or à cause de la brume qu'elle avait personnellement créée. Et même si elle avait pu le voir, son esprit aurait déformé ce qu'elle voyait. Ça doit être un faux... Il est impossible que des gens comme cet homme soient capables de posséder un gros collier en or et de se promener pour acheter des vêtements de marque à ces prix... C'est ce qu'elle aurait pensé.

Je payai mes affaires au comptoir et sortis du magasin, tenant deux sacs en papier dans mes mains. Il y avait des vêtements dans un sac et des beignets pour mon petit-déjeuner avant de partir au travail dans l'autre. Le lendemain soir, je devais dîner avec mon meilleur ami du lycée. Il s'appelait Songsak alias Pert, un jeune procureur fervent, qui possédait une arme ultime : son physique. Je l'enviais beaucoup car non seulement il était beau et avait un bon travail, mais il sortait aussi avec de nombreuses femmes. Par conséquent, je devais porter ma plus belle tenue pour ne pas finir par devenir un total loser en me tenant à côté de lui.

Mais ce n'était pas la raison pour laquelle j'avais acheté une nouvelle chemise. Il n'était pas si important d'avoir l'air beau que je doive dépenser des milliers de bahts pour cela. Cependant, la chemise que j’avais portée la veille pendant mon travail était imbibée du liquide abdominal du cadavre que j'avais autopsié. C'était une faute accidentelle, causée par un officier, qui m'avait bousculé alors qu'il portait un bocal de liquide abdominal avant d'en éclabousser le contenu sur mon bras. Comme le plastique sous ma blouse ne couvrait pas mon bras, le liquide malodorant s'était infiltré jusqu’à la manche de ma chemise en dessous. Je ne perdrais pas mon temps à laver cette chemise.


— Hé, Bunn ! Pourquoi as-tu postulé pour une école supérieure en médecine légale ?!, m'avait demandé un jour Tim, un de mes amis.

— Tu as étudié la médecine pendant six ans, et maintenant tu vas disséquer des cadavres ? J'ai eu ce cours pendant seulement deux semaines au cours de ma cinquième année, et je suis presque tombé malade.

— Les gens ont des passions différentes, avais-je répondu en brossant les miettes de mon uniforme d'externe. J'aime les cadavres. Tu aimes les enfants. Donc, j'ai choisi la médecine légale, alors que tu as choisi la pédiatrie. Ça ne peut pas être plus logique que ça, avais-je dit en souriant à Tim, qui faisait une tête bizarre.

— Comment peux-tu dire à voix haute que tu aimes les cadavres ? T'es bizarre.

— Oi, ma bizarrerie aide notre pays ! Il y a une extrême pénurie de personnel dans cette branche de la médecine. De plus, je suis le seul candidat pour ce programme. Le professeur a presque fondu en larmes quand ma candidature est arrivée au département.

Je m'étais levé de mon siège dans la cafétéria de l'école de médecine, ramassant mon stéthoscope et l'accrochant à mon épaule.

— Dépêchez-vous, M. le pédiatre. La conférence va commencer.

En vérité, j'aurais voulu fournir à Tim une réponse plus longue sur le choix d'étudier la jurisprudence médicale. Mais cela aurait été trop ennuyeux. Je n'aimais pas expliquer mes propres pensées à qui que ce soit. Il était plus amusant de laisser les autres deviner. Mes émotions et mes pensées seraient gardées derrière le rideau, sous les traits d’un type drôle, bavard et éloquent. J'étais prêt à payer quiconque prétendrait me voir stressé.

J'avais passé trois ans en tant que résident. Après avoir obtenu mon diplôme, on m'avait persuadé de devenir professeur de médecine. Mais j'en avais assez de la vie universitaire. Je voulais pouvoir vivre librement comme je l'entendais. Alors, j'avais décidé d'aller travailler dans un hôpital provincial du nord, à près de mille kilomètres de ma ville natale. J'y avais été affecté en tant que seul médecin légiste de la province.

J’étais tout de suite devenu très proche des personnalités des réseaux juridiques. Chaque policier, avocat, procureur ou même juge me connaissait. Je m'appelle Bunnakit Songsakdina, docteur en médecine, médecin légiste de 30 ans à l'hôpital provincial. Célibataire. J'avais une petite amie, une belle employée de banque, mais elle ne semblait pas heureuse avec un homme qui disséquait quotidiennement des cadavres. Alors, elle m'a quitté il y a trois semaines.


Pert tenait un verre de bière, riant à gorge déployée après avoir appris mon statut de célibataire.

— Oi ! Depuis quand ta charmante, grosse bombe Prae t'a largué ? Tu ne me l'as jamais dit.

Le grand homme vêtu d'une chemise coûteuse et d'un pantalon posa le verre de bière sur une table en me regardant d'un air sérieux.

— Peu importe... Vous avez déjà rompu…

— Et alors ?

Je fronçai les sourcils en fixant son regard sérieux.

— Alors, c'est ma chance.

Son beau visage se rapprocha de moi. Sa bouche symétrique s'étirait en un sourire déchirant. Son sourire me donna la chair de poule sur tout le corps.

— … Donne-moi son numéro.

Je levai mon doigt, le même que celui avec lequel je tenais toujours le scalpel pour ouvrir un cadavre, et donnai une pichenette sur son front de toutes mes forces. Pert cria, retournant à son siège tout en se caressant le front.

— Bordel ? Non, je ne le ferai pas ! Et si tu allais rompre avec Cherry, Mai, Som, ou qui que ce soit avec qui tu sors d'abord ?

— Dr. Bunn, ne te mets pas en travers de mon chemin. Tu ferais mieux de laisser tes ex à un homme décent comme moi.

C'était une conversation décontractée entre Pert et moi, alors que nous étions hors de notre lieu de travail, dans la cour d'un restaurant en plein air où les gens se promenaient. Les tables voisines se trouvaient à quelques mètres les unes  des autres. Nous ne discuterions pas de notre travail qui parle de crimes d'agression ou de meurtre en public comme ça. Par conséquent, notre sujet de discussion habituel concernait inévitablement les relations amoureuses de deux trentenaires solitaires.

— Au fait, pourquoi vous êtes-vous séparés... ? me demanda Pert sur un ton plus sérieux.

— Je ne sais pas. On ne pouvait pas s'entendre, je suppose.

Je haussai les épaules, montrant ainsi que je n'étais pas perturbé. J'avais rompu avec Prae pour une certaine raison, que je n'avais pas l'intention de révéler à qui que ce soit de toute façon. Il n'y avait aucune chance que Pert puisse connaître mes véritables sentiments sous mon visage faussement calme. Personne ne le saurait jamais.

— Aw mec, vous ne vous entendiez pas ? Je croyais que tu l'avais câlinée après avoir disséqué un cadavre pourri et que tu avais oublié de prendre une douche.

— Si c'était le cas, on aurait rompu dès les trois premiers jours car le cadavre pourri est arrivé quelques jours après que je sois sorti avec Prae.

Je réalisai que je parlais trop fort quand une femme d'âge moyen à côté de notre table me regarda d'un air désapprobateur. Je me tournai vers elle en m'excusant et en baissant la voix. Notre conversation se poursuivit tranquillement.

Par chance, après avoir déménagé dans une autre province, j’étais tombé sur lui. Nous travaillions tous les deux dans des domaines professionnels liés, ce qui nous permettait, à Pert et à moi, de nous rencontrer à plusieurs reprises, à l'intérieur et à l'extérieur du tribunal.

Pendant le travail, c'était le Procureur Songsak qui m'interrogeait en tant que témoin expert médical. Mais en dehors du tribunal, il se transformait en "Pert", l'ancien beau gosse qui s'asseyait habituellement au fond de la classe, le garçon plein d'entrain qui n'arrêtait pas de dire des bêtises.

Quand j'arrivai chez moi, il était déjà minuit. J'ouvris les portes de ma maison de location à un étage, celle que je louais depuis que j'avais déménagé ici pour travailler pour le gouvernement. En vérité, l'hôpital me fournissait un logement. Mais après avoir vu une maison en bois délabrée, dans un état extrême, implorant des rénovations, j'ai décidé de louer une maison à l'extérieur de l'hôpital. Heureusement, il y avait des maisons à louer dans un lotissement non loin de l'hôpital, j'avais donc décidé de louer une maison à un étage sur ce terrain de 280 mètres carrés.

J'allais sortir la clé de la maison de ma poche pour déverrouiller la porte lorsque mon téléphone portable vibra soudainement dans ma poche. Je pris mon téléphone pour voir qui avait l'audace de m'appeler à ce moment-là.

C'était un numéro de téléphone fixe.

Avoir quelqu'un qui appelle par un numéro de téléphone non mobile n'était pas quelque chose d'inhabituel. Si c'était un appel de l'hôpital, ce serait un numéro de ligne fixe. Mais j'avais déjà enregistré le numéro de l'hôpital sur mon téléphone portable. Alors, à qui appartenait ce numéro ?

Je décidai de prendre l'appel tout en déverrouillant la porte.

— Allo.

— [Uh...]

Au bout du fil, il y avait une voix d'homme.

—  [C'est le numéro de Nath ?]

Qui diable est Nath ? Je déduisis immédiatement que c'était un mauvais numéro.

— Non, vous avez composé un mauvais numéro.

— [Hein ?]

Le bout du fil resta silencieux pendant quelques secondes.

— [Je crois que j'ai composé le bon. Puis-je savoir qui c'est ?]

J'ouvris la porte et entrai dans la maison. Je me demandais pourquoi cette personne voulait savoir qui j'étais.

— Alors, vous avez fait un mauvais numéro. Ce n'est pas le numéro de Nath.

Je mis immédiatement fin à l'appel. Si le propriétaire de ce numéro appelait à nouveau, je ne répondrais pas. Cette fille, Nath, lui avait probablement donné un faux numéro. Désolé pour ça.

Une nuit de repos après avoir passé du temps avec mon ami s'écoula paisiblement. Je dormis à poings fermés toute la nuit sans qu'aucun numéro étrange ne m'appelle à nouveau.


Je me tournai pour regarder une jeune interne, qui se tenait debout, le visage pâle, mon amusement se mêlant à la sympathie. Sur une table en acier devant nous gisait le cadavre d'un jeune homme. Il avait été envoyé ici pour une autopsie afin de déterminer la cause du décès. D'après les dossiers, cette personne était morte dans un accident de voiture après être entrée en collision avec un poteau électrique vers 4 heures du matin. Lorsque les sauveteurs étaient arrivés sur les lieux, ils avaient été incapables de trouver un pouls.

J'avais passé une demi-heure à revoir avec elle comment déterminer l'heure du décès et comment examiner l'état extérieur du corps. Ensuite, j'avais ordonné aux agents de commencer le processus de dissection.

— Tu as déjà pris ton petit-déjeuner, Fai ? demandai-je à la petite stagiaire, dont la présence avait été requise par le personnel des urgences pour étudier avec moi les sciences médico-légales.

Pauvre d'elle.

— Je... J'ai déjà pris mon petit-déjeuner, Professeur.

Il est courant pour un interne d'appeler un membre du personnel d'autopsie "professeur". Son visage devint encore plus pâle quand l'équipe d'autopsie retira le cuir chevelu du visage du défunt, révélant son crâne. Je regardai Fai dans sa blouse de laboratoire, portant un bonnet chirurgical vert, un masque sur le nez et des bottes en caoutchouc. Son corps semblait rétrécir dans cet uniforme. Je souris tendrement à cette vue.

— Allez, dépêchons-nous de finir l'autopsie. Je t'emmène déjeuner.

Je la guidai loin de la table, en attendant que le personnel ouvre le crâne de la défunte.

— A ton avis, quelle est la cause de sa mort ? demandai-je à Fai sans aucune attente sérieuse.

À l'époque où je n'étais qu'étudiant en médecine, je n'avais eu que deux semaines de cours de médecine légale. Si je n'avais pas poursuivi des études supérieures dans ce domaine, je suis relativement certain que je n’aurais pas non plus été capable de me souvenir de quoi que ce soit

—  Umm…

Fai se tourna vers le corps avec une expression incertaine.

— Choc hypovolémique dû à une perte excessive de sang ?

— Hmph, c'est possible. La perte de sang se produit généralement chez les patients blessés dans un accident. Cependant, d'après l'aspect extérieur, nous n'avons pu voir aucun saignement sauf au niveau du nez et des oreilles. Il pourrait y avoir une hémorragie interne. Cette personne a une grosse contusion sur son estomac et sa poitrine. Une fois que nous aurons examiné ses poumons et son abdomen, nous devrions être en mesure de le voir. Je ne pense pas que cette personne soit morte d'une perte excessive de sang…

Fai tourna la tête vers moi, sceptique.

— Attendons de voir, lui dis-je en fronçant les sourcils.

Le crâne avait été magnifiquement ouvert. Puis, le cerveau avait été déposé sur un plateau. Je guidai Fai pour qu'elle regarde la tête qui était exposée.

— Bingo, une fracture de la base du crâne. Tu la vois ?

Je pointai du doigt une série de fissures sur la base du crâne pour qu'elle les voie.

— Au début, nous avons vu des sécrétions roses et mousseuses s'écouler de son nez ainsi que d'autres indices révélant le mécanisme de mort par asphyxie. La base de son crâne a été fracturée, puis, le sang de la base crânienne a pénétré dans ses voies respiratoires. Cette personne a dû mourir en s'étouffant dans son sang.

Je vis les yeux ronds de Fai s'illuminer d'excitation. Elle était plutôt mignonne.

Après avoir terminé l'autopsie, je conduisis Fai au steak-house non loin de l'hôpital. Chaque fois que les internes étaient envoyés étudier avec moi, j'avais l'habitude de les emmener déjeuner. Ensuite, je les ramenais aux urgences pour qu'ils puissent continuer leur travail.

— Pourquoi avez-vous choisi d'étudier la médecine légale, Professeur ? me demanda Fai pendant que nous attendions le repas. C'était une question populaire que tous les internes posaient lorsque je les amenais à déjeuner.

— Je pense que c'est amusant. Nous communiquons avec les gens par les mots. Mais les morts communiquent avec nous avec leurs corps. Tout dépend si nous les entendons. La mort d'une personne tombée d'un immeuble peut être considérée comme un suicide. Mais ensuite, nous découvrons des niveaux élevés de substances toxiques dans son sang. Le mort essaie de nous parler, en disant : “Je ne me suis pas suicidé, docteur ! J'ai été assassiné !”

Fai fronça le nez.

— Professeur, vous m'avez donné la chair de poule.

— Hé, c'était juste une analogie. Si le mort avait réellement parlé, j'aurais fui pour sauver ma vie, dis-je en riant.

—  Vous avez toujours peur des fantômes ? ! dit Fai d'un ton haut perché.

—  Bien sûr, j'ai peur ! Je prie chaque nuit avant de m'endormir.

Fai et moi rîmes en même temps. Je sentais que c'était une bonne occasion.

— Uh...... En fait, tu n'as pas besoin de m'appeler professeur. Ce n'est pas une école de médecine. Restons simples. Tu peux m'appeler Bunn.

Fai afficha un large sourire.

— Ok. Vous êtes très gentil, et vous enseignez très bien, Bunn.

J'allais la remercier pour ce compliment quand la sonnerie soudaine de mon téléphone portable m'interrompit. Je le sortis et regardai le numéro. C'était le nom que j'avais enregistré comme "Capitaine Aem".

Trois mots surgirent dans ma tête quand je vis ce nom apparaître sur l'écran pendant les heures de bureau. Ces mots étaient : Quelque chose est arrivé…


Je sortis du van de l'hôpital, Fai sauta à ma suite. J'avais décidé d'emmener l'interne pour lui offrir l'expérience d'une scène de crime, car en dehors des heures de bureau, c'était l'interne de garde aux urgences qui pratiquait l'autopsie sur les lieux. Je portais une veste noire avec de grandes lettres, “FORENSICS” dans le dos, et des baskets pour plus d'agilité. Nous étions trois, soit Fai, Anun, un légiste homme, et moi, à entrer dans le bâtiment. Anan portait un sac dans une main et tout en tenant un appareil photo compact dans l'autre, il prenait consciencieusement des photos de l'endroit. L'immeuble était une résidence située en plein centre-ville. Il y avait un petit groupe de personnes rassemblées au rez-de-chaussée. Ce devait être des personnes qui vivaient ici.

Mes yeux parcoururent le rez-de-chaussée pour observer l'ambiance et les individus suspects. C'était ce que je faisais de manière automatique, même si cela allait au-delà de mes fonctions. Mon devoir ne concernait que le cadavre. Sur place, je devais être capable de dire qui était le défunt, quand il était mort, quelle était la cause du décès. Et si cela s'avérait nécessaire, je devais envoyer le corps au service médico-légal de l'hôpital pour pratiquer une autopsie. L'enquêteur rassemblait les informations de mon rapport, déterminait la cause du décès et identifiait le suspect ou le meurtrier, ainsi que d'autres éléments de preuve.

Cependant, j'aimais jouer à ce jeu tout seul. S'il s'agissait d'un meurtre, je devinerais qui l'a commis sans aucune preuve solide. Je garderais la réponse pour moi, et j'attendrais la révélation de la police ou un test d'identification, comme un test ADN.

Vous pouvez appeler cela un don car, à ce jour, mes statistiques se sont révélées exactes à cent pour cent.

Un officier de police s'approcha de moi.

— Dr. Bunn.

— Oh, Capitaine Aem.

Je souris au grand homme musclé en uniforme qui était enquêteur local dans cette zone. Ma main fit un geste vers Fai.

— Aujourd'hui, j'ai amené une stagiaire de première année pour observer la scène. Elle s'appelle Fai.

Je vis le capitaine lancer un regard brillant à la petite femme médecin. J'avais sérieusement envie de prendre sa photo et de l'envoyer à sa femme.

— Ok alors, s'il vous plaît, prenez l'ascenseur par ici. La scène est au cinquième étage.

Nous nous dirigeâmes vers l'ascenseur qui était déjà ouvert. Pendant que nous étions dans l'ascenseur, le capitaine se tourna vers moi pour me parler.

— Il y a une lettre de suicide, Dr. Bunn. La grande sœur de la victime a confirmé que c'est l'écriture de la victime. La victime a été diagnostiquée avec un trouble dépressif. Nous avons trouvé un grand nombre d'antidépresseurs et de somnifères comme si elle avait refusé de les prendre après les avoir reçus. Nous avons interrogé sa sœur, et elle a dit que la victime était stressée à cause de sa vie amoureuse ces derniers temps. Son petit ami l'a menacée de mettre fin à leur relation, ou quelque chose comme ça.

Je hochai la tête en signe de reconnaissance.

— D'après ce que j'ai entendu, ça penche vers la possibilité d'un suicide, n'est-ce pas ? Ah... et vous avez dit que c'est le petit ami qui a trouvé le corps, n'est-ce pas ?

— Oui, à 11h30, le petit ami de la défunte est venu la voir dans la chambre. Il a dit qu'il avait frappé, mais personne n'a répondu. Elle n'a pas répondu à son appel non plus. Il est donc descendu demander un double des clés au personnel, en prétendant que la propriétaire de cette chambre souffrait de dépression, avec une possibilité de suicide. Il est entré dans la chambre et a découvert que la femme s'était pendue à la pomme de douche de la salle de bains. Il s'est précipité pour enlacer le corps, et a failli la détacher pour lui faire un massage cardiaque. Heureusement, le personnel l'a arrêté à temps et nous a rapidement appelés.

Je fis un petit "tsk". Je préférais les cadavres intacts.

— Il l'a enlacé ? Ses cheveux ont dû tomber partout sur le corps.

Le capitaine Aem rit. L'ascenseur arriva au cinquième étage et s'ouvrit en douceur. Je sortis et regardai dans le couloir. Il y avait une pièce avec une porte ouverte. Un groupe de policiers et de médecins légistes se tenaient devant cette pièce. Près de la porte, deux personnes parlaient aux policiers. L'une était une femme qui pleurait. L'autre était un homme de grande taille portant une chemise blanche et un pantalon gris. Ses cheveux noirs étaient soigneusement coiffés en arrière. C'était un beau gars, à l'allure remarquable, d'autant plus qu’il se tenait parmi des gens comme ça.

— C'est sa sœur et son petit ami.

Le capitaine Aem confirma rapidement mes soupçons.

La réaction à la perte de nos proches était différente pour chaque personne. Certaines personnes étaient en colère, d'autres étaient tristes, d'autres encore étaient frappées par la culpabilité. Je regardai l'homme, le petit ami de la femme qui était morte. Son expression était calme. Contrairement à la sœur de la défunte, qui était en train de pleurer à chaudes larmes, son visage et ses yeux ne montraient aucun sentiment.

Je gardai cette observation en tête.

Je passai devant les enquêteurs de la police scientifique, qui inspectaient les lieux, pour entrer dans la chambre. Le capitaine me conduisit à la salle de bain sur la gauche. La prochaine chose que je vis fut le corps d'une femme de 28 ans aux cheveux longs. Elle était en chemise de nuit rose, suspendue à la pomme de douche, qui était fixée au mur de la salle de bains. Ses pieds étaient au-dessus du sol, une chaise ronde en plastique à quatre pieds posée sur le carrelage. Le bout de ses mains et de ses pieds était devenu violet foncé. Son visage était gonflé et devenu vert ; sa langue était saillante.

J'entendis une série de bruits d'obturateur provenant de l'appareil photo compact dans la main d'Anun tandis que Fai se tenait là, son visage était pâle. Je sortis des gants en caoutchouc du sac et les distribuai à tous les membres de l'équipe. Je m'approchai du corps et inspectai l’apparence extérieure pour rechercher des preuves physiques sur le corps, comme du sang ou des cheveux.

— Le nom de la défunte est Janejira Sukyod, âgée de 28 ans. Elle travaillait en tant qu'enseignante dans une école primaire. Elle venait de démissionner de ce poste depuis deux semaines, déclara le capitaine en observant mon travail. Sa sœur a dit que sa dépression s'était aggravée. Sa sœur aînée est la dernière personne à l'avoir vue. Elles ont dîné ensemble ici à 19 heures et sa sœur est rentrée à 21 heures.

J'utilisai mon doigt pour appuyer sur les zones sombres à l'extrémité de ses pieds et de ses mains. Et j'essayai de bouger son bras.

— Elle pourrait être morte depuis environ 8 à 12 heures. Ça correspond au laps de temps où elle était seule.

Je me mis sur la pointe des pieds pour regarder de près le nœud coulant. C'était un tissu blanc attaché à la pomme de douche murale.

Eh !?

Mes yeux remarquèrent quelque chose d'inhabituel.

Au-dessus de la marque de la corde sur son cou, il y avait quelques petites et longues éraflures, avec des bleus sous la corde. Je demandai à Anun de prendre une photo nette de cette zone. Fai s'approcha avec hésitation.

— Qu'est-ce que c'est ?

Je pointai du doigt la marque.

— Tu peux voir ça ? Ça ressemble à une égratignure d'ongle, tu ne trouves pas ? Et cette zone a l'air un peu trop meurtrie.

Je me tournai vers le capitaine Aem.

— Y a-t-il des signes de lutte dans la pièce ? Je n'en ai pas encore vu.

Le capitaine secoua la tête.

— Tout semble être à sa place. D'après ce que m'a indiqué sa sœur, rien n'a été déplacé.

Je tendis la main pour sentir la zone de l'ecchymose. Je pus détecter une fracture du larynx que l'on ne trouverait certainement pas chez une personne qui s'est pendue. Après avoir expiré lentement, je me tournai vers le capitaine, qui se tenait là, m'attendant avec impatience. J'avais hâte de ramener ce corps à l'hôpital pour une autopsie approfondie.

— Désolé de vous imposer plus de travail, M, dis-je avant de rester silencieux un instant. Mais cela ne semble pas être un suicide. Je voudrais l'envoyer au département médico-légal pour une autopsie.

Cette femme avait été étranglée à mort, puis son corps avait été mis en scène pour faire croire qu'elle s'était pendue.

Après avoir terminé l'autopsie préliminaire sur la scène de crime, j'enlevai mes gants et sortis de la pièce où l'incident avait eu lieu. Je pris une grande bouffée d'air frais dans mes poumons. Le corps allait être emmené au département médico-légal pour un examen approfondi. J'étais prêt à disséquer ce cas. Il y avait encore beaucoup de travail à faire. Mon cœur battait la chamade, excité comme à chaque fois que je rencontrais une affaire de meurtre. J'étais déjà devenu accro à ce sentiment. C'était la raison pour laquelle j'étais totalement amoureux de cette profession.

Comme cela semblait être une affaire de meurtre, je commençai à jouer à mon jeu favori. Qui était le meurtrier... ?

Mes yeux se tournèrent soudain vers l'homme qui avait été identifié comme le petit ami de la défunte, la personne qui avait découvert le corps. Son visage restait impassible. N'était-il pas du tout affligé par la mort de sa petite amie malgré le fait qu'ils avaient déjà rompu ?

Ses yeux longs et fins se tournèrent vers les miens, comme s'il était conscient d'être observé.

Je détournai mon regard ailleurs, mon cœur tambourinait encore à cause de l'excitation. Mon instinct me disait que ce type n'était pas une personne ordinaire. Il cachait quelque chose. Et vu son corps fort et symétrique d'une taille d'1m80, je pensais que cet homme pouvait facilement soulever sa petite amie et la pendre.

J'espérais que la police serait du même avis et mènerait une enquête approfondie sur cette personne.

Je décidai que cet homme était un meurtrier. Et j'étais sûr que mes statistiques à cent pour cent ne seraient pas détruites.


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amelyma
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amelyma
Ven 6 Sep 2024 - 23:28



Chapitre 2
Je portai un verre de lait chaud à mes lèvres et le bus. Je fixais mon travail sur l'écran de l'ordinateur. J'avais constaté que des personnes exerçant d'autres professions apportaient souvent leur ordinateur pour travailler dans un café à l'ambiance agréable. J'aurais voulu faire la même chose si mon travail ne consistait pas en de nombreuses photos de cadavres, soit encore intacts, épargnés par mon scalpel, soit déversant leurs entrailles au monde entier. Si j'apportais mon travail à faire à l'extérieur, je finirais probablement par chasser les autres clients. Donc, finalement, je devais ramener mon travail à la maison et le faire seul dans une maison calme et froide. Mon travail ce soir consistait à rédiger le rapport d'autopsie de Janejira, la pauvre femme qui avait été tuée et dont la mort avait été maquillée en suicide par la suite.

J'ouvris les fichiers d'images de Janejira, dont le cou était ouvert par une incision, exposant le muscle du cou meurtri. Ma palpation initiale indiquait que son larynx était fracturé, et lorsque je l'avais ouvert, j'avais effectivement constaté qu'il était fracturé. C'était une preuve solide que cette femme avait été étranglée à mort. Quand on se pend, cela ne cause pas de dommages significatifs aux tissus comme celui-ci, à moins de mettre une longue corde au cou et de se jeter du haut d'un immeuble. Si c'était le cas, cela pourrait causer beaucoup de dommages. Cependant, Janejira ou toute autre personne saine d'esprit ne penserait pas à se tuer de cette façon.

J'avais sept jours pour terminer le rapport d'autopsie, mais cela pouvait être reporté si certains résultats de laboratoire qui pouvaient prendre du temps étaient nécessaires. Par conséquent, je n'étais pas pressé de le faire. Après avoir fini d'écrire une description générale du cadavre, je posai mon stylo, sirotant une fois de plus du lait chaud pour apaiser mon esprit. Je regardai l'horloge - il était maintenant 21 heures. Il ne semblait pas trop tard pour appeler quelqu'un à cette heure-ci.

—  [Bonjour, Bunn.....]

Une douce voix répondit à mon appel. J'avais appris que Fai n'était pas de service ce soir.

— Hé, Fai. Tu dors déjà ?

— [Il est seulement 21h00, Bunn. Je devrais dormir vers 23 heures. Au fait, vous avez besoin de quelque chose puisque vous appelez à cette heure-ci ?]

Je me raclai la gorge pour chasser les traces de lait.

— Je voulais te parler des résultats de l'autopsie. C'est dommage que tu n'aies pas pratiqué d'autopsie avec moi.

Fai rigola.

—  [Je sais. Je voulais aussi savoir comment c'était. Bon, a-t-elle vraiment été étranglée avant de mourir ?]

— Certainement, les muscles de son cou étaient terriblement contusionnés et son larynx était complètement brisé. Je tombe rarement sur un meurtre mis en scène, c'est assez fascinant.

— Même si c'est une mise en scène de suicide, vous n'êtes pas dupe, n'est-ce pas, Bunn ? Le meurtrier doit pleurer comme un bébé en ce moment après s'être donné du mal avec ses machinations.

Fai commença à me parler sur le ton de la plaisanterie. Je me mis à rire de bon cœur.

— Bien sûr, tu sais que je ne ferais pas d'erreur.

Une fois que j'eus terminé cette phrase, un souvenir refit soudainement surface dans mon esprit. Il me faisait mal à chaque fois que j'y pensais. C'était quelque chose que j'essayais d'enfouir le plus profondément possible dans mon esprit. Hélas, il revenait, me hantant sporadiquement. N'ai-je jamais fait d'erreurs. . . ? Pour être honnête, c'était un mensonge... J'avais fait une erreur une fois. Une petite erreur. Mais elle avait néanmoins entraîné d'énormes dégâts.

— [Je vous crois. Vous êtes un expert.....]

J'étais perdu dans mes pensées et j'avais oublié que je parlais à Fai à ce moment-là.

— [Allô..... Bunn ?]

Je me ressaisis rapidement.

— Euh... allô.

La conversation avec Fai se poursuivit pendant une dizaine de minutes avant que je lui souhaite bonne nuit et que je raccroche. Même si je venais de rompre avec Prae depuis moins d'un mois, je me sentais prêt à passer à autre chose, comme dans un de mes cycles sans fin. Je n'avais jamais été dans une relation avec une femme pendant plus d'un an. Les femmes me disaient souvent qu'elles n'avaient jamais été capables d'atteindre qui j'étais vraiment. Elles ne comprenaient pas ce que j'avais dans la tête, disant que j'étais tout le temps comme un acteur, ce qui les mettait mal à l'aise. Puis elles me quittaient.

Il s'avérait que le Dr. Bunnakit avait été catalogué comme casanova même si ce n'était pas du tout ma faute. Sans parler du fait qu'avoir Pert, le coureur de jupons notoire, comme ami n'avait fait qu'empirer les choses en raison de l'idée préconçue que j'étais le même genre de type.

Je me tournai vers l'écran de l'ordinateur pour poursuivre mon travail. Je resserrai ma chemise à manches longues que je portais par-dessus mon pyjama à cause de l'air froid dehors. L'hiver dans le Nord était ce que je préférais dans cette région car c'était un vrai climat de type hivernal, contrairement à ma ville natale, Bangkok. Cette dernière ne connaissait que l'été perpétuel et la saison des pluies, ce qui, je suppose, était une bonne chose dans ce cas, car la décomposition d'un cadavre par temps froid était plus lente que par temps chaud.

Puis, je sursautai brusquement lorsque la sonnette de la porte d'entrée retentit soudainement.

Qui était-ce ?

Je me levai et sortis de ma chambre pour me rendre dans le salon près du portail à l'avant de ma maison. Il faisait complètement noir, seules deux ampoules éclairaient la zone. Je tentai de regarder à travers l'obscurité. Au fond, je pensais qu'un groupe d'enfants avait dû me jouer un tour avec la sonnette.

Je remarquai qu'une feuille de papier blanc A4 était roulée et insérée entre les barrières. J'ouvris la porte, le vent froid de l'extérieur me soufflait au visage. Je me dirigeai lentement vers le portail, ramassant le morceau de papier, m'attendant à ce que ce soit une sorte de prospectus publicitaire.

Le texte griffonné avec un stylo sur le papier avait ramené le froid dans l'air à un niveau inférieur à zéro.

Déclarez ce décès comme un suicide. Ne parlez pas de ça à la police.

Sinon, vous aurez beaucoup d'ennuis. Je vous surveille.


J'ouvris rapidement le portail et sortis en courant, me tenant dans la rue devant la maison. Mes yeux se déplaçaient frénétiquement de gauche à droite. Ce lotissement était paisible et calme ; tout le monde se couchait tôt. Je ne trouvai aucun indice de la personne qui avait inséré ce morceau de papier entre mes grilles. Mon cœur palpitait de panique. Mes mains étaient devenues si froides. J'inspirai profondément, essayant de me ressaisir. Mais qu'est-ce que c'était que ça ? Quelqu'un me menaçait pour que j'écrive que le décès était dû à un suicide.

On me menaçait de rédiger un rapport selon lequel Janejira s'était suicidé.

Je tournai les talons et regagnai la maison après avoir verrouillé le portail et m'être assuré qu'il était sécurisé. Je me précipitai dans la maison, ramassant le téléphone portable sur mon bureau. Pourquoi diable devrais-je cacher cela à la police ? La personne qui m'avait envoyé cette lettre devait être celle qui avait assassiné Janejira, c'était certain. Après avoir appelé le capitaine Aem, je partirais en voiture pour demander aux gardes devant le lotissement si quelqu'un d'extérieur était entré à cette heure-ci. Ensuite, j'apporterais ce morceau de papier au poste de police.

Je composai le numéro du capitaine Aem, la sonnerie ne retentit qu'une seule fois avant que quelqu'un ne m'arrache mon téléphone des mains. Je fus surpris que mon cœur s'arrête presque de battre.

Quelqu'un est dans ma maison !

Je ne perdis pas mon temps à me retourner pour regarder, cependant. Je piquai un sprint en direction de la fenêtre, mais une paire de mains puissantes dans des gants en cuir noir s'enroula autour de mon torse par derrière, m'empêchant de m'enfuir. Je me débattis pour ma chère vie, frappant mon coude en arrière de toutes mes forces.

— A l'aide ! criais-je assez fort pour que les voisins entendent. Il y a quelq…

Je n'avais pas fini ma phrase que l'intrus me donna un coup de pied à l'arrière de mon genou, me mettant à terre. La prochaine chose que je savais, c'est que j'étais dans une position dans laquelle je ne pouvais plus me battre. J'étais allongé, face contre terre. Mon bras gauche était tordu derrière mon dos, avec ma tête plaquée au sol. J'haletais pour respirer, grimaçant de douleur.

— Tellement têtu, Doc.

Une voix étouffée pouvait être entendue de derrière.

— Je ne voulais pas faire ça ce soir, vous savez ? Mais vous alliez appeler la police, alors je n'ai pas eu le choix.

J'étais dans une position très désavantageuse. J'essaya de rassembler mes forces pour me dégager de cette prise, mais cette personne raffermit sa prise sur mes bras. Je haletai, essayant de reprendre mes esprits. Je tentai de me retourner pour voir le visage de l'intrus. Ce type était musclé. Il portait un pull noir avec son sweat à capuche et une grosse paire de lunettes de soleil noires sur son visage. Une voix inconnue pouvait être entendue à travers un masque blanc qui couvrait sa bouche et son nez. Je ne pouvais pas identifier qui était cette personne.

— Qui êtes-vous  ?

J'essayai de parler, en haletant. Je sentais mon cœur battre rapidement sous l'effet de la panique.

— Comment êtes-vous entré ?

— Peu importe qui je suis ou comment je suis entré. Vous auriez dû demander pourquoi je suis entré...

Je serrai les poings, imaginant un plan. Il fallait que je trouve un moyen de me sortir de cette situation : être plaqué au sol, le visage contre le sol.

— Laissez-moi partir, et parlons-en. Vous avez déjà mon téléphone.

L'homme derrière laissa échapper un rire, celui vide de toute conscience morale. Ce son me glaça le sang. L'espoir de ma survie ce soir commençait à s'amenuiser.

— Vous êtes un gars intelligent, pas étonnant que vous soyez pathologiste.

— Vous êtes celui qui a tué Janejira, je suppose ? Et vous allez me tuer aussi, n'est-ce pas  ?

Sans m'en rendre compte, ma voix commença à trembler. Je sentais la mort se rapprocher de moi, je pouvais sentir le souffle de la Faucheuse elle-même.

L'homme resta immobile, comme s'il réfléchissait à quelque chose. Je saisis l'occasion pour bouger ma main libre afin de me redresser, mais l'homme me tordit le bras en arrière au point que je criai. Il se laissa tomber et s'assit sur mon dos, son poids m'étouffant. Je succombai facilement à la douleur.

— Je ne peux pas vous tuer. Pas maintenant. Vous devez d'abord rédiger un rapport d'autopsie pour moi. Vous devrez trouver un moyen de dire que ce que vous avez détecté peut se retrouver chez quelqu'un qui se suicide et expliquer que votre hypothèse initiale était une erreur d'interprétation, me dit l’intrus à l’oreille après avoir baisser la tête.

Je tremblais de façon incontrôlable.

— Une fois le travail terminé, je vous laisserai partir en guise de récompense. Mais si vous résistez et que vous appelez les flics ou que vous écrivez un rapport disant que c'était un meurtre, je ne peux pas garantir ce qui arrivera, à vous ou aux gens autour de vous, Doc.

— Bien... Je....... Je ferai... ce que vous voulez. Maintenant, laissez-moi partir, acceptai-je verbalement, dans le but de me sortir de cette grave situation.

Il n'avait de toute façon pas l'intention de me tuer, tout ce que j'avais à faire était de me libérer et d'aller à la police le plus vite possible.

— Ok, c'est réglé alors. Maintenant vous savez à quel point il est facile de vous traquer, Doc. Sans parler de la facilité avec laquelle on peut accéder à la base de données de la police. Dès que vous entrerez dans un poste de police, je le saurai. Ne le faites pas. Si je le découvre, je vous blesserai, vous et vos proches. Faisons ça discrètement et clôturons cette affaire.

Une main dans un gant de cuir noir et frais quitta ma tête pour caresser doucement mes joues.

— Et ne pensez même pas que vous pouvez faire confiance aux flics.

Ce qu'il dit fit presque cesser les battements de mon cœur. Combien de personnes m'avaient entendu dire qu'il était peu probable que Janejira se soit suicidée, à part l'équipe d'enquêteurs qui avait assisté à l'autopsie avec moi, le capitaine Aem et les personnes présentes sur la scène du crime aujourd'hui ?

À ce moment-là, le visage d'un homme qui était le petit ami de Janejira apparut dans mon esprit.

Mon cerveau ne réussit pas à traiter quoi que ce soit d'autre ; je sentis mes cheveux être tirés en arrière. Ma conscience disparut comme si un interrupteur avait été éteint.


Je me réveillai avec un mal de tête au point que j'en avais presque envie de vomir. Je laissai échapper un gémissement dû à la douleur, portant ma main à mon front. J'ouvris lentement les yeux, toujours allongé sur le sol froid de mon bureau. Je me redressai progressivement en position assise et regardai autour de moi. J'étais seul dans la pièce en ce moment. L'intrus était introuvable.

Je tentai de me lever, mais une sensation de vertige intense faillit me faire perdre l'équilibre, sentant le sang couler d'une blessure sur mon front. Je m'agrippai au bord du bureau pour m'empêcher de tomber. Je cherchai mon téléphone portable, mais il avait disparu. L'intrus l'avait peut-être pris avec lui.

La police.

J'avais été agressé. Je devais appeler la police.

Mes yeux parcoururent les lieux, essayant de trouver le téléphone fixe qui se trouvait habituellement dans le coin droit du bureau. Mon cœur se serra à la vue de la zone vide, où le téléphone de maison devrait être, il ne restait que le câble téléphonique. Le téléphone lui-même, cependant, avait également disparu.

— Bon sang ! criai-je avec indignation, en essayant de me traîner hors de la pièce.

Un deuxième vertige me fit m'effondrer sur le canapé du salon. J'étais déterminé à emprunter le téléphone d'un voisin pour appeler d'abord la police, car je devais trouver un moyen de les appeler et de me sortir d'ici.

'Si je le découvre, je vous ferai du mal, à vous et à vos proches.' La voix de cet homme me traversa l'esprit. 'Et ne pensez même pas que vous pouvez faire confiance aux flics.'

Je fermai fermement les yeux, essayant d'expulser cette déclaration de ma tête. Je rassemblai mes forces pour combattre les vertiges et me redressai sur mes pieds, entendant les sirènes, un air familier, hurler de quelque part au loin. J'ouvris la porte d'entrée, essayant de tirer mon corps fatigué à travers le parking et jusqu'au portail de devant, grand ouvert, malgré le fait que je l'avais verrouillé à l'aide d'une clé un peu plus tôt.

Les sirènes étaient de plus en plus fortes. Je vis une lumière bleue-rouge dans l'obscurité alors qu'elle se dirigeait directement vers ma maison. Je plissai les yeux, réalisant que c'était une ambulance envoyée pour récupérer les patients qui avaient appelé le centre d'appels d'urgence. L'ambulance continua à avancer à toute vitesse avant de s'arrêter devant ma maison. La porte s'ouvrit. Des infirmières et des secouristes, qui tenaient une planche vertébrale, sortirent rapidement de l'ambulance.

— Dr. Bunn ! appela Suthep, un infirmier des urgences.

Une expression de stupeur traversa son visage lorsqu'il me vit dans un état tel que je pouvais à peine me tenir debout.

— Docteur, vous n'avez pas besoin de marcher ! Asseyez-vous, on va vous mettre dans l'ambulance.

La seule chose qui me vint alors à l'esprit fut que celui qui m'avait assommé temporairement et celui qui avait appelé l'ambulance pouvaient être la même personne.


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Ven 6 Sep 2024 - 23:28



Chapitre 3
— Suthep…

J'appelai l'infirmier assis près de ma tête. L'ambulance roulait à vive allure et les passagers avaient la tête qui dodelinait. Le hurlement des sirènes ne faisait qu'accentuer mon mal de tête. On m'avait porté sur la solide planche dorsale avant de me hisser sur un brancard, puis dans l'ambulance.

— Oui, Doc ? dit- il en se retournant pour me regarder d'un air inquiet. Nous atteindrons l'hôpital en un rien de temps.

— Rapport, patient de 30 ans…

J'allais dire ce que je voulais dire, mais la voix du technicien médical d'urgence m'interrompit. Sa bouche était posée sur un émetteur radio noir qu'il tenait à la main pour transmettre des informations au service des urgences.

— Un voisin nous a informés qu'il s'était évanoui, que sa tête avait heurté le sol et qu'il était inconscient. Bilan à l'arrivée : conscient. Saturation en O2 100%, Glasgow à 15, glycémie 1g/l. Plaie ouverte sur le côté gauche du front...

Le voisin avait dit que je m'étais évanoui ? Et que ma tête avait heurté le sol ? Je fronçai les sourcils.

— Suthep... l'appelai-je une seconde fois. Qui a appelé l'ambulance ?

— Je ne sais pas, dit-il en secouant la tête. Il faut demander à la personne qui a été prévenue. J'ai seulement entendu dire que c'était votre voisin qui était avec vous à ce moment-là. Vous en souvenez-vous  ?

Bien sûr, je m'en souviens. Pourquoi ne m'en souviendrais-je pas ? Cette personne n'était pas mon voisin, c'était le tueur.

— Quand vous êtes arrivé, avez-vous vu la personne qui a passé l'appel ?

— Non. Je suis arrivé et j'ai vu que vous étiez seul. C'est un peu étrange, tout de même, répondit Suthep, qui avait quelques années de plus que moi, d'un air sceptique. Il s'est passé quelque chose ?

J'étais vraiment content que quelqu'un ait remarqué quelque chose de louche dans cette situation.

— Je ne me suis pas évanoui. J'ai été agressé.

— Vous êtes sérieux ?! dit Suthep en écarquillant les yeux.

Comme la distance entre l'hôpital et ma maison n'était pas très grande, j'arrivai à l'hôpital en quelques minutes. La conversation entre Suthep et moi fut interrompue lorsque l'ambulance s'arrêta. Suthep et les ambulanciers ne tardèrent pas à ouvrir la porte et à me faire descendre de l'ambulance, alors que j'étais toujours allongé sur le brancard.

La suite fut un véritable chaos. On me poussa rapidement dans les urgences. Un interne qui était de service ce soir-là se précipita vers moi, suivi par deux infirmières. Je fermai les yeux sous l'effet d'un vertige intense.

— Professeur Bunn ! appela l’interne.

J'essayai d'ouvrir les yeux pour regarder. L'une des infirmières remonta ma manche pour vérifier ma tension artérielle.

— Professeur, vous m'entendez ?

— Oui...répondis-je doucement.

L’interne commença à examiner mon corps de la tête aux pieds. Lorsqu'il fut assuré qu'il n'y avait pas de menace mortelle nécessitant une intervention rapide, il se tourna vers moi pour me poser une question.

— Qu'est-ce qui s'est passé ?

Je posai ma main sur ma tête, me demandant si je devais ou non lui dire la vérité sur l'incident. Cependant, comme ma vie était en danger, je décidai qu'il valait mieux que quelqu'un d'autre sache qu'il ne s'agissait pas d'un simple accident. Concernant le fait que l'intrus pourrait être celui qui a tué Janejira, je garderai cette information pour les flics.

— Quelqu'un est entré dans ma maison, m'a frappé la tête contre le sol et m'a assommé…

Une expression de choc se dessina sur son visage.

— L'infirmière a dit que vous vous étiez évanoui et que vous vous étiez cogné la tête en descendant. Ce n'est donc pas ça, n'est-ce pas ? Professeur, vous souvenez-vous de son visage ?

Je secouai la tête, fermant les yeux à cause de la succession de maux de tête et de nausées. L'interne braqua à nouveau une lampe de poche sur mon iris, juste pour être sûr.

— Comment vous sentez-vous en ce moment ? Des maux de tête ? Des nausées ? Des troubles de la vision ?

— Maux de tête intenses... nausées aussi. J'ai vomi plusieurs fois dans l'ambulance.

— Nous avons besoin d'un scanner dans ce cas, acquiesça l’interne. Je vais en programmer pour vous. Si le personnel sait que c'est vous, ils vous mettront probablement en premier dans la file d'attente. Veuillez patienter un moment.

Après cela, il s'éloigna rapidement de mon brancard et se dirigea vers le poste des infirmières. Je le suivis des yeux. Intérieurement, je me sentais plus anxieux à propos de l'intrus qu'à propos de ma propre blessure à la tête. On m'avait probablement diagnostiqué un traumatisme crânien avec risque d'hémorragie intracérébrale qui nécessitait un scanner. Après cela, je devrais probablement rester à l'hôpital pour une observation plus poussée. Je devrais attendre la fin du traitement. Une fois que je me serais reposé dans le service, je suspendrais la ligne de mon téléphone portable volé et trouverais un moyen de joindre le capitaine Aem. Il aurait été plus facile de lui parler directement, car c'est lui qui devrait comprendre la situation.

'Et ne pensez même pas que vous pouvez faire confiance aux flics'.

Cette phrase s'insinuait dans mon esprit chaque fois que je pensais à la police, alimentant mes craintes…


Je me trouvais dans une pièce calme et froide. Le seul bruit qu'on y entendait était celui d'un vieux climatiseur installé au-dessus de ma tête. La plaie sur mon front avait déjà été recousue et était cachée par de la gaze. Une aiguille était fixée sur le dos de ma main droite, reliée à une perfusion et à un flacon de sérum physiologique. Après les résultats du scanner, on me transporta dans une salle spéciale du service de chirurgie de l'hôpital. Heureusement, il n'y avait aucun signe d'hémorragie cérébrale. Je devais rester à l'hôpital pendant une courte période s'il n'y avait pas de complications. J'étais content de rester ici. L'hôpital était sûr. Personne ne pourrait me faire du mal ici.

Je me préparai à appuyer sur le bouton d'appel d'une infirmière et à emprunter un téléphone portable comme je l'avais prévu. Je devais également utiliser Internet pour trouver des informations sur la manière de suspendre la ligne. Je tendis donc la main vers le cordon d'appel situé à la tête du lit.

Mon doigt était juste au-dessus du bouton quand on toqua à la porte. Je sursautai légèrement à cause du bruit fort et puissant des coups. La porte s'ouvrit pour révéler un homme de grande taille avec un beau visage familier.

— Pert ?

Mes yeux s'écarquillèrent, surpris. Je regardai l'horloge sur le mur - presque minuit.

— Comment l'as-tu su ?

— Hé, pourquoi je ne le saurais pas quand mon meilleur ami est hospitalisé ?

Pert tira une chaise de la table à manger pour s'asseoir à côté de mon lit.

— J'ai dit à l'infirmière à l'extérieur de ta chambre que j'étais de ta famille.

— Sérieusement, comment as-tu su que j'étais à l'hôpital  ? dis-je en lançant un regard pénétrant à Pert.

— J'ai essayé de t'appeler. Je voulais t'inviter à boire un verre de vin dans le nouveau restaurant de mon ami. C'était une invitation impromptue à 23 heures, d'accord ? C'est pourquoi je ne t'ai pas prévenu à l'avance. J'ai essayé de t'appeler cinq ou six fois, mais tu ne répondais pas. Inquiet, je me suis rendu chez toi en voiture. J'ai rencontré un garde qui passait à vélo et qui m'a dit que l'ambulance t'avait déjà emmené. J'étais choqué, alors je suis là.

Pert tendit la main pour enlever une mèche de cheveux de mon front et fixa la blessure. Je restai immobile un instant.

—  Qu'est-ce qui s'est passé ? Raconte-moi, s'il te plaît.

C'était ma chance. Si je disais à Pert ce qui s'était passé, il pourrait certainement m'aider. Si le suspect était vraiment quelqu'un du service de police, il ne saurait pas que j'ai demandé de l'aide ailleurs. Pert était la personne en qui j'avais le plus confiance pour le moment.

— Tu as entendu parler d'une femme qui s'est pendue dans un immeuble aujourd'hui, je présume ? demandai-je.

— Oui, je sais. J'ai été informé. J'ai vu les nouvelles sur Internet. C'est toi qui as pratiqué l'autopsie, n'est-ce pas ? dit Pert en sortant son téléphone et cherchant quelque chose sur l'écran. Le capitaine a dit qu'elle s'était suicidée après s'être disputée avec son petit ami. Dépression sévère. Et une lettre de suicide. Autre chose, Bunn ?

— Que disent les nouvelles  ? dis-je en prenant rapidement le téléphone de Pert.

Sur l'écran, le titre d'un site d'information en ligne disait : ‘Une enseignante dépressive a été retrouvée pendue dans son appartement. Il pourrait s'agir d'une dépression consécutive à une rupture.’ Dans l'article, il y avait des photos du corps de Janejira enveloppé dans un drap blanc et transféré dans l'ambulance.

Je survolai le contenu de l'article jusqu'à ce que j'atteigne la dernière phrase. ‘...les secouristes ont emmené le corps à l'hôpital provincial pour déterminer la cause du décès.’

Le communiqué ne mentionnait pas mes soupçons quant à l'assassinat de Janejira. Le capitaine Aem m'avait appelé ce soir pour connaître les résultats de l'autopsie, et je lui avais fait part de ce que j'avais trouvé. Le capitaine m'avait dit qu'il n'avait pas parlé aux journalistes de mes soupçons sur le meurtre de Janejira, ce qui pourrait inciter le tueur à se satisfaire de la réussite de sa mise en scène. Cela pourrait même faciliter l'arrestation du meurtrier.

— Le problème, c'est que…

Je pris une grande inspiration et racontai à Pert ce qui s'était passé. Son regard attentif se transforma peu à peu en une expression choquée. Lorsque j'en arrivai à la partie où l'intrus était entré et m'avait assommé dans ma maison, le procureur poussa un juron d'agacement.

— Putain de merde ! Tu es foutu, Bunn.

Pert sortit précipitamment quelque chose de sa poche et me le tendit. C'était un smartphone blanc, une version plus ancienne que celle qu'il m'avait donnée pour lire les nouvelles tout à l'heure. Confus, je le pris.

— Tiens, prends-le. En cas d'urgence, appelle-moi ou la police. J'ai aussi le numéro du capitaine Ithipol. Il est enregistré dedans.

C'est ce que je voulais.

— Tu as deux téléphones sur toi ?

— Oui, juste un téléphone de rechange pour appeler les filles. Je n'ai pas vraiment besoin de celui-ci.

Pert gloussa, comme s'il essayait d'apaiser la tension qui régnait dans la pièce. Je soupirai doucement.

— Tu crois que je devrais appeler le capitaine ? Le saura-t-il si je l'appelle ? Il pourrait vraiment avoir des infos de l'intérieur.

J'admettais que j'étais terrifié à cet instant.

Pert avait un regard pensif.

— D'accord, que dis-tu de ça, tu n'as rien à faire pour l'instant. Fais profil bas. Rédige un rapport d'autopsie dans ce sens. Je trouverai un moyen de prévenir la police. J'ai beaucoup de connaissances à l'intérieur et à l'extérieur. Je devrais pouvoir trouver des indices. En attendant, j'enverrai mon subordonné pour être ton garde du corps.

Je n'avais jamais vu Pert aussi sérieux, sauf lorsqu'il travaillait. Il tendit les bras pour me serrer les épaules.

— Calme-toi. Je ne laisserai personne te faire du mal.

— … Désolé de t'embêter.

J'avais l'impression d'avoir enlevé le poids du monde de ma poitrine. Il n'y avait rien de plus magique que d'avoir un sentiment de sécurité dans la vie.

Pert hocha la tête avant de se lever.

— C'est une question de vie ou de mort. Je ne peux pas rester sans rien faire. Si quelque chose se présente, appelle-moi, Bunn. C'est compris ? Maintenant, je vais trouver quelqu'un pour te protéger.

— Hmph, merci beaucoup.

J'appréciais vraiment. Une fois cette histoire terminée, il faudrait que je lui paye un repas, un gros repas, sans aucun doute.

Peu après que Pert fut sorti de la chambre, une jeune infirmière entra pour vérifier ma température et ma tension artérielle. Je lui demandai d'éteindre la lumière avant de sortir. À ce moment-là, seule une faible lumière se faufilait à travers la petite vitre de la porte de la chambre, me permettant de voir les objets qui s'y trouvaient. J'avais réussi à suspendre le numéro de mon téléphone volé. Après cela, je m'allongeai, tenant fermement le téléphone de Pert, essayant de fermer les yeux et de dormir. Mon mal de tête s'était nettement atténué, mais je ne me sentais pas encore tout à fait bien. J'étais certain que cette nuit allait se dérouler sans encombre.

Au bout d'un temps indéterminé, je me réveillai en sursaut au milieu de l'obscurité, la faible lumière du dehors s'infiltrant à l'intérieur, me permettant de voir l'horloge sur le mur. Il était 2 h 45. Le mal de tête s'était considérablement atténué, il avait presque complètement disparu. Je me redressai lentement en position assise, me sentant somnolent au point d'être pratiquement incapable de garder l'équilibre.

Un morceau de papier tomba de ma poitrine sur mes genoux...

Mon cœur battait la chamade...

Qu'est-ce que c'est ?

Mes mains tremblaient et étaient glacées lorsque je saisis la feuille A4 pliée en deux. Je la dépliai lentement. Une belle écriture inscrite à l'intérieur, celle qui était encore fraîche dans ma mémoire, celle que j'avais vue il y a peu.

‘J'ai dit de ne le dire à personne. Vous n'aimez pas que je sois gentil ? Je suppose que je dois vous donner une leçon. Dites au revoir à M. le Procureur.’

Oh non... Mon cœur faillit s'arrêter de battre, saisi par une vague de terreur. Je regardai lentement autour de moi jusqu'à ce que mes yeux trouvent la silhouette d'un homme assis sans bouger sur le canapé.

La seule chose à laquelle je pouvais penser en ce moment était de fuir d'ici le plus vite possible et d'appeler à l'aide. J'avais l'intention de me redresser. Mais je sentis que quelque chose ne tournait pas rond chez moi. Toutes mes forces s'étaient évaporées. Il ne restait plus qu'un état de somnolence. Malgré tous mes efforts, je n'arrivais pas à sortir du lit.

L'ombre se leva et s'approcha rapidement de moi. Je tentai de me retourner pour chercher à tâtons le cordon d'appel et appeler l'infirmière, mais l'ombre me maintint facilement l'épaule pour m'allonger dans ma position initiale. J'eus beau essayer de crier à pleins poumons, une grosse main vêtue d'un gant de cuir noir me couvrit la bouche.

— Si vous ne voulez pas mourir, ne bougez pas, m'ordonna d'une voix ferme la personne qui se trouvait devant moi.

Je ne pus m'empêcher de rester complètement immobile, terrorisé. Il devait s'agir de la même personne qui s'était introduite dans ma maison. Je me souvenais de sa voix et de la façon dont il cachait son visage.

Comment pouvais-je me sentir aussi endormi dans une telle situation ?

Mes yeux se portèrent sur l'ombre de la bouteille de sérum physiologique située à la tête du lit avant que je ne sente ma respiration se bloquer.

Ne me dites pas...

— Juste pour que vous sachiez, je ne voulais pas vous faire ça. Mais c'est vous qui l'avez provoqué.

Il attrapa les perfusions, les réglant avec dextérité. Je tentai d'écarter la main qui enserrait ma bouche, mais en vain. Après avoir réglé la perfusion, l'intrus sortit quelque chose de sa poche de poitrine. Il s'agissait d'une seringue de 5 cc contenant un liquide transparent. Il déplaça sa main et immobilisa mon bras gauche, sur lequel était fixé un cathéter intraveineux sur l'avant-bras. Malgré ma lutte, je ne pus empêcher l'injection dans ma veine.

L'instant d'après, mes paupières étaient lourdes comme du plomb. Un sédatif ? Du diazépam ? Du midazolam ? Je perdis conscience sous l'effet de la drogue qui envahissait mon corps malgré moi.

— Vous avez un secret que personne d'autre ne connaît, Doc.

La voix de l'homme semblait résonner à distance.

— Mais je le connais, et je l'utiliserai contre vous.


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Ven 6 Sep 2024 - 23:28



Chapitre 4
J'entrai dans la salle de classe avec un sourire de victoire. Les amis présents dans la salle tournèrent la tête et me regardèrent avec des yeux pleins de stupeur. Je me dirigeai alors vers un bureau près de la fenêtre et je croisai les jambes en regardant dehors. Et je pris une grande bouffée d'air frais dans mes poumons.

— Bunn !

Whinn, mon camarade de classe, se glissa sur mon bureau, et sa forte voix retentit.

— Merde, Bunn ! Tu déchires !

— De quoi tu parles, Whinn  ? dis-je en me retournant et fronçant les sourcils vers mon camarade de classe.

A ce moment-là, Whinn n'était pas la seule personne à planer au-dessus de mon bureau. Sonn, Poon, Thid et la bande de copains m'entourèrent de leurs cris et de leurs hurlements.

— Comment as-tu fait ?

— Si je ne me trompe pas, n'as-tu pas joué au foot avec moi juste avant l'examen ?!

— Quand est-ce que tu as plongé ton nez dans les livres ?!

Je levai les mains pour faire signe à tout le monde d'arrêter de parler.

— Hé, vous tous, calmez-vous. Merci pour ces mots gentils. Je suis touché, vraiment ?

Et ils se mirent à hurler jusqu'à ce que Mme Phannee, notre professeur principal, entre en scène. Mes amis se dispersèrent rapidement, retournant à leurs places respectives avant qu'elle ne se mette en colère.

— Levez-vous, tout le monde ! prononça Narmfon, notre beau président de classe.

Tout le monde joignit leurs paumes, saluant notre professeur à l'unisson. Mme Phannee fit alors un hochement de tête en guise de réponse.

— Bonjour, chers élèves. Tout d'abord, félicitations aux élèves qui ont réussi l'examen d'entrée à l'université. Vous êtes très brillants.

Son regard sévère se porta sur moi.

— Surtout vous, Mr Bunnakit. Félicitations, vous êtes le seul étudiant à avoir été accepté à l'école de médecine pour cette année académique.

Malgré le compliment peu enthousiaste de Mme Phannee, j'affichai un sourire rempli de provocation. Voyez-vous, Mme Phannee et moi étions proches parce qu'elle m'avait toujours réprimandé au bureau de discipline. J'étais un élève assez indiscipliné, je séchais constamment les cours, je portais mal l'uniforme. Sans parler du fait que je me battais souvent avec des élèves d'une école voisine.

Cependant, même avec tous ces défauts, personne ne pouvait nier mes excellentes compétences académiques. J'aimais étudier. Je m'enthousiasmais chaque fois que je rencontrais une équation de physique ardue et complexe. Mon cœur s'épanouissait de joie chaque fois que j'avais été le premier étudiant à trouver des solutions au calcul. Mes notes n'étaient peut-être pas au mieux de leur forme en raison des nombreuses déductions faites sur mes scores aux tests d'aptitude. Néanmoins, j'avais toujours été l'un des meilleurs élèves de ma classe, et c'est pourquoi j'avais pu garder la tête haute dans cette petite école privée sans me faire renvoyer.

Je devais agir ainsi pour dissimuler quelque chose. Mes comportements indisciplinés me donnaient l'impression d'être redoutable - je devais me comporter comme le chef d'une bande de voyous pour que personne n'ose s'immiscer dans ma vie privée.

Après les cours, je dévalai les escaliers en courant, mon sac sur le dos. Je devais me dépêcher de rentrer à la maison pour fêter ce succès avec mes parents. Le fait que j'aie été accepté dans une école de médecine leur avait causé autant de choc que de fierté. Considérez cela comme une manière de me faire pardonner mes comportements turbulents du passé - Maman, Papa.




— Bunn !

Le son de quelqu'un m'appelant me fit m'arrêter. Je ne me retournai pas pour regarder. Les pas derrière couraient vers moi. Sa main saisit mon poignet.

— Quoi  ? répondis-je en le regardant du coin de l'œil.

— Bunn, je suis désolé, dit-il en serrant fermement mon poignet.

Je retirai sa main et poussai un soupir de lassitude. Heureusement, personne ne passait sur le sentier à cet instant.

Il s'agissait de Tarr, mon camarade de classe au lycée (Terminale), qui se trouvait dans une autre classe. Je regardai froidement son beau visage.

— C'est fini, Tarr, dis-je d'un ton glacial.  Il n'y a pas à s'excuser.

— Mais je ne veux pas que ça se termine. J'ai été un idiot, et je le sais. Je vais arranger les choses. Je dirai à tout le monde que ce n'était qu'une blague.

— Je ne me sentirai pas mieux pour autant.

Je me tournai vers Tarr, les mains dans les poches. Je penchai la tête pour regarder mon ex-petit ami d'un air impassible.

— Fais ce que tu veux. Vas-y, crie à toute l'école que je suis gay. Bientôt, j'aurai intégré un nouveau groupe d’amis à l'université. Je m'en fiche.

Tarr baissa la tête, serrant fermement sa main.

— Mais tu ne penses pas que rompre avec moi juste parce que j'ai parlé de nous à quelqu'un d'autre n'est pas trop exagéré ? Je ne veux pas cacher ça à qui que ce soit.

— Je croyais que tu avais dit que tu voulais arranger les choses en rectifiant la situation. Tu voulais parler de nous à tout le monde tout à l'heure, qu'est-ce qu'il y a ? Tu n'as plus envie d'en parler autant ?

Je rapprochai mon visage du sien.

— C'est fini, Tarr.

J'avais toujours essayé de cacher mon identité sexuelle. Tarr et moi avions commencé à sortir ensemble en Première. Avant cela, je ne le connaissais que comme l'un de mes camarades de classe, mais Tarr s'était intéressé à moi, essayant de m'approcher depuis que j'avais déménagé pour étudier ici. J'avais admiré son courage et nous avions eu une relation secrète pendant plusieurs mois, jusqu'à il y a trois jours. Je ne sais pas ce qui l'avait poussé à le faire. Il avait raconté notre histoire à ses camarades de classe. Alors, ses amis étaient venus me voir et ils m'avaient demandé si c'était vrai ou non.

Bizarrement, je ne m'étais pas senti en colère. Au contraire, j'avais été heureux d'avoir une raison de le larguer. Parce que je n'aimais pas cet homme. À vrai dire, je n'avais jamais aimé personne.

Je sentis la colère émaner de la personne qui se trouvait en face de moi.

— Ne pense pas que tu puisses le cacher à tous les autres étudiants de la faculté de médecine. Tu peux cacher d'autres choses, mais tu ne peux pas cacher celle-là,dit Tarr, d'un ton impassible.

— Ça n'a pas d'importance. Cela n'a rien à voir avec nous, laissai-je échapper dans un soupir audible.

Je tournai les talons et je m'éloignai, sans faire attention à lui. Je savais que je l'avais fait souffrir, mais un homme avec un visage comme le sien n'aurait pas de mal à trouver quelqu'un d'autre. Bientôt, il y aurait une fête de fin d'études au lycée ; tout le monde déploierait ses ailes et s'envolerait loin de la société lycéenne pour relever d'autres défis. J'avais décidé de créer ma nouvelle identité lorsque je deviendrais étudiant en médecine. Bunnakit, le garçon turbulent et nuisible, disparaîtrait. À la place de Bunnakit qui aimait les garçons, il sortirait avec des femmes.

Pourquoi ? Vous vous demandez peut-être.

Eh bien, la société est encline à accepter ce type de relation, voilà pourquoi.

J'atteignis un arrêt de bus situé à proximité de la clôture de mon école, et je m'assis sur un banc à côté d'un garçon en uniforme d'écolier. Je le regardai un moment, puis mes yeux s'égarèrent sur les véhicules dans les rues de la métropole, me remémorant mon passé. À l'époque, j'étais dans une école prestigieuse et j'avais eu une relation publique, qui s'était avérée catastrophique, avec un élève plus âgé que moi. Malgré mes résultats scolaires, je n'avais pas supporté d'être condamné, discriminé et malmené par les autres camarades de classe. C'est pourquoi j'avais quitté cette école prestigieuse pour rejoindre cette petite école privée lorsque j'avais atteint le lycée.

Pourquoi ? Parce que j'étais gay. Même si je sortais avec des hommes, c'était un à la fois. Malgré cela, la société m'avait toujours piétiné avec un dégoût sans bornes. Et pendant ce temps, ils chantaient les louanges des hommes, comme Pert, un coureur de jupons, ou d'autres brutes.

La société m'avait transformé en ce genre d'homme, ma véritable identité s'enroulant dans une carapace épaisse et solide. Tout ce qui était en surface n'était pas réel. Et il en avait toujours été ainsi jusqu'à ce que je grandisse et que j'obtienne mon diplôme de médecin légiste.

Mon identité était devenue un secret profondément enfoui, si profondément que parfois, je n'arrivais même pas à la retrouver. Avec toutes ces pertes d'identité, même moi, j'en avais oublié qui j'étais vraiment.




— Dr. Bunn ! Dr. Bunn ! cria quelqu'un avec effroi.

Je me réveillai en sursaut, les yeux grands ouverts. La lumière brillante qui éclairait mes yeux m'obligea à les fermer rapidement. Je poussai un léger gémissement et levai la main gauche pour me couvrir les yeux.

— Dr. Bunn, vous êtes réveillé  ?

Je perçus un son de soulagement insuppressible.

Je me forçai à ouvrir les yeux pour me laisser entrevoir la lumière. Il s'agissait de la lumière au plafond de cette pièce. Une aide-soignante l'avait peut-être allumée lorsqu'elle était venue prendre mon pouls. Confus, je clignai des yeux précipitamment, me tournant vers l'aide-soignante qui tenait un tensiomètre.

— Qu... Quelle heure est-il ?

— Il est 4 heures du matin, docteur, dit l'aide-soignante, je suis venue vérifier votre tension artérielle et j'ai vu que vous dormiez comme un roc. J'ai dû vous appeler bruyamment, j'ai cru que votre Score(1) avait baissé. Je vous prie de m'excuser si je vous ai fait peur.

— Ce n’est pas grave, dis-je en reposant ma main sur ma tête, avec l'impression d'avoir oublié quelque chose.

La silhouette d'un homme vêtu d'un sweat à capuche noir apparut soudainement dans mon esprit. C'était bien cela. L'intrus s'était faufilé dans ma chambre. Les détails de ce qui s'était passé par la suite étaient flous, comme s'ils étaient enveloppés d'un épais brouillard. Je me tournai rapidement vers le flacon de sérum physiologique, puis vers le cathéter IV implanté dans le creux de mon bras gauche.

Ou n'était-ce qu'un rêve ?

— Quelqu'un est-il entré dans ma chambre la nuit dernière ? demandai-je en me retournant vers l'aide-soignante venue mesurer ma tension artérielle.

— Euh... je n'ai vu personne. Sauf un de vos proches, un grand et beau garçon, qui est venu demander votre chambre hier soir.

Elle devait parler de Pert. Il avait dû prétendre être un faux parent pour obtenir l'autorisation de me rendre visite.

— Et après ?

— Je n'ai vu personne entrer dans le service. Quelque chose ne va pas  ?

Elle plaça un thermomètre sous mon aisselle.

Je laissai échapper une longue expiration de soulagement. Il n'était pas inhabituel de faire des cauchemars après ce genre d'expériences traumatisantes. De toute façon, le meurtrier ne devrait pas pouvoir entrer ici. Un mouvement de doigts agiles ajustant la perfusion et une manipulation habile de l'injection provenaient probablement de mes connaissances mêlées à mes rêves. Le thermomètre émit un son et l'aide-soignante le retira pour relever ma température.

— Pas de fièvre. Reposez-vous, docteur. Le Dr Surasak devrait arriver vers 8 heures pour le premier tour.

— D'accord, dis-je en fermant mes paupières lourdes.

Le Dr Surasak, un chirurgien, était mon collègue. Lui et moi étions assez proches.

Je demandai à l'aide-soignante de laisser la lumière allumée jusqu'au matin. Après qu'elle ait quitté la chambre, je tâtonnai pour attraper le téléphone de Pert, qui était posé à côté de moi. J'allumai l'écran et le regardai en silence. Une sensation de chaleur aiguë me traversa la poitrine, ce qui me rassura. Même si je n'aimais pas beaucoup Pert au lycée, maintenant que nous étions devenus adultes, c'était agréable de l'avoir à mes côtés. Nous étions de bons amis et nous nous entraidions. S'il n'avait pas aimé les femmes, je serais tombé amoureux de lui.

Je secouai la tête pour chasser cette pensée. Non, Bunnakit, tu ne peux pas. Avec ma carrière, ma réputation, les attentes de ma famille et cette société cruelle, je ne pouvais pas me permettre d'avoir des sentiments pour les hommes. Mon bonheur n'était pas essentiel. Ce secret devait rester un secret pour l'éternité.




Surasak et l'interne vinrent à mon chevet à 8 heures précises. Il décida de me laisser sortir de l'hôpital car il n'y avait pas d'hémorragie intra-cérébrale et, dans l'ensemble, mon état s'était considérablement amélioré. Surasak me demanda de prendre quelques jours de repos. Après son départ, la première chose que je fis fut d'appeler Pert pour m'enquérir de l'évolution de la situation et demander des conseils pour trouver un abri temporaire. Ce téléphone portable avait mémorisé le nom de l'autre téléphone en tant que " Téléphone de Pert n° 1 ".

La tonalité d'appel retentit pendant plusieurs instants avant d'être interrompue. Je pressai à nouveau le bouton d'appel - toujours la tonalité de retour d'appel sans réponse.

Un sentiment d'appréhension s'installa progressivement en moi. Pert était peut-être en train de conduire pour se rendre au travail.

J'étais sur le point de l'appeler pour la troisième fois lorsque la porte s'ouvrit d'un coup sec - c'était Fai. La petite femme médecin se dirigea vers mon lit, une expression choquée sur le visage.

— Bunn !

On aurait dit qu'elle était sur le point de pleurer.

— Qu'est-ce qui s'est passé ? Et comment vous sentez-vous ?

Je mis fin à l'appel et me tournai vers elle, lui adressant un petit sourire.

— Je me sens beaucoup mieux.

—  J'ai été choquée ! J'ai appris la nouvelle ce matin. Le dossier dit que vous avez été agressé ? C'est vrai ? Vous l'avez déjà signalé à la police   ?

Fai me bombarda de questions. Je saisis sa fine main, essayant de calmer sa panique. Elle baissa les yeux sur ma main et un léger rougissement apparut sur ses petites joues lisses typiques d'une femme du Nord.

— Je m'en occuperai après ma sortie de l'hôpital. Ne t'inquiète pas. Tu sais que je suis ami avec beaucoup de flics, Fai.

Fai acquiesça.

— S'il vous plaît, dites-moi si je peux vous aider en quoi que ce soit.

Je me dis que j'avais en effet besoin d'aide.

— Fai, peux-tu demander à quelqu'un de me raccompagner   ?




Il était midi et je n'avais toujours pas réussi à contacter Pert. Je mis fin à l'appel avant de charger une grosse valise à l'arrière de la voiture et de fermer la portière avec un bruit sourd. J’avais décidé de rester temporairement à l'hôtel pour des raisons de sécurité. À ce stade, je ne pensais pas pouvoir rentrer chez moi si le meurtrier n'avait pas été appréhendé.

Fai avait demandé à Suthep, l'infirmier des urgences, de me raccompagner chez moi. Par chance, Suthep venait de terminer son service de nuit ; il avait attendu pour me raccompagner à la sortie de l'hôpital. La première chose que j'avais faite en rentrant chez moi avait été de prendre une douche et de m'habiller. J'avais mis toutes les affaires nécessaires dans une valise. Après avoir appelé l'hôtel de la ville pour réserver une chambre, je pris ma voiture et quittai rapidement la maison.

Dès que j'ouvris la porte du seul hôtel luxueux de la ville, un doux parfum parvint à mon nez. Je posai mon sac sur la table en face de la salle de bains et me dirigeai vers le grand lit double, m'y jetant, fatigué. La plaie sur mon front était encore tendue et sensible, mais le mal de tête et la nausée avaient complètement disparu. Je sortis le smartphone blanc et rappelai Pert. Si, par hasard, il avait déjà prévenu la police, alors je n'aurais pas trop de difficultés. Pour l'instant, je devais faire profil bas et continuer à travailler comme d'habitude jusqu'à ce que l'affaire soit réglée et que le meurtrier soit arrêté.

Le numéro que vous avez composé n'est pas disponible...

Je fronçai les sourcils. Il était peut-être au tribunal. Je devrais essayer de le joindre à nouveau après le travail.

Je pris l'ascenseur jusqu'au rez-de-chaussée de l'hôtel. J'avais l'intention de me rendre dans une supérette de l'autre côté de la rue. Je traversai le hall spacieux et magnifiquement décoré de l'hôtel, quelques personnes semblaient être des touristes assis de façon éparse.

— De nos jours, le kidnapping est un jeu d'enfant.

J'entendis une conversation entre deux employés de l'hôtel. Je n'y aurais pas prêté attention si je n'avais pas entendu la phrase suivante d'un autre employé.

— Ouais. C'est d'un procureur qu'il s'agit. Notre province ne semble pas être un endroit où il fait bon vivre.

Quoi !?

Cela me stoppa dans mon élan. Je me tournai vers les deux employés masculins qui discutaient au comptoir et me dirigeai rapidement vers eux. Ils s'écartèrent rapidement l'un de l'autre et me sourirent amicalement.

— Que pouvons-nous faire pour vous, monsieur ?

— De quoi parliez-vous tous les deux à l’instant ? demandai-je nerveusement.

Les employés de l'hôtel affichèrent un léger air choqué.

— Oh... hum, nous parlions des nouvelles sur Internet, monsieur.

— Quelles nouvelles ? dis-je en haussant malgré moi le ton.

— Les nouvelles de l'enlèvement d'un procureur, monsieur. Cela s'est passé dans notre province. Il semble qu'ils aient trouvé sa voiture avec la porte ouverte sur le côté de la route à proximité de la rocade, mais il n'y avait aucun signe du propriétaire de la voiture.




La brise fraîche soufflait sur le balcon du quatrième étage de l'hôtel. Un ciel bleu clair ne laissait entrevoir aucun nuage blanc. La tête baissée, je restai immobile, les deux bras appuyés sur le balcon. Un déluge d'émotions m'envahissait en même temps, plus que je ne pouvais en supporter. Je saisis le téléphone de Pert qui affichait une page d'informations en ligne.

“Le procureur a été mystérieusement enlevé. Possiblement lié à son travail.”

Les nouvelles mentionnaient explicitement que le “Procureur Songsak”, le nom de Pert, avait disparu. Sa voiture avait été retrouvée sur le bord de la route à l'aube. Personne n'avait rien trouvé d'anormal à ce que la voiture soit garée sur le bas-côté de la route, jusqu'à ce qu'on apprenne que le propriétaire de la voiture était le procureur Songsak. Il ne s'était pas présenté au tribunal et personne ne l'avait vu de toute la journée. Je n'en avais pas cru mes yeux lorsque j’avais lu la nouvelle. Cela ne devait pas être lié à son travail - au contraire, je pensais que je pouvais être la cause de sa disparition. Il était possible que l'intrus sache que j'avais raconté ce qui était arrivé à Pert. Peut-être que Pert avait fait quelque chose qui avait alerté le meurtrier, et qu'il avait fait exactement ce qu'il m'avait menacé de faire.

Alors, ce n'était pas un rêve la nuit dernière ?

Je poussai un grognement d'indignation. Je me sentais à l'étroit et j'avais envie d'exploser et de mourir sur-le-champ. Je devrais vraiment abandonner, c'est ça ? Je devrais faire ce que le meurtrier m'avait dit de faire avant que quelqu'un d'autre ne soit blessé.

Ou devrais-je appeler la police moi-même ?

Mais à cet instant, au fond de moi, je ne pouvais pas me résoudre à faire confiance à qui que ce soit. Le meurtrier semblait être un homme qui avait des yeux et des oreilles partout, peut-être une personne de l'intérieur ou qui connaissait certains policiers.. Serait-ce l'un des subordonnés du capitaine ? Les inspecteurs ? Ou peut-être le capitaine lui-même  ?

Je me trouvais à l'endroit où le voile des ténèbres descendait, m'encerclant dans toutes les directions. Je ne pouvais pas voir ce que je devais faire ensuite. Il me forçait à marcher comme une pièce d'échecs sur un échiquier qu'il avait tracé. Je devais falsifier un rapport d'autopsie indiquant que Janejira s'était suicidée et que mon premier rapport sur la manière dont elle était morte était une erreur d'interprétation. À première vue, les preuves indiquant que Janejira avait été assassinée n'étaient peut-être pas évidentes. Mais lorsque je l'avais ouverte, le muscle de son cou n'avait pas pu être endommagé à ce point à la suite d'un suicide. J'aurais pu modifier le rapport d'autopsie, mais la photo du corps disséqué était indéniable. Inutile de dire que j'aurais eu des ennuis plus tard si j'avais falsifié un tel rapport.

Je devais gagner du temps. À ce stade, le processus d'autopsie n'était pas encore terminé. Il restait encore des résultats de laboratoire à obtenir, notamment en ce qui concerne les produits chimiques, les drogues dans le sang et l'urine, ainsi que le sang sous les ongles. Il était regrettable que le meurtrier n'ait laissé aucune trace sur le corps, pas même un seul cheveu.

C'est alors que je décidai de faire quelque chose, j'avais toujours cru en mon instinct, et cette fois-ci n'était pas différente. Je commencerais par le principal suspect, et je trouverais des preuves concrètes pour le condamner avant qu'il ne puisse me faire du mal ou faire du mal aux gens que j'aime.




Je me trouvais devant un bâtiment commercial situé dans un quartier animé du centre de la ville. Une grande affiche en vinyle était accrochée entre deux balcons de l'immeuble commercial. Le message était le suivant : "Cours de soutien par le professeur Tann : cours intensifs pour les admissions au lycée et à l'université / maths, physique, chimie et biologie".

Il était presque 18 heures. Je vis des adolescents en uniforme scolaire ou en tenue décontractée sortir de l'immeuble et échanger quelques mots. Je pris mon téléphone pour m'assurer que je ne m'étais pas trompé d'endroit avant d'entrer sans hésitation à l'intérieur.

Professeur Tann, ou M. Weerapong Yodsungnern, âgé de 26 ans, était titulaire d'un diplôme en biochimie (avec mention) de la faculté des sciences de l'université la plus réputée du Nord. Il avait ouvert cette école de bachotage depuis un an. Les informations que j'avais obtenues n'étaient pas difficiles à trouver - il suffisait d'ouvrir le fil d'actualité concernant la mort de Janejira, de copier "Weerapong", l'ex-petit ami de la défunte, qui avait découvert le corps, et de chercher des informations sur cette personne. Les informations indiquant ses études étaient apparues clairement sur la page Facebook "Cours de soutien par le professeur Tann", accompagnées d'une carte pratique qui m'avait conduit jusqu'à cet endroit précis. Me voilà donc sur place.

Au rez-de-chaussée du bâtiment, le lieu était aménagé en salle d'attente pour les élèves qui attendaient leurs cours ou pour ceux qui attendaient leurs parents. Je pensai que cet endroit devait être trop grand pour qu'il puisse le gérer seul. Je me dirigeai directement vers une petite pièce séparée par une porte en verre, avec un panneau vert sur la façade, disant : INFORMATIONS.

— Je peux vous aider  ?

Une voix douce s'exprimant dans le dialecte local me salua dès que j'ouvris la porte. Je regardai le propriétaire de la voix qui était assis derrière un bureau rempli de paperasse.

— Uh…

Je devais faire en sorte d'être convaincant.

— Je veux plus d'informations sur les cours pour ma nièce.

— Oh ! Bien sûr, quels sont les cours qui intéressent votre nièce ?

—  Quels sont les sujets enseignés par le professeur Tann ?

—  Biologie et chimie.

La femme me sourit gentiment.

—  Si je veux le voir, où puis-je le trouver ?

Son sourire s'assombrit un peu.

— Le professeur Tann enseigne aux élèves en ce moment. Le cours devrait se terminer vers 19 heures.

Sa petite amie venait de mourir, mais il pouvait encore enseigner. Cela me rendit encore plus méfiant.

— Je vous remercie. Dites-lui que quelqu'un veut le rencontrer. J'attendrai à l'entrée.

Je fis demi-tour et sortis de la salle pour m'asseoir sur un banc avec des lycéens.

Je regardai le téléphone de Pert dans ma main, le cœur serré à l'idée que mon meilleur ami avait peut-être déjà été tué. Je savais que c'était risqué. Je n'avais pas apporté d'armes avec moi, mais j'utiliserais cet endroit bruyant et bondé à mon avantage - un bouclier pour me protéger. Je voulais voir son visage, sa silhouette et écouter la voix de celui qui s'appelait Tann. S'il était vraiment le meurtrier, au moins mon apparition aujourd'hui était une déclaration indiquant que je ne resterai pas les bras croisés et que je ne le laisserai pas me bousculer, sans rien faire. Je le mettrai en prison et je récupèrerai Pert.

Le temps passa lentement. Je regardais les jeunes étudiants qui se levaient et quittaient le bâtiment un par un, jusqu'à ce qu'il ne reste plus que moi et une fille qui jouait à un jeu mobile dans un coin de la pièce. L'horloge accrochée au mur indiquait 19 heures. Je pouvais entendre des mouvements provenant de l'étage supérieur, un flot de bavardages insignifiants qui s'intensifia progressivement. Je vis ensuite un groupe d'étudiants descendre de l'étage supérieur. Le cours du professeur Tan devait déjà être terminé. Je me redressai et jetai un coup d'œil aux escaliers.

C'est alors que je le vis. Derrière les élèves, un homme de grande taille descendait les escaliers. Il portait une chemise noire et un jean. L'homme parlait et faisait un geste pour expliquer quelque chose à la fille qui marchait à ses côtés. Lorsqu'ils atteignirent le rez-de-chaussée, la jeune fille le salua traditionnellement en lui disant au revoir. L'homme répondit par un sourire avant de se diriger directement vers la pièce derrière la vitre, celle dans laquelle j'étais entré tout à l'heure.

J'étais prêt. Je mis mes mains dans mes poches, fixant la porte vitrée avec impatience.

Le professeur Tann quitta à nouveau la salle, regardant autour de lui comme s'il cherchait quelqu'un. C'est alors que ses yeux se posèrent sur moi. Je remarquai une expression de stupéfaction dans le regard de l'homme qui se trouvait devant moi.

Il n'y avait pas lieu d'être choqué comme ça. Les coins de ma bouche se relevèrent légèrement. Je ne pensais pas m'être trompé d'endroit.

Il se rapprocha de moi. Sans le vouloir, je reculai d'un pas, observant son physique avec attention. Avec sa taille et sa silhouette, Tann pouvait passer pour le tueur, sans parler de sa personnalité et de son beau visage, qui le rendaient redoutable et attirant dans une certaine mesure. Il dégageait cette impression d'être un bon professeur.

— Vous voulez me parler, monsieur  ?

C'est alors que j'entendis sa voix.

Tann avait une voix profonde et puissante. Sa voix pouvait captiver l'attention de l'auditeur et l'amener à se concentrer sur ses paroles. Je laissai entrer sa voix dans mon esprit, la comparant à celle de l'intrus que j'avais entendu.

Difficile à dire...

Dans mon souvenir, la voix de l'agresseur avait un ton grave semblable à celui-ci, mais chaque syllabe était prononcée à travers un masque de tissu qui rendait la voix anormalement étouffée. À cet instant, tout ce que je pouvais dire, c'est que la voix de Tann était quelque peu similaire à celle de l'intrus, bien qu'il n'y ait pas de certitude à ce sujet. Il était difficile de se souvenir de la voix d'un étranger, surtout dans une situation extrême où l'on était blessé à la tête. Vous voyez, c'était un peu miraculeux que je puisse encore me souvenir de ce qui m'était arrivé.

— Monsieur ? m'appela Tann alors que j'étais devenu silencieux.

Je me repris rapidement et levai les yeux vers l'homme un peu plus jeune - et pourtant un peu plus grand.

— Professeur Tann, c'est ça ?

— Oui, c'est bien moi, répondit Tann. Je vis son regard se porter sur la compresse de la plaie de mon front, puis redescendre rapidement.

— J'ai des questions sur les cours de soutien…

Je maintins la mascarade de mes motivations subtiles, tout en scrutant le comportement de l'homme en face de moi. Tout ce qui paraissait suspect chez lui n'échapperait pas aux yeux aiguisés du médecin légiste que j’étais.

— Ma nièce veut intégrer une école de médecine. J'aimerais avoir des détails sur un cours de biologie, vos horaires d'enseignement et son contenu.

C'est alors que je remarquai quelque chose sur le côté gauche de la tempe de Tann, bien que quelques cheveux sur le devant le dissimulaient. Mais je pouvais voir un petit sparadrap translucide et imperméable couvrant sa tempe gauche, un minuscule point de sang s'infiltrant visiblement à travers le sparadrap. La zone autour de la blessure était une ecchymose rouge foncé, avec un contour circulaire d'un diamètre de 3 centimètres. Le contour n'était cependant pas net, et ce type d'ecchymose avait été causé par un objet contondant. Celle-ci avait dû se produire au cours des 24 heures précédentes, car l'ecchymose rouge foncé semblait relativement fraîche.

Après l'analyse, mes yeux parcoururent rapidement le corps de Tann de la tête aux pieds pour trouver la cause possible de la blessure à la tête. Je cherchai d'autres blessures sur son corps. S'il avait des ecchymoses et de petites coupures éparpillées sur ses membres, la blessure pouvait résulter d’un accident de la route. En revanche, si la blessure apparaissait sur des parties essentielles du corps, comme la tête, il s'agissait plus probablement d'une agression que d'une collision. Tout ce que je pouvais voir de sa peau visible en dehors de ses vêtements, c'était qu'il n'y avait pas d'autres blessures sur son corps.

Les soupçons s'installèrent rapidement dans mon esprit. Je ne me souvenais plus si l'agresseur avait une blessure sur le front.

— Je donne des cours de biologie les lundis, mercredis, vendredis et week-ends, l'après-midi. Le contenu comprend le programme de biologie du lycée. Je me concentre sur les enseignements obligatoires qui figurent souvent dans les examens. Mais si votre nièce veut entrer à l'école de médecine, je pourrais mettre en place un cours spécial pour elle, axé sur les examens de quota et l'examen COTMES(2).

Tann leva son poignet pour regarder sa montre, comme s'il était pressé d'aller quelque part.

— Si cela vous intéresse, vous pouvez contacter Pim, la femme, dans cette pièce.

Il désigna la pièce derrière la vitre où je me trouvais auparavant.

— Merci.

Mes yeux restèrent fixés sur son visage avec insistance. Si cette personne était vraiment un meurtrier, elle était capable de jouer un rôle très convaincant.

— Maintenant, si vous voulez bien m'excuser, je dois y aller.

Tann s'inclina légèrement pour s'excuser et s'éloigner. Je me retournai et mes yeux suivirent sa grande silhouette qui s'arrêta soudainement. Il se retourna à nouveau vers moi. La peur commença à s'accumuler dans ma poitrine.

— Vous êtes… un officier de police, n'est-ce pas  ? dit Tann.

Je n'avais jamais été aussi confus de ma vie.

— Je vous ai vu sur les lieux. Vous portiez une chemise où il était écrit “Police Scientifique”. Êtes-vous un détective  ?

Tann s'approcha de moi et me tendit un morceau de papier.

— Tenez, c'est ma carte de visite. Contactez-moi, s'il vous plaît. Je voulais savoir si Jane s'était vraiment suicidée.

C'était peut-être la raison pour laquelle il avait l'air choqué de me voir au début. C'était la première fois que la tristesse apparaissait sur son visage. Je restai bouche bée, je ne savais pas quoi répondre. Après avoir rencontré Tann, j'avais l'impression que tout s'était enchevêtré et qu'il était devenu impossible de trouver une solution. Je pris sa carte de visite.

— Dans la journée, la police m'a convoqué au poste. Ils m'ont demandé où je me trouvais la nuit précédant la découverte de Jane. Heureusement, ce soir-là, je me suis rendu au mariage de mon ami et nous avons fait la fête. J'ai des témoins qui peuvent confirmer que je suis resté avec mes amis toute la nuit. Sinon, je serais certainement devenu le suspect numéro un. Tann soupira doucement.

— Vous soupçonnez que Jane a été assassinée ?

Je ne dis rien. Les roues tournaient à plein régime dans mon cerveau afin d'assimiler les choses. Que se passait-il exactement ?

— … c'est un secret, n'est-ce pas  ? dit Tann, avec une expression de malaise. Si vous pouvez me donner des détails, pouvez-vous me contacter, monsieur l'agent ? Ou si vous voulez mon aide, je serai ravi de vous aider pour quoi que ce soit. Maintenant, si vous voulez bien m'excuser, je dois aller faire quelques courses.

Je tenais toujours cette carte de visite dans ma main, alors que son propriétaire, dont le nom était inscrit dessus, était déjà sorti du bâtiment. J'avais l'impression d'avoir tourné au coin d'un labyrinthe et de me retrouver dans une impasse. M’étais-je trompé de chemin ? Je fermai les yeux, essayant de me concentrer. En ce moment, tout ressemblait à des morceaux de puzzle mal placés, éparpillés dans toutes les directions. La pièce que j'essayais de trouver était celle qui se trouvait à l'angle de tout le puzzle. C'était la pièce la plus appropriée - un point de départ - pour réassembler les pièces suivantes du puzzle. Mais je n'avais pas encore trouvé la pièce dont j'avais besoin. Je n'en étais même pas proche.

Mais je continuais à croire qu'il y avait quelque chose d'anormal chez Tann. Si c'était un tueur, il devait savoir qui j'étais. Mais maintenant, il pourrait faire semblant de ne pas me connaître. Je devrais le suivre, voir où il prévoit d'aller si rapidement. Peut-être trouverais-je quelque chose qui pourrait servir de preuve pour condamner cet homme, ou si je découvrais qu'il essayait de s'enfuir, ce serait aussi une autre preuve prometteuse pour appuyer ma supposition.

Ce fut dans cette optique que je sortis de l'immeuble sans perdre de temps. Depuis que la lumière du soir avait presque disparu, l'air extérieur était devenu plus froid. Je tournai la tête de gauche à droite, à la recherche de ma cible. Tann se dirigeait vers une voiture noire garée à une courte distance de la porte de l'école.

Je mémorisai les détails de la voiture et son numéro de plaque d'immatriculation avant de me diriger vers ma propre voiture, garée plus près du portail.

Je te mettrai derrière les barreaux, Tann, parce que tu es le meurtrier.

Notes :
1/ Score Drop : terme abrégé pour le score de Glasgow Coma, qui permet d'évaluer l'état de conscience des patients. Le personnel médical utilise ce score pour évaluer les patients souffrant d'une commotion cérébrale et pour surveiller les hémorragies cérébrales.
2/ COTMES exam: Consortium of Thai Medical Schools Exam

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Ven 6 Sep 2024 - 23:28



Chapitre 5
Je n'étais pas un expert en matière de traque. Même si je travaillais dans le domaine de la profession juridique, je n'étais qu'un simple médecin. Je ne savais tout simplement pas comment suivre sa voiture sans l'alerter de ma filature, surtout sur une route déserte comme celle-ci. Il n'y avait pas beaucoup de véhicules dans cette petite province, en particulier à la tombée de la nuit. Les habitants de cette petite ville rentraient chez eux. La route qui était emplie de mouvements de véhicules pendant la journée commençait à retrouver son calme. À ce moment-là, il n'y avait qu'une camionnette et une moto qui roulaient derrière moi, ce qui me donnait une certaine impression de calme.

Je suivais Tann en gardant une distance d'environ 50 à 100 mètres depuis un certain temps déjà. La voiture noire devant moi n'avançait pas très vite. Je canalisais toute ma concentration vers la cible.

C'est alors que la voiture noire mit son clignotant à gauche.

Je regardai rapidement l'endroit où Tann s'apprêtait à tourner. Il quitta la route principale, se dirigeant vers une petite ruelle dans laquelle se trouvait une vieille maison en bois. Je ralentis la voiture, la garant sur le côté gauche de la route et j'éteignis rapidement les phares. Je regardai à l'intérieur de la ruelle dans laquelle Tann venait d'entrer. C'était une petite ruelle sombre, avec seulement quelques lumières fluorescentes. La voiture de Tann, phares éteints, s'arrêta devant la clôture de la maison en bois. A l'intérieur, la maison était complètement sombre, l'ombre des arbres à longanes en obscurcissait certaines parties.

Est-ce qu'il vivait ici ? Il était peu probable que le propriétaire de la plus grande école de tutorat de la province puisse vivre dans ce type de maison.

Je décidai d'éteindre le moteur, descendis de la voiture et fermai la portière sans la claquer  pour éviter tout bruit. Je savais que c'était dangereux. Cependant, dans une situation qui m'obligeait à démasquer l'identité du tueur, je n'avais pas d'autre choix que de trouver des preuves à l'appui de mes suppositions. Je me levai et regardai à l'intérieur de la maison en bois qui était complètement plongée dans le noir. Je ne vis aucun signe de présence d'autres personnes à l'intérieur. Je cherchai un moyen de pénétrer à l'intérieur. La porte était rouillée et délabrée, une clôture en béton construite de façon terriblement sommaire et dépourvue de tout équipement de protection. Je me dis qu'il ne devrait pas être difficile d'y pénétrer, mais je n'avais pas l'intention de m'introduire dans la maison de Tann pour l'instant. Je reviendrai quand Tann enseignerait à l'école de tutorat.

Une fois que j'eus rassemblé toutes les informations nécessaires sur les environs, je retournai rapidement à ma voiture. Je n'avais fait que deux pas vers ma destination quand, soudain, la voix de quelqu'un résonna dans l'obscurité jusqu'à mes oreilles.

— Pourquoi me suivez-vous ?

Je tournai la tête dans la direction de la voix. Un homme sortit de l'ombre où il s'était caché. Je ne perdis pas de temps à trouver un quelconque terrain d'entente et je m'élançai vers la voiture qui bloquait l'entrée de la ruelle. J'entendis les pas de l'homme derrière qui me poursuivait. Mon cœur faillit bondir hors de ma poitrine. J'allais atteindre ma voiture, à quelques mètres de là.

Les bras longs et forts s'enroulèrent autour de mon torse, l'énorme élan de vitesse de l'homme derrière moi nous jeta tous les deux au sol, nous faisant rouler. C'est Tann qui se retrouva sur moi, j'essayai de le repousser. Au lieu de cela, Tann agrippa mes deux poignets, m'empêchant de le repousser.

— Lâchez-moi ! criai-je, essayant de m'échapper de cet emprisonnement.

Je vis une expression de choc après qu'il eut découvert mon visage.

— Officier !?

Il relâcha rapidement sa prise sur mon poignet et se redressa sur ses pieds.

— Désolé, je n'avais pas vu que c'était vous ! Ça va ?

Je me mis sur le ventre et me relevai du sol. La chute avait provoqué une douleur lancinante dans tout mon corps, et mes bras devaient être couverts d'écorchures. Tann s'avança pour me saisir le haut du bras, essayant de me remettre sur pied, mais je dégageai vivement mon bras, refusant son aide.

— Je suis désolé. J'ai vu que quelqu'un me suivait en voiture. J'ai eu peur, alors je me suis faufilé dans cette ruelle pour voir si quelqu'un m'avait vraiment suivi. Je ne pensais pas que c'était vous.

Tann leva les mains pour exprimer sa sincérité, tout en respirant difficilement.

Je reculai d'un pas, mon cœur battait encore la chamade. Je regardai le grand homme avec méfiance. Pouvais-je croire ce qu'il disait ?

— La police soupçonne toujours que j'ai tué Jane, n'est-ce pas ? C'est pour ça qu'ils ont mis un officier à mes trousses, c'est ça ? Je vous ai déjà dit que je ne l'avais pas fait. J'étais ailleurs cette nuit-là. Et je vous ai déjà donné le numéro du témoin qui pourrait confirmer l'affaire, j'ai des amis qui...

— Vous êtes le meurtrier, répliquai-je avant qu'il n'ait le temps de terminer.

Tann s'interrompit, abasourdi.

— Ce n'est pas le cas, vous vous méprenez.

— Où est le procureur  ?

Je commençais à reprendre mes esprits. J'essayais de dire beaucoup de choses pour voir la réaction de l'homme. Je pouvais encore distinguer son comportement malgré la faible luminosité.

— De quoi parlez-vous  ? dit Tann en fronçant les sourcils. Que se passe-t-il exactement, monsieur l'agent ?

— Et je ne suis pas policier, je suis médecin.

Les yeux de Tann s'écarquillèrent.

— Quoi...

— Je suis médecin légiste et j'ai pratiqué une autopsie sur Mme Tanejira. J'ai été le premier à savoir qu'elle avait été assassinée.

La réaction de l'homme en face de moi ne fut pas du tout celle à laquelle je m'attendais. Tann semblait choqué par ce qu'il venait d'entendre de ma bouche.

— Vous êtes déjà au courant. Vous avez demandé le rapport d'autopsie à votre collègue policier, et lorsque vous avez appris que j'avais conclu à un meurtre, vous m'avez menacé pour que je fasse un faux rapport disant qu'il s'agissait d'un suicide. Avec ça, vous seriez tiré d'affaires.

Tout en parlant, je m'éloignai de lui.

Tann resta là, silencieux. J'étais persuadé que ce que j'avais dit avait déclenché quelque chose en lui. Je me disais que j'aurais bientôt la chance de voir cet homme agir, ce qui confirmerait ma conviction.

— Y a-t-il une preuve que c'est moi  ? demanda Tann tout en fronçant les sourcils.

Franchement, je n'en avais aucune. Je n'avais aucune preuve pour affirmer que Tann était le meurtrier, je n'avais que mes spéculations instinctives ainsi que des statistiques sur les cas d'homicides de femmes dans le monde. Environ la moitié des femmes victimes d'homicide avaient été tuées par leur amant. Un certain nombre de cas d'homicide sur lesquels j'avais pratiqué une autopsie le laissaient supposer.

Je décidai de ne rien dire, de faire demi-tour et de retourner en courant à ma voiture. J'entendis la protestation de Tann, mais je me moquais bien de ce qu'il disait. La porte étant restée légèrement entrouverte, je me faufilai sur le siège conducteur, verrouillai la porte et appuyai sur un bouton pour démarrer le moteur. Je vis Tan se précipiter en avant, bloquant le passage devant ma voiture. Voyant cela, je mis la voiture en marche arrière et tournai à droite, retournant sur la route en toute hâte. Il se pouvait que je n'obtienne aucune preuve cette fois-ci. Mais j'étais certain que si Tann était le véritable meurtrier, ma présence devant ses yeux prouverait que je n'étais pas un imbécile. S'il pouvait me trouver, je pouvais le trouver aussi.

C'était la première fois que je voulais que l'agresseur revienne, car j'étais sûr que si Tann était vraiment ce type, je serais capable de le reconnaître tout de suite. Cependant, si Tann était assez intelligent, il n'oserait plus me menacer ou me faire du mal, car je serais capable de reconnaître qui il est, et donc de le démasquer.

Couvre-toi le visage et reviens vers moi. Je te mets au défi, Tann.




— Dr Bunn !

Tik, l'infirmière des urgences, courut derrière moi alors que j'entrais dans la salle d'urgence et que je me dirigeais directement vers la salle d'examen médico-légal, un endroit réservé à mon travail de légiste. Cette petite salle d'examen n'occupait que quelques mètres carrés des urgences. Malgré sa petite taille, c'était mieux que rien, car ce type d'examen nécessitait un endroit relativement isolé, car des vêtements pouvaient être retirés des corps... Pratiquer un examen médico-légal au milieu des urgences ne serait pas très approprié, étant donné l'endroit.

— Combien de cas ai-je aujourd'hui ? demandai-je sans me tourner vers l'infirmière qui avait une expression paniquée sur le visage.

— Ça va aller, docteur ? Vous n'avez pas pris de repos  ?

Tik accéléra et me bloqua le chemin avant que je ne puisse pénétrer dans la salle d'examen.

— Vous pouvez demander aux internes de faire l'examen pour vous, docteur.

— Inutile de les déranger, je vais le faire moi-même, dis-je en regardant l'infirmière d'âge moyen qui se tenait devant la porte de la salle d'examen, les bras en croix, bloquant l'entrée.

— Mais vous êtes sorti de l'hôpital hier.

Je soupirai doucement avant de lui faire un faux sourire.

— Je vais très bien, ma belle.

La nuit dernière, après être rentré à l'hôtel, je n'avais pas réussi à dormir. J'avais fini par rester dans le hall jusqu'à une heure du matin. J'avais donc pris la décision de venir travailler aujourd'hui, car la peur avait pris le dessus sur moi. Il valait mieux que je sois dans un endroit entouré de gens, je me sentais plus en sécurité. Aussi lâche que cela puisse paraître, dans cette situation, je ne voulais pas être seul. C'était vraiment dommage que je vive seul, dans un endroit isolé, loin de ma famille et de mes proches. Personne ne pouvait me tenir compagnie pendant tout ce temps. Aujourd'hui, c'était probablement la première fois que je souhaitais ne pas avoir à quitter mon travail. Je voulais continuer à rester à l'hôpital.

Au moins, je pouvais faire mon travail comme je l'entendais. Ma tâche actuelle consistait à délivrer des documents juridiques, la plupart du temps des certificats médicaux pour des demandes d'assurance maladie ou dans le cadre de lois sur les accidents. Il était rare que je rencontre des patients qui avaient été agressés physiquement ou sexuellement. Je les examinais de la tête aux pieds à la recherche de signes de blessures, j'en évaluais la gravité, je déterminais l'ancienneté de la blessure et le temps qu'il faudrait pour la traiter.

Le premier patient était un jeune homme à la silhouette élancée, vêtu d'un tee-shirt et d'un short. Ses membres étaient couverts d'écorchures et, d'un seul coup d'œil, je compris que ce garçon avait dû être blessé lors d'un accident de la route. L'infirmière le guida pour qu'il s'assoie sur une chaise ronde disposée au milieu de la pièce. Je pris le dossier du patient que l'infirmière me tendait et enfilai les gants tandis qu'elle découvrait la plaie pour moi.

— M. Sorrawit Kamma, n'est-ce pas ?, demandai-je au garçon. Quel âge avez-vous ?

— Dix-huit ans, Monsieur.

— Que s'est-il passé ? Quel jour ? À quelle heure ? Racontez-moi.

— Eh bien, je cond’sais ma moto. Vers 20-21 heures. Y’avait un trou sur l’route mais je ne l'ai pas vu. J'ai heurté l’trou et j'ai glissé sur le côté de l’route. Je roulais pas vite.

Il me fallut un certain temps pour essayer de comprendre le dialecte. Deux années passées dans le Nord m'avaient permis de saisir quelques phrases du dialecte nordique, même si j'étais incapable de le parler. Tout ce que je pus saisir de son histoire, c'était que, vers 21 heures hier soir, ce garçon conduisait une moto avant de heurter un nid-de-poule et de tomber sur le bas-côté de la route.

— Vous portiez un casque  ? lui demandai-je en khammeuang, le dialecte du Nord, avec mon accent de Bangkok.

— J’en portais pas, m’sieur.

Je notai les détails dans le dossier avant d'ôter les vêtements du garçon pour vérifier s'il y avait des blessures sur tout son corps. Il y avait des écorchures sur son front, ses joues, son bras droit et sa cheville. Je ne remarquai aucune blessure inhabituelle. Je fis des dessins et écrivis une description de la blessure à l'intérieur d'un diagramme humain vierge conçu pour faciliter l'enregistrement des blessures.

— C’est quoi vot’ nom, Doc ? demanda le jeune homme avec un regard brillant. Vous êtes mignon, Doc, vous le saviez ?

L'infirmière gloussa pendant que je faisais semblant d'ignorer ce commentaire. En temps normal, j'aurais répliqué en plaisantant avec ce garçon. Mais à cet instant, je n'étais pas d'humeur à le faire.

— Levez les bras comme ceci, montrai-je, en levant les bras de façon à ce que mes coudes soient dirigés vers l'avant et en plaçant mes mains derrière la tête.

Le patient imita ma posture. Je ne m'attendais pas à d'autres blessures que des égratignures.

Eh... ?

Sur les avant-bras du garçon, il y avait deux ecchymoses parallèles l'une à l'autre, avec une couleur de peau normale entre les deux. Ces ecchymoses avaient probablement été causées par un objet long et contondant, comme une barre. Les ecchymoses se situaient dans la zone qu'une personne utiliserait en cas d'autodéfense. Imaginez que quelqu'un vous frappe avec un gourdin, vous lèveriez automatiquement les bras pour bloquer le coup. Par conséquent, vous auriez des traces de blessures défensives sur l'intérieur de vos avant-bras.

Le problème de ce garçon n'était pas seulement un accident de moto, il avait aussi été agressé.

— Quelqu'un vous a frappé  ? demandai-je au jeune homme.

Il sursauta légèrement, un air de panique sur le visage.

— N... non, monsieur. Seulement un accident de moto.

Le garçon baissa rapidement les bras et les croisa sur sa poitrine.

— Si vous me le dites, je vous dirai mon nom, utilisai-je comme astuce pour le séduire.

Sorrawit bégaya un peu avant de l'admettre.

— J'ai été frappé par des gangsters avant mon accident.

— Ok, dis-je en notant plus de détails sur le dossier après avoir enlevé mes gants. Vous n'avez pas signalé cela à la police, n'est-ce pas ?

— Non, m'sieur. Je l'ai pas fait. J’veux pas me frotter à eux. J’veux juste un certificat médical pour mon congé maladie.

Le jeune homme se retourna pour me regarder.

— Vous êtes incroyable, Doc.

— D'accord, je vais vous faire un certificat médical. Veuillez attendre dehors.

Je me tournai vers le jeune homme qui m'observait avec impatience.

— Oh... je suis le docteur Bunnakit, au fait. Si vous avez besoin d'autre chose, vous pouvez revenir me voir.




Il me fallut deux heures pour terminer l'examen de tous les patients. Une fois mon travail terminé, je sortis de la petite salle d'examen. Une infirmière s'approcha de moi et me dit qu'il y avait le corps d'une personne décédée à l'hôpital qui attendait mon examen post-mortem au service de médecine légale. Je décidai d'aller manger quelque part devant l'hôpital avant de retourner au travail. Je sortis le téléphone de Pert et le regardai. Personne ne m'avait appelé via ce téléphone. Ce n'était pas une surprise, étant donné que le téléphone portable que j'utilisais en ce moment n'était pas le mien.

— Docteur !

Une voix familière m'interpella alors que je sortais des urgences. Alarmé, je tournai rapidement la tête pour regarder la personne qui m'appelait. Un homme de grande taille s'approcha de moi à grandes enjambées, le visage empreint d'une certaine appréhension.

Tann ! Je reculai automatiquement, regardant l'homme qui avait surgi de nulle part. Mon cœur s'emballa sous l'effet de la peur. C'était le meurtrier. Bien sûr, il devait savoir où je travaillais. Mais je ne pensais pas qu'il viendrait me voir en personne comme ça, sous sa véritable identité, qui plus est.

— Je suis ici pour montrer sincèrement que ce n'est pas moi qui l'ai fait. Si vous êtes disponible, pouvons-nous parler, docteur ?

— Je suis occupé, dis-je en m’éloignant rapidement.

Tann me suivit à la trace, implacable.

— Après ce qui s'est passé hier soir, vous n'avez vraiment rien à me dire  ?

Tann haussa le ton, les yeux de tout le monde - infirmières et patients - devant les urgences se posèrent soudain sur nous.

— Qu'est-ce qui se passe exactement ? Qu'est-il arrivé à Jane ? J'ai essayé de demander à la police, mais ils ne m'ont donné aucune réponse.

Je ne lui répondis pas. Je me précipitai pour sortir de cet endroit.

Je ne suis pas tombé dans ton piège...

Je mis à profit ma connaissance des couloirs de l'hôpital, me faufilant parmi la foule de gens et de couvertures jusqu'à ce que j'aie réussi à semer Tann. Je me dirigeai directement vers le service de médecine légale, pensant me réfugier un moment dans la salle d'autopsie.

Je vis un homme qui attendait sur une chaise devant le service médico-légal. Il se leva dès qu'il me vit, et je faillis crier en le voyant : le capitaine Aem. Le capitaine était en tenue décontractée et sa grande silhouette s'approcha de moi.

— Pourquoi ne puis-je pas vous joindre, docteur Bunn ? J'ai demandé à vos collègues, et ils n'ont cessé de me donner votre ancien numéro.

— Aem ! dis-je en courant vers lui. J'ai perdu mon téléphone.

Le capitaine Aem soupira et jeta un coup d'œil à la blessure que j'avais au front.

— Qu'est-ce qui s'est passé ?

— ...

C'était peut-être l'occasion d'en parler au capitaine Aem. Devais-je tout lui dire ? Si je le faisais, le tueur le saurait-il ? Que se passerait-il s'il l'apprenait ? Pouvais-je faire confiance à cet officier de police ? Etait-il du côté de l'assassin ? Tout était imprévisible.

— Aem, qu'est-ce qui vous amène ici  ? m'empressai-je de changer de sujet.

— Deux raisons. La première est que je ne peux pas vous contacter. La seconde, c'est à propos du procureur…

Mon cœur se serra en entendant cela.

— Je travaille sur cette affaire. Je suppose que vous avez déjà entendu la nouvelle ?

Je hochai la tête.

— Doc, avez-vous des indices ? Je sais que vous êtes tous les deux amis. Savez-vous s'il a des conflits avec quelqu'un  ? poursuivit le capitaine Aem.

Je restai silencieux pendant quelques secondes avant de secouer lentement la tête.

— Je ne sais pas vraiment non plus.

— Quand vous serez disponible, docteur, rejoignez-moi au poste de police pour en discuter plus en détail. Et j'aimerais aussi avoir votre nouveau numéro.

Comme je ne connaissais pas le numéro de ce téléphone, je demandai celui du capitaine et le composai une fois. Après avoir échangé nos numéros, le capitaine me dit au revoir et quitta les lieux. Je m'enfonçai avec lassitude dans le fauteuil qui se trouvait devant le département de médecine légale. Tout me paraissait trop lourd pour que je puisse porter le fardeau tout seul.

Même si j'avais l'impression de ne pouvoir faire confiance à personne, je voulais que quelqu'un sache ce qui m'était arrivé. Je voulais surtout que quelqu'un m'aide à comprendre. Cette personne devrait être Pert, mais il n'était plus là. Je ne savais même pas s'il était mort ou vivant. Je levai les yeux au plafond sans but précis. Jusqu'à présent, la police n'avait pas trouvé d'autres preuves ? Pas d'images de vidéosurveillance ou quoi que ce soit qui puisse indiquer que quelqu'un avait tué Janejira ? Je voulais vraiment interroger le capitaine Aem à ce sujet, mais si je le faisais, cela aurait-il d'autres conséquences ? Un de mes proches disparaîtrait-il à nouveau ?

Je levai les mains pour me frotter la tempe, fermant les yeux, laissant échapper un soupir pour apaiser ma mélancolie.

A cet instant, je perçus des bruits de pas qui s'approchaient de moi.

— Docteur…

Et voilà, Tann m'avait trouvé.


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Ven 6 Sep 2024 - 23:28



Chapitre 6
Je m'arrêtai sur le bas-côté de la route dès que j'entendis les pleurs de Prae.
— Qu'est-ce qui ne va pas ? demandai-je sans regarder la jeune femme assise à côté du siège conducteur.

J'avais déjà remarqué le comportement inhabituel de Prae. Elle portait encore son uniforme d'employée de banque, car je venais de la récupérer à son bureau. Elle se couvrait le visage de ses mains en sanglotant. Je poussai un long soupir.

— Prae ?

— Je suis déjà au courant de tout, Bunn.

Ses beaux yeux baignés de larmes se tournèrent brusquement vers moi. Son regard était rempli de colère.

— Au courant de quoi  ? demandai-je en fronçant les sourcils.

— Pourquoi fallait-il que tu fasses ça ? Combien de femmes as-tu bernées ? Tu n'as pas pitié de moi ?!

Prae parlait d'une voix forte. J'étais sur le point d'ouvrir la bouche et de demander de quoi il s'agissait, mais elle m'interrompit.

— Qu'est-ce que j'ai fait pour mériter ça ? Pourquoi m'as-tu dupée ?!

— Attends, attends ! Qu'est-ce que tu racontes ? Je ne comprends pas.

— Le fait que tu sois gay, Bunn ! Et que tu sortes avec des femmes pour te couvrir !"

Mon cœur faillit s'arrêter à ce moment-là. Je ne savais pas d'où elle tenait ces informations.

— De quoi tu parles ?

— Eh bien, je le sais grâce à ton ex, Bunn. C'est un ami de mon ami. Il a su que toi et moi sortions ensemble, alors il a demandé à mon ami de me prévenir.

Elle releva ses manches et s'essuya les yeux. Je restais assis, essayant d'assimiler ce qu'elle venait de me dire. Mon ex, hein ? Depuis que j'avais déménagé ici pour servir le gouvernement, il était vrai que j'avais eu des relations avec de nombreuses personnes. Cependant, les femmes avec lesquelles j'avais eu une relation étaient Kai, l'infirmière des urgences, et Prae, celle qui pleurait à côté de moi. Je ne pensais pas que Kai savait que j'étais gay. La raison pour laquelle j'ai rompu avec Kai était que nous étions trop différents, et elle avait dit qu'elle me trouvait inaccessible.

— Et tu crois ça  ?

Mes yeux se fixèrent sur la rue baignée par la lumière du soleil du soir. Je me creusais les méninges pour trouver l'identité de la personne qui m'avait dénoncé. Le nom d'une personne me revenait à l'esprit malgré le fait que notre histoire se soit terminée il y a plus de dix ans.

Tarr.

— Je ne veux pas le croire, mais les choses que mon ami m'a racontées m'ont fait perdre ma confiance en toi.

Je ne dis rien, et logiquement, j'aurais dû paraître plus choqué qu'autre chose. Étonnamment, j'étais calme, plutôt imperturbable face aux paroles de Prae. Je ne pensais pas à la femme qui pleurait à côté de moi, car je réfléchissais plutôt à la personne inconnue qui prétendait être mon ex-amant et qui avait parlé de moi à l'ami de Prae. En déménageant pour travailler dans une province éloignée, je pensais pouvoir tout laisser derrière moi. Je n'aurais jamais pensé que le passé reviendrait me hanter ici.

— Je ne suis pas gay. Mais si tu es contrariée, tu peux rompre avec moi, dis-je d'un ton impassible.

Prae se tourna vers moi, une expression de stupeur s'afficha sur son visage avant qu'elle ne se mette à brailler.

— Après tout ce temps... Je n'ai jamais compris... ce que tu as dans la tête, Bunn, dit Prae en sanglotant. C'est comme si tu avais toujours eu des secrets. Ça aussi. Arrête de me mentir. Arrête de tromper les femmes, s'il te plaît. Peux-tu me promettre de ne plus recommencer ? Laisse-moi être la dernière femme que tu trahiras.

Je me penchai vers la boîte à gants située devant le siège à côté du mien, l'ouvris et en sortis un Kleenex que je tendis à Prae.

— Je suis désolé.

Pour moi, dire cela revenait à avouer toutes les allégations dont je faisais l'objet. Prae prit le Kleenex de ma main et le tamponna sur son visage cramoisi.

— Je ne peux pas continuer notre relation, Bunn.

— Je sais, dis-je en reposant ma tête sur l'appui-tête, épuisé.

En cet instant, je me sentais coupable. Je lui avais fait beaucoup de mal. Prae se tourna vers moi et rit sèchement.

— Tu as l'air impassible, Bunn, dit Prae en reniflant et en tournant son regard vers la fenêtre. Pas besoin de venir me chercher demain.

— Est-ce qu'on va vraiment rompre à cause des rumeurs que ton amie t'a racontées  ? demandai-je rapidement en guise de réponse.

— En partie, oui. En partie aussi parce que je pense que ça ne marchera pas entre nous. Tu as ton monde, celui dans lequel je n'ai pas pu entrer. Et il y a ça. Honnêtement, je ne sais pas ce que tu es, mais je ne veux plus rester comme ça.

Prae enleva le collier que j'avais acheté pour elle à l'occasion de l'anniversaire de nos six mois. Elle me prit la main et y plaça délicatement le collier en argent. Je refermai fermement mon poing autour du collier, regardant ma propre main, me sentant vide. Une fois de plus, une femme m'avait laissé tomber. C'était comme si j'avais été maudit depuis le jour où j'avais rompu avec Tarr.

À peine rentré chez moi, j'essayai de trouver un moyen de contacter la personne qui était probablement à l'origine de ma rupture. Je n'avais pas vu Tarr depuis mon entrée à l'université. De nos jours, il ne devrait pas être difficile de contacter quelqu'un. Malheureusement, à l'époque où j'étais adolescent, les téléphones portables n'étaient pas considérés comme essentiels et l'internet ne faisait pas partie de la vie quotidienne, je n'avais aucune idée de la manière de joindre Tarr.

Tout ce que je pouvais faire, c'était taper le prénom de Tarr dans l'onglet de recherche. Je me souvins que son prénom était “Nutdanai” ? J'essayai de faire défiler les profils Facebook de personnes dont le nom était Nutdanai, en thaïlandais et en anglais. Cela me prit près d'une heure, mais je n'arrivai pas à trouver celui que je cherchais. Je finis par abandonner. Même si j'avais réussi à trouver un moyen de parler à Tarr, de découvrir comment il était au courant de ma relation avec Prae, de savoir s'il m'en voulait encore à cause de notre passé, cela n’aurait rien changé au fait que Prae et moi avions rompu.

Finalement, je laissai tomber l'affaire. Au moins, une femme bien comme Prae serait libérée d'un hypocrite comme moi. Elle rencontrerait quelqu'un de nouveau, un vrai homme qui l'aimerait vraiment.




— C'est une obstruction des artères coronaires, dis-je en regardant un cœur humain divisé en segments sur le plateau.

Les principales artères coronaires du défunt étaient entièrement rétrécies, ce qui était une des causes principales de l'arrêt cardiaque et de la mort sur un lit d'hôpital. Mon travail consistait à déterminer la cause du décès dans tous les cas de mort non naturelle. Cet homme âgé ne s'était pas réveillé un matin pendant son séjour dans une chambre spécialisée de l'hôpital. Il avait bénéficié d'une réanimation cardio-pulmonaire pendant trente minutes avant que sa famille ne décide de mettre fin à la réanimation. Ensuite, on m'avait apporté son corps pour déterminer la cause du décès. Je retirai les gants et les jetai dans la poubelle, puis j'enlevai ma blouse de laboratoire avant d'aller rédiger un certificat de décès à l'accueil.

— Vous n'avez pas l'air frais aujourd'hui, docteur Bunn.

Anun, le médecin légiste d'âge moyen, qui était comme mon bras droit, se dirigea vers moi.

— Ah bon ?  Je suis peut-être somnolent après le déjeuner, lui répondis-je.

— Vous savez plaisanter même quand vous êtes de mauvaise humeur ? gloussa Anun. Je ne vous dérangerai plus. Occupons-nous du corps et rentrons à la maison. Ma femmme me manque.

Anun se dirigea alors vers le corps pâle et sans vie du vieil homme, allongé sur la table en acier.

Une fois mon travail terminé, je sortis du service de médecine légale. Mes yeux se portèrent sur la chaise sur laquelle je m'étais assis plus tôt dans la journée, me rappelant les mots de la personne qui m'avait approché alors que j'étais assis sur cette même chaise.

— Que dois-je faire pour que vous me croyiez ? avait demandé Tann en s'asseyant sur une chaise à côté de moi. Il portait encore une chemise noire semblable à celle de la veille. À quelle heure finissez-vous votre travail ? Je viendrai vous chercher et nous irons dîner ensemble.

J'avais été surpris par son invitation. Je ne lui avais pas donné de réponse, mais Tann avait lui-même prédit avec précision que je sortirais du travail à l'heure habituelle. Il m'avait dit qu'il viendrait me chercher à 16h30 et m'avait précisé qu'en attendant que je quitte le travail, il aiderait à l'enterrement de Janejira, qui se déroulait au temple, pas très loin de l'hôpital.

— S'il vous plaît, je veux vous parler.

Il était hors de question que je traîne avec le meurtrier. Si je montais dans la voiture avec lui, je risquais d’être tué à mon tour.

Mes pas furent stoppés dans leur élan lorsque je réfléchis à tout cela. Non... Je ne devrais pas avoir peur que le meurtrier me tue maintenant : Il ne pouvait pas me tuer, pas encore, parce que je n'avais pas encore remis le rapport d'autopsie à la police. Non seulement il ne pouvait pas me tuer, mais il ne pouvait plus me faire de mal. Car s'il le faisait, il finirait par se trahir. Je devais profiter de cet avantage pour m'approcher de lui et trouver les preuves qui le désigneraient directement.

Décidé, je retournai devant le département médico-légal, pensant que je devais emporter quelque chose pour me protéger et me rassurer. Je regagnai donc la salle d'autopsie, attrapant furtivement une lame de scalpel de son enveloppe et un manche de scalpel pour les mettre dans ma poche, sans qu'Anun ne les voie. Il aurait piqué une crise s'il avait remarqué que le manche du scalpel avait disparu. Mais j'en avais vraiment besoin.

Lorsque je retournai vers la porte, je vis la grande silhouette de l'homme à la chemise noire qui m'attendait. Je fixai le visage de Tann, résistant à l'envie de me précipiter en avant, de le tirer par le col et de lui arracher la vérité sanglante.

Tann eut l'air soulagé en me voyant.

— Merci de venir avec moi.

—  Où ça ? demandai-je d'un ton peu chaleureux.

— Où que nous puissions nous asseoir et discuter. Vous pouvez choisir, car vous ne me ferez probablement pas confiance si c'est moi qui choisis l'endroit.

Je me tus, réfléchissant un instant.

— Très bien, nous prendrons ma voiture. Si vous refusez, il n'y aura pas de discussion.

Tann fut légèrement stupéfait avant de sourire avec douceur.

— Comme vous voudrez, Doc.




Je conduisis Tann dans un restaurant situé non loin de l'hôpital. C'était l'un des restaurants nord-thaïlandais les plus réputés de la province. Mon choix s'était porté sur ce restaurant parce qu'il était souvent bondé de gens, locaux et étrangers, ce qui me donnait un sentiment de sécurité. Je tournai dans le parking devant le restaurant.

J'avais remarqué que Tann n'avait pas arrêté de me regarder pendant tout le trajet. Nous n'avions pas beaucoup conversé. Tann préférait peut-être réserver la discussion pour quand nous serions arrivés à destination.

Un serveur nous fit asseoir, Tann et moi, à une table pour deux. Dès que j'eus pris place sur une chaise, j'allai droit au but.

— Bon, de quoi voulez-vous me parler ?

Tann, qui feuilletait le menu, marqua une légère pause.

— Vous pouvez manger du Laab Nuer(1), n'est-ce pas, Doc ?

Ce n'était pas de cela que je voulais parler.  J'affichai une mine renfrognée.

— Ne tournez pas autour du pot.

— Nous allons parler, mais ce n'est probablement pas une bonne idée de laisser la table vide. Permettez-moi de commander le repas pour vous.

Tann leva la main vers la serveuse et commanda trois plats de cuisine locale thaïlandaise.

— Riz gluant ou riz à la vapeur ?

Je soupirai pour apaiser la tension qui régnait en moi.

— Riz à la vapeur.

— Encore une assiette de riz à la vapeur, et oh, légèrement épicé pour le porc haché, s'il vous plaît, commanda Tann à la serveuse en dialecte nordique avant de lui rendre le menu.

La première chose que j'avais apprise sur Tann après l'avoir rencontré en personne, c'était qu'il était du coin.

— Que voulez-vous boire ?

— Je prendrai un verre d'eau. Vous voulez boire quelque chose  ? dit Tann en se tournant vers moi.

— De l'eau.

J'observais le comportement de Tann sans bouger. Après avoir commandé le repas, Tann se retourna vers moi, les mains jointes sur la table. Ses traits nets et séduisants paraissaient paisibles et calmes.

— Je suis prêt, me dit Tann avec un air plus sérieux. Alors, ce que vous avez dit hier soir, c'était vrai ?

— Qu'est-ce que vous en pensez  ?

Je lançai une question pour éviter d'avoir à y répondre moi-même. Tann fut stupéfait par ma réponse.

— Qu'est-ce que vous voulez que je pense... ? Je suppose qu’une personne comme vous n'inventerait pas des choses juste pour me jouer un tour. Je suppose que vous avez vraiment été menacé et que vous essayez maintenant de trouver le tueur vous-même.

Tann resta silencieux pendant un moment avant de poursuivre.

— La raison pour laquelle je voulais vous parler, c'est que vous m'avez soupçonné d'être le tueur. Je veux prouver mon innocence avant qu'il ne soit trop tard.

— Qu'est-ce que vous voulez dire par “trop tard” ? demandai-je en fronçant les sourcils.

— Avant que vous ne vous précipitiez pour dire à la police que j'ai commis un homicide, bien que je ne l'aie pas fait. Ma vie deviendrait encore plus compliquée qu'elle ne l'est déjà, d'autant plus qu'il semble que vous connaissez bien la police. Ils vous auraient cru. J'aurais alors de gros ennuis.

Tann marqua une pause lorsque la serveuse passa pour nous servir de l'eau. Lorsqu'elle se fut éloignée, il poursuivit.

— Je suis venu ici aujourd'hui avec deux objectifs : Le premier est de prouver mon innocence, le second est de vous aider à trouver le coupable. Si Jane a vraiment été assassinée et que la police a été impliquée d'une manière ou d'une autre dans le retard pris dans la progression de l'affaire, alors je veux vous aider.

C'est probablement un avantage d'être enseignant. Tann était éloquent et crédible. Pourtant, je ne faisais pas confiance à cet homme de toute façon.

— Comment pouvez-vous prouver que vous n'avez rien fait ?

— Témoin, dit Tann en sortant son smartphone et en essayant d'y chercher quelque chose. La nuit du 10 décembre, j'étais à l'école de tutorat, j'ai enseigné jusqu'à presque 19 heures. De 19 heures à 23 heures, j'étais au mariage de mon ami à l'hôtel Erawan. Des centaines de témoins m'y ont vu.

L'homme tourna son téléphone portable vers moi. Il me montra délibérément des photos de lui et du couple de mariés.

— Après cela, je suis allé boire un verre avec trois autres de mes amis.

Tann nota le numéro de téléphone de ces trois personnes sur un mouchoir en papier.

— J'ai bu jusqu'à 2 heures du matin, puis nous avons décidé tous les quatre de retourner dormir chez cette personne.

Il pointa du doigt le premier numéro et me tendit le mouchoir.

— Vous pouvez les appeler. Tout le monde peut confirmer que j'étais avec eux. Ensuite, je me suis réveillé à dix heures et j'ai appelé Jane. Elle n'a pas répondu à mon appel. J'étais inquiet, alors je suis allé dans sa chambre. J'ai frappé à la porte pendant un long moment, mais il n'y avait pas de réponse. J'ai eu peur qu'elle se suicide à cause de sa dépression. J'ai donc couru voir le personnel et leur ai demandé de m'ouvrir la porte. Et vous connaissez la suite.

Ce que Tann venait de me dire concordait avec les informations que j'avais obtenues du capitaine Aem. Je regardai les trois numéros de téléphone en réfléchissant.

— Qu'en pensez-vous, docteur ? L'heure de la mort de Jane correspond-elle au moment où personne n'a pu confirmer que je n'étais pas seul ?

J'avais estimé l'heure de la mort de Janejira entre 1h et 5h le matin du 11 décembre, ce qui correspondait au moment où Tann était sorti boire un verre avec ses amis et était revenu dormir chez son ami.

— J'aimerais d'abord appeler votre ami.

Je me levai du siège, pris le mouchoir en papier et appelai chaque personne qui, selon Tann, était restée avec lui toute la nuit. Trois d'entre elles répondirent à mon appel et toutes confirmèrent que Tann était resté avec elles. Je retournai à la table, complètement déconcerté. Tous les plats commandés par Tann avaient été servis.

— Alors, comment les choses se passent-elles ? demanda Tann.

—  Vous ne vous êtes pas entraînés avec votre ami, n'est-ce pas ?

Tann laissa échapper un petit rire, ce qui me déplut.

— Vous êtes plutôt méfiant, mais je comprends. Si je vivais quelque chose comme ça, je le serais aussi, je suppose.

Je poussais un soupir d'irritation. Depuis combien de temps n'avais-je pas laissé transparaître mes émotions devant les autres ? Je ne pouvais vraiment pas me retenir.

—  Bien. Je vous crois.

Tann sourit de soulagement.

— Même si votre visage dit le contraire, mais vous entendre le dire comme ça me rassure un peu.

Tann prit la nourriture dans le plat près de lui et tendit la main pour en mettre dans mon assiette.

— Je peux le faire moi-même.

Pourquoi faisait-il cela ? Pensait-il que je serais impressionné par le fait qu'il mette la nourriture dans mon assiette à ma place ? Il me considérait comme une femme ou quelque chose comme ça ?

— Et qu'est-il arrivé à votre front ? Quelqu'un vous a frappé, ou c'était juste un accident  ? demanda Tann en mettant du riz dans sa bouche.

— Et la blessure sur votre front  ? répliquai-je à la question. L'ecchymose sur la tempe de Tann avait commencé à devenir verdâtre, ce qui était un changement typique.

Tann se tut et leva la main pour se toucher le front.

— Accident de moto. Je ne portais pas de casque. J'ai pensé que ce n'était pas grave, alors je ne suis pas allé voir de médecin.

— Je ne vous ai pas vu conduire de moto.

Et jusqu'à présent, je n'avais vu aucune blessure suggérant qu'il s'agissait d'un accident de la route.

— J'ai conduit la veille, dit Tann, toujours aussi calme, sans aucun signe d'agitation dans son regard. Au fait, je ne connais toujours pas votre nom. Comment dois-je vous appeler, Doc  ?

Il changea rapidement de sujet.

Je n'étais pas encore tout à fait convaincu par la blessure qu'il avait au front. Cependant, il ne serait probablement pas honnête avec moi. J'attendrais qu'il fasse une gaffe, qu'il me dise quelque chose.

— Bunnakit.

— Bien, Dr. Bunnakit. Je m'appelle Tann, vous le savez sans doute déjà.

Tann posa l'argenterie sur l'assiette et attrapa ma main sur la table, me prenant au dépourvu.

— Laissez-moi vous aider à trouver le tueur, docteur.

Et voilà ce qui se passa : mon cœur s'emballa sans aucune raison. Je retirai rapidement ma main, mon cœur avait tendance à agir de la sorte lorsque j'étais avec Tann. La première fois que cela s'était produit, c'était sur la scène du crime. Au début, je pensais que c'était dû à l'excitation de mon implication dans l'enquête sur le crime. La deuxième fois, c'était à l'école de tutorat. Cette fois-là, j'avais cru que mon cœur battait la chamade à cause de la peur que je ressentais.

Et j'étais sûr que c'était aussi à cause de la peur pour cette fois.

Notes :
1/  Laab Nuer : Salade de porc haché épicée façon nord-thaïlandaise

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Ven 6 Sep 2024 - 23:28



Chapitre 7
— Nous sommes arrivés. Vous pouvez y aller maintenant.

Je me tournai vers l'homme qui se trouvait dans ma voiture. Tann se tourna pour regarder sa propre voiture garée sur le parking de l'hôpital et pivota la tête vers moi.

— Vous êtes sûr que vous ne voulez pas que je reste avec vous ?

— Je veux que personne ne reste avec moi. Vous pouvez partir maintenant.

Mes yeux se portèrent sur les urgences, qui étaient maintenant éclairées par une lumière vive.

— Mais le tueur peut revenir à tout moment. Si j'étais là avec vous, je pourrais vous aider.

Tann insistait pour m'aider à trouver le tueur depuis que nous étions au restaurant. Il m'avait suggéré de rentrer à la maison et de faire quelque chose pour attirer le tueur dehors. Tann serait là pour m'aider à attraper le méchant. J'avais rapidement refusé ce plan. Pourquoi diable le laisserais-je entrer chez moi ? Je ne lui faisais toujours pas confiance. C'était comme faire entrer un cobra chez moi.

Je déverrouillai la portière de la voiture pour le chasser.

— Merci pour votre aide. Mais je peux m'en occuper seul.

— Dr. Bunn, dit Tann, refusant toujours de sortir de ma voiture. Si je veux vous aider, ce n'est pas parce que je cache quelque chose, c'est parce que Jane était ma petite amie. Je veux que la personne qui a tué ma petite amie soit en prison. Vous comprenez ça, n'est-ce pas ?

— Essayer de me persuader est inutile, expirai-je lentement, si vous voulez vivre en sécurité, alors ne dites rien. N'en parlez pas à la police ou à qui que ce soit. Je ne sais pas si le tueur saurait que vous l'avez appris par moi. Et encore une chose, ne revenez plus me voir. Vous savez déjà ce que vous vouliez savoir.

Tann ne sembla pas vouloir partir.

— Que comptez-vous faire ensuite ? Faire ce que le tueur vous ordonne de faire ? Je ne vous laisserai pas faire ça.

— Eh bien, ce n'est pas à vous de décider. Je dois le faire. Je ne veux pas que mes proches soient à nouveau blessés.

Je commençai à jouer à un nouveau jeu, juste pour voir sa réaction.

— Ce salaud me promet que si je fais ce qu'il dit, il me laissera tranquille.

— Je ne peux pas laisser faire ça. Si vous falsifiez le rapport, le tueur s'en tirera à bon compte, dit Tann en me fixant.

— Non, je pense que la police trouvera d'autres preuves suggérant que Janejira a été assassinée. Elles contrediront mon rapport. Le moment venu, je dirai à la police que j'ai été menacé.

— Et s'ils ne trouvent rien ? Vous l'avez dit vous-même, la police peut être impliquée dans cette affaire.

Tann s'obstinait. Je me retournai pour le fixer du regard. Si Tann était le vrai meurtrier, il aurait été d'accord avec l'idée de falsifier le rapport de suicide de Janejira, au lieu de se disputer avec moi comme ça.

— Tann, attendez. Je vous en supplie.

J'essayai de parler d'un ton plus doux. C'était mon seul talent, après tout, jouer la comédie.

— Faites-moi une faveur, ne faites rien. Je ne veux pas être battu. Et je ne veux pas qu'un de mes proches soit à nouveau blessé.

J'avais réussi à le faire taire, puis il tendit la main pour ouvrir la portière de la voiture.

— Je continuerai à venir vous voir jusqu'à ce que vous acceptiez que je vous aide.

Tann descendit de la voiture avant même que je puisse répondre, claquant la portière. Mes yeux suivirent la grande silhouette qui se dirigeait vers le véhicule noir garé parmi d'autres voitures sur le parking devant l'hôpital. Les preuves dont il m'avait parlé étaient assez solides, toutes ses réactions semblaient relativement raisonnables malgré mon intuition qui me disait que quelque chose n'allait pas chez Tann. La première était la cause de la blessure sur son front, qui restait inconnue et vague. La deuxième était sa réaction à la perte de sa petite amie. J'avais perçu le signe dès le premier jour, il n'y avait pas une once de tristesse sur son visage.

Je ne savais pas si c'était parce que Tann était un meurtrier ou parce que mes préjugés à son égard déformaient ma perception de la réalité.




Ce fut avec stupéfaction que je regardai un sac en plastique contenant une quantité colossale de Khao Tom Mud(1) sur la table du service médico-légal.

— À qui appartient ce sac, Tik ?

— Votre fanboy l'a laissé sur la table ce matin, dit l'infirmière d'âge moyen en riant.

— Mon fanboy  ?

Je me tournai vers Tik en haussant légèrement les sourcils.

— Ce garçon, Sorrawit. Le grand qui est venu vous voir hier. Il est venu ici pour vous apporter un tas de Khao Tom Mud sur sa moto avant d'aller à l'école. Il a dit que sa famille en préparait pour les  vendre. Il veut que vous les goûtiez.

— Ah…

Je pouvais sentir la douleur lancinante sur ma tempe. L'intention de Sorrawit était claire comme de l'eau de roche.

— Si je mange tout ça, je vais sûrement mourir de diabète. S'il vous plaît, donnez-les aux infirmières. Laissez-moi en prendre deux.

Tik leva la main, faisant un geste d'approbation.

— Bien sûr, docteur.

Je me dirigeai vers la table. J'avais l'intention de sortir quelques paquets de Khao Tom Mud du sac. Lorsque j'ouvris le sac, je vis un post-it rose sur les paquets de Khao Tom Mud. Sur ce post-it, un message était écrit.

“Bunnakit, si vous les trouvez délicieux, veuillez en commander d'autres.”

En dessous du message figurait le numéro de téléphone du propriétaire du dessert. Je laissai échapper un sourire et secouai la tête, trouvant ce garçon plutôt attachant. Je sortis la note et la tendis à Tik, ainsi qu'un sachet de dessert thaïlandais.

— Si vous y prenez goût, vous pourrez en acheter d'autres.

Tik prit le sac et regarda le post-it avant d'éclater d'un grand rire.

— Oh, docteur ! Le garçon vous drague.

— Je ne peux pas répondre à ses sentiments. C'est le code de la relation médecin-patient, vous savez  ? dis-je en m’asseyant sur la chaise. Il y a un cas d'agression aujourd'hui, n'est-ce pas ? Veuillez appeler le patient.

Je quittai la salle des urgences. Il était presque midi, comme d'habitude. Le travail m'avait vidé la tête, m'aidant à oublier tous mes problèmes et mes angoisses. Je restai debout, regardant les ambulances du SAMU garées devant le service des urgences. Qu'est-ce que j'attendais ?

Je devrais aller déjeuner, car deux corps envoyés par des districts différents m'attendaient dans la salle d'autopsie. Et je devais aussi enseigner à un interne cet après-midi.

Et moi qui pensais que tu reviendrais jusqu'à ce que je te laisse m'aider.

Je m'éloignai de l'entrée des urgences. L'absence de Tan aujourd'hui en disait long sur lui. La première, c'est qu'il était le meurtrier. Il était probablement satisfait de savoir que je ferais ce qu'il me disait de faire. La deuxième, c'est que Tann n'était en fait pas le meurtrier, mais qu'il ne voulait pas me revoir parce qu'il avait peur de moi ou d'avoir des ennuis. La troisième était qu'il était trop occupé par ses cours ou par l'enterrement de Janeira pour pouvoir venir. Je devais attendre le soir pour le savoir.




— Il faut comprendre que dans la période post-mortem, la rigidité des petites articulations se produit avant celle des plus grandes. La dernière articulation à devenir rigide est la plus grande du corps humain, l'articulation de la hanche, qui se développe pleinement dans les 6 à 12 heures pour atteindre une rigidité totale, comme vous pouvez le voir chez cette personne.

Je soulevai les jambes froides et mortes du cadavre, mais au lieu de se plier au niveau de la hanche, les jambes et le bassin du cadavre furent soulevés de la table ensemble, se raidissant comme si on soulevait une bûche.

— Dans ce cas, l'articulation de la hanche est déjà raide. Le corps restera rigide jusqu'à ce qu'il commence à se décomposer, ce qui prend environ 24 heures après la mort.

Je me tournai vers mon élève, qui avait l'air un peu perdu à cet instant. L'interne qui étudiait avec moi aujourd'hui était le jeune homme qui avait pratiqué les examens médicaux sur moi la nuit où j'avais été agressé. Il s'appelait Boem.

— Si tu as des questions, tu peux me les poser, dis-je en reposant les pieds sur la table. Quelque chose ne va pas ?

— Oh... hum, rien, monsieur.

Boem essaya de se ressaisir.

— Tu as l'air un peu stressé. Nous pourrons continuer nos leçons une autre fois.

Ce n'était pas la première fois que mon stagiaire n'arrivait pas à endurer mon cours jusqu'au bout. Le pire cas que j'avais rencontré était celui d'un stagiaire qui s'était évanoui sous mes yeux, après seulement cinq minutes de cours.

Le jeune stagiaire me regarda.

— Puis-je vous demander quelque chose, professeur ?

Je me sentis plus soulagé.

— Oui, bien sûr. Si je vais trop vite...

— Vous voyez Fai en ce moment, professeur  ? demanda soudainement Boem.

C'était une question qui n'avait rien à voir avec notre cours et cela me choqua beaucoup.

— Que veux-tu dire par “voir Fai”  ?

C'est alors que je me souvins de quelque chose. Il y avait quelques jours, l'une des infirmières m'avait chuchoté à l'oreille que Boem avait le béguin pour Fai et que le professeur Bunnakit était sur le point de lui voler. Je ne pouvais que secouer la tête devant cette absurdité.

— Je veux dire... se voir. Le fait est que Fai m'a dit qu'elle vous voyait, dit-il d'un air nerveux.

Je fus déconcerté par les propos de Boem. Fai lui avait dit qu'elle me voyait ? Je reconnaissais que j'avais l'intention de la draguer, mais je ne pensais pas que je lui plairais aussi vite.

— Ce n'est rien. C'est juste que je n'arrive pas à joindre Fai aujourd'hui. Je voulais juste savoir si vous l'aviez appelée aujourd'hui, professeur.

— Si tu n'as pas pu la joindre, je ne pense pas que je puisse le faire.

Je trouvais cela étrange. La dernière fois que j'avais parlé à Fai, c'était le jour où elle était venue me rendre visite alors que j'étais hospitalisé.

— Elle n'est pas venue travailler ?

— Fai est prévue pour le service de l'après-midi aujourd'hui. Hier, elle m'a dit de l'appeler pour la réveiller à midi. Mais quand j'ai appelé, on m'a dit que personne n'était disponible pour prendre mon appel. Ce n'est pas habituel. J'ai pensé que vous lui aviez peut-être parlé. Je m'inquiète pour elle, alors je veux juste savoir si vous pouvez joindre Fai.

C'était un homme qui aimait vraiment une femme, même si son cœur ne lui appartenait pas. J'avais honte de moi.

— J'ai perdu mon téléphone portable et son numéro. Je ne l'ai pas appelée depuis des jours, dis-je en faisant signe à Anun d'entrer et en ouvrant le crâne du corps. Tu peux y aller, Boem. Je m'en occupe à partir de maintenant. Et laisse-moi le numéro de Fai, s'il te plaît, je t'aiderai à la joindre. Tu sais, tu devrais l'attendre aux urgences. Elle finira par prendre son service de l'après-midi.

Boem avait toujours cette expression d'inquiétude sur le visage. Il leva les mains en signe de respect et retira ses gants et sa blouse verte. Je le regardai sortir de la pièce. Un sentiment d'appréhension s'installa lentement dans mon cœur. Après l'autopsie, je retournerais aux urgences et j'attendrais Fai jusqu'à ce qu'elle prenne son service à 16 heures.

J'espérais qu'il ne lui était rien arrivé…




Le numéro que vous avez composé ne peut être connecté.

Je serrai le téléphone dans mon poing et frappai le volant avec rage. Je poussai un rugissement pour évacuer mon ressentiment.

Boem et moi avions attendu aux urgences jusqu'à 19 heures.

Fai était toujours introuvable, ce qui sema la panique dans la salle d'urgence. Boem et moi avions beau l'appeler sans arrêt, la seule réponse était le même message. Boem essaya de contacter le personnel de la direction médicale pour joindre la famille de Fai, et je m'excusai pour rester seul dans ma voiture.

Le tueur savait que j'avais divulgué l'information à d'autres personnes.

Oh, mon Dieu. Je n'aurais pas dû en parler à Tann. Ma tentative d'utiliser l'information comme appât pour piéger Tann avait fait une autre victime - une personne qui m'était proche. Je n'avais aucune idée de la façon dont le tueur avait su que j'avais parlé à Tann de ce qui s'était passé. Il avait peut-être fait quelque chose qui avait mis la puce à l'oreille du tueur, comme l'avait fait Pert.

Ou bien le tueur l'avait-il appris parce que je le lui avais dit moi-même ?

Tann.

Je reposai ma tête sur l'appui-tête avec lassitude. Mes bras tombèrent le long de mon corps, épuisés. Ça suffisait. C'est tout.

Je décrochai le téléphone, composai le numéro de Tann et le collai à mon oreille, regardant sans but dans l'obscurité de l'extérieur.

— [Oui, Dr. Bunn ?]

Tann prit rapidement l'appel. J'entendais les bavardages des enfants en arrière-plan.

— Vous m'avez eu, dis-je, la voix troublée. Faites ce que vous voulez. S'il vous plaît, ne faites pas de mal aux gens qui m'entourent...

— [Pardon ?]

— S'il vous plaît, laissez partir le Dr Fai et le procureur…

Ma voix tremblait de façon incontrôlée, et je couvris mes yeux de ma main.

— Prenez-moi à la place. Vous pouvez faire ce que vous voulez de moi. Je ferai tout ce que vous voudrez. Mais ne blessez plus mes proches...

— [Attendez, de quoi parlez-vous ?]

Tann avait l'air paniqué. Mais je ne crus pas qu'il était vraiment en train de paniquer.

— [Où êtes-vous ?]

— Vous savez où je suis. Je vais rentrer chez moi. Pourquoi ne pas régler ça... face à face...

— [Dr. Bunn, ressaisissez-vous ! Et dites-moi ce qui s'est passé !]

— On se voit à la maison.

Je mis fin à l'appel, posant le téléphone de Pert sur le siège à côté de moi. Je pris le sac en bandoulière et en sortis un objet.

Click...

Le son d'une lame de scalpel aiguisée comme un rasoir, reliée à son manche, se fit entendre. Je rangeai la lame dans son étui et la plaçai dans ma poche de poitrine. Ce scalpel était prêt à être utilisé.




Je tournai la clé et ouvris la porte, pénétrant dans la maison qui avait été laissée dans l'obscurité totale pendant plusieurs nuits. Le salon familier était sombre et silencieux. Je pris une profonde inspiration, mon cœur battait la chamade. La maison était glaciale, mes doigts devenaient froids. Je jetai un coup d'œil méfiant autour de moi avant de me diriger vers le salon pour allumer la lumière.

Aucun signe d'intrusion.

Sur la pointe des pieds, je dépassai progressivement le salon et me dirigeai directement vers la cuisine, allumant toutes les lumières pour éclairer la plupart des pièces de la maison. Je sortis le scalpel de ma poche de poitrine, le tenant fermement dans ma main droite. Arrivé devant la porte de la chambre, je saisis lentement la poignée et l'ouvris.

Soudain, une grosse main dans un gant de cuir noir me saisit le poignet droit, tandis que l'autre main me couvrait la bouche par derrière. Mes yeux s'écarquillèrent de panique. Je tentai de dégager mon bras droit, mais la poigne de la personne derrière moi était si forte. Je projetai mon coude gauche vers l'arrière de toutes mes forces. Celui-ci dut atterrir à un endroit suffisamment efficace pour faire souffrir mon agresseur, car il relâcha accidentellement ses mains. Je m'éloignai rapidement et me retournai pour faire face à l'intrus. Je haletai de façon saccadée, levant un scalpel aiguisé comme une menace.

Je pus voir pour la première fois l'apparence de mon agresseur. C'était un homme de grande taille, vêtu d'un sweat-shirt et d'un sweat à capuche sur la tête. Il portait de grosses lunettes de soleil noires et un masque en tissu blanc, manifestement pour cacher son visage. Il se figea complètement lorsqu'il vit que je tenais une arme à la main.

— Il est inutile de se cacher à ce stade, Tann ! Montrez votre visage et parlons, dis-je en haletant.

L'homme devant moi ne dit rien et avança vers moi. Pointant le scalpel vers l'avant, je fis un pas en arrière. Mon agresseur ne semblait pas du tout effrayé par la petite arme que j'avais entre les mains. Il me fit reculer jusqu'à ce que mon dos touche le mur. Il passa la main derrière lui et sortit un objet noir et lisse dont l'éclat accrochait la lumière. Mon genou se déroba à la vue de l'objet.

Le bout de l'arme était pointé sur ma tête.

— Lâche le couteau ! ordonna la voix étouffée de l'homme qui se trouvait devant moi.

Je lâchai docilement le scalpel, mon corps entier tremblait comme une feuille.

— Les mains en l'air et face au mur.

Je levai les mains et me tournai vers le mur. L'intrus saisit mes bras pour les ramener derrière moi. Je sentis la pointe d'un objet froid et dur sur ma tempe droite. Mes yeux étaient plissés.

— C'était déplacé, docteur. Dites-moi, combien de personnes voulez-vous perdre jusqu'à ce que vous appreniez à vous comporter correctement ? Oh... J'ai compris, vous ne pensez à personne d'autre qu'à vous, vous vous en fichez éperdument. On dirait que je dois changer de méthode. Alors... et si je vous punissais à la place ?

J'ouvris lentement les yeux, sentant qu'une chose me semblait étrange - sa voix sonnait étrangement.

Ça ne ressemblait pas à celle de Tann.

Qui diable était-ce ?!

Mes mains furent solidement attachées avec une corde. Une fois que l'agresseur eut réussi à m'immobiliser, il me fit tourner face à lui. Tous les mots que j'avais l'intention de lui dire au visage s'envolèrent lorsque je me rendis compte que la voix de l'agresseur n'était pas celle de Tann.

Soudain, je perçus quelque chose du coin de l'œil.

Je vis quelqu'un s'approcher tranquillement de moi, si tranquillement que mon agresseur ne le remarqua même pas. Ce quelqu'un tenait dans ses mains un vase en porcelaine, décor de mon salon. Il me regarda, le doigt levé sur les lèvres, me faisant signe de ne pas faire de gestes qui pourraient alerter mon agresseur.

Cependant, mon regard ne put tromper l'agresseur ; il le suivit, se retournant pour regarder ce sur quoi mes yeux s'étaient posés.

Lorsque l'assaillant se retourna, Tann s'élança vers l'avant en tenant le vase au-dessus de sa tête. Il visa la tête de l'assaillant, mais celui-ci se pencha sur le côté. Le vase toucha son épaule. J'entendis le bruit du vase qui se brisait, suivi du cri de mon agresseur. Au moment où il esquiva le vase, ses lunettes de soleil furent projetées sur le sol.

— Attention ! Il a un pistolet ! !! criai-je pour avertir Tann, en essayant de dégager ma main de la corde.

Je me sentais tellement inutile. Le coup aurait dû infliger une certaine douleur à ce salaud. Tann se dirigea vers le bras droit de l'attaquant, qui tenait maintenant l'arme, l'amenant en l'air alors que l'attaquant tentait de résister à sa force. A physique égal, le combat était d'une grande intensité. Tann donna un coup de genou dans le ventre de son assaillant. Ce dernier s'écroula, criant de douleur, et Tann en profita pour lui arracher le pistolet noir des mains, l'envoyant glisser sur le sol et finir dans un coin.

Voyant cela, je me précipitai sur l'arme et marchai dessus pour que l'attaquant ne puisse pas la récupérer aussi facilement.

— Tu vas tomber, assassin.

Tann poussa un grognement et serra les poings, se dirigeant vers l'agresseur qui se penchait patiemment.

Soudain, l'homme à la capuche se redressa et asséna un uppercut à Tann. Je poussai un cri, car le coup frappa Tann juste sous le menton, le déséquilibrant. Il tituba jusqu'à l'étagère qui se trouvait sur le côté avant de s'y accrocher. L'homme à la cagoule en profita pour courir vers la porte d'entrée. Tann ne perdit pas de temps à faire demi-tour et à le suivre à l'extérieur, me laissant seul dans la maison, stupéfait. J'avais l'impression de ne pas avoir la force de me tenir debout. Je reculai pour m'appuyer contre le mur et me laissai lentement tomber sur le sol.

Quelques minutes plus tard, Tann revint avec un air très mécontent. Du revers de la main, il essuya le sang qui coulait au coin de sa bouche.

— Putain, il s'est échappé. Ce bâtard est aussi agile qu'un singe, il s'est déjà échappé par le mur de la propriété.

Je levai les yeux vers Tann, qui se précipita vers moi.

— Vous êtes blessé, Doc  ?

Il détacha rapidement la corde de mon poignet. Mais je n'en revenais toujours pas. Il palpa chaque partie de mon corps pour voir si je n'étais pas blessé.

L'instant d'après, il me serra très fort dans ses bras.

Mes yeux s'agrandirent sous le choc.

— Que vous me laissiez vous aider ou non, je ne vous laisserai plus jamais traverser cette épreuve seul.

Son serment me donna l'impression que mon cœur allait s'arrêter de battre.




J'ouvris le réfrigérateur, en sortis une poche de froid et la lançai à la personne qui était assise sur une chaise dans la cuisine.

—  Mettez ça dessus, sinon ça va encore plus gonfler.

— Merci, dit Tann en prenant la poche de froid et en l'appliquant avec précaution sur sa mâchoire gauche. C'est une bonne chose que vous m'ayez appelé. Sinon, je ne sais pas ce qui vous serait arrivé.

— Et comment avez-vous trouvé ma maison... enlevez-la une seconde, dis-je en baissant les yeux vers son menton pour évaluer la gravité de la blessure.

Je tendis la main pour toucher la mâchoire de Tann afin de savoir s'il souffrait d'une fracture de la mâchoire. L'homme sursauta sous l'effet de la douleur.

— Après votre appel, je savais déjà qu'il s'était passé quelque chose. J'ai donc conduit jusqu'aux urgences et j'ai demandé où vous habitiez. J'ai trouvé toutes sortes d'excuses imaginables jusqu'à ce qu'on me donne votre adresse.

J'acquiesçai, tendant la main pour prendre un Kleenex sur la table de la salle à manger.

— Ouvrez la bouche.

Tann s'exécuta docilement. J'insérai l'index et le majeur de chaque main dans sa bouche, avec des mouchoirs en dessous pour éviter que sa salive ne s'écoule. Je touchai ses dents et sa mâchoire, en effectuant des mouvements verticaux de haut en bas. La mâchoire de Tann était toujours intacte.

— Ah... ow, da fait mal.

Ignorant sa voix étouffée, je saisis la lèvre inférieure de l'homme et la tirai vers le bas. Il présentait une lacération de 0,5 cm de long sur la muqueuse buccale gauche, qui devait être due à l'enfoncement de ses dents dans sa lèvre sous l'effet du coup de poing.

J'enlevai mes mains de la bouche de Tann, jetai le mouchoir et me lavai les mains dans l'évier. Tann se couvrit la bouche avec ses mains, une expression gênée sur le visage.

— Maintenant, je crois que je sais ce que ça fait d'être agressé sexuellement.

— Non, c'est bien pire, dis-je en secouant mes mains mouillées au-dessus de l'évier.

— Avez-vous déjà été victime d'une agression sexuelle ? dit Tann, semblant être choqué.

Je soupirai.

— Non, mais j'ai pratiqué des examens médicaux sur des victimes de crimes sexuels. Leur état physique et mental est irrémédiable.

Tann eut l'air soulagé.

— Pour ce qui est de la blessure dans votre bouche, elle devrait être recousue. Vous devriez aller aux urgences.

— Je peux m'en passer ? Que diraient les infirmières si elles voyaient ma lèvre éclatée après que je sois allé vous voir chez vous ?

— Alors vous devez aller dans un hôpital privé. L'argent ne devrait pas être un problème pour vous.

Après m'être séché les mains, je me dirigeai vers l'endroit où s'était déroulée la bagarre. Les restes du vase en porcelaine étaient éparpillés sur le sol. Les lunettes de soleil de l'agresseur et l'arme à feu dans un coin de la pièce. Je m'accroupis et les examinai avec attention, essayant de trouver une preuve prometteuse qui pourrait être examinée dans un laboratoire.

— Devons-nous informer la police ? demanda Tann.

Je restai silencieux.

— Si nous le faisons, que se passera-t-il ? Quelqu'un d'autre disparaîtra.

— Peu importe qui disparaîtra. Je pense que votre sécurité doit passer avant tout.

Je me tournai vers Tann, qui me regardait d'un air inquiet. Après ce qui était arrivé aujourd'hui, je me rendais compte que ma confiance en lui s'était considérablement accrue. Malgré les agissements parfois suspects de Tan, je savais au moins que l'intrus et lui n'étaient pas le même homme.

— Je ne peux pas faire ça. Les gens n'ont pas disparu à cause de vous, vous ne comprenez tout simplement pas, affirmai-je d'un ton impassible.

Tann se tut, comme s'il avait quelque chose à l'esprit.

Je vis une gouttelette de sang sur le sol, sans savoir si elle appartenait à l'intrus ou à Tann. L'image de Tann recevant un coup de poing au menton de la part de cet homme refit surface dans mon esprit. J'admettais qu'à ce moment-là, j'avais été extrêmement horrifié.

L'image suivante qui me traversa l'esprit fut celle de Tann, m'attirant dans ses bras.

Ce n'était pas un geste traditionnel de sollicitude qu'un homme partagerait avec un autre. À deux reprises, il avait agi comme s'il voulait m'approcher d'une autre manière. Il y avait une intention cachée derrière son geste de me tenir la main au restaurant et de me serrer dans ses bras. C'était plus que de la simple préoccupation. Je ne savais pas comment je devais me sentir. Il était très beau, je l'admettais. Mais dans une situation comme celle-ci, je ne pouvais pas me permettre de me laisser aller.

— Que diriez-vous de ceci  ? proposa Tann après un court silence. Vous soumettez le rapport d'autopsie en disant qu'il s'agit d'un suicide, juste pour que le tueur se sente en sécurité. Et pendant ce temps, travaillons ensemble discrètement pour trouver qui est le tueur. Cela devrait empêcher que d'autres personnes soient enlevées. Si nous attrapons le tueur, nous dirons à la police que vous avez été menacé pour falsifier le rapport.

— C'est ce que je vous ai dit lorsque nous étions dans la voiture hier. Mais vous étiez contre l'idée de soumettre le rapport falsifié.

— Eh bien, vous avez dit que vous attendriez que la police trouve des preuves suggérant que Jane a été tuée. Cependant, ce que je voulais dire, c'est que nous ne parlerons pas aux flics. Nous le ferons à notre rythme. Vous et moi allons continuer à chercher. Je ne suis peut-être pas aussi intelligent que vous, mais nous devrions pouvoir trouver quelque chose. J'ai des informations sur les connaissances de Jane, vous avez une expertise médico-légale. Je pense que c'est la meilleure solution.

Je restais assis, écoutant ce que disait Tann. S'il m'avait proposé ce plan avant que j'apprenne que le tueur et lui n'étaient pas la même personne, j'aurais supposé qu'il essayait de me convaincre de remettre le rapport falsifié aux flics. J'aurais trouvé cela encore plus suspect, mais à ce stade, j'avais en quelque sorte confiance en cet homme, certes pas complètement, mais pas mal. Je me levai.

— Laissez-moi y réfléchir encore une nuit et je vous le dirai. Maintenant, vous devriez aller à l'hôpital.

— Je n'irai nulle part sans vous, dit Tann avec détermination.

Je tournai la tête pour le regarder.

— Ne me dites pas que vous allez rester ici.

— L'agresseur s'est introduit chez vous et vous pensez encore vivre ici tout seul ?

— Comment puis-je laisser un étranger vivre sous le même toit ?! dis-je en fronçant les sourcils.

— Pouvons-nous cesser d'être des étrangers ? gloussa Tann.

A force de parler, la plaie au coin de sa bouche se fendit et se remit à saigner. Je levai les yeux au ciel en signe d'agacement.

— Monte dans la voiture.




Je conduisis Tann dans un hôpital privé au centre du district de la capitale, je le déposai devant les urgences avant de trouver un endroit où me garer devant le bâtiment. Je retournai ensuite aux urgences, m'asseyant sur une chaise dans la salle d'attente. Les urgences de l'hôpital privé ne semblaient pas aussi fréquentées que celles des hôpitaux publics que je connaissais. Je regardai la luxueuse porte coulissante automatique en verre et j'eus l'impression que le nœud dans ma poitrine s'était desserré. C'était comme si j'avais enfin quelqu'un pour partager plusieurs jours de stress refoulé.

Je n'avais jamais pensé que Tann serait cette personne, celle qui savait tout ce qui m'arrivait et qui m'aidait à trouver la marche à suivre. Le suspect numéro un s'était transformé en partenaire ? Mon radar de détection de tueurs avait dû griller.

Une demi-heure plus tard, Tann sortit, un sac de médicaments à la main. Je le regardai, son visage semblait gêné.

— C'est comme si j'avais été battu à nouveau, dit Tann en se couvrant la bouche. J'ai eu deux points de suture. Le médecin a dit que la blessure était assez profonde, le sang n'arrêtait pas de couler.

— Je te l'avais dit, tu avais besoin de points de suture.

Je me dirigeai vers le parking. Tann me suivit en trottinant et marcha juste à côté de moi.

— Où vas-tu aller ensuite  ? me demanda Tann.

— Dans un endroit sûr.

J'avais l'intention de retourner à l'hôtel.

— Alors, allons chez moi.

Cela me stoppa net dans mon élan.

— Non, merci.

— Reste chez toi, alors, mais je passerai la nuit là-bas avec toi. Que ferais-tu si ce type revenait ?

Je ne savais pas si je devais avoir plus peur de l'agresseur ou du fait que nous allions dormir au même endroit. Naturellement, c'était la première option, parce que la présence de Tann ne serait pas aussi dangereuse que la perspective du retour de l'agresseur, qui pourrait revenir pour me faire du mal.

— Comme tu veux... mais je ne retournerai plus dans cette maison.

— Alors allons chez moi. C'est juste à Klang Vieng. C'est plus sûr.

Klang Vieng signifie “centre-ville” ; parfois, les habitants utilisent le dialecte sans le vouloir, oubliant que les étrangers peuvent ne pas comprendre le concept même du mot. En réalité, je n'avais pas envie de retourner chez moi. Mais je ne voulais pas non plus emmener Tann à l'hôtel, car je voulais que l'hôtel reste un endroit secret où se réfugier à l'insu de tous. J'appuyai sur la clé pour ouvrir la voiture.

— Laisse-moi d'abord aller chercher mes vêtements.

— Bien sûr, je vais aller récupérer ma voiture aussi, acquiesça Tann.

Après avoir ouvert la portière, je me glissai sur le siège du conducteur. Je démarrai le moteur et attendis que Tann ferme la porte avant de sortir du parking de l'hôpital.

— Doc, qu'en est-il de l'arme ? Qu'est-ce qu'on peut faire ? demanda Tann.

— Dans mon travail, c'est généralement l'enquêteur de la scène de crime qui manipule l'arme. Il est possible d'identifier le propriétaire de l'arme à partir du numéro de série. Cependant, s'il s'agit d'une arme non enregistrée, il est difficile de le savoir. Je ne l'ai pas encore vraiment examinée.

— Et on a toujours besoin des flics pour ça de toute façon, dit Tann en se frottant le menton, plongé dans ses pensées. Alors le tueur qui a des relations avec la police saura ce que nous faisons. Tu seras en danger... c'est compliqué.

Tann laissa échapper un long soupir et posa sa tête sur l'appui-tête.

— Puisque nous ne pouvons pas l'utiliser pour trouver le tueur, tu devrais le garder pour te défendre.

Je regardai devant moi, contemplant la route.

— Je pense que oui...

— Alors tu retournes chez toi pour préparer tes vêtements, tu récupères l'arme, tu prends ta voiture et tu me suis jusqu'à chez moi.

— Hmph, répondis-je, le regard fixé sur la route.

De temps en temps, je jetais un coup d'œil à son comportement, qui était maintenant sérieux et solennel. Je voulais lui faire entièrement confiance, mais il y avait quelque chose qui me dérangeait encore. Lorsque j'avais un sentiment de méfiance, j'essayais de me rappeler qu'il ne s'agissait pas du même homme. J'avais même assisté de mes propres yeux à la bagarre entre les deux. J'inspirais et j'expirais lentement pour rester calme. Rester chez Tann devrait être la solution la plus sûre pour l'instant.




Ma voiture se stoppa devant la clôture d'une maison à deux étages, construite sur un terrain de 400 m² à l'intérieur d'une zone résidentielle. La maison était magnifiquement conçue dans un style moderne, différent des autres maisons du voisinage. Oui, cette maison semblait convenir à l'homme qui dirigeait l'école de tutorat. Tann, qui avait ouvert la voie, descendit de sa voiture. L'homme se dirigea directement vers moi, j'abaissai la vitre et me tournai vers lui.

— Tu peux rentrer ta voiture à l'intérieur. Je vais t'ouvrir le portail.

Tann s'empressa d'ouvrir le portail en fer forgé.

Après m'être garé, j'entrai dans la maison de Tan et il me suivit. Il verrouilla la porte, puis tendit la main pour allumer la lumière, éclairant ainsi le salon. La décoration était simple, mais belle. Il y avait quelques objets à l'intérieur de la maison, ce qui donnait l'impression que l'espace était spacieux et confortable.

— Il y a une chambre d'amis à l'étage. Et une salle de bain privée. C'est tout à toi, me dit Tann en me faisant monter les escaliers. Mais si tu es encore secoué, tu peux partager ma chambre.

— Non, merci, répétai-je pour la deuxième fois.

Tann sourit un peu et monta les escaliers. Je portais mon sac. Tout en montant les marches, je sentis dans ma poche l'objet solide et dangereux que j'avais récupéré chez moi, une arme bien plus puissante que mon scalpel.

— Tu vis seul ? demandai-je en jetant un coup d'œil autour de moi.

— Oui. Parfois, ma mère vient à la maison, dit Tann en allumant les lumières du deuxième étage et en s'avançant pour ouvrir la porte de droite. Voilà, c'est ici. Si tu as besoin de quelque chose, appelle-moi.

J'entrai dans la pièce qu'il m'avait ouverte. Elle n'était pas grande. Il y avait un lit simple, une armoire, l'air conditionné et une salle de bain. Je me tournai vers Tann, qui était appuyé contre le chambranle de porte, les bras croisés sur la poitrine.

— Repose-toi un peu. On parlera de la recherche du tueur plus tard. Bonne nuit.

Tann s'éloigna de la porte et la referma pour moi. Je restai immobile quelques secondes avant de poser mon sac sur le sol et de m'asseoir lentement sur le lit. L'horloge de la tête de lit indiquait qu'il était déjà 1h30 du matin. Je m'allongeai sur le lit, epuisé.

Ce fut le sommeil le plus paisible qui soit, meilleur que ceux des nuits précédentes.

Notes :
1/ Khao Tom Mud : Dessert traditionnel thaïlandais, composé de bananes sucrées enveloppées de riz gluant à la noix de coco.

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Ven 6 Sep 2024 - 23:28



Chapitre 8
— Mon premier diagnostic serait un syndrome coronarien aigu !

Après avoir dit cela, la cloche signalant que le temps était écoulé retentit. Je remerciai les professeurs et le patient fictif avec un waï avant de sortir de la salle en toute hâte. La partie suivante de mon examen portait sur les "articulations charnières". Je pris place sur une chaise fournie par les examinateurs, en attendant la section suivante, qui serait également la dernière section de l'examen pour moi aujourd'hui, au poste suivant.

Il s'agissait de l'ECOS, un examen unique que la plupart des étudiants en médecine au niveau clinique connaissaient bien, même si le test faisait frémir de terreur à chaque fois que son nom arrivait à leurs oreilles. L'examen était divisé en plusieurs postes. Chaque poste comprenait des tâches consistant à s'enquérir des antécédents médicaux du patient fictif, à effectuer des examens physiques, à prescrire une procédure, à interpréter des radiographies et divers résultats de laboratoire, dans le temps imparti pour chaque tâche. Lorsque le temps était écoulé, la cloche sonnait pour indiquer qu'il fallait arrêter le test et passer à la tâche suivante.

Beaucoup d'étudiants en médecine détestaient les examens de type ECOS, mais pour moi, c'était le plus amusant de tous - assurément plus agréable que de répondre à des questions à choix multiples. Il va sans dire que l'examen permettait une évaluation fiable de la capacité des candidats à appliquer des compétences cliniques.

Une fois l'examen enfin terminé, je me précipitai sur mon sac que j'avais laissé à l'examinateur, retirant ma blouse et la mettant sans cérémonie dans mon sac avant de dévaler les escaliers. Aujourd'hui, j'avais rendez-vous avec Chompoo, une étudiante en pharmacie que j'essayais d'approcher. Elle avait accepté de venir dîner avec moi. Notre rendez-vous était fixé aux portes du bâtiment à 16 heures, mais j'avais déjà une demi-heure de retard à cause de l'examen qui s'était prolongé.

J'arrivai au premier étage, bondé de monde. Mes longues enjambées me menèrent en toute hâte vers ma destination. Je vis Chompoo, vêtue d'une courte blouse, qui se tenait à la porte. Elle regardait la montre à son poignet avec un regard intense.

Puis, je vis un homme en uniforme universitaire s'approcher pour lui parler. Je m'arrêtai soudain dans mon élan.

Ce jeune étudiant était beau, grand et costaud.

Il semblait avoir grandi, mais son regard de faucon m'était toujours aussi familier, même si plus de quatre ans s'étaient écoulés.

Tarr ! Qu'est-ce qu'il faisait ici ?

Chompoo fit un geste vers sa gauche. Tarr hocha la tête en signe de gratitude, puis se dirigea dans la direction indiquée par Chompoo. Je vis qu'elle le suivait des yeux pendant un long moment jusqu'à ce que je lui tapote l’épaule.

Chompoo se tourna vers moi, un peu surprise.

— Bonjour, Bunn !

— Désolé, je suis en retard, je viens de terminer mon examen.

— Oh, ce n'est pas grave. Je comprends, dit-elle en me gratifiant d'un léger sourire.

— Alors... trouvons quelque chose à manger.

Je partis avec elle. Cependant, je remarquai que Chompoo tentait régulièrement de jeter un coup d'œil en arrière jusqu'à ce que nous soyons sortis du bâtiment.

Chompoo et moi nous sommes parlé pendant une semaine, puis nous nous sommes progressivement éloignés, jusqu'à ne plus être en contact. Et je ne revis plus Tarr par la suite.




Le couloir devant moi était sombre et peu éclairé. La lumière au-dessus du plafond vacillait, et le couloir était devenu noir de façon sporadique à cause d'elle. L'air autour de moi se refroidissait de minute en minute. Mon corps se sentait lourd, immobile.

À ce moment-là, je vis la silhouette d'un homme qui s'avançait vers moi. Il tenait une arme dans sa main droite, le bruit de ses talons sur le sol résonnait dans toute la zone. La peur s'insinua peu à peu dans mon cœur.

La lumière du plafond éclaira le visage du mystérieux visiteur.

Le visage de Tarr.

Soudain, j'eus l'impression qu'une corde s'enroulait autour de mon cou. Avant que je puisse émettre le moindre son, le sol se déroba soudainement sous mes pieds. Je tombai dans l'obscurité, la corde autour du cou.

Je fus réveillé en sursaut par l'alarme de mon téléphone portable. Je repoussai rapidement la couverture et me redressai sur le lit, la lumière du petit matin passant par la fenêtre. Mon cœur battait la chamade et je transpirais malgré la température froide qui régnait dans la pièce.

Réalisant que ce n'était qu'un rêve, j'essayai d'inspirer et d'expirer lentement et je me frottai le visage pour revenir à la réalité.

Même si j'avais l'impression d'avoir mieux dormi que les autres nuits, je continuais à faire des cauchemars juste avant de me réveiller. Le rêve semblait si réel, tout comme lorsque j'avais rêvé que l'agresseur m'injectait quelque chose lorsque j'étais à l'hôpital.

Pourquoi avais-je rêvé de Tarr à l'instant ?

Je désactivai l'alarme de mon smartphone et m'extirpai du lit. Après avoir pris soin de moi dans la salle de bain, je sortis de la douche avec une serviette autour de la taille, comme à mon habitude. Je me pressai dans la fraîcheur du matin pour ouvrir l'armoire.

L'instant d'après, j'entendis le bruit de la porte de la chambre qui s'ouvrait.

— Aah ! m'exclamai-je en me servant de la porte de l'armoire comme d'une couverture.

Par chance, l'armoire était placée verticalement près de la porte,  je pouvais utiliser la porte de l'armoire pour cacher ma tenue inappropriée.

— Désolé ! s'exclama Tann.

Je pris une chemise sur le cintre et l'enfilai.

— Je sais que tu es le propriétaire de cette maison, mais frappe à la porte la prochaine fois ! le réprimandai-je.

— Je suis désolé, s'excusa Tann.

Eh bien, au moins, il n'était pas entré en trombe.

— Je voulais juste te dire que je prépare notre petit déjeuner en bas. N'oublie pas de le prendre.

— Je te remercie. Mais... tu permets ? Je m'habille là ?

— D'accord, d'accord.

J'entendis la porte se refermer. Néanmoins, je sortis la tête pour regarder la porte avec méfiance. Une fois que je ne le vis plus dans la pièce, je m'habillai rapidement, rangeai l'arme qui se trouvait sur la tête de lit dans mon sac à bandoulière et descendis les escaliers. L'odeur familière de la nourriture me parvint aux narines. Je me dirigeai vers la table à manger qui se trouvait au milieu de la cuisine de style occidental. Lorsque mes yeux se posèrent sur le petit-déjeuner, je compris pourquoi l'odeur m'était si familière.

— Porridge de 7-Eleven ?

Je regardai Tann verser du porridge chaud, récemment sorti du micro-ondes, dans le bol.

— J'ai un talent de cuisinier, je sais comment appuyer sur le bouton de démarrage d'un micro-ondes.

Tann déposa deux bols de porridge sur la table. Pas étonnant que sa cuisine ait l'air si impeccable.

Heureusement pour Tann, je n'étais pas difficile. Nous nous assîmes et prîmes notre petit-déjeuner ensemble.

— Ne me dis pas que tu ne manges que des surgelés, lui demandai-je.

— Je n'en mange pas si souvent. D'habitude, je mange dehors, ou je stocke de la nourriture provenant de marchés ruraux au coin de la rue. Mais maintenant, je n'ai plus de stock en réserve.

Un marché rural était un genre de marché qui ne devait pas être loin de sa maison, puisqu'elle était située près de la rue. Tann semblait avoir du mal à manger sa bouillie fumante.

— Tu as une blessure dans la bouche. Pourquoi as-tu mangé quelque chose de chaud  ?

Je regardai l'homme en face de moi. Il avait l'air attachant avec ses mouvements maladroits, comme un grand petit frère.

— Il n'y a rien d'autre à manger, à part ça, dit Tann en laissant tomber sa cuillère dans le bol, comme s'il avait abandonné. Tu n'as pas besoin de me regarder avec autant de pitié.

Je secouai lentement la tête et me replongeai dans mon bol. Tann regardait la bouillie fumante, comme s'il attendait qu'elle refroidisse avant de la manger.

— Tu vas aller travailler, n'est-ce pas ?

— Oui.

— Tu veux que je t'y conduise ?

— Non, ça va, refusai-je sèchement. Et tu n'as pas mieux à faire que de me déposer ?

— Si, mais mon cours commence après les heures de classe. De plus, je m'arrêterai de toute façon au temple près de l'hôpital. Et puis, c'est pour ta sécurité, d'accord ?

Je restai silencieux un moment avant de fermer les yeux et de soupirer doucement.

— Comme tu veux.

— Tu sais, dit Tann en posant son menton sur sa main et me regardant. Tu souris rarement, Doc.

Je lui jetai un coup d'œil.

— Deux de mes connaissances ont disparu, et j'ai été attaqué deux fois par quelqu'un dans ma propre maison. Je doute que quiconque puisse sourire après tout cela.

Finalement, Tann réussit à obtenir ce qu'il voulait : être mon chauffeur.




Je lui demandai de me déposer devant les urgences avant de descendre de voiture et d'entrer. La première chose que je vis en entrant fut Fai, s'enquérant des antécédents du patient près d'un lit d'hôpital.

— Fai !!

Je criai son nom si fort que les yeux des infirmières et des patients se fixèrent sur moi. Fai se tourna vers moi et rayonna. C'était comme si le monde entier s'était illuminé instantanément. Je me dirigeai directement vers elle, lui touchai les épaules et la regardai avec incrédulité.

— Où... Où étais-tu hier ? Pourquoi n'avons-nous pas pu te joindre ?

Fai sembla mal à l'aise face à mes questions.

— Euh...  ?

C'est comme si elle ne voulait pas me le dire.

Un long soupir s'échappa de ma bouche. Je n'avais jamais ressenti un tel soulagement de toute ma vie. Je voulais vraiment savoir ce qui était arrivé à Fai hier - peu importe ce que c'était, cela pourrait m'aider dans ma recherche du tueur.

— Vous voulez me dire quelque chose ?

Je réalisai à l'instant que j'étais carrément impoli, car Fai était en plein milieu d'un examen. Et en plus, je l'avais forcée à me raconter ce qui s'était passé malgré sa réticence. Je me tournai vers le patient sur le lit en m'excusant.

— Nous pourrons parler plus tard. Je suis content que vous alliez bien.

Je m'apprêtai à tourner les talons, mais Fai tendit la main pour tirer sur l'ourlet de mon pull. Je m'arrêtai et tournai la tête pour la regarder.

— Nous pourrons en parler à midi.

— D'accord, je viendrai te voir, acquiesçai-je.

Je repartis vers ma petite salle d'examen médico-légal.


Toutes les infirmières des urgences avaient les yeux rivés sur moi et commençaient à bavarder. Je tentai de les ignorer, me rendant directement dans ma salle d'examen et m'asseyant sur la chaise, avec Tik, l'infirmière chargée des cas médico-légaux, à mes côtés.

— Je suppose que la nuit dernière a été chaotique, docteur Bunn ? demanda Tik.

— Oui, mais quand Fai est-elle arrivée ? Avez-vous une idée, Tik ?

— Une infirmière de l'équipe d'hier après-midi m'a dit que le Dr Fai avait appelé les urgences vers 23 heures. Elle a dit qu'elle voulait un congé pour la journée d'hier et qu'elle reprendrait les gardes du matin. L'infirmière qui a pris l'appel du Dr Fai s'est plainte qu'elle vous aurait appelé pour vous parler du Dr Fai, mais qu'elle n'avait pas réussi à vous joindre.

Le numéro de téléphone enregistré aux urgences devait être le numéro de celui qui avait été volé à l'origine.

— Merci, Tik...

Tik croisa les bras en me regardant.

— Dr. Bunn, puis-je parler librement ?

—  Oui ? dis-je en levant les yeux vers une infirmière d'âge moyen qui me rendit mon regard avec un air féroce.

— Dr. Bunn, savez-vous ce que toutes les femmes disent de vous ?

Je crois que oui…

— Je ne veux pas qu'une femme douce comme le Dr Fai tombe amoureuse d'un coureur de jupons comme vous.

Tik et moi étions assez proches pour pouvoir parler de nos vies personnelles l'un à l'autre. Cependant, c'était la première fois qu'elle était franche avec moi à ce sujet.

— L'année dernière, vous n'êtes sorti avec Kai que pendant une courte période, puis vous avez couru après d'autres femmes. Si vous ne cherchez pas quelque chose de sérieux, laissez le Dr Fai tranquille. Je vous en supplie.

— Ah.

Je levai les mains et me massai les tempes. Alors, Kai n'avait dit à personne que c'était elle qui avait mis fin à notre relation, hein ?

— Je ne cherche pas à avoir une relation sérieuse avec Fai. Je vais la laisser tranquille. Vous êtes satisfaite ?

Tik laissa échapper un sourire, satisfait.

— C'est bien. Acceptez votre destin puisque vous avez décidé d'être vous-même un Casanova. Si je vous vois encore près du Dr Fai, je vous donne une fessée, dit-elle en me tendant le dossier du patient. Dois-je faire entrer le premier patient ?




Afin d'éviter que Tik ne me menace, à midi, je demandai à un brancardier de dire à Fai de me retrouver dans un restaurant de nouilles situé en face de l'hôpital. Je voulais parler de ce qui s'était passé hier. Le petit médecin assis en face de moi avait l'air plus pâle que d'habitude. Après avoir commandé notre repas, je décidai d'aller droit au but.

— Que s'est-il passé hier soir, Fai ?

Ses épaules s'affaissèrent vers l'avant, un air de terreur sur le visage.

— Hier midi, quatre adolescents sont venus chez moi. Je n'aurais pas dû ouvrir la porte, ils se sont précipités à l'intérieur.

Elle prit une grande inspiration.

— Ils ont pris mon téléphone et mon portefeuille et ont appelé mon frère aîné. Le fait est qu'il devait de l'argent à un usurier. Des centaines et des milliers... des millions avec les intérêts. Ils ont dit à mon frère de rembourser la dette. Dans la journée. Ils m’ont prise en otage...

Mes sourcils se froncèrent tandis que je réfléchissais à l'histoire de Fai.

— Je sais depuis longtemps que mon frère a emprunté de l'argent à des usuriers. Mais les créanciers ne m'ont jamais importuné auparavant. Je ne sais pas pourquoi ils sont venus me voir hier. Ces adolescents ont éteint mon téléphone et m'ont gardé jusqu'à 21 heures, puis ils ont dit que leur patron avait reçu l'argent de mon frère. Ensuite, ils ont quitté la maison avec mon téléphone et mon sac. J'ai essayé d'appeler mon frère, mais je n'ai pas pu le joindre. Peut-être qu'il ne veut pas que l'on sache où il est.

— As-tu déjà porté plainte ? demandai-je.

— La police l'a déjà noté dans ses dossiers, et je leur ai décrit ces adolescents. L'officier en a déduit qu'ils appartiennent au même groupe de gangsters qui tendent des embuscades aux motards la nuit. La police va les retrouver.

Des adolescents qui tendaient des embuscades aux motards la nuit ?

Ces jeunes travaillaient pour le créancier, qui avait soudainement ordonné de garder Fai dans sa maison alors qu'il ne l'avait jamais contactée auparavant.

C'était comme s'ils voulaient faire croire que Fai avait disparu le lendemain du jour où j'ai parlé de Janejira à Tann. Cependant, ils l'avaient seulement enfermée temporairement dans sa maison, ils ne l'avaient pas kidnappée comme pour Pert. Mais pourquoi ?

Je ne savais pas si les deux incidents qui nous étaient arrivés étaient liés ou non. Mais je commençais à rassembler les pièces du puzzle, formant le cadre du tableau.

— Sais-tu qui est le créancier de ton frère ?

— Je ne sais pas. Probablement l'un des magnats les plus puissants, dit Fai en secouant la tête.

Je m'appuyai sur le dossier de la chaise, essayant de réorganiser les informations dans mon cerveau. Je supposai que j'avais besoin d'un peu de temps pour me décider sur les prochaines étapes. Ce qui était certain, c'est que j'étais sur le point d'avoir affaire à un gros bonnet qui avait de nombreuses relations, de la police aux voyous adolescents qui tendaient des embuscades aux motards pendant la nuit.

Sorrawit, le garçon Khao-Tom-Mud, qui était mon patient, avait déjà rencontré ces adolescents. Je me dis qu'il était temps de commander d'autres paquets de ces friandises.




Sorrawit ouvrit la porte de la salle médico-légale avec un air réjoui sur le visage. Il portait encore son uniforme scolaire, une chemise blanche et un short kaki. Il tenait dans sa main un sac de Khao Tom Mud, en quantité bien plus importante que la dernière fois. Les bras croisés et les jambes écartées, je l'attendais sur la chaise.

— Bonjour, docteur.

Sorrawit joignit les paumes de ses mains pour me saluer. Je levai la main en signe de remerciement.

— Ton cours est terminé maintenant ? Tu es arrivé si tôt, dis-je en souriant au garçon.

Sorrawit se gratta l'arrière de la tête.

— Oui, je suis allé chercher le Khao Tom Mud que vous avez commandé chez moi tout de suite après l'école.

Je jetai un coup d'œil au sac qu'il tenait dans ses mains.

— Je n'en ai pas commandé autant.

— N... Nous les donnons. M...Maman a dit que c'était un acheté un offert, balbutia Sorrawit .

— C'est vrai ? Je pensais que tu avais le béguin pour moi et que tu voulais me les offrir.

Je souris tout de même au garçon.

Le teint clair de Sorrawit, qui était une caractéristique du peuple nordique, devint soudain rouge vif.

— D... Docteur,

— Et si tu posais ton sac pour que nous puissions nous asseoir et discuter ?

Je désignai une chaise devant moi. Sorrawit entra en boitant et s'assit, posant le sac sur la table.

— Comment vas-tu ? Ta blessure te fait encore mal  ? demandai-je en prenant le bras de Sorrawit pour inspecter les plaies qui s'étaient asséchées.

— P... plus maintenant.

Le rougissement timide brûlait encore sur le visage de Sorrawit.

— Hmph, c'est bien, dis-je en regardant les ecchymoses causées par l'impact de l'objet long et contondant sur les bras du garçon. Je peux te demander quelque chose ? Connais-tu la personne qui t'a frappé avec la matraque ce jour-là ?

Le garçon réfléchit.

— En fait, j'ai une assez bonne idée de qui c'était. Mais je ne l'ai dit à personne parce que j'avais peur qu'il me batte à nouveau.

Je me redressai sur ma chaise quand il dit qu'il connaissait ces adolescents, mais qu'il ne l'avait dit à personne par peur du malheur qui l'attendait.

—  Peux-tu me dire qui était cette personne ?

— Je connais l'un d'entre eux. C'est un de mes camarades d'école. Une brute. Il est à deux doigts d'être renvoyé. Il vient rarement en cours, en quelque sorte. Mais je ne connais pas les trois autres.

Je hochai la tête.

— Tu sais pour qui ils travaillent ? Est-ce qu'il y a un 'Big Boss' dans le gang ?

Sorrawit secoua la tête.

— Je n'en sais rien. Mais il devrait y en avoir un parce que les gens les craignent. Un de mes potes m'a dit que les flics ne font rien, peu importe ce qu'ils ont fait. Ils les laissent toujours partir.

— Ah, je vois. C'est dommage pour les gens d'ici. J'ai aussi eu beaucoup de patients qui ont été attaqués durant la nuit. Tu devrais faire attention, Sorrawit.

Je tendis la main pour toucher la cuisse du garçon. Sorrawit sursauta.

— Si tu sais quelque chose de plus sur ce gang, dis-le moi. Comme tu le sais, j'ai été confronté à de nombreux cas similaires. Je veux que mes patients soient prudents.

Sorrawit sourit largement, il semblait heureux.

— Bien sûr, je vais demander à mes amis s'ils en savent plus à ce sujet.




Je sortis des urgences en marchant. L'horloge sur le mur indiquait 16 h 45. À peine sorti, je vis mon chauffeur qui attendait près du banc devant le service. Sa grande silhouette vêtue d'une chemise noire s'approcha de moi.

— Pourquoi travailles-tu tard aujourd'hui  ? demanda Tann en s'apprêtant à passer son bras autour de mon épaule. Allons à la voiture.

J'accélérai le pas, esquivant le long bras de Tann, qui ne trouva rien d'autre que le vide.

— C'est à cette heure-là que je termine d'habitude. Mais si tu trouves que ce n'est pas pratique, je viendrai tout seul la prochaine fois.

Tann s'empressa de marcher à côté de moi.

— Je croyais que tu finissais à quatre heures, j'ai un cours à cinq heures. C'est l'heure de pointe.

Tann regarda sa montre - une montre connectée en plus, remarquai-je. Il semblerait que cet homme ait assez d'argent pour s'acheter ce genre de choses.

— Tu veux que je te ramène à la maison ou tu viens à l'école avec moi ?

— Si je viens à l'école avec toi, où suis-je censé t'attendre  ? m'empressai-je de demander.

— J'ai un bureau privé au dernier étage. Tu peux y travailler en m'attendant.

Tann et moi arrivâmes à la voiture de Tann qui bloquait les autres voitures.

— Je sais que tu n'as probablement pas envie d'être seul à la maison.

Il n'avait pas vraiment tort. Cela faisait des jours que j'essayais d'éviter d'être seul autant que possible. Tann déverrouilla la voiture et m'ouvrit la portière.

J'observai les gestes de Tann et fronçai les sourcils.

— Tann, il faut qu'on parle de ça…

Tann fit un geste en direction de la voiture.

— Après toi, docteur. Nous pourrons parler de ce que tu veux à l'intérieur.

J'entrai à contrecœur dans la voiture, avec quelqu'un qui ouvrit et ferma la portière pour moi. Tann fit le tour de la voiture et se glissa sur le siège conducteur. L'homme démarra le moteur et sortit de l'aire de stationnement.

— Doc, de quoi veux-tu parler ?

Je tournai la tête vers Tann.

— Tu es un hétérosexuel, n'est-ce pas ?

Tann se tourna vers moi, un air perplexe sur le visage. Puis il retourna la tête vers la rue.

— Bien sûr, je suis hétéro. C'est quoi cette question ?

— Un homme hétérosexuel ne tient pas la main, n'étreint pas, ne touche pas et n'ouvre pas la porte à un autre homme.

Tann sourit largement.

— Oh ? Je ne peux pas ?

— Ou bien tu traites tous les hommes que tu connais de cette façon ? Est-ce que quelqu'un t'a déjà demandé si tu étais gay  ?

Je commençai à le bombarder de questions.

— Je ne fais pas ça avec tout le monde. J'ai juste eu envie de le faire pour toi, répondit-il. Et je ne suis pas gay parce que j'aime les filles.

Pourquoi ses actes contredisaient-ils toujours ses paroles ?

— Alors, arrête de me traiter comme tu traites les femmes. Je n'aime pas ça.

— Rappelle-moi de ne pas recommencer si je vais trop loin. Parfois, mon instinct me rattrape.

Je n'avais jamais eu autant envie de donner un coup de pied au visage de quelqu'un.

— Ne t'en fais pas. Ce qui est fait est fait. La prochaine fois que tu feras ça, je te donnerai de mes nouvelles !!

Tann s'esclaffa.

— Ça ne servira à rien. De toute façon, tu es coincé avec moi.

Tann s'arrêta au feu rouge. Je soupirai d'agacement.

— Je ne suis pas sorti pour enquêter plus profondément aujourd'hui. Je ne sais pas par où commencer. J'ai pensé qu'il valait mieux que nous nous mettions d'abord d'accord. As-tu plus d'informations aujourd'hui ?

— Oui, j'en ai... ? dis-je en regardant par la fenêtre. J'ai une piste. On en parlera après ton cours.

— D'accord.

Tann se gara sur le trottoir, non loin de la barrière de l'école. Je regardai les adolescents qui entraient et sortaient en trombe, signe du succès de l'établissement, puis je tournai la tête vers l'homme qui tenait ce business.

— Comment as-tu réussi à piéger tous ces enfants ?

— Je ne l'ai pas fait. Ils sont tous venus me voir à cause de l'échec du système éducatif thaïlandais. J'ai fait partie de la première génération d'étudiants à passer le test d'admission en Thaïlande, je comprends ce que vivent les jeunes d'aujourd'hui.

Tann arrêta le moteur.

—  Je suppose que tu as passé l'examen d'entrée ? Tu as de la chance.

— Oui, j'ai passé l'examen d'entrée, dis-je en ouvrant la portière. Tu devrais donc garder à l'esprit que je suis plus âgé que toi. Montre un peu de respect.

Je devrais en savoir plus sur les antécédents de Tann ; qui sait, je pourrais trouver quelque chose de suspect.

—  Tu as obtenu ton diplôme de biochimie avec les honneurs. Pourquoi as-tu décidé de diriger une école de bachotage ? Pourquoi ne pas faire des études supérieures, publier des travaux de recherche ou devenir professeur d'université ?

— Je voulais revenir dans ma ville natale. Je dois m'occuper de ma mère.

Une mère ? Tann avait dit que sa mère venait chez lui de temps en temps. Il descendit de la voiture.

— Nous parlerons de ça plus tard. Nous avons tout notre temps pour discuter. Mais je dois me rendre à mon cours maintenant. Va au troisième étage. Une porte blanche sur la droite. Tu peux utiliser cette pièce. Et si tu veux fouiller dans mes affaires, range-les quand tu auras fini.

Il avait raison. J'allais certainement fouiller dans ses affaires. Je ne devais pas sous-estimer l'intelligence de Tann. Ce type était perspicace. Et cela le rendait encore plus intimidant. J'avais choisi de faire confiance à Tann pour l'instant, mais je devais me rappeler qu'il y avait une possibilité qu'il soit impliqué d'une manière ou d'une autre dans la mort de Janejira.




Je m'installai au bureau propre et bien rangé de Tann. Tout comme sa maison, le bureau était spacieux. Des piles de documents étaient empilées sur l'étagère, sans qu'aucun papier ne soit mal rangé. De l'autre côté de la pièce se trouvaient un canapé en velours noir et une table basse. À la vue de cette pièce, je devinai que sa personnalité se caractérisait par la propreté et l'ordre. Je me tournai vers la vitrine derrière le bureau, et mes yeux tombèrent sur le diplôme de M. Weerapong Yodsungnern, sur lequel était inscrit “mention très bien”. Ses photos de fin d'études, celles qu'il avait prises avec un groupe d'étudiants inscrits à des cours de soutien, étaient également présentes. À part cela, je ne vis rien d'autre qui puisse m'en dire plus sur son passé.

Comme Tann savait déjà que j'allais fouiller dans ses affaires, je pris la liberté de regarder dans les tiroirs de son bureau. Je n'y trouvai que du papier à lettres, des manuels de lycée, des polycopiés et un manuel de biologie et de chimie écrit par Tann lui-même.

Mon téléphone sonna, et je le sortis de ma poche, regardant le nom qui apparaissait sur l'écran.

Le capitaine Aem.

— Oui, Aem ? pris-je rapidement l'appel.

— [Hey, Dr. Bunn. Vous allez bien  ? ]

C'était la voix grave et robuste du capitaine Aem.

Je savais que le capitaine ne m'appelait pas juste pour prendre des nouvelles.

— Je vais bien.

— [Je vous appelle pour vous demander où en est le rapport d'autopsie de Janejira. Pourrez-vous le terminer à temps ou avez-vous besoin de plus de temps ?]

— Je peux le terminer à temps.

Ma décision était prise. Je soumettrai le rapport dans les sept jours.

— [Ok, euh, et la fois où vous m'avez dit que Janejira avait été assassinée, vous insistez toujours sur cette présomption ? Écoutez, je n'ai rien trouvé du tout. Aucun signe d'intrusion cette nuit-là. Aucun signe de lutte. Aucun signe d'effraction. Personne n'a vu quelqu'un qui semblait suspect dans le bâtiment. Et les caméras de sécurité à cet étage avaient disparu depuis longtemps.]

La caméra ne fonctionnait pas, dites-vous ? Je ricanai sèchement. Je n'étais pas sûr qu'il m'entende.

— Oui, pourquoi ne suis-je pas surpris ?

— [Qu'est-ce que vous voulez dire, Dr Bunn ? Qu'en est-il des produits chimiques, des drogues ou des substances toxiques dans son sang ? Ou des preuves indiquant la manière dont elle est morte ?]

— Tous les résultats sont négatifs et il n'y a pas eu d'overdose.

Je m'interrompis un instant.

— Aem...

— Oui ?

— J'y ai réfléchi. Mon hypothèse selon laquelle Janejira a été étranglée avant de mourir... pourrait avoir été une erreur ?

— [Quoi ? s’exclama le capitaine Aem. Qu'est-ce qui se passe exactement ?]

— La cause de sa mort... pourrait être un suicide.

Je fus atterré après que les mots eurent quitté ma bouche. Pour la première fois, je mentais au capitaine Aem.

— Quand Jane était sur le point de mourir, elle s'est peut-être débattue jusqu'à ce que les tissus de son cou soient gravement blessés.

— [Oh, merde ! Dr Bunn, je crois en votre expertise. C'est pour ça que j'ai formé cette putain d'équipe d'investigation, dit-il avant de soupirer. Eh bien, n'oubliez pas de le noter dans le rapport. J'espère qu'il n'y aura pas de problème.]

— Compris… répondis-je calmement.

Puis le capitaine Aem mit fin à l'appel.

Est-ce que ça pouvait vraiment être aussi facile ? Trop facile. N'avait-il pas remarqué que quelque chose n'allait pas ? Pas du tout ? Ou bien faisait-il lui aussi partie de cette machination ?

Je m'engageais sur cette voie prédéterminée, une voie où je devais mentir dans un rapport, en disant que Janejira s'était suicidée. Je m'adossai sur la chaise avec lassitude. Je fermai un instant mes paupières lourdes avant de me pencher pour ramasser mon sac à bandoulière et le poser sur mes genoux. Je sortis un papier et le posai sur le bureau de Tann.

Sur l'en-tête figurait l'emblème distinctif de Garuda et, en dessous, des lettres clairement adressées au quartier général de la police royale thaïlandaise... “RAPPORT D'EXAMEN POSTMORTEM”.


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Ven 6 Sep 2024 - 23:28



Chapitre 9
Le porridge de Tann ce matin m'avait obligé à lui expliquer comment cuisiner un vrai repas maison. Je lui avais demandé d'acheter quelques ingrédients au supermarché en revenant de l’école. Je préparai un plat simple que je pouvais faire sans son aide. L'homme, qui attendait à la table, regarda avec excitation un bol de soupe claire avec du tofu, des algues et du porc haché, et une assiette de salade de thon que j'avais préparée.

Tann saisit le bol et avala la soupe.

— Oh, Doc... s'il te plaît, épouse-moi.

Cet homme dépassait toujours les bornes !

— Non. Rends-moi service et trouve-toi une femme qui sait cuisiner.

— Qui a besoin d'une femme quand je t'ai toi  ?

Affamé, Tann enfourna une cuillerée de riz dans sa bouche.

Voilà qu'il me poussait dans mes retranchements.

— Tais-toi et mange. Dépêche-toi de finir pour que nous puissions avoir une conversation importante. Je t'ai dit de ne plus dire ce genre de choses, sinon je te ferai savoir ce que je pense. Mets-toi bien ça dans la tête. Tu n'es pas bête, je croyais qu'on en avait déjà parlé.

Après mon ultime réprimande, je fus presque sûr qu'il avait l'air un peu abattu.

— C'est vrai... Désolé.

Après avoir lavé la vaisselle et l'avoir rangée, nous nous installâmes sur le canapé du salon. Tann était assis, les jambes croisées, et se frottait pensivement le menton après que je lui ai raconté ce qui était arrivé à Fai.

— Puisque tu es de la région, sais-tu quelque chose sur les gros bonnets  ? demandai-je à Tann.

— Oui, un peu. Il n'y a qu'une poignée de riches ici qui ont accordé des prêts à la mafia. Pour autant que je sache, Hong, le propriétaire de l'immeuble que je loue actuellement pour mon école, est l'un d'entre eux. Mais c'est un homme honnête. Il ne semble pas qu'il puisse être impliqué avec la mafia. Il y a aussi cet homme qui possède un commerce de voitures d'occasion à Klang Vieng, dans le centre-ville. Je n'ai pas beaucoup de détails sur lui. Et l'autre, c'est ton ami, le procureur Songsak…

Mon cœur faillit s'arrêter de battre à l'évocation de son nom.

— Sa famille est riche depuis longtemps. Leur réputation est assez redoutable. J'ai entendu dire que son oncle avait tué quelqu'un. Jusqu'à présent, il n'a pas été inquiété, dit Tann en fronçant les sourcils. Ses relations avec la police l'ont rendu extrêmement puissant.

— Mais le procureur a déjà été enlevé, m'empressai-je de protester.

— C'est vrai. Cependant, je pense toujours qu'il y a quelque chose de louche. Nous ne pouvons rien dire tant qu'il n'y a pas de preuve qu'il soit encore en vie ou non. Il pourrait tout aussi bien se cacher et diriger l'opération à distance.

Je saisis malgré moi le téléphone de Pert dans ma poche.

— C'est 'Impossible'.

— Je n'en sais rien. J’essaie juste de voir les choses sous différents angles. As-tu une feuille de papier ? Je vais le noter.

Je lui tendis un morceau de papier que j'avais sorti de mon sac. Tann y inscrivit les noms qu'il avait mentionnés.

— Je vais m'occuper de ça. Tu n'es pas d'ici, tu ne saurais pas t'y retrouver. Je vais parler à Hong, au concessionnaire et au parent éloigné de ton ami. Je trouverai peut-être des indices sur l'identité du chef de ces malfrats. Quant à toi, tu dois essayer de contacter le frère du Dr Fai et lui demander qui est le recouvreur.

Tann releva les yeux vers moi.

— Mais tu es sûr que nous sommes sur la bonne voie ?

Je croisai les bras et fermai les yeux.

— Je ne sais pas si nous avons pris le bon chemin. Mais au moins, nous avons quelques indices pour savoir par où commencer.

— Il ne t'est jamais venu à l'esprit qu'il pourrait s'agir d'une sorte de vengeance ?

Je rouvris les yeux, fronçant les sourcils.

— Qu'est-ce que tu veux dire ?

— Je veux dire que tout ceci aurait pu être un plan juste pour te faire du tort, pour réduire ton avenir à néant… dit Tann en tapotant le stylo sur le papier. Ce n'est qu'une idée. Peut-être, peut-être pas. As-tu des ennemis ?

— ... Non, je n'en ai pas, répondis-je en joignant les mains sur mes genoux, pensif. Pas un ennemi à proprement parler, mais peut-être quelqu'un qui m'en veut...

— Qui  ? demanda Tann en hochant la tête.

— Je ne pense pas que ce soit lui. Il pourrait me détester, oui, mais Janejira n'a rien à voir avec ça.

— Dis-le-moi.

Je restai silencieux un moment. C'était mon erreur, une erreur due à mon arrogance.

— C'est arrivé au moment où je suis venu ici pour travailler pour le gouvernement.




Deux ans auparavant.

Je fus convoqué sur les lieux d'un crime, une maison à colombages de deux étages au milieu d'un jardin de longaniers. Je descendis de la camionnette, suivi d'Anun. C'était le légiste professionnel qui travaillait à l'hôpital depuis que le Dr Apirak avait pris sa retraite. Depuis mon arrivée ici, c'était la troisième fois que moi, le Dr Bunnakit, un médecin légiste dynamique, fraîchement sorti de l'école de médecine, je participais à l'enquête post-mortem sur la scène du crime.

Le capitaine Tu se dirigea vers moi avec un large sourire.

— Bonjour, Dr Bunnakit.

— Quelle matinée rafraîchissante, capitaine, dis-je en balayant du regard le jardin de Longan.

— Directement sur le front, au lever du soleil, dit le capitaine Tu en fronçant les sourcils. Pensez-y comme à un rite d'initiation.

— C'est mieux que la salle d'entraînement, si vous voulez mon avis ; personne ne me force à chanter tout le temps ici, dis-je en riant.

— Heh-heh, je vous aime bien, mon gars.

Le capitaine Tu me conduisit vers la maison.

— La personne décédée est Wandee Auykham. 54 ans. Le corps a été découvert à 8h15. Les voisins ont entendu un coup de feu. Lorsqu'ils l'ont rejointe, elle gisait dans une mare de sang. Un pistolet dans la main droite. Son fils a affirmé qu'elle était droitière.

— L'arme est-elle toujours sur les lieux  ? demandai-je en me tournant vers lui.

— Oui. Voulez-vous que l'enquêteur de la scène de crime l'enlève ? Nous en avons fini avec les photos. Je peux m'en occuper, me proposa le capitaine Tu, comme s'il pouvait lire dans mes pensées.

Je craignais juste qu'un coup de feu ne se déclenche. Rien de plus.

— Je vais juste jeter un coup d'œil, et la police scientifique peut ranger l'arme ?

J'entrai dans la maison. La première chose que je vis fut le corps d'une femme d'âge moyen allongé sur le dos à même le sol, une mare de sang auréolant sa tête. Sur le mur derrière le corps, de grandes taches de sang descendaient sous l'effet de la gravité. Dans la main droite du cadavre se trouvait un revolver.

— Je vais demander aux experts de ranger l'arme pour que vous puissiez travailler sur le corps.

Le capitaine Tu alla parler à l'agent dont la tête oscillait de haut en bas à proximité.

Cause du décès : une blessure par balle. Mais de quelle manière sa mort est-elle survenue ?

En apparence, il s'agissait d'un suicide. Après avoir éloigné le revolver, Anun et moi enfilâmes des gants et nous approchâmes du corps pour l'examiner. Après l'examen externe, je passai à l'estimation de l'heure de la mort.

Je tentai de faire bouger l'articulation interphalangienne du corps.

— Très réactif, elle n'est pas morte depuis plus de deux heures.

Je m'approchai pour regarder la blessure par balle sur sa tête. Elle avait été causée par une munition d'arme de poing. Le point d'entrée de la blessure se situait sur la tempe droite et la forme était symétriquement ovale. De forme irrégulière, la blessure de sortie se trouvait sur la tempe gauche, avec un peu de cerveau coincé à la sortie. Je vis un cercle gris autour de la blessure, ce qui indiquait que la distance de tir ne devait pas être supérieure à 15 cm.

Tous les schémas correspondaient. Il ne restait plus qu'à effectuer le test de dépistage de poudre sur sa main pour vérifier qu'elle avait bien appuyé sur la détente.

— La personne décédée a-t-elle eu des problèmes ces derniers temps ? demandai-je au capitaine Tu.

— Son fils a dit qu'elle avait un problème de dettes. Et dernièrement, le prix du longane a également baissé.

Je me levai.

— Alors, j'ai besoin que vous envoyiez le corps à l'hôpital pour un examen plus approfondi...

Je me tournai vers le capitaine Tu et lui souris avec assurance.

— Mais je suis presque sûr qu'il s'agit d'un suicide. C'est à peu près tout. Tout se tient et le mobile est clair.

C'est alors que je perçus du vacarme venant de l'extérieur. Tout le monde dans la maison se tourna en même temps vers l'endroit d'où venait le bruit.

—  Oh !!! Kham !!! cria un homme. Kham va sauter dans le puits ! À l'aide !!!

—  Mais qu'est-ce qui se passe !?

Le capitaine Tu bondit à l'extérieur. Anun et moi enlevâmes nos gants et le suivîmes.

Kham ou Kham Auykham, le mari de Wandee, essayait de se noyer dans le puits artésien(1) derrière sa maison pendant que je pratiquais l'autopsie de Wandee. L'homme qui avait appelé Kham était un villageois qui l'avait croisé. Il avait vu Kham s'accrocher par les doigts au rebord de la fenêtre à l'extérieur de sa propre maison, comme s'il écoutait aux portes, et il s'était soudain précipité vers le puits. Tout le monde réussit à le sauver juste à temps.

— Boo-hoo. C'est ma faute. Elle s'est tuée à cause de moi. À cause de moi.

Kham resta assis par terre, pleurant pitoyablement. D'après l'interrogatoire, Kham et Wandee avaient eu une grosse altercation la nuit précédente. Kham était parti dormir ailleurs. À son retour, il avait constaté que sa maison était encerclée par des badauds et par la police. Il s'était alors faufilé vers la fenêtre arrière et avait vu le corps de sa femme. L'homme avait également entendu ce que j'avais dit à propos du suicide de Wandee.

Cette nuit-là, Kham fut retrouvé mort, pendu à un longanier dans le jardin. Plus tard dans la journée, un homme se rendit à la police et avoua avoir tiré sur Wandee et lui avoir mis le revolver dans la main. Les mains de l'homme furent testées positives aux résidus de poudre. C'était lui qui avait appuyé sur la détente.

Le fils de Kham était en deuil et gardait rancune de la mort de son père, qui n'était pas censée se produire. Il avait envoyé une lettre dans laquelle il me menaçait de me tuer parce que je n'avais pas déterminé avec exactitude la manière dont le décès s'était produit. Mais il ne s'était rien passé par la suite. Je n'entendis plus parler du fils de Kham, et l'homme qui avait assassiné Wandee fut traduit en justice.




— Tu te souviens du nom de son fils ?

Tann nota sur le papier les détails que je lui avais donnés.

— Il s'appelle Kopku Auykham, soupirai-je. Oh, je me souviens bien de son nom, il m'a fait une peur bleue à l'époque.

Tann acquiesca.

— D'accord, je vais demander où se trouve Kopku et ce qu'il fait... Y a-t-il quelqu'un d'autre ? Quelqu'un qui aurait pu te vouer une rancune similaire ?

Je restai immobile. Quelqu'un qui m'en voulait ? Quelqu'un qui me méprisait au point de vouloir contrôler mon destin, d'envisager de mettre en scène un meurtre pour m'impliquer dans ce merdier et me terroriser de toutes les manières imaginables.

Soudain, sans raison, un nom apparut dans mon esprit.

Tarr.

Je jetai un coup d'œil à Tann, qui me fixait avec impatience.

— Tu crois que l'amour peut pousser quelqu'un à haïr celui qu'il aime et à revenir pour se venger, même si c'était il y a longtemps ?

Les sourcils de Tann se relevèrent jusqu'à rejoindre la racine de ses cheveux.

— Pourquoi en vouloir à une personne que l'on aime ? À moins, bien sûr, d’avoir été trahie. Ou d’avoir été larguée de la manière la plus cruelle qui soit. D'ailleurs, cette femme doit aussi être une psychopathe si elle veut garder rancune à ce point.

— Cela peut sembler très improbable, mais si tu veux avoir une vue d'ensemble de qui pourrait être le suspect potentiel, dis-je avant de faire une pause pour me ressaisir. Je suis sorti une fois avec un type...

Notes :
1/ Puits artésien : puits dont l'eau s'écoule sous pression naturelle sans pompage.

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Ven 6 Sep 2024 - 23:29



Chapitre 10
Je vivais dans le mensonge depuis des décennies. Je cachais qui j'étais vraiment à l'intérieur de moi. Pendant très longtemps, je n'avais pas laissé un seul morceau de mon vrai moi à découvert. Ma véritable orientation sexuelle, ma voix, ma vulnérabilité, tout cela, je ne l'avais jamais divulgué à personne, sauf à cet homme.
Je pouvais exprimer mes vrais sentiments chaque fois que j'étais avec lui. Je pouvais être en colère, effrayé, et je pouvais mettre à nu ma vulnérabilité devant cet homme. Je ne l'avais jamais révélé à personne, pas même à Pert, et maintenant, j'étais sur le point de lui révéler un autre secret que j'avais gardé caché pendant longtemps.

Pourquoi est-ce que je voulais que Tann en sache autant sur moi ?

— Je suis sorti une fois avec un type...

La réaction de Tann fut celle à laquelle je m'attendais. Il sembla surpris. Il laissa inconsciemment tomber le stylo sur la table basse.

Le silence tomba sur nous comme une couverture.

— Tu… tu es gay ? finit par dire Tann.

— Maintenant tu sais pourquoi j'étais en colère quand tu me taquinais  ? lui fis-je remarquer, en essayant de calmer mes nerfs. Tu vois, si tu étais hétéro, j'aurais l'impression que tu te moques de moi. Mais si tu étais gay, j'aurais l'impression que tu me dragues. Mais ça n'a pas d'importance. Ce que j'essaie de dire, c'est que je suis sorti avec un garçon au lycée. C'est moi qui ai rompu avec lui. Il était très en colère contre moi et m'a dit que je ne pouvais pas cacher mon homosexualité à tout le monde. Je ne l'ai plus revu. Il y a environ un mois, mon ex-petite amie m'a largué parce que quelqu'un lui avait dit que j'étais gay. Je me suis demandé ce qu'était devenu mon ex-petit ami.

Je regardai Tann, qui continuait de me fixer. Il n'écrivait plus rien sur le papier.

— … Hey, tu m'écoutes ?

Tann hocha lentement la tête, alors je poursuivis.

— C'est trop absurde. Sa rancune envers moi ne lui ferait pas faire une telle chose. Cela fait longtemps maintenant. Mais puisque tu veux savoir, je vais te le dire, au cas où.

— Je ne l'ai pas fait pour t'embêter… dit soudain Tann.

Je ne vis aucun lien entre ce que j'avais dit et ce que Tann venait de dire.

— Je suis désolé de t'avoir fait penser ça…

— Je t'ai dit que ça n'avait pas d'importance. Tu n'es pas gay. Tu n'as pas à t'inquiéter pour moi.

Je m'apprêtais à poursuivre l'histoire de Tarr, mais Tann se leva, se dirigea vers moi et s'assit sur le canapé sur lequel je me trouvais. Je m'éloignai précipitamment, mais il m'attrapa le bras, m'empêchant d'aller plus loin.

— Tann, qu'est-ce que tu fais ?!

— Jane était comme ma sœur. Nous nous sommes connus lorsque l'école de Jane m'a engagée pour donner des cours particuliers aux élèves de sixième, dit Tann à voix basse.

Son regard se posa sur moi, me transformant en pierre.

— Au fil du temps, elle et moi sommes devenus proches. Un jour, Jane m'a avoué son amour. Je lui ai dit que j'étais désolé, mais que j'aimais les hommes. Elle a eu l'air choquée, puis elle a ri en disant que je pouvais être son petit frère. Nous étions toujours proches, nous sortions ensemble. Tout le monde pensait que nous étions un couple.

Qu'est-ce qu'il venait de dire... ?

— J'ai fait avec parce que je ne voulais pas blesser Jane. Je l'aimais. Je m'inquiétais pour elle, j'essayais de la protéger en tant que collègue. Je savais que Jane espérait encore que je puisse l'aimer en retour. Jusqu'au jour où je lui ai dit de me laisser partir. Je voulais que Jane trouve un bon gars, tu vois ce que je veux dire ? Par la suite, tout s'est dégradé, la dépression de Jane s'est aggravée. Elle avait l'air si dévastée...

Tann soupira.

— Elle a menacé de se suicider à plusieurs reprises. Le jour où j'ai trouvé son corps, je n'ai même pas pensé qu'elle avait été assassinée. J'étais désolé pour elle, mais une partie de moi était secrètement heureuse qu'elle soit maintenant libérée de l'enfer dans son esprit.

C'est la raison pour laquelle Tann n'avait pas l'air bouleversé par la disparition de Janejira.

J'essayai de retirer l'emprise de Tann sur mon bras avec mes mains tremblantes.

— P... Pourquoi tu me le dis seulement maintenant ? Pourquoi tu as dû mentir...

— Pour la même raison que celle pour laquelle tu m'as parlé de ton ex tout à l'heure, dit-il après avoir souri légèrement.

L'instant d'après, une sensation électrisante se répandit dans ma poitrine et se propagea dans tout mon corps, mon cœur battant la chamade. Ma respiration était saccadée, brûlante. C'était une sensation que je n'avais jamais ressentie de ma vie.

— Je savais qu'il devait y avoir une raison pour que je veuille te tenir la main, te serrer dans mes bras, prendre soin de toi. Mon instinct m'a dit que tu étais comme moi.

Tann leva la main et la posa sur ma joue, puis la glissa progressivement jusqu'à ma nuque. Je me rendis compte que je ne pouvais rien faire d'autre, comme si mon cerveau et mon esprit avaient été vidés de leur substance.

Comme si les chaînes qui avaient emprisonné mon identité s'étaient émancipées à ce moment-là. Mes deux mains se placèrent derrière la nuque de Tann et l'attirèrent vers moi pour qu'il m'embrasse.




— Aujourd'hui, je vais parler aux gars dont nous avons parlé hier soir, dit Tann en garant la voiture devant les urgences. Ce soir, nous discuterons de ce que nous avons trouvé.

— Hmph, dis-je en retour, en tendant la main vers la portière de la voiture.

Tann prit ma main pour la serrer fort, et je m'arrêtai alors.

— Prends soin de toi. Je viendrai te chercher dans la soirée.

Je me tournai vers Tann.

— Toi aussi. N'y va pas si tu penses que c'est dangereux. Si les choses tournent mal, tu t'enfuis. Nous ne sommes pas obligés de rassembler toutes les informations en une seule fois.

Il refusait toujours de lâcher ma main.

— Je ne veux pas que tu t'en ailles.

Je saisis sa grosse main et la retirai.

— Je dois aller travailler, dis-je en ouvrant rapidement la portière et descendant de la voiture avant qu'il ne puisse me retenir plus longtemps.

— Bunn ! m'appela Tann avant que je ne puisse fermer la portière. S'il arrive quoi que ce soit, tu m'appelles immédiatement, d'accord ?

Je soupirai, agrippai le bord de la portière et passai la tête à l'intérieur.

— Je n'ai pas besoin qu'on s'inquiète trop pour moi. Et ne me mets pas d'étiquette sur le dos. Nous avons couché ensemble une fois, mais nous ne sommes pas ensemble. Nous en reparlerons une autre fois.

Puis je claquai la porte au nez de Tann.

Si vous cherchez la définition de “l'entichement”, il n'y a pas besoin de chercher bien loin. J'en étais la quintessence. L'incident d'hier soir le prouvait. J'avais libéré le démon qui résidait dans mon subconscient et je l'avais laissé me consumer, satisfaire mes besoins et mes désirs. J'avais fini par avoir une relation intime avec mon propriétaire sur le canapé de son salon. Je me frottai le visage en y pensant. Qu'est-ce que j'avais fait ? Le simple fait d'apprendre que Tann était comme moi m'avait fait perdre mon sang-froid et oublier tout ce qui se passait.

Les complications n'allaient pas tarder à arriver. Non seulement Tann pourrait s'attacher davantage à moi, mais mon esprit était également dans un dangereux état de confusion.





Aujourd'hui, j'étais convoqué pour pratiquer l'autopsie d'une femme d'une trentaine d'années, qui avait consommé une grande quantité d'insecticides avant sa mort inéluctable. Comme je devais encore mon cours à Boem, le jeune interne, je demandai au personnel des urgences de laisser Boem m'accompagner sur les lieux. Pendant notre trajet dans la navette de l'hôpital, le jeune interne resta silencieux, ne prononçant pas un seul mot.

— Y a-t-il quelque chose que tu veux demander avant que nous n'arrivions sur les lieux  ? demandai-je à l'homme à la peau sombre qui se trouvait devant moi.

— Non, monsieur, répondit Boem.

J'eus l'impression qu'il me jetait un froid.

— Si tu as des questions, tu peux me les poser sur place. Je veux que tu connaisses les bonnes procédures post-mortem sur place, ainsi que tes mesures de sécurité.

Boem ne semblait pas intéressé par mes instructions pour le moment. Je soupirai.

— Tu m'en veux toujours pour Fai ?

Boem fut un peu surpris et se tourna vers moi. Anun, le légiste chevronné qui se trouvait là par hasard, porta également son attention sur notre conversation.

— Je veux que tu saches que je ne l'aimais pas comme tu le penses. Fai et moi sommes proches parce que nous devons travailler ensemble, c'est tout. Je ne voulais pas te la prendre. Ne prête pas trop attention aux ragots des infirmières.

— Compris, me répondit brièvement Boem sans rien ajouter d'autre.




Après avoir terminé l'autopsie d'aujourd'hui, je retournai aux urgences dans la soirée pour parler à Fai de son frère. Je me dirigeai directement vers elle, qui était en train de rédiger le dossier d'un patient. Elle leva la tête vers moi et se mit à sourire.

— Bonjour, Bunn.

Je tirai une chaise pour m'asseoir à côté d'elle.

— Fai, je peux te demander quelque chose à propos de ton frère ?

Une expression de surprise se dessina sur le visage de Fai.

— Demander quoi  ? me répondit-elle à voix basse.

— Je veux parler à ton frère. Puis-je avoir son numéro ?

— Pourquoi voulez-vous parler à mon frère ?

— A propos de l'agent de recouvrement, je veux savoir à qui il devait de l'argent.

J'évitai de donner d'autres raisons. Fai sembla hésiter un peu avant de sortir son téléphone.

— Mon frère est un peu difficile à joindre au téléphone. La plupart du temps, c'est lui qui prend l'initiative des appels, il décroche rarement son téléphone. Mais vous pouvez prendre son numéro, Bunn.

Fai me donna le numéro et je m'apprêtais à l'enregistrer sur mon téléphone. Hélas, avant que je puisse appuyer sur le bouton pour enregistrer le numéro, je sentis quelqu'un me donner une légère claque dans le dos, ce qui me piqua un peu. Puis les infirmières se mirent à rire. Je me retournai et vis Tik debout, les mains sur les hanches, juste derrière moi.

— Je n'arrive pas à croire que vous m'ayez forcée à faire ça, docteur Bunn, me dit Tik d'un air renfrogné. Éloigne-toi du Dr Fai et va voir ton vrai petit ami. Il t'attend dans la salle d'examen.

J'étais choqué. De qui s'agit-il ? Mon vrai petit ami ?? Et pourquoi Tann était-il la première personne qui me venait à l'esprit ?

Lorsque j'ouvris la porte de la salle d'examen, je remarquai que Sorrawit m'attendait sur le siège en secouant les jambes. Il se tourna vers moi et me sourit largement.

— Bonjour, docteur.

—  Et bien, bonjour, dis-je en me dirigeant vers ma chaise. Qu'est-ce qui vous amène aujourd'hui ?

— J'ai quelque chose à vous dire. Vous m'avez questionné à propos des voyous l'autre jour.

C'était rapide ! Enfin, il y avait des pistes. Mon cœur battait la chamade tandis que je retenais mon souffle.

— … Mon ami de l'école est dans la même classe que l'un des gangsters. Il m'a dit que le chef de gang allait dans une école de commerce. Et ils ont quelqu'un pour les soutenir, quelqu'un qui s'appelle 'M. Black' ; il dit que chaque fois que le gangster se bat, il menace ses ennemis en disant que M. Black les tuera. M. Black est celui qui peut les contrôler et qui finance le gang.

M.Black... Je mémorisai ce nom.

— … J'ai donc essayé de demander qui était ce M. Black. Mais mon ami n'en avait aucune idée.

La détermination se lisait sur le visage de Sorrawit.

— Mais pour vous, je vais encore chercher des informations.

— Non ! Vous n'avez pas à le faire, objectai-je brusquement, pensant que si le garçon allait trop loin, il pourrait être en danger. Vous n'avez pas besoin de trouver quoi que ce soit d'autre. Je suis satisfait maintenant.

Sorrawit rayonnait.

— Docteur, vous ne voulez rien savoir d'autre ?

— Je n'ai besoin de rien d'autre. Merci. Pour ce qui est de trouver M. Black, je m'en occupe maintenant, dis-je, puis le sourire de Sorrawit disparut de son visage.

— Alors je suppose que je n'ai plus aucune raison de venir ici.

Le garçon prit un air triste, alors je tendis la main pour lui tapoter la tête.

— Qui a dit que vous ne pouviez pas venir ? J'ai toujours envie de manger ces Khao Tom Mud.

Les yeux du garçon étaient à nouveau brillants.




J'étais assis sur le lieu, ce n'était ni le lieu d'un crime, ni le lieu d'un suicide. C'était le "lieu" où je m'étais abandonné à Tann. Nous étions retournés sur le même canapé pour discuter. La seule différence avec hier, c'est qu'aujourd'hui, Tann était assis à côté de moi. Il sortit une feuille de papier sur laquelle il avait écrit d'une main peu soignée.

— J'ai obtenu pas mal d'informations aujourd'hui, dit Tann en désignant le premier nom. Commençons par Hong, il a dit que la somme d'argent que chacun de ses débiteurs lui devaient n'atteignait pas le million de bahts avec les intérêts. Et c'est quelqu'un de très bien, je maintiens ce que j'ai dit. Il est impossible qu'il fasse une chose pareille.

Tann déplaça son doigt vers le deuxième nom.

— Le vendeur de voitures d'occasion, M. Sanith : J'aimerais y retourner une autre fois, car son magasin était fermé aujourd'hui. Ensuite, nous avons le parent éloigné du procureur, qui s'appelle Pae. La source a déclaré que sa famille avait des débiteurs partout. C'est un créancier assez brutal, qui pratique des taux d'intérêt élevés et qui dispose d'un moyen physique pour recouvrer ses dettes.

Tann traça un épais cercle rouge autour du nom de Pae.

— Je pense que le procureur est le plus effrayant de tous.

Je fronçai les sourcils.

— Il y a beaucoup de gens dans sa famille. Pourquoi ne vises-tu que le procureur disparu ?

— Je doute de lui à cause de sa disparition, voilà pourquoi.

Tann fit glisser son doigt jusqu'au quatrième nom.

— Kopku est toujours dans cette province, mais il est entré au monastère l'année dernière. Aujourd'hui, il est abbé adjoint d'un monastère dans un autre district. Demain, je m'y rendrai pour confirmer ce fait. Qu'est-ce que tu as appris aujourd'hui  ? demanda Tann en se tournant vers moi.

Je lui parlai des informations de Sorrawit et du fait que j'avais obtenu le numéro du frère de Fai.

— J'ai essayé de l'appeler, mais son téléphone est éteint. Tu peux l'appeler jusqu'à ce qu'il décroche ? Tu pourrais avoir de la chance, lui dis-je en écrivant le numéro du frère de Fai sur le papier.

Tann se caressa le menton, un geste caractéristique lorsqu'il réfléchissait.

— M. Black doit être la clé de l'affaire.

— Je crois aussi. Je pense que la police le connaît. Mais si nous leur demandions et que M. Black était en fait le tueur, il pourrait se rendre compte de la situation.

— Même si la police connaît son nom, elle ne te le dira probablement pas de toute façon. De plus, cela pourrait inciter le méchant à te faire du mal à nouveau.

Tann sembla se souvenir de quelque chose.

— Soit, on s'en tient au plan initial : Tu poses la question à la police. Ils répondront ou non, peu importe, mais nous parviendrons à le débusquer et, cette fois, je le capturerai.

— Je ne peux pas. Il ne me fera pas de mal, il fera du mal à d'autres personnes, dis-je en m'appuyant sur le dossier du canapé, levant les mains pour me masser les tempes. Concentrons-nous sur M. Black. Il peut s'agir de son vrai nom ou d'un surnom. Je te laisse le soin de demander aux villageois s'ils le connaissent.

— D'accord, dit Tann notant mes ordres sur le papier.

Quel élève parfait, me dis-je. Pas étonnant que Tann ait été un élève brillant.

— Quant à Tarr, ton ex, j'ai bien peur que le joindre soit au-delà de mes capacités. J'ai besoin que ce soit toi qui trouves un moyen de le contacter. Fais-moi savoir si tu as besoin d'aide.

Tann posa le stylo sur la table et se tourna vers moi. Son long bras s'étendit sur le coussin derrière ma tête et son visage s'approcha de moi.

— Dormons encore dans ma chambre ce soir.

— Non, dis-je en le regardant du coin de l'œil.

Tann soupira.

— Puisqu'on en est arrivé là, ne sois pas méchant avec moi, Bunn.

Je me levai, l'évitant.

— Ce soir, je vais contacter mes anciens camarades de lycée pour leur demander des nouvelles de Tarr. Ensuite, j'examinerai le rapport d'autopsie de Janejira pour le soumettre à la police demain, dis-je en regardant Tann qui affichait un regard plein de désir. J'ai beaucoup de travail. Si tu veux dormir, dors tout seul. Si tu es si excité, va te branler.

—  Méchant...

Tann me regarda, abasourdi. Je me dirigeai vers les escaliers sans faire attention à lui.

Je fermai la porte à clé aussitôt après avoir fui dans la chambre, dans l'espoir d'empêcher l'intrusion de mon propriétaire. Pour des raisons inconnues, mon cœur palpitait quand je parlais à Tann. Je m'appuyai un instant contre la porte. Des palpitations fréquentes peuvent être le signe d'une sénilité imminente ou d'un manque de sommeil, pensai-je. Lorsque les palpitations commencèrent à s'atténuer, je me dirigeai vers l'armoire où j'avais rangé mon ordinateur portable et le sortis. Je le posai sur le lit et ouvris le site de réseau social le plus populaire de notre époque : Facebook. Mon fil d'actualité n'était pas très actif, je n'étais pas du genre à mettre à jour mon statut ou à poster des photos au hasard. Je n'utilisais même pas ma propre photo sur mon profil. À la place, c'était la photo d'un chat roux, que je trouvais plutôt mignon.

Pour moi, Facebook n'était qu'une plateforme que j'utilisais pour garder une trace de mes amis de l'université et pour taguer des photos lorsque je me rendais à des rassemblements sociaux. J'ouvris ma liste d'amis sur Facebook, dans laquelle presque tous mes amis étaient d'anciens camarades de classe de l'école de médecine. Je tentai de faire défiler la liste de mes amis du lycée. Il me semblait que certains d'entre eux m'avaient envoyé une demande d'ami.

En voilà une. Le Facebook de Narmfon. C'est ma magnifique ancienne déléguée de classe et ma rivale potentielle sur le plan scolaire. Ses notes étaient meilleures que les miennes, car elle avait obtenu de meilleurs résultats à son test d'aptitude. Cependant, mes résultats aux examens avaient toujours été équivalents aux siens. D'après sa photo de profil, elle était encore plus jolie. Je décidai de lui envoyer un message.

[Salut Narmfon, c'est moi, Bunn, ton copain de lycée, tu te souviens de moi ?]

Cela ne prit pas longtemps ; je vis le témoin de lecture, indiquant que Narmfon avait lu mon message.

[Ah, Bunnakit. Bien sûr, je me souviens.]

Je m'empressai d'envoyer un autre message.

[Tu vas bien ? Que fais-tu maintenant ?]

Demander le Facebook de Tarr pouvait sembler un peu soudain, alors j'essayai d'entamer une conversation banale avec elle pour ne pas paraître trop flagrant. Elle me dit qu'elle était désormais hôtesse de l'air, ce qui, je l'ajoute, me prit au dépourvu.

[Alors... pourquoi cette surprise soudaine ? Quelque chose ne va pas ?]

Comme Narmfon le demandait, je décidai d'aller droit au but.

[Écoute, Narmfon, tu connais un gars qui s'appelle Tarr, de la classe 6/3 ? Je veux son Facebook. Son numéro de téléphone, ce serait encore mieux].

À ce moment-là, je compris qu'essayer de retrouver quelqu'un que l'on n'avait pas vu depuis des dizaines d'années était une tâche ardue. Narmfon me dit qu'elle ne connaissait pas Tarr, mais qu'elle avait un ami qui était peut-être dans la classe 6/3. Après être devenu ami avec cette personne sur Facebook, il s'avéra que ce type n'etait pas dans la classe 6/3. Il me donna donc le nom de quelqu'un d'autre sur Facebook. J'étais tellement absorbé par mes recherches que près d'une heure s'était écoulée, mais je n'avais rien trouvé. Je n'avais toujours ni le Facebook ni le numéro de l'homme que je cherchais.

J'étais sur le point d'abandonner si je n'avais pas reçu un deuxième message de Narmfon.

[Le type que tu cherches, Tarr-Nutdanai, c'est ça ? En fait, il est sur ma liste d'amis. Désolée, j'ai juste vu son nom sur le fil d'actualité. On ne s'est jamais parlé, alors je n'ai pas fait attention tout à l'heure].

[Tarr Danai]

J'eus l'impression que mon cœur s'était arrêté. Narmfon venait de m'envoyer son nom.

Tarr était toujours aussi beau et séduisant. Mes yeux se posèrent sur la photo de profil de Tarr. Il était vêtu d'un manteau marron, une écharpe autour du cou et des lunettes élégantes sur le visage. Il se tenait au milieu d'une lumière colorée, que je supposais être celle de Times Square. Je jetai un coup d'œil sur son statut professionnel, qui indiquait qu'il travaillait désormais à New York. Je fis défiler la page pour constater que tous ses statuts étaient rédigés en anglais et que les personnes qui interagissaient avec lui étaient toutes des étrangers.

Tarr n'était pas en Thaïlande...

Pourtant, il aurait pu revenir au moment de l'incident fatidique. En faisant défiler la page, je découvris une photo de lui tenant un grand verre de bière en compagnie de deux autres étrangers. Ce statut avait été mis à jour le 10 décembre et, le lendemain, il s'était enregistré quelque part à Manhattan.

Rien n'indiquait que Tarr était retourné en Thaïlande le jour de l'incident.

Je m'adossai à la tête de lit, une partie de moi s'inquiétant de devoir l'exclure des suspects. Cependant, l'autre partie de moi se sentait soulagée que Tarr n'ait rien à voir avec ce gâchis.

Qui donc avait dit à l'ami de Prae que j'étais gay et avait prétendu être mon ex ?

Mon cerveau s'arrêta momentanément lorsque je vis un selfie de Tarr et d'un homme asiatique mignon, avec une légende en thaïlandais : [Cinq ans de vie commune ; je ne veux rien de plus].

Je laissai échapper un sourire. Un acte de vengeance au nom de l'amour, dites-vous ? Quelle idée stupide. Maintenant, il s'était complètement remis de moi et avait commencé une nouvelle vie. Il avait trouvé quelqu'un qui l'aimait vraiment. Sur le point de lui envoyer une demande d'amitié, je me ravisai. Tarr était mon passé. Je ferais mieux de le laisser dans le passé. Je fermai le navigateur et le clapet de l'ordinateur portable.


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amelyma
Ven 6 Sep 2024 - 23:29



Chapitre 11
La grande silhouette de Tann vint se presser contre moi alors que je préparais des œufs brouillés au beurre à manger avec des tranches de pain.

— Je peux le sentir depuis ma chambre, docteur.

Il se pencha pour renifler mon cou au lieu des œufs, ce qui me donna la chair de poule sur les bras.

— Enlève ta tête avant que je ne te marque le front avec cette poêle, dis-je en me servant de mon coude pour le repousser. Sors les assiettes.

— Oui, monsieur, lâcha Tann en s'éloignant enfin de moi.

Je soupirai de lassitude. Depuis la veille au soir, Tann s'immisçait de plus en plus dans ma bulle d'espace personnel. Je pestais contre lui et me trouvais à court de mots grossiers, mais il ne semblait pas perturbé par mes réprimandes.

À ce moment précis, qu'étions-nous l'un pour l'autre ? Étions-nous encore de simples amis ? Des amis avec des avantages ? Des petits amis ? Faute d'occasions, je n'avais pas encore eu de discussion sérieuse avec lui à ce sujet. Tann lui-même n'avait jamais dit qu'il m'aimait ou qu'il était amoureux de moi. Il avait seulement dit qu'il me trouvait particulièrement intéressant, et c'était tout.

— Des progrès dans la recherche de Tarr ? me demanda Tann en me tendant les assiettes.

Je lui fis part de ma découverte d'hier soir et il se contenta de hocher la tête en guise de réponse.

— Nous avons un suspect de moins. Mon hypothèse de la vengeance n'est donc plus d'actualité. Je suppose que le suspect restant est l'un des gros bonnets.

— Nous devons découvrir qui est M. Black, dis-je en versant les œufs brouillés dans l'assiette.

— Et comment se passe ton rapport ?

— C'est fait. Je l'enverrai à la police aujourd'hui… répondis-je en mettant la casserole dans l'évier.

— Oh, je vois... Je n'ai jamais vu de rapport d'autopsie auparavant. Avec ta permission, je peux y jeter un coup d'œil, juste pour une fois ?

J'allais mettre le pain dans le grille-pain, mais je me stoppai à mi-chemin.

Il voulait voir le rapport ?

Je me tournai vers Tann qui avait les mains posées sur le comptoir et me souriait.

Pourquoi voulait-il le voir... Était-ce un acte de pure curiosité, ou voulait-il avoir la confirmation que le rapport était conforme à la volonté du tueur ?

Je continuai ce que je faisais, plaçant deux tranches de pain dans la fente et appuyant sur la poignée vers le bas. Et j'attendis en silence.

À ce stade, je ne lui faisais toujours pas entièrement confiance. Je lui faisais pourtant beaucoup confiance, à plus de 90 % en chiffres, si je me souciais vraiment de compter. Il me restait cependant un petit espace de doute, qui s'amenuisait lentement au fil du temps. Néanmoins, il était irréfutablement là ; la sphère de méfiance demeurait toujours là. Il y avait quelque chose en Tann qui demeurait inexpliqué, quelque chose que j'avais peut-être négligé en raison de l'affinité qui existait entre nous.

Je sentis qu'on me touchait la taille.

— Bunn, qu'est-ce qui ne va pas  ?

Je ne me tournai pas pour le regarder.

— Est-ce que ça te va si je ne te laisse pas le voir ?

— Ce n'est pas grave si tu ne veux pas me le montrer. N'aie pas l'air si déprimé, me dit Tann en m'attrapant par les épaules et en me tournant vers lui.

Il leva la main pour remettre en place les cheveux ondulés qui tombaient sur mon front.

— Je veux juste savoir ce que tu fais tous les jours. J'essaie juste de te connaître, c'est tout.

— Tu ne me connaîtras jamais, dis-je en regardant ses beaux traits avant de déplacer mon regard sur les ecchymoses sur le front de Tann, ecchymoses qui étaient maintenant devenues jaunâtres et qui disparaissent petit à petit. Parce que je ne te connais même pas.

Tann resta immobile quelques secondes avant de commencer à dire,

— Je m'appelle Tann, prénom Weerapong, j'ai 26 ans. Je suis professeur dans une école de bachotage. Je suis né et j'ai grandi ici, mais je suis allé à l'université ailleurs pendant quatre ans.

Tann commença à me ramener vers le comptoir de la cuisine.

— Je suis fils unique. J'ai grandi avec ma mère, mais elle n'était pas en bonne santé. J'ai travaillé dur pour entrer dans une université réputée afin qu'elle soit fière. Mon objectif était de devenir professeur à l'université, d'enseigner et de faire de la recherche pour gagner ma place dans un poste universitaire. Mais l'état de santé de ma mère s'est de plus en plus dégradé. J'ai donc décidé de rentrer à la maison. J'ai ouvert une petite école de bachotage, j'ai gagné ma vie pour subvenir aux frais d'hospitalisation de ma mère…

J'étais abasourdi. Je n'aurais jamais pensé qu'il partagerait ainsi ces informations sur lui-même. J'essayai de me frayer un chemin pour sortir du petit espace entre sa grande silhouette et le comptoir, mais Tann me prit par l'épaule, m'emprisonnant.

— Je suis arrivé là où je suis assez rapidement. C'est peut-être parce que j'aime enseigner. Et parce que j'ai de la chance. J'ai eu assez d'argent pour que maman soit hospitalisée dans un hôpital privé sans demander l'aide de la famille de mon père pour payer les frais.

La famille de son père ? Mes yeux s'écarquillèrent lorsque je compris. Je savais maintenant pourquoi il n'avait pas parlé de son père.

La mère de Tann était la maîtresse de son père, réalisai-je.

— Tu veux savoir autre chose sur moi  ? demanda-t-il, un petit sourire aux lèvres. Tu peux me demander n'importe quoi. Je n'ai rien à cacher. Je ne veux pas que l'homme que j'aime doute de moi.

Tann se pencha, posant son front sur mon épaule. Ses mains descendirent vers le bas, tenant mes mains dans les siennes.

L'homme que tu aimes, dis-tu ? Je fermai les yeux.

Je sentis son rythme cardiaque s'emballer. Le fil de mes pensées était confus. Cet homme me tirait dans un trou, je tombais. Le trou dans lequel personne d'autre ne m'avait emmené auparavant. Le trou dont je ne pouvais pas sortir. Pourquoi fallait-il que ce soit Tann qui me fasse ressentir cela ? Pourquoi fallait-il que ce soit l'ancien suspect numéro un de ma liste ? Je ne savais pas s'il m'aimait vraiment ou s'il avait fait en sorte que je tombe amoureux de lui à d'autres fins.

Hélas, je ne pouvais plus revenir sur mes sentiments.

— Tann, dis-je en fixant le sol, me détestant immensément d'être ainsi. Si tu me trahis, je prie pour qu'un sort funeste te soit réservé. Et ma colère te suivra pour le reste de ta vie.

Étonnamment, il ne prononça aucun mot. Il leva ses bras et me serra fort en réponse à ma malédiction.




Aujourd'hui, j'avais décidé de ne pas laisser Tann me conduire au travail, car je voulais m'occuper de ça tout seul. Après avoir remis le rapport d'autopsie au capitaine Aem, je retournai à l'hôpital pour examiner les patients dans la salle d'examen médico-légal. Une fois le rapport remis, j'avais eu l'impression qu'on m'avait arraché le cœur de la poitrine. Mon estomac se nouait. Finalement, j'avais fait ce que le tueur voulait que je fasse.

Sur le chemin du retour, je tentai d'imaginer ce qui se passerait après cela. Notre enquête secrète se poursuivrait, mais je ne savais pas si le tueur me laisserait partir comme il l'avait promis ou s'il reviendrait pour me faire quelque chose. J'imaginais qu'il reviendrait me tuer pour me faire taire au pire, ou qu'il trouverait un autre moyen de me menacer pour que je garde le secret au mieux.

La peur commença à s'insinuer dans mon cœur. Chaque once de malaise traversait ma poitrine.

Après le travail, je retournai chez Tann. Il m'avait laissé une clé pour que je puisse aller et venir à ma guise. Je ne vis pas sa voiture, ce qui signifiait qu'il était probablement parti à son cours.

J'utilisai la clé pour entrer dans la maison et me rendis à l'étage. Je m'apprêtai à aller dans ma chambre, mais une idée me vint à l'esprit. Je devrais peut-être aller voir dans la chambre de Tann. Je ne voulais pas le soupçonner d'être un meurtrier. C'était plutôt que je voulais l'écarter en tant que suspect potentiel. Je voulais être à l'aise avec lui pour pouvoir l'aimer comme je le voulais.

Je décidai d'ouvrir la porte de la chambre de Tann. J'avais déjà visité cette pièce soignée une fois : lorsque Tann m'y avait emmené pour reprendre là où nous nous étions arrêtés sur le canapé ce soir-là. Mes yeux parcoururent attentivement chaque objet de la pièce. Je me demandais toujours où il avait rangé toutes ses affaires. Sa chambre était exceptionnellement bien rangée et peu meublée, contrairement à celle des gens ordinaires. J'ouvris l'armoire et les tiroirs du bureau de la chambre. Rien ne me parut suspect. Je m'assis sur une chaise de son bureau. Je pris le pull-over gris de Tann, qui traînait sur le dossier de sa chaise, pour le contempler. Il portait encore une légère odeur de son propriétaire.

Je vis un petit post-it orange dans la poche du pull. Je le sortis, ne m'attendant pas à ce qu'il soit important.

Sur la note, il y avait un numéro de téléphone portable écrit à la main. Le nom du propriétaire de ce numéro était écrit en dessous : Nath. Un cœur était dessiné à côté du nom.

Pourquoi cette note me semblait-elle si familière ?

Je retournai la feuille pour voir l'autre côté et trouvai un autre numéro de téléphone. Un coup d'œil et je reconnus à qui appartenait ce numéro. J'étais absolument certain de m'en souvenir.

Parce que c'était mon propre numéro, celui de mon téléphone volé. Et la note était écrite de ma main.

Vers minuit, le jour de l'assassinat de Janejira, quelqu'un m'avait appelé d'un téléphone fixe en demandant quelqu'un qui s'appelait Nath. J'avais dit à mon interlocuteur qu'il s'était probablement trompé de numéro. Puis j'avais mis fin à l'appel. Je ne me souvenais pas de sa voix, mais il me semblait me souvenir du contenu de la conversation.

— [Euh...]

Au bout du fil, une voix d'homme.

— [C'est le numéro de Nath ?]

Mais qui est Nath ? J'en déduisis tout de suite qu'il s'agissait d'un mauvais numéro.

— Non, vous vous êtes trompé de numéro.

— [Hein ?]

L'interlocuteur resta silencieux pendant quelques secondes.

— [Je crois que j'ai composé le bon numéro. Puis-je savoir qui c'est ?]

Tann m'avait appelé cette nuit-là !!!

Je me levai d'un bond, le cœur battant la chamade, tout en essayant de me creuser les méninges pour savoir d'où venait ce billet et pourquoi mon écriture y figurait avec le numéro d'une femme nommée Nath.

Attendez, je me souvenais maintenant - j'avais donné ce bout de papier avec mon numéro à Pert le jour où je l'avais croisé pour la première fois au tribunal ! Je m'en souvenais parce qu'il m'avait donné ce papier alors qu'il y avait le numéro d'une fille lambda dessus. J'avais taquiné Pert avant de retourner le papier et d'y inscrire mon numéro.

Qu'est-ce qui se passait ici, bon sang ? Comment se faisait-il que Tann avait ce post-it avec lui ?


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Chapitre 12
D'aussi loin que je me souvienne, j'ai toujours été couvert de compliments sur l'homme intelligent et sensé que j'étais. J'avais d'excellents résultats scolaires. J'ai été accepté dans un lycée réputé et, plus tard, dans une école de médecine, un endroit dont beaucoup de gens ne peuvent que rêver. Moi, le médecin légiste qui, un nombre incalculable de fois, avait été approché pour devenir professeur de médecine.

Mais à présent, tous ces compliments me semblaient appartenir au passé et je me sentais carrément stupide.

Je regardai un chargeur vide, dépourvu de munitions, avant de le remettre en place. Je le posai sur le lit et regardai par la fenêtre. L'arme de l'intrus n'était pas chargée ; une arme que j'espérais utiliser pour me protéger ne valait pas mieux qu'un jouet. Si quelque chose de terrible devait m'arriver, je me ferais tuer facilement.

Après avoir vu cette note, un torrent de pensées déferla dans ma tête. Je supposai que Tann et le procureur, Pert, devaient être en contact d'une manière ou d'une autre.

Je ne pouvais pas rester ici plus longtemps, je devais m'enfuir. J'avais été piégé par Tann.

Je ravalai cette douleur atroce. Mais je ne pouvais pas perdre mon temps ici, à m'apitoyer sur mon sort. Je pris mon sac, marchant à moitié, courant à moitié, et sortis de la pièce. Soudain, le bruit du déverrouillage de la porte d'entrée m'arrêta dans mon élan. Mes mains étaient froides et figées par la peur. Mon cœur battait si fort qu'il faillit sortir de ma poitrine.

Tann s'empressa d'ouvrir la porte, levant la tête pour me regarder alors que j'étais debout dans les escaliers. Une expression d'effroi total se lisait sur son visage.

— Où vas-tu ?

Je laissai tomber mon sac et m'enfuis à l'étage. J'entendis ses pas qui me poursuivaient. Je me dirigeai vers le salon, claquant les portes et les verrouillant. Je m'éloignai lentement de la porte et j'entendis ses coups de l'autre côté.

— Bunn ! Ouvre la porte ! Il faut que je te parle !

Il n'y avait plus rien à dire à ce meurtrier... Je me précipitai vers la fenêtre, regardant en bas pour évaluer s'il était possible de s'échapper par cette voie. Je me tenais à cinq mètres du sol. À cette hauteur, sauter par la fenêtre entraînerait de graves blessures physiques.


Le bruit d'une porte qu'on déverrouille me fit tourner la tête et je décidai de sortir l'arme de ma poche. La porte s'ouvrit et révéla la grande silhouette de Tann. Instantanément, je levai l'arme vide et la braquai sur lui.

Plus je regardais son visage, plus ma douleur s'intensifiait. Je serrai mes lèvres l'une contre l'autre, essayant de ne pas laisser transparaître mes émotions.

— Tu rentres... plus tôt que prévu, dis-je d'une voix tremblante.

Tann leva les mains, l'air étonnamment calme.

— Bunn...

— Où est le procureur  ?

Tann se rapprocha lentement de moi.

— Arrête-toi là ! N'approche pas !!! hurlai-je.

Tann marqua une pause.

— Viens avec moi, tu es en danger.

— Oui, mon danger est juste là, dis-je en reculant.

Tann soupira, baissa les mains et s'approcha de moi d'un pas rapide. Bien sûr, il était assez courageux pour faire cela parce qu'il savait que mon arme n'était pas chargée ! Je fis rapidement demi-tour. Il n'y avait rien d'autre à faire que de sauter par la fenêtre. Je tentai de pivoter dans l'autre sens pour l'éviter, mais son long bras m'attrapa juste à temps. Il m'attira dans son étreinte. Je lâchai l'arme inutile et me défendis, marchant sur son pied, projetant mon coude vers l'arrière. Tann relâcha momentanément son emprise sur moi, mais c'était tout ce dont j'avais besoin pour lui échapper.

— Bunn ! Arrête-toi ! Ou je te tire dessus !

La voix de Tann résonna dans toute la pièce. Moi qui étais sur le point d'atteindre la porte, je m'arrêtai dans mon élan, et lentement, je me retournai pour faire face à Tann.

Tann ne plaisantait pas. Il tenait dans ses mains le petit revolver que j'avais jeté il y a quelques instants et dont le bout était pointé sur moi.

Ma vie était finie. Ma vie s'achèverait probablement ici. Terminée des mains de l'homme qui prétendait m'aimer.

Tann s'approcha de moi et me serra très fort dans ses bras, tout en tenant toujours l'arme. Tout mon corps tremblait.

— Je suis désolé de devoir te faire ça, sinon tu ne te serais pas arrêté.

Je devais trembler tellement fort qu'il le sentait. Il me saisit par l'épaule, me repoussant légèrement. Les yeux de Tann se posèrent sur mon visage.

— On m'a juste ordonné de te tuer.

Sur ce, mon genou se déroba.

—  Mais je n'ai pas pu le faire, Bunn. Comment aurais-je pu ?  Mon travail a échoué depuis le moment où je t'ai vu pour la première fois.

Tann leva sa main libre et me caressa la joue. Son visage semblait confus et anxieux, mais à ce stade, je ne croyais plus rien de ce qu'il disait ou de ce qu'il faisait.

— Est-ce que tout ça est vrai…, soufflai-je.

Mon cœur souffrait de l'engourdissement qui commençait à l'envahir. Mon cerveau ne pouvait plus traiter grand-chose.

Tann resta silencieux pendant quelques secondes.

— Une chose est vraie... je t'aime.

Non, je ne crois rien de tout ça.

— Je veux que tu viennes avec moi. Je vais t'emmener dans un endroit sûr. Reste là-bas jusqu'à ce que j'aie réglé ce problème, dit-il avant de poser sa tête sur ma poitrine. Je t'en supplie, Bunn, je ne veux pas que tu meures...

— Qui es-tu  ?

Je serrai fort mon poing.

Tann releva la tête, et je vis que ses yeux étaient devenus rouges.

— C'est moi qui me suis introduit chez toi et qui t'ai menacé la première nuit. Mais je n'ai pas tué Jane.

Son aveu était comme remuer le couteau dans la plaie. Le sentiment de lourdeur se transforma en une énorme boule coincée dans ma gorge. J'étais tellement en colère contre moi-même pour l'avoir laissé me tromper tout ce temps. L'approche de Tann n'était qu'une distraction pour détourner mon attention de lui. Et j'avais mis ma confiance en lui, je l'avais cru, j'avais fini par avoir des sentiments pour lui.

— Qui a tué Janejira...

— Je sais qui l'a fait mais je ne peux pas encore te le dire. Quand le moment sera venu, je te le dirai, dit-il le visage suppliant. Écoute, je me fiche que tu me détestes, mais maintenant j'ai besoin de ta coopération. Tu dois faire profil bas pendant un certain temps pour que mon patron pense que tu es mort. Et je réglerai ce problème plus tard.

— Je n'irai nulle part avec toi !

J'essayai de le repousser alors que la voix de la raison en moi commençait à disparaître. Tann resserra mes poignets, m'empêchant ainsi de le repousser.

— Bunn !!! lança Tann d'une voix féroce. Tu n'as pas le choix ! Si quelqu'un te voit dehors, tu es mort, putain ! Tu n'as aucune idée de ce qui t'attend.

— Laisse-moi deviner, tu vas enterrer mon corps dans la forêt ! répliquai-je avec rage.

La pression exercée sur mes poignets me faisait souffrir.

— Espèce de meurtrier ! dis-je en serrant les dents.

— Je n'ai jamais tué personne… répondit Tann en fronçant les sourcils et ayant l'air blessé par cette condamnation. Disons que si tu ne coopères pas, je vais devoir te forcer.

Tann leva le canon de l'arme, visant ma poitrine.

— Va dans ma chambre.

Il lâcha mon poignet et me poussa à sortir de la pièce en direction de sa chambre. Je ne lui résistai pas, mais cela n'avait rien à voir avec le pistolet pointé dans mon dos, j'avais juste l'impression d'avoir perdu la volonté de me battre. Tann me plaça à la tête du lit, en levant l'arme vers moi. Puis, l'homme recula lentement vers l'armoire, l'ouvrant et prenant quelque chose sur l'étagère du haut, un endroit où je n'avais pas jeté un coup d'œil. Un étui en cuir noir était caché sous la serviette. Tann déballa l'étui d'une main, révélant la forme familière d'un objet en argent qui produisait un doux cliquetis lorsque les objets se touchaient.

Où trouvait-il toutes ces choses ? Des armes. Des menottes.

Ah... Ce devait être ses relations avec la police.

Tann s'approcha de moi, me passa les menottes au poignet droit et passa l'autre extrémité autour du barreau de la tête de lit. Je me tournai vers ma contention, ma liberté m'avait été enlevée.

— Ce soir, je t'emmènerai dans un endroit sûr. Tu ne dois aller nulle part. Tu ne bouges pas d'ici, d'accord  ?

Tann me regarda, une torpeur pleine de remords dans le reflet de son regard. Il sortit son téléphone portable et me prit en photo avant même que je ne puisse répondre.

— Je suis désolé... Je dois faire croire que je t'ai retenu.

Je ne savais pas comment réagir aux actions de Tann. Tann glissa sa main vers le bas pour toucher ma poche. J'utilisai ma main libre pour repousser son corps, mais cela ne servit à rien. Il fouilla dans ma poche et en sortit le téléphone portable de Pert, qu'il mit dans sa poche de poitrine. J'entendis une vibration. Son téléphone, semblait-il, et Tann prit rapidement l'appel.

— Patron… Oui ! Laissez-moi faire !

Tann fronça les sourcils avant de quitter la pièce en claquant la porte.

Il ne restait plus que le silence. J'essayai de retirer ma main des menottes, tout en sachant que c'était inutile. Cela ne ferait que causer de la douleur et une marque sur mon poignet. Je me recroquevillai contre la tête de lit, remontant mes genoux et les entourant de mes bras.

Si je m'en sortais vivant, je voulais rentrer chez moi, retrouver papa et maman, jouer avec mon grand frère. Je voulais aussi passer du temps avec mes collègues médecins. J'appuyai ma tête contre le mur et fermai les yeux. Je ne savais pas si je les reverrais un jour. D'un autre côté, mon sacrifice pourrait peut-être protéger tout le monde, en particulier ma famille à Bangkok. Si je mourais, il n'y aurait peut-être plus de menaces de mort pour ceux qui m'entourent.




— Bunn !

J'entendis le bruit de pas lourds qui me suivaient alors que je me dirigeais vers le parking. Je me tournai vers la source du son. Le beau visage du procureur Pert apparut dans mon champ de vision. Je souris largement.

— Bonjour Monsieur le Procureur.

Je m'inclinai légèrement devant Pert, qui pinça les lèvres.

— Je savais que c'était toi ! J'ai reconnu ton nom, Dr. Bunnakit. Ne serait-ce pas Bunn, le Brainiac Rogue  ? dit Pert en me tapotant l'épaule. Quand tu es entré dans la salle d'audience, tu m'as fait une peur bleue.

Je ris. Moi aussi, j'avais été choqué de voir Pert en tant que procureur.

— Oui, je remplace le professeur Apirak. J'ai hâte de travailler avec toi.

Pert sourit. L'homme avait l'air heureux.

— Je suis vraiment choqué de te rencontrer ici, mec. Depuis que je suis rentré chez moi, je n'ai plus d'amis avec qui traîner. Tu t'en vas déjà à l'hôpital ?

— Oui, je dois autopsier un corps.

Je venais d'apprendre que Pert était originaire de cette province. Il avait dû être envoyé dans un lycée de Bangkok pour recevoir une bonne éducation et être admis à l'université de Bangkok.

— Bon, je ne peux pas aller plus loin. Je dois me dépêcher de rentrer.

Pert regarda sa montre, l'autre main cherchant quelque chose dans son sac.

— J'ai vu que tu t'étais presque enfui, alors j'ai couru avant de te perdre. Et j'ai oublié mon téléphone dans la précipitation. Donne-moi ton numéro. Il faut qu'on reste en contact, mec.

—  Bien sûr.

J’essayai de trouver un bout de papier, mais trop tard, Pert me tendit une note. C'était un post-it. Orange. Le numéro de quelqu'un était déjà écrit dessus.

— Qu'est-ce que c'est que ce numéro de Nath  ? demandai-je perplexe et prenant la note de sa main.

— Eh, écris juste le tien. C'est le seul truc de merde que j'ai sur moi.

Je jetai un coup d'œil au procureur. Toute ma vie, j'avais vu beaucoup de beaux garçons, mais aucun n'aurait pu surpasser Pert en termes d'apparence. Avec son teint clair, Pert était beau, grand et gentil. En somme, une personnalité de type A. Ce n'était pas une surprise qu'il attire toutes les filles et qu'il finisse par les baiser.

— T'es encore chaud, mec ? Donne-moi le numéro de la fille Nath, je vais l'inviter à sortir.

Je retournai la note et écrivis mon numéro.

— Pourquoi je ferais ça ? Elle est jolie. De gros seins. C'est mon genre.

Je rendis la note à l'homme en face de moi.

— La question est plutôt de savoir qui n'est pas ton genre.

— ...

Pert prit la note et la mit dans sa poche. Il réfléchit.

— Le professeur Phannee, lui, n'est pas mon genre.

Pert et moi éclatâmes de rire en même temps. Le stress lié à l'adaptation à mon nouvel environnement commençait à s'atténuer. Cela faisait plaisir de retrouver un vieil ami. Après cela, je pensais que Pert et moi allions nous voir beaucoup plus souvent. Même si je désapprouvais le fait que Pert sorte avec plusieurs femmes à la fois, c'était il y a longtemps. Maintenant, nous étions tous les deux des adultes. Il valait mieux se lier d'amitié avec des gens que nous avions déjà connus, car nous pourrions avoir besoin de l'aide de l'un ou l'autre un jour.




Je fus réveillé en sursaut par le bruit de la porte qui s'ouvrait. Je dus plisser les yeux pour éviter la lumière qui pénétrait dans la pièce. La chambre de Tann était maintenant noire et froide. J'avais dû m'appuyer contre le mur et m'endormir de fatigue jusqu'au crépuscule. La personne qui avait ouvert la porte alluma la lumière, et la clarté soudaine rendit ma vision floue pendant un bon moment.

— Allons-y, dit Tann en s'avançant vers moi et en me détachant à l'aide d'une petite clé.

— Aller où  ?

Dès que mes mains furent libres, je les reculai brusquement pour éviter son contact.

—  Se cacher.

Tann se renfrogna, apparemment irrité pour une raison ou une autre.

— Je croyais qu'on avait dépassé ce stade, dis-je avant de me taire.

Je n'avais jamais vu autant de rage en lui. Il semblait que Tann essaya de se calmer et me parla d'un ton plus doux.

— C'est pour ta sécurité, tu viens avec moi. Je te donne deux options. Un, tu viens avec moi de ton plein gré. Ou deux, je t'y emmène de force. Je ne veux pas opter pour la deuxième solution, d'accord ? Parce que tu seras blessé, et je ne me le pardonnerais jamais.

Je regardai Tann. Son regard glacial me terrifiait. Mais je voulais surtout savoir ce qui se passait exactement. Qui avait envoyé Tann ici ? Comment était-il impliqué dans la mort de Janejira ? Et où m'emmenait-il ? Allait-il me tuer ? Lorsque Tann me vit assis en silence, il soupira.

— Tu ne vas pas me faciliter la tâche, n'est-ce pas ?

Je serrais toujours mes genoux contre ma poitrine, impassible.

— Tann... dis-je en prononçant son nom.

— Hmph ? répondit-il.

— Je n'ai pas le choix, n'est-ce pas ?

— Non, répondit-il en m'attrapant le bras. Lève-toi. Nous n'avons pas beaucoup de temps.

—  Qui es-tu  ?

Je pourrais passer pour un fou à force de répéter, mais cette question flottait dans ma tête sans que je puisse m'en défaire. Qui était l'homme dont j'étais tombé amoureux ? L'homme qui, il va sans dire, avait fini par me trahir de la manière la plus douloureuse qui soit. Je n'en avais pas la moindre idée.

Tann me tendit la main et prit mon visage dans ses bras, le faisant basculer vers le haut. Puis il se pencha pour m'embrasser sur le front. Mes paupières se fermèrent. Je tremblais de façon incontrôlée. Je ne savais pas ce qu'il voulait me faire comprendre par son geste. Tout ce que je pouvais ressentir à ce moment précis, c'était de la peur pure et simple.

— Je te promets que quand ce sera fini, je te dirai tout, dit-il d’une voix déchirante. Si je survis à cette épreuve, nous nous enfuirons ensemble. Et je te dirai tout sur moi...


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Ven 6 Sep 2024 - 23:29



Chapitre 13
À 20 h 55, dans la nuit du 10 décembre, les jeunes mariés sur la scène s'embrassèrent sur les joues devant les invités du mariage, suivis par des cris d'approbation de la part des invités masculins. Je ris avec eux, immergé dans une ambiance décontractée. C'était probablement notre plus grande réunion d'anciens élèves. Je me tournai vers Manote, qui tenait un verre de vin rouge dans sa main et dirigeait sa bouche vers la scène.

— Je vais être damné ! La femme de Jack est deux fois plus belle que celle de Ma'.

Manote se tourna vers moi, qui laissai échapper un rire à sa remarque.

— Je m'excuse, je ne voulais pas me moquer de ta femme, dis-je en soulevant un verre d'eau pour le boire.

— Elle n'est peut-être pas très jolie à regarder, mais elle a d'autres talents, dit Manote en agitant ses sourcils de manière suggestive.

— Quel genre de talents ?

— Des compétences en matière de chevauchement de bites, précisa t-il.

Je secouai la tête en souriant. Nous savions tous que Manote commençait à être pompette.

— Tu as un peu trop bu, mon pote. On n'a pas un plan après ça ?

— Je ne suis pas ivre, je ne fais que commencer, rétorqua-t-il avant d'engloutir le reste du vin gratuit.

Je fis semblant de ne pas remarquer mon ami ivre et tournai la tête vers le couple de mariés, qui se remémorait publiquement le moment de leur première rencontre. Le marié, qui se tenait sur la scène avec un sourire en coin, était Jack, mon copain de lycée. Mon groupe d'amis du lycée occupait également trois autres tables et discutait de manière animée.

Je regardai la fiancée de Jack avec attention. Elle était indéniablement belle, comme l'avait affirmé Manote. Avec son visage rayonnant et ses grands yeux, cette femme illuminait le monde entier chaque fois qu'elle étirait ses lèvres pour sourire. Avec une femme aussi jolie, s'il avait une aventure, je ne lui pardonnerais jamais. Je les détestais, ces hommes volages. Ces gens-là sont insatiables, égoïstes, avares. Quoi qu'ils fassent, ils le font sans même se soucier des conséquences ; rien d'autre ne compte que la satisfaction de leurs désirs lubriques.

Ayant dû supporter ce genre de personnes toute ma vie, je les détestais profondément.

Je suis Tann, alias Weerapong Yodsungnern, 26 ans, propriétaire de la plus grande école de bachotage de la province.

Mais en secret, je suis le bras droit du chef d'une famille que l'on pourrait qualifier de mafieuse. En fait, ce n'est pas très compliqué de savoir comment j'ai atterri ici. Je suis le fils illégitime de Noppakhun Sawangkul "M.Odd". Il possède de nombreux terrains et bâtiments dans le district de la capitale. La famille de mon père est riche depuis la nuit des temps. M.Odd est connu pour sa réputation de coureur de jupons. Et je suis le produit de cet acte égoïste. Ma mère m'avait emmené vivre avec sa famille afin de ne pas être impliqué dans les affaires de M. Odd. Je ne l'avais jamais rencontré jusqu'à ce qu'il rende visite à ma mère pour lui offrir de l'argent, mais elle avait refusé l'argent sans aucune hésitation.

Je pensais pouvoir grandir sans son aide. J'avais pris mes résolutions : de bonnes notes, des écoles et des universités réputées, des emplois décents. Une fois que j'en aurais trouvé un, j'enverrais de l'argent à ma mère. Tout aurait pu se passer ainsi si ma mère n'était pas tombée malade, atteinte d'une maladie auto-immune et d'une insuffisance rénale qui l'avaient conduite en soins intensifs.

Les factures médicales exorbitantes et les dialyses dépassaient les moyens de la famille de ma mère. Je n'avais que 13 ans à l'époque et je n'avais qu'une idée en tête pour sauver la vie de ma mère : me rendre au luxueux manoir de la famille Sawangkul. Vêtu d'un vieil uniforme d'écolier trempé, je m'étais agenouillé devant mon père, le suppliant de sauver la vie de ma mère.


— Lève-toi. Tu n'es pas obligé de faire ça, dit M. Odd d'une voix douce.

Il m'avait tiré par les bras pour m'aider à me lever. Je m'étais mis debout, bien que maladroitement. J'avais essuyé mes larmes du revers de la main, la tête baissée, incapable de croiser le regard de cet homme.

— J'ai toujours voulu aider ta mère, Tann. Mais jamais elle n'a accepté mon aide.

J'étais resté sans voix pendant un battement de cœur. Je n'avais pas réfléchi à tout cela, si ce n'est que ma mère devait vivre ; j'aurais fait tout, n'importe quoi pour avoir cet argent.

— Je peux travailler. Je peux faire n'importe quel travail. Mais s'il vous plaît, donnez-moi de l'argent pour payer son traitement.

— Tu vas travailler pour moi ? dit M. Odd d'un air pensif. C'est une bonne idée. Les enfants ne sont pas à la maison ces derniers temps. Tous mes enfants sont partis étudier à Bangkok. Eh bien, que dis-tu de ça ? À propos de ta mère, je vais m'occuper d'elle. Conduis-moi à elle...

J'avais levé les yeux vers M. Odd. Mon cœur s'était rempli d'une lueur d'espoir.

— Vraiment ?

— Bien sûr. Pourquoi te mentirais-je ? Je m'inquiète pour elle autant que toi, Tann.

Je ne savais pas si ses paroles étaient vraies. Je pensais juste que mon père était le seul à pouvoir sauver ma mère.

— Merci... Merci…

Sans le vouloir, j'avais recommencé à pleurer. Une grande paume s'était alors tendue et avait caressé ma tête avec douceur.




Après la cérémonie de mariage de Jack, je sortis de l'hôtel.  L'air froid de l'extérieur me fit resserrer ma veste grise autour de moi. J'attendais mes amis, qui prenaient joyeusement des photos sous les arches florales, pour passer la soirée avec eux.

La sonnerie soudaine de mon téléphone portable retentit. Après l'avoir sorti et regardé le nom de l'appelant, je poussai un petit soupir avant de prendre l'appel.

— Hmm, quoi ?

— [Tann, fais-moi une faveur.]

La voix au bout du fil m'était familière.

— Qu'est-ce qu'il y a  ?

Je me tournai vers mes amis qui commençaient à sortir de l'hôtel à grandes enjambées.

— [J'ai oublié de prendre le téléphone qui contenait le numéro de Nath. Peux-tu l'appeler et lui dire que ce soir, c'est annulé ? Je suis occupé.]

Quoi maintenant ? Qui est Nath ? J'en avais assez de mémoriser les noms de ces femmes.

— Je t'ai dit de n'utiliser qu'un seul téléphone. Et comment je fais pour l'appeler ? Je n'ai pas son numéro.

— [Tu n'es pas à la maison ?]

— Non... ?

Je m'éloignai vers un endroit plus calme. Cela faisait partie de mon travail : suivre les ordres de l'homme au téléphone.

— [Va à la maison si tu n'es pas occupé. Je crois que j'ai une note avec son numéro quelque part dans les tiroirs de mon bureau, une note orange. Ou trouve mon téléphone. Dis-lui qu'on a besoin de moi ailleurs. Et dis-lui de ne pas s'énerver contre moi.]

Avec trois autres amis, nous avions prévu d'aller boire un verre en fin de soirée. Ils se dirigeaient vers moi. Bon sang, j'en avais marre de tout ça.

— … Bien sûr, j'y veillerai. Au fait, pourquoi sors-tu si tard le soir ?

— [J'ai rendez-vous avec quelqu'un], répondit vaguement mon frère aîné. [N'oublie pas d'appeler Nath, bon sang. Ou je te botte le cul.]

Et juste comme ça, il raccrocha.

— Allons-y, Tann !

Manote se dirigea vers moi pour me mettre la main sur l'épaule alors que je regardais mon téléphone d'un air contrarié.

— Allez-y, les gars. Je vous rattrape. Je dois rentrer à la maison pour faire quelques petites choses.

Je tournai les talons et me dirigeai vers le parking. Accepter les ordres de mon frère, c'était comme accepter ceux de mon père. En ce moment même, le pouvoir de la famille Sawangkul reposait entre les mains de mon frère. Six mois auparavant, on avait diagnostiqué à M. Odd un cancer du côlon à un stade avancé. A ce moment-là, il était en soins palliatifs. Jum, l'épouse légitime de mon père, étant décédée trois ans plus tôt, le contrôle de la famille Sawangkul revenait désormais à mon frère. J'étais donc devenu son subordonné.

Les affaires de mon frère portaient toujours sur des sujets insignifiants, tout comme la tâche qu'il venait de me confier. Il devait probablement penser qu'il pouvait me faire faire n'importe quoi ; c'est pourquoi j'avais fini par être celui qui nettoyait toujours son désordre. Cependant, les tâches liées à la corruption du pouvoir - coercitions, menaces, pots-de-vin - s'étaient considérablement réduites depuis la passation de pouvoir.

L'ancien bureau de M. Odd appartenait désormais à mon frère. J'entrai dans le bureau familier, orné de belles décorations. Une photo de mon père dans sa jeunesse était accrochée au mur, avec une photo de mon frère à côté. Le père et le fils avaient des traits étonnamment similaires. Je m'approchai du bureau en bois sculpté et ouvris tous les tiroirs qui s'y trouvaient. Je devais dire à mon frère qu'il devrait vraiment apprendre à fermer les tiroirs à clé, sinon ils pourraient facilement être mis à sac.

Enfin, je trouvai un petit post-it orange avec un numéro de téléphone dans le tiroir de gauche. Je ne cherchai pas son téléphone portable et je ne voulais pas utiliser le mien, car mon numéro apparaîtrait sur le téléphone d'un inconnu, alors je décidai d'utiliser le téléphone fixe du bureau pour ma mission.

La musique d'attente retentit peu avant que quelqu'un ne prenne l'appel.

— [Allô.]

Une voix d'homme. Je regardai à nouveau la note.

— Euh... C'est le numéro de Nath ?

— [Non, vous avez composé un mauvais numéro.]

L'homme au téléphone avait l'air assez irrité. À vrai dire, n'importe qui aurait été frustré si un étranger l'avait appelé accidentellement à une heure aussi tardive.

— Je crois que j'ai tapé le bon numéro. Puis-je savoir de qui il s'agit  ? demandai-je encore une fois, juste pour être sûr.

— [Alors, vous vous êtes trompé de numéro. Ce n'est pas le numéro de Nath.]

Instantanément, l'homme mit fin à l'appel. Je raccrochai le téléphone fixe, regardant curieusement la note avant de me décider à la retourner.

Oups, mauvais numéro, comme il l'avait dit. Le numéro de Nath était de l'autre côté. Je composai donc le bon numéro, mais elle ne répondit pas. Je glissai la note dans ma poche et me précipitai hors de la maison. Je ne voulais pas perdre plus de temps. J'essaierais de rappeler Nath avec mon téléphone plus tard, dans une demi-heure.




Mon prisonnier était terriblement silencieux depuis que nous avions quitté la maison.

Je jetai des coups d'œil sporadiques vers la banquette arrière. J'avais dû mettre Bunn dans cette position pour ne pas avoir trop de mal à le faire sortir. Il était menotté dans le dos, les yeux bandés avec un morceau de tissu noir. Je l'avais allongé sur le siège arrière de la voiture. Bunn devait se sentir mal à l'aise dans cette position, mais je n'avais pas vraiment le choix. Il s'était débattu quand nous étions à la maison. J'avais dû prendre quelques précautions parce qu'il aurait pu sauter de la voiture à tout moment. Je ne pouvais pas laisser l'homme que j'aimais et dont je me souciais errer dehors en ce moment. S'il mourait, je ne me le pardonnerais jamais.

Je quittai le district de la capitale. La route était presque entièrement noire, aucun véhicule ne passait, ce qui était typique de ma ville natale. La température extérieure était tombée sous la barre des 10 °C.

Merde ! J'avais oublié d'apporter une veste à Bunn.

— Tu as froid ? demandai-je à l'homme allongé sur le siège arrière en baissant la climatisation des bouches d'aération.

Pas de réponse.

Je ne m'attendais pas à ce qu'il me parle de toute façon. Maintenant, le docteur était probablement en colère et me détestait après que j'avais réussi à le tromper jusqu'à présent.

Depuis le jour où j'avais vu le visage du médecin légiste venu pratiquer l'autopsie de Jane, j'avais senti qu'il émanait de lui quelque chose de spécial. Sa grande silhouette semblait si agile et légère. Ses qualités de meneur d'hommes, teintées d'un sens de l'humour et de remarques éloquentes, faisaient du Dr Bunnakit un homme si séduisant que je ne voulais pas le quitter des yeux. Je voulais aller le voir, apprendre à le connaître et approfondir notre relation.

Je ne voulais pas du tout que le Dr Bunn soit la cible de mon travail. J'étais tombé amoureux de lui dès le premier instant où je l'avais vu.

Je tournai dans l'allée adjacente à une rizière d'un noir profond. La voiture se dirigea tout droit vers la silhouette sombre d'une maison au fond de l'allée. J'avais acheté cette maison pour servir d'abri temporaire à ma mère, sans rien dire à personne en cas de danger. Je me garai devant la maison, éteignis les lumières et coupai le contact.

— Nous sommes arrivés.

Mes yeux se tournèrent vers Bunn, qui bougeait comme s'il essayait de s'asseoir. Je sortis précipitamment de la voiture et ouvris la portière arrière, avant d'attraper l'épaule de Bunn et de l'aider à s'asseoir. Une fois qu'il fut installé, Bunn recula jusqu'à ce que son dos heurte la portière de l'autre côté.

— N'aie pas peur.

Je plongeai la tête à l'intérieur de la voiture et tendis la main pour retirer le bandeau.

Bunn me regarda avec effroi, confusion et suspicion. Il tremblait de peur ou de froid, je n'arrivais pas à le savoir. Bunn ne portait qu'une chemise à manches longues. J'enlevai ma veste et la plaçai sur son épaule.

— Allons-y.

Je guidai Bunn jusqu'à la maison en bois où j'avais garé ma voiture. La maison était en piteux état. Je ne savais pas que je devrais l'utiliser bientôt ; je ne l'avais pas nettoyée avant. Je sortis la clé de ma poche d'une main et attrapai le bras de Bunn de l'autre pour l'empêcher de s'enfuir.

Finalement, Bunn exprima sa pensée en levant les yeux vers la maison.

— C'est quoi... cet endroit ?

— Tu vas me tuer ici, n'est-ce pas ?

— Je ne vais pas te tuer..

Après avoir déverrouillé le cadenas rouillé, je poussai la porte en bois, et l'odeur de la poussière me parvint aussitôt au nez. Je tendis la main pour allumer la lumière.

— Désolé, je ne m'attendais pas à venir ici, alors je n'ai pas nettoyé l'endroit. Je m'en occuperai demain.

Je guidai Bunn à travers la pièce centrale de la maison, où il n'y avait qu'une vieille table en bois, et l'emmenai directement dans la chambre. A l'intérieur, il n'y avait qu'un vieux lit en bois avec un matelas et une armoire.

— Si je ne t'enferme pas, essaieras-tu de t'enfuir ? demandai-je à Bunn, qui semblait perdu pour l'instant. Si tu promets de rester ici, je ne fermerai pas la porte à clé. Pas de menottes, rien...

Bunn resta à nouveau silencieux. Euh, il allait certainement s'enfuir... Je sentais que Bunn allait essayer de s'échapper.

— … Je ne le ferai pas, répondit-il enfin.

Mais Bunn était un homme intelligent. Il acquiesçait généralement avant de saisir l'opportunité qui se présentait à lui. Tout comme la fois où je m'étais introduit chez lui, Bunn avait fait semblant d’accepter les conditions que je lui proposais pour que je le laisse partir.

Plus je repensais à cet incident, plus je me sentais coupable. Après avoir assommé Bunn, j'avais été terrifié à l'idée qu'il puisse lui arriver quelque chose de terrible. Aurait-il une grave commotion cérébrale ? J'avais alors appelé une ambulance sans en avoir reçu l'ordre.

— Je n'y crois pas, désolé.

Je poussai Bunn vers le lit et le fis s'asseoir sur le matelas.

— Pourquoi se donner la peine de demander alors… dit Bunn en se tournant dans l'autre sens, refusant de regarder dans ma direction. Inutile de m'offrir des choix ou de faux espoirs si tu n'en as pas à offrir en premier lieu. Fais ce que tu veux. Si tu veux me tuer, fais-le. Inutile de faire traîner les choses en longueur.

— Combien de fois dois-je me répéter ? Je ne vais pas te tuer.

Son entêtement commençait à m'irriter.

Je saisis ma veste posée sur l'épaule de Bunn, en sortis la clé et lui détachai la main droite. Je tirai sa main gauche et accrochai la menotte libre au poteau de la tête de lit. Bunn ferma les yeux, comme s'il tentait de se résigner à son sort.

— Quoi qu'il en soit, je veux que tu saches que ce que je fais en ce moment, je le fais pour te garder en sécurité jusqu'à ce que j'aie réglé tout ce bazar.

J'avais envie de le prendre dans mes bras, de le toucher, de l'embrasser, lui, l'homme en face de moi. Mais ce n'était probablement pas le bon moment. Je ramassai la veste et la remis sur les épaules de Bunn.

— Je reviendrai te voir demain. Souhaite-moi de revenir sain et sauf.

Le sentiment familier d'oppression ressurgit dans ma poitrine, comme si les larmes s'accumulaient. Bunn leva les yeux vers moi. Je pris une grande inspiration, essayant de calmer mon esprit.

— Repose-toi un peu.

Je me retournai et quittai la pièce, me dirigeant vers la porte d'entrée. Je la fermai et la verrouillai de l'extérieur. Après m'être assuré que le cadenas était bien fermé, je retournai à la voiture et appelai mon frère.

— [Pourquoi tu es parti en dehors de la ville, putain !]

Il avait l'air furieux. Ce n'était pas une surprise qu'il sache où je me trouvais. Je sortis le smartphone blanc que j'avais pris à Bunn. Mes yeux se posèrent dessus.

Il n'était pas difficile d'utiliser des systèmes GPS pour traquer les gens de nos jours.

— Je cherche un endroit où cacher le corps.

J’avais fait exprès d'aller plus loin, dans l'espoir de convaincre mon frère que j'essayais de cacher le corps de Bunn ailleurs.

— Je n'arrive toujours pas à trouver un bon endroit.

— [N'oublie pas de m'envoyer des photos.]

— Non, pas maintenant ! Je conduis. Je dois y aller. Je te rappelle plus tard.

Je m'empressai de raccrocher, me jetai dans la voiture et quittai cet endroit.

La guerre allait commencer. Tann, tu allais risquer ta vie en trahissant ta famille et ton frère. Voyez-vous, mon but était de faire en sorte que mon frère ne puisse plus jamais se mêler de ma vie, de celle de Bunn ou de celle de ma mère.


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Ven 6 Sep 2024 - 23:29



Chapitre 14
Dans la nuit du 11 décembre, à 2 h 30 du matin, je réussis à hisser Manote, qui était inconscient à cause de l'alcool, sur le lit. Pae, un autre de mes amis, aidait Bank, qui marmonnait quelque chose en état d'ébriété, à entrer dans la chambre.

— Ces types ont bu comme s'il n'y avait pas de lendemain, dit Pae en posant Bank sur le lit à côté de Manote. Et voilà mon lit qui disparaît. Et si on les mettait en scène en train de se faire des câlins et qu'on prenait des photos  ?

— Mon Dieu, non. Je me sentirais mal pour leurs femmes, rétorquai-je en laissant échapper un léger rire.

Moi aussi, j'étais en état d'ébriété. J'avais l'impression que la pièce se balançait. Oui, il valait mieux s'asseoir une minute. Je m'allongeai sur le sol au bout du lit et fermai les paupières. Depuis combien de temps n'avais-je pas bu autant ? Pae, l'homme le plus sobre de la pièce, s'approcha de moi et s'assit à côté de moi.

— Nous n'avons pas eu beaucoup d'occasions de parler pendant que nous buvions. Comment va ta vie ces jours-ci  ? me demanda Pae.

Je rouvris les yeux et me tournai vers l'homme assis à côté de moi. Pae était un bel homme, grand et mince, avec des cheveux mi-longs.

— Ça va... Mon école est en plein essor. Beaucoup d'étudiants se sont inscrits dans ma classe. Et toi, Pae ?

— Je continue à errer. Après avoir quitté mon travail à Bangkok, je ne savais pas quoi faire ensuite. Il se peut que je doive y retourner un jour ou l'autre. Mais pour l'instant, je suis rentré à la maison pour me ressaisir. Heureusement, je suis revenu juste à temps pour le mariage de Jack.

Pae remit en place une mèche de cheveux derrière son oreille. Sous l'emprise de l'alcool, son geste était bien trop mignon pour que je résiste à la tentation. Je rapprochai mon visage de Pae, mais sa main se pressa soudain contre ma poitrine.

— Woah ! Tann ! Calme-toi, mon pote.

Je reculai à contrecœur. Pae poussa un long soupir de soulagement.

— Je suppose que tu n'as toujours pas de petit ami... ?

— Aucun, répondis-je en secouant la tête.

Pae rit un peu.

— Mais moi j'en ai un. Désolé, mon pote  ? dit Pae en me tapotant l'épaule. Ne sois pas triste.

Je ne savais pas ce que j'étais censé ressentir face à cette nouvelle. Mais une chose était sûre : je n'étais pas dévasté.

— Qui est-ce ?

— Le chef du département de mon ancienne entreprise, dit Pae en sortant son téléphone. Super mignon. Il m'a pourri gâté. Le jour où il a su que j'allais démissionner, il a pleuré au téléphone.

Il me tendit le téléphone qui affichait une photo de lui en compagnie d'un grand gaillard. Tous deux habillés en costume, des badges d'identification autour du cou.

— On sort toujours ensemble.

— Ah... ?

Je ne fis qu'acquiescer en marmonnant.

Pae dut s'amuser de ma réaction. Il sourit, secoua légèrement la tête et remit son téléphone dans sa poche.

— Rappelle-moi pourquoi on n'est pas sortis ensemble à l'époque ?

— Ouais….hésitai-je en fixant le sol, les yeux dans le vide. Je ne sais pas.

— C'est probablement mieux ainsi. Ce ne devait pas se faire. Nous étions des pièces incompatibles d'un puzzle. Ça n'aurait pas marché de toute façon. J'ai pensé qu'il valait mieux étouffer l'affaire dans l'œuf, sinon nous ne serions plus de bons amis aujourd'hui, tu n'es pas d'accord  ? dit Pae en se levant. Tu peux dormir sur le canapé. Je prendrai l'autre chambre. Je te donnerai un oreiller et une couette.

Je hochai la tête. En réalité, je pourrais m'allonger par terre, mais mon ami, le propriétaire de la maison, n'apprécierait peut-être pas. Je me levai et me dirigeai vers le salon. Je m'installai sur le canapé avant de me rendre compte que j'avais oublié d'appeler Nath. Cependant, la tâche ne semblait pas très urgente. Elle pouvait attendre que je sois pleinement réveillé. Cette pensée évacuée, je sombrai dans le sommeil avant même que Pae n'ait apporté la couette.




La sonnerie stridente de mon téléphone portable me réveilla en sursaut. Les rayons du soleil du matin pénétraient à l'intérieur de la maison. La couette sur moi chauffait mon corps jusqu'à l'ébullition. Je jetai la couette sur le côté et décrochai rapidement mon portable que j'avais sorti de ma veste.

— Oui ?

— [Où es-tu ?]

Une voix grave se fit entendre, me réveillant complètement. J'avais complètement oublié d'appeler la fille Nath pour mon frère----Pert.

— Chez mon ami… répondis-je en levant la main pour me masser la tempe. Tout va bien ?

— [Tann... qu'est-ce que je dois faire ?]

Je pouvais détecter que sa voix avait changé - nerveuse et confuse.

— Comment ça ? Je fronçai les sourcils. Pert, ressaisis-toi. Qu'est-ce qui s'est passé ?

— [Eh bien... c'était un accident...]

Plus j'écoutais, moins je comprenais le sens de ce qu'il disait.

— Qu'est-ce que tu as fait ?

— [J'ai accidentellement étranglé Janejira à mort...]

Il me fallut plusieurs millisecondes pour assimiler chaque syllabe prononcée par mon frère. Une fois que j’eus compris, je me relevai, paniqué.

— Quoi ?!?

— [Oui, j'ai accidentellement tué Jane.]

Il émit un "tch" inaudible accompagné d'une note de mécontentement.

— [J'ai réagi de façon excessive. Je n'aurais pas dû faire ça.]

— Putain... Pert !!! Qu'est-ce qui t'as pris !!! criai-je.

— [Tu n'as pas le droit de dire ça ! Maintenant, tu ferais mieux de m'aider à réfléchir à ce que je suis censé faire ensuite.]

— Quoi faire ? Il faut que tu préviennes la police tout de suite !

Je parlai plus doucement, marchant rapidement hors de la maison de Pae pour que personne dans la maison n'entende cette conversation.

— Pourquoi ? Pourquoi l'as-tu tuée ? N'était-ce pas la fille à laquelle tu tenais tant ? J'ai reçu des ordres de ta part, je l'ai véhiculée pour l'amour de Dieu. Comment as-tu pu faire ça  ? Putain de merde... dis-moi pourquoi, demandai-je en me pincant l’arête du nez.

— [Eh bien, c'était une salope. Et elle m'a fait chier...]

Sa voix se transforma en une rage tonitruante.

— [Si tu ne m'aides pas, j'irai parler à Paul.]

— Pert, tu ne vas donc pas te rendre ? Tu vas, quoi, étouffer l'affaire  ?

C'était la première fois que je devais faire face à un meurtre commis par un membre de ma famille. Un incident similaire s'était produit - une seule fois - lorsque j'avais tout juste emménagé chez mon père.

L'oncle Eid, le frère aîné de mon père, avait abattu son débiteur et s'était débarrassé du corps. Je ne me souvenais pas beaucoup des détails, mais je me souvenais que l'oncle Eid s'en était sorti facilement.

— [Qui a parlé de me rendre ? N'oublie pas qui je suis.]

Bien sûr, la nouvelle d'un procureur honorable qui mettrait fin à la vie d'une femme deviendrait sûrement un événement national.

— Pert, ce n'est pas bien. Je ne peux pas t'aider à t'en sortir. Va parler à Paul et donne-moi les ordres quand tu auras réglé le problème.

— [Quelle merde inutile tu es. D'accord. Je t'appellerai quand j'aurai parlé à Hong.]

Puis, Pert raccrocha.

Je levai les yeux au ciel, la main crispée sur le téléphone portable. Jane et moi nous sommes connus lorsque je donnais des cours particuliers aux élèves du lycée pour lequel Jane travaillait. Nous n'étions pas très proches jusqu'à ce qu'elle devienne l'une des filles de Pert. Il m'avait chargé de m'occuper d'elle, car je devais de toute façon donner des cours particuliers à ses élèves. Je la conduisais à l'école, si bien que tout le monde pensait que nous sortions ensemble. Jane aimait mon frère de tout son être. Elle me disait qu'il était le premier homme à l'avoir rendue heureuse. Mais je ne pouvais pas dire grand-chose sur le genre d'homme que Pert était vraiment. Un jour, Jane avait appris qu'elle n'était pas la seule fille dans la vie de Pert. Inutile de dire qu'à partir de là, tout s'était dégradé.

Je décidai de dire au revoir à Pae, qui préparait du café pour nos amis. Je le serrai rapidement dans mes bras et me précipitai hors de la maison. J'allai directement chez moi, dans le centre ville. Il devrait y avoir beaucoup de choses à discuter et je pourrais être chargé de faire quelque chose.

Après avoir évalué la situation, j'étais arrivé à la conclusion que le meurtre était une affaire sérieuse. Si la situation était jugée trop difficile à gérer pour moi ou s'il y avait de fortes chances que je me retrouve derrière les barreaux, ma mère et moi devrions peut-être trouver un moyen de partir d'ici.

À peine rentré à la maison, j'appelai le numéro de Jane. Et bien sûr, personne ne répondit au téléphone. Je ne savais pas dans quel état elle était maintenant. La seule personne qui le savait était celle qui lui avait volé sa vie. Je ne pouvais même pas rester assis à cause de la peur.

Que devais-je faire maintenant ? Je ne voulais pas être impliqué dans cette merde. Cependant, je devinais que c'était inévitable.

Après une demi-heure d'agitation et d'attente, Pert me rappela finalement. Je m'empressai de prendre l'appel.

— Quoi maintenant ? Où es-tu  ?

J’étais suspendu au téléphone.

— [Je serai chez toi dans cinq minutes...]

Je perçus le flottement dans la voix de mon frère. Lui aussi était en état de choc.

— [Je veux que tu fasses quelque chose pour moi. On en reparlera plus tard.]

Je soupirai, me préparant à la mission cruciale qui s'annonçait.

— [On se voit bientôt.]

Environ cinq minutes plus tard, j'entendis le bruit de la voiture qui se garait devant la maison. J'ouvris le portail, regardant l'exorbitante voiture européenne blanche qui bloquait le passage. Un homme grand et élégant descendit de la voiture et entra dans la maison. La porte était déjà ouverte, attendant son arrivée. La détresse se lisait sur son visage. Pert se dirigea vers le canapé et s'y installa, épuisé. Je m'assis sur le côté du canapé, regardant mon frère aîné qui remuait les jambes pour tenter de se débarrasser de son anxiété qui le tenaillait. Je le fixai du regard.

— Explications, s'il te plaît....

— Je ne veux pas donner beaucoup de détails. Ce qui est fait est fait. Nous devons nous tourner vers l'avenir.

Pert commença à se ronger les ongles, fermant les yeux comme s'il essayait de se calmer.

— Pourquoi as-tu tué Jane ? insistai-je.

— J'ai dit que je ne voulais pas en parler !

Il haussa le ton, ce qui me fit fermer la bouche, malgré mon désir sincère de connaître la raison et ce qui avait pu déclencher ces actions sauvages et barbares.

— Ecoute, Jane souffrait de dépression, il y a donc de fortes chances qu'elle se soit suicidée, n'est-ce pas ? Quand j'ai compris que Jane était morte, j'ai mis en scène une pendaison...

Après avoir imaginé ce qui s'était passé, je fermai les yeux, consterné. J'essayais de calmer mon esprit.

— Tu as pendu le corps de Jane ?

— Oui, je devais le faire.

—  Tu penses pouvoir tromper la police ?

— Ce n'est pas la police qui m'inquiète. Il serait facile de les tromper. En revanche, c'est le médecin légiste qui m'inquiète.

Je haussai les sourcils.

— Le médecin légiste ?

— Oui, celui de l'hôpital provincial. C'est mon ami, en fait, mais pas le genre d'ami à qui je pourrais demander une faveur pour des activités illégales. Il n'y a pas moyen de le tromper à propos de Jane, ça je peux le dire. Quelle que soit la façon dont j'ai mis en scène la mort, il saura qu'il s'agit d'un meurtre et non d'un suicide. J'ai beaucoup travaillé avec lui ; ce bâtard est trop intelligent pour son propre bien.

— Que comptes-tu faire alors ? Il est clair que tu ne parviendras jamais à tromper le médecin.

Je me frottai les mains sur le visage, un long soupir s'échappa de ma bouche.

— Pert, ce n'est pas bon du tout. Et qu'a dit Paul ?

— C'est ce que je m'apprête à te dire, me dit Pert en pointant son doigt. Paul va s'occuper de ça et moi je vais m'enfuir.

J'écarquillai les yeux.

— Tu t'enfuis ?! C'est encore plus suspect, non ?

— Non, je vais faire croire que quelqu'un m'a kidnappé. Je m'absenterai jusqu'à ce que la situation s'améliore. L'affaire sera close si l'on détermine que la mort est due à un suicide, ce qui nécessite plusieurs facteurs. Néanmoins, le rapport d'autopsie constitue un élément de preuve important. Il ne doit pas laisser penser qu'il s'agit d'un meurtre…

Les mains de Pert se rejoignèrent sous son menton, et son visage parut troublé.

— Un de mes amis est flic. Nous pouvons lui parler, il doit beaucoup à mon père. Il nous donnera les informations de la police. Quant à toi...

Pert leva les yeux vers moi. Je lui rendis son regard féroce. Je ne voulais pas du tout être impliquée dans cette histoire. Je ne pouvais que m'arracher les cheveux intérieurement.

— Qu'est-ce que tu veux que je fasse ?

— Avant tout, va dans la chambre de Jane, fais en sorte d'être la personne qui découvre le corps et appelle la police. Fais en sorte que ça ait l'air spontané, dit Pert en se levant. Ensuite, attends que l'équipe médico-légale arrive. Tu verras ta cible, un médecin légiste nommé "Bunnakit". Fais tout ce qu'il faut pour qu'il écrive le rapport comme étant un suicide ; menace, chantage, kidnapping, torture. Tout ce que tu sais faire...

Je ne voulais plus faire ce genre de choses déprimantes. Mais quand il s'agissait de la sécurité de ma mère, j'étouffais à contrecœur ces terribles sentiments.

—  As-tu plus d'informations sur la cible ?

— Bunn a un secret. J'ai découvert qu'il aime les hommes. Un peu comme toi, Tann.

Soudain, Pert sembla se souvenir de quelque chose .

— Et si tu le violais, en prenant sa photo pour le faire chanter plus tard ?

C'était probablement le plan le plus infâme que j'aie jamais entendu. J'avais été habitué à cet environnement odieux au point de devenir insensible. La torture était une tâche qui m'avait été confiée à plusieurs reprises. Mais le viol était un peu trop ignoble.

— Pert... Je ne peux pas faire ça.

— Tu dois le faire ; Bunn a un caractère bien trempé. Le menacer ne suffirait pas. Tu dois l'atteindre physiquement, dit-il en se levant. Tu dois me montrer les photos de ton travail. Tu sais ce qui se passera si tu ne le fais pas, n'est-ce pas ?

La pression, quel psychopathe tordu...

Je regardai mon frère, effaré.

— Je... je trouverai un moyen de lui faire écrire le rapport.

Pas de viol, j'en étais certain. Même si je savais que ma cible était gay comme moi, qui serait assez fou pour faire une telle chose ? Je devais l'approcher et l'intimider avec ma voix et mon attitude minable, ce que j'avais fait à maintes reprises, et plus souvent que jamais, cela avait fonctionné.

— Tu ferais mieux de faire le travail, dit Pert en se dirigeant vers la porte. Va chez le Dr. Bunn ce soir. Je t'enverrai l'adresse.

Il ouvrit la porte d'un coup sec et la claqua derrière lui.




Ma voiture était garée sur le bord de la route, près de la forêt sombre, depuis un bon moment. J'avais roulé assez loin de ma maison, où j'avais attaché Bunn, sachant très bien que mon frère gardait un œil sur ma position. Je sortis de ma poche le smartphone blanc de mon frère et le regardai. En fouillant dans l'autre poche, ma main toucha un objet dur et froid qui pouvait mettre fin à la vie de quelqu'un en un clin d'œil.

Je me demandais si je devais aller voir mon frère ce soir.

Mon téléphone vibra dans ma poche - un message de mon frère sur Line Chat.

— [Photos ?]

Je pris une grande inspiration, faisant semblant de ne pas voir la notification. Je m'empressai de remettre mon téléphone dans ma poche. En même temps, je me dis que je devrais résoudre le problème de Bunn avant de passer à l'étape suivante. Tout d'abord, je devais trouver un moyen de convaincre mon frère que le Dr Bunn était mort. Cela faciliterait les choses.

Peut-être devrais-je supplier Bunn de mettre en scène sa propre mort. Étant médecin légiste et tout le reste, il devrait facilement être en mesure de rendre cette chose réaliste et légitime. Mais comment allais-je le convaincre puisqu'il ne voulait même pas voir mon visage ? La façon dont le regard de Bunn me blessait et me brisait le cœur était gravée dans mon esprit. Je savais qu'il commençait à éprouver des sentiments pour moi. S'il n'y avait pas eu ce chaos, nous nous serions bien entendus et nous aurions pu développer notre relation de la meilleure façon possible.

La deuxième option était de trouver un cadavre et de le faire ressembler à Bunn. Cependant, je ne savais pas où trouver un cadavre digne de ce nom, à moins de tuer quelqu'un et de modifier le corps, ce qui était peu plausible. J'éliminai donc facilement cette option.

Mon téléphone portable vibra une fois de plus, accompagné du son assourdissant de la sonnerie. Inutile de le sortir pour voir qui appelait. Je le savais. C'était l'homme qui mourait d'envie de voir le cadavre de Bunn. Je pris l'appel.

— Qu'est-ce qu'il y a ?

— [Qu'est-ce qui se passe ? Le Dr Bunn est-il déjà mort ? Pourquoi tu ne m'envoies pas les photos ?]

— Je creuse une tombe…

Je fis semblant de baisser la voix.

— Hé, il y a quelqu'un ici... Je dois y aller, murmurai-je avant de raccrocher.

J'éteignis mon téléphone et celui de Pert. Je n'allais sans doute pas pouvoir gagner beaucoup de temps. Pour l'instant, je devais trouver un moyen de simuler la mort de Bunn. Et je devais le faire rapidement.






Lorsque j'ouvris la porte, je vis Bunn assis sur le lit, sa main droite enroulée autour de ses genoux. Son autre main, qui était menottée à la tête de lit, était restée à sa place. Il leva les yeux vers moi avec inquiétude. Je vis que ma veste avait été jetée par terre.

— Tu ne dormais pas ?

Je marchai jusqu'à m'asseoir sur le lit et me penchai pour ramasser la veste. Bunn essaya de s'éloigner de moi le plus possible.

— Et pourquoi tu n'utilises pas ma veste comme couverture ? Tu pourrais tomber malade.

— Je croyais que tu avais dit que tu reviendrais demain, dit Bunn.

J’étais impressionné par l'état d'esprit du docteur. Il avait l'air plus lucide. Les rouages devaient tourner dans sa tête comme une machine. Sachant cela, je ne pouvais baisser ma garde. Mon frère m'avait prévenu de l'intelligence de Bunn. J’avais été convaincu de ses dires dès l'instant où Bunn m'avait gratifié de sa présence à l'école de bachotage, ce jour fatidique.

Quelle personne saine d'esprit aurait fait cela - rendre visite à son agresseur quelques heures après avoir été agressé ? J'avais littéralement paniqué lorsque Bunn était venu me voir ce jour-là, ce qui m'avait empêché de le menacer moi-même. Il aurait su immédiatement qui était l'intrus. Pendant tout le temps où nous étions ensemble, je devais être constamment sur mes gardes. Le stress m'avait rongé en essayant de ne pas agir bizarrement.

Il y avait pourtant une chose que je voulais savoir, alors je décidai de la demander à Bunn. Peut-être qu'une conversation l'aiderait à comprendre et à se montrer plus coopératif.

— Quand je suis rentré hier, tu essayais de t'enfuir. Tu savais donc que j'étais l'intrus, à ce moment-là ? Comment l'as-tu découvert ?

Bunn me regarda fixement.

— La note orange dans la poche de ta veste...

J'arquai les sourcils, confus.

— Je ne vois pas de quoi tu parles...

— La note avec le numéro de téléphone d'une femme nommée Nath… dit Bunn d'un ton impassible, … appartient à Pert.

Je restai assis, stupéfait. La note avec le numéro de Nath ne semblait rien avoir d'important, mais elle s'avérait être la chose qui avait fait sauter ma couverture.

— Tu la connais, Nath ?

— Non. Peu importe qui elle est. L'important, c'est que cette fichue note appartient à Pert.

Bunn laissa échapper une toux sèche. Il renifla une fois avant de poursuivre.

— Le numéro de l'autre côté du billet est le mien, je m'en souviens.

Bunn me laissa une fois de plus sans voix. Qu'est-ce qu'il venait de dire ? Si le numéro au dos de ce bout de papier était le sien, alors la personne appelée accidentellement ce jour-là ne pouvait être que lui.

Bunn étudia ma réaction avec attention. Ce regard m'était si familier.

— Où tu as eu ce billet ? Le procureur te l'a donné, ou tu le lui as volé ? C'est toi qui l'as kidnappé, n'est-ce pas ?

Malgré la position désavantageuse du Dr. Bunn, il tentait sa chance en me bombardant de questions, me mettant au pied du mur. Je devais lui montrer qui était le responsable ici, à cet instant, afin de pouvoir gérer cette situation facilement. Je me retournai pour saisir les épaules de Bunn et les serrer fermement. Il sursauta, essayant de repousser mon bras. J'avais vraiment envie de lui annoncer que c'était son meilleur ami qui avait tout déclenché. Mais je ne voulais pas voir plus de douleur dans ses yeux. Si je lui avais dit que Pert était derrière tout ça, Bunn se serait sûrement énervé et se serait éloigné de moi pour prendre les choses en main.

— Tiens-toi tranquille, et écoute-moi…

J'avais réussi à le faire taire.

— J'ai des ennuis en ce moment. Mon patron veut que tu disparaisses, il veut voir que tu es vraiment mort. Tu dois m'aider à simuler ta mort.

Bunn me regarda fixement, sans bouger.

— Simuler ma mort ?

— Oui, tu devrais être mort parce que je t'ai tiré dessus. Mon patron voudrait voir ces photos.

Je le regardai dans les yeux avec anticipation.

— Quand il verra que tu es mort, je commencerai mon jeu.

— C'est un ordre ou une demande  ? demanda Bunn en se détournant. Je n'ai pas le choix de toute façon, n'est-ce pas ?

— Je ne veux pas que tu penses qu'il s'agit d'un ordre. Je ne pourrais pas faire ça tout seul, mettre en scène ta mort, je veux dire.

— Tu t'attends à ce que je coopère en me laissant dans l'ignorance comme ça ?

Bunn utilisait à nouveau mes mots contre moi. Je me demandais si je devais tout lui dire pour qu'il comprenne la situation, ou compter sur d'autres moyens pour le persuader, ou encore si je devais le contraindre à m'obéir.

Je décidai d'essayer la deuxième méthode.

— Tu ne comprends peut-être pas encore tout, mais je voulais que tu saches que tout ce que j'ai fait, je l'ai fait pour toi.

— Ne dis pas que tu fais ça pour moi alors que tu m'as visiblement kidnappé et emprisonné. Je serais damné de te croire.

Comme je le pensais, Bunn ne céderait pas si facilement.

— Si mon patron n'obtient pas ces photos d'ici demain matin, ma mère malade sera en danger. Je dois travailler pour eux parce qu'ils la retiennent en otage. Si je désobéis à leurs ordres... Je ne sais pas ce qui arrivera à ma mère.

Bunn demeura stupéfait. Nous restâmes tous deux silencieux pendant un long moment. Enfin, Bunn s'éclaircit la gorge. Je venais de remarquer qu'il semblait avoir attrapé un rhume. —

— Trouve du sang de porc. Il ne devrait pas être difficile d'en acheter dans les villages ou au marché rural à l'aube. La mise en scène dans la forêt est sans doute la plus réaliste car tu m'as emmené loin de la ville. Fais croire que tu m'as forcé à me mettre à genoux et que tu m'as tiré une balle dans la tête par derrière, avec une tombe à proximité... Ou as-tu d'autres suggestions ?

Je le regardai, totalement impressionné. Son idée correspondait à l'ensemble du plan que j'avais imaginé.

— On va suivre ton plan.

Bunn tira brutalement sur son poignet, faisant délibérément claquer la menotte.

— Si tu veux mon aide, tu dois me détacher.

Un compromis astucieux.

— Si je te détache, tu t'enfuiras ?

— Tu as dit que si je mettais un pied dehors maintenant, je mourrais, n'est-ce pas  ?

Bunn se mit de nouveau à tousser sèchement.

— Si tu peux m'assurer que je serai plus en sécurité avec toi, je n'irai nulle part.... Mais maintenant, je n'en suis pas si sûr parce que je ne sais pas qui tu es...

Non seulement il m'obligeait à lui enlever les menottes, mais Bunn me contraignait aussi à lui dire la vérité. Je décidai de lui donner ce qu'il voulait en échange de sa coopération dans la mise en scène de sa mort.

Je fouillai dans la poche de mon pantalon, j'en sortis la clé et je lui enlevai les menottes. Je ne laissai pas Bunn se réjouir longtemps de sa liberté. Dès qu'il eut les mains libres, je m'empressai de le plaquer sur le lit. Bunn poussa un cri de panique avant que je ne m'allonge à côté de lui, en passant mon bras autour de lui par derrière.

— Il va falloir attendre plusieurs heures avant que le jour ne se lève. Permets-moi de rester dans cette position pendant un moment, dis-je en lui caressant la nuque. Si t'essayes de t'enfuir, je le saurais.

Étrangement, Bunn ne résista pas ; au contraire, il resta immobile dans mes bras.

— Tann...souffla-t-il. C'est vrai ? A propos de ta mère ?

— Inutile de mentir pour l'instant. Je n’ai juste pas dit encore toute la vérité.

Je resserrai mes bras autour de lui, de peur que Bunn ne disparaisse quelque part.

— Alors je me réveillerai vers quatre heures. Et faisons ça rapidement.


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Ven 6 Sep 2024 - 23:29



Chapitre 15
Je fus surpris lorsqu'un violent coup de poing de l'homme en face de moi vint s'écraser sur ma tempe gauche. Ma vision s'obscurcit pendant une seconde. La sensation d'engourdissement se transforma en une douleur qui se propagea progressivement dans ma tête, me faisant pousser un cri de douleur. Je tentai de me redresser, observant la silhouette menaçante de l'homme costaud qui faisait craquer ses doigts. Il s'approcha de moi patiemment.

— A quoi tu pensais, hein  ?

La voix qui me glaçait le sang parlait à mon oreille. Je me détournai, essayant de retrouver mon calme. Je serrai les poings. Je sentais le liquide chaud couler le long de la plaie de ma joue gauche, probablement causée par la bague que cette personne portait à l'index droit. Ses mains se refermèrent sur mon col et me tirèrent vers lui. Malgré nos tailles similaires, sa puissance et son charisme surpassaient les miens.

— Tu as appelé une ambulance ? Tu crois que c'est malin  ?

Un long soupir s'échappa de sa bouche.

— Je n'ai pas fait tout ce chemin depuis Bangkok juste pour voir mon frère aller en prison.

Je fermai les yeux, le bourdonnement des cris des grillons résonnait dans l'entrepôt abandonné, éclairé par la seule faible lumière de l'extérieur. Je choisis de rester silencieux, car je n'avais aucune excuse raisonnable pour mes actions antérieures au-delà de l'appel du devoir.

— Et moi qui pensais que tu étais plus intelligent que ça, Tann. Tu nous as jamais laissé tomber, papa et moi, avant. Mais c'est quoi ce bordel ?

L'homme lâcha ma chemise.

— Je suis désolé.

C'était probablement tout ce que je pouvais dire à ce moment-là.

— S'excuser n'arrangera rien. La seule façon de te faire pardonner, c'est que tu fasses le boulot.

Il me tendit un téléphone portable dans la main.

— La seule chose qui m'a plu, c'est que tu as volé le téléphone du docteur. J'ai dit à Pert de donner son téléphone au Dr Bunn. Tu utiliseras ce téléphone pour le suivre. J'ai installé tout le nécessaire.

Je saisis fermement le téléphone. Il se retourna, et marcha pour rejoindre deux hommes vêtus de noir, qui attendaient derrière lui.

— Va à l'hôpital. Service de chirurgie VIP, salle 11. Assure-toi que le docteur rédige le rapport comme je veux. Si tu te défiles, tu pourras dire adieu à ta précieuse mère.

Sur ce, il sortit de l'entrepôt suivi de ses gardes du corps.

Je restai planté au même endroit pendant un long moment. J'aurais dû m'habituer à ses menaces, car il les avait toujours proférées pour m'obliger à faire ce qu'il ordonnait. C'est pourquoi j'avais toujours été un citoyen de seconde zone aux yeux des membres de la famille Sawangkul : M. Odd, Pert, et surtout l'aîné des héritiers de cette famille, Paul.

Après avoir emménagé avec mon père, j'avais rencontré ses deux fils pendant les vacances d'été. Pert et Paul étaient partis étudier à Bangkok. Ils avaient semblé choqués par la révélation selon laquelle j'étais leur frère. Bien qu'ils me traitaient bien tous les deux, ils connaissaient ma position dans cette famille.

Pert, le plus jeune, était aimable. Il m'offrait souvent de petits bavardages qui montraient que nous étions devenus assez proches. Mais il aimait aussi me confier des tâches frivoles. Pert pouvait sembler respectable en apparence, mais il était impitoyable et cruel. Je l'avais vu asséner un coup de massue à un chiot qu'il venait d'acquérir, tout ça parce qu'il trouvait que le chiot n'était plus mignon, le laissant gravement blessé. J'avais dû intervenir avant qu'il ne puisse l'achever.

Les troubles mentaux n'étaient pas l'apanage de Pert ; l'aîné de la famille, Paul, partageait lui aussi cette bizarrerie. C'était avec lui que j'évitais le plus de m'impliquer. C'était un homme taciturne qui avait un penchant pour la violence. Si j'avais qualifié Pert d'atroce, Paul avait atteint un autre niveau d'atrocité, bien pire. Heureusement, après que Paul eut obtenu son diplôme de l'école de commerce de l'université de Bangkok, mon père l'avait chargé des affaires immobilières de la famille à Bangkok. Quant aux entreprises locales de notre province, mon père en avait confié la responsabilité à Pert.

Je n'avais jamais eu peur de travailler pour Pert, car nous pouvions nous parler ouvertement. Cependant, travailler sous les ordres de Paul était un vrai fléau. Surtout maintenant, alors que Paul avait décidé de nettoyer le gâchis de Pert, alors que Pert lui-même était en fuite, cette perspective me mettait mal à l'aise. Pert n'avait jamais posé la main sur moi, mais Paul l'avait fait. Le coup de poing sur ma tempe n'était qu'un avertissement, un rappel pour que j'obéisse à ses ordres, ce à quoi je ne pouvais rien faire d'autre que de m'y consacrer.

Dr. Bunnakit.

Je quittai l'entrepôt abandonné en remontant la capuche noire de mon pull. La plaie de ma tempe gauche palpitait de manière inconfortable et intense. Je me dirigeai vers la voiture garée à l'angle de la sortie. Le visage du médecin envahissait mes pensées à chaque seconde qui passait. Pourquoi avais-je appelé l'ambulance ? Parce que je craignais qu'il n'ait une commotion cérébrale. Si c'était le cas, il devait recevoir des soins médicaux appropriés. Je n'avais jamais prêté autant d'attention au bien-être de ma victime. Mais il y avait quelque chose de spécial chez cet homme, quelque chose qui m'empêchait de cesser de penser à lui.




Les images semblaient incroyablement réelles. Je regardai le Dr Bunn allongé à plat ventre au milieu d'une mare de sang sur un sol pavé d'une couche de feuilles mortes dans les bois. La pose et le sang sur son visage ainsi que sur le sol avaient été préparés par un médecin légiste chevronné. L'endroit choisi était le bois derrière la maison où je l'avais amené. À ce moment-là, l'air était frais. La lumière du soleil matinal ne parvenait pas à percer le brouillard épais qui couvrait les lieux.

— Tu as fini ? demanda Bunn.

— Oui.

— D'accord.

Bunn se détourna de la mare de sang, le soulagement se lisant sur son visage. Il essaya de se relever du sol, mais je me précipitai pour le remettre sur ses pieds. Pour les besoins de la photo, je l'avais auparavant menotté, lui liant les poignets dans le dos.

— Laisse-moi voir les photos.

Je lui montrai les photos sur mon téléphone, et il les examina attentivement.

— Zoom sur ma tête.

J'obéis docilement.

— Qu'en penses-tu ? Pour des gens ordinaires comme moi, cela ressemble à la réalité.

Je regardai le visage ensanglanté de Bunn. Le liquide coulait à flots, parsemant ses vêtements de taches cramoisies. Si quelqu'un était tombé sur une telle scène, il aurait été horrifié.

— Je pense que cette photo fera l'affaire. Dépêchons-nous et finissons-en que je puisse te nettoyer.

Bunn me jeta un coup d'œil.

— Je vais le faire moi-même.

Sur ce, il retourna à ses images qui ressemblaient à celles d'un homme qui avait été tué par balle.

— Dans l'ensemble, c'est acceptable. En fait, si l'image montrait la blessure d'entrée, elle serait plus réaliste. Mais nous avons fait en sorte que la blessure soit cachée par mes cheveux, ainsi  l’angle de sortie de la blessure devrait probablement se trouver près de ma bouche et de mon menton. Ils ne pourraient pas voir la blessure lorsque le cadavre est allongé face contre terre.

Bunn serra ses lèvres l'une contre l'autre d'un air pensif avant d'arriver à une conclusion.

— Envoie celle-ci à ton patron.

— D'accord…

Je me tournai pour cacher l'écran du téléphone à Bunn et j'envoyai les photos à Paul.

— Maintenant, croisons les doigts pour qu'il y croie.

Bunn se tenait debout, me regardant en silence. Je savais qu'il devinait qui était le patron dont je parlais.

— S'il n'est pas médecin légiste, il ne devrait pas y avoir de problème ?

Je glissai mon téléphone dans ma poche.

— Non, il ne l'est pas. Tu es le seul médecin légiste de notre province.

Je m'approchai de Bunn et lui passai le bras autour de l'épaule.

— Allons te nettoyer. Le sang est sale, il se répand sur les plaies de ton front.

Les sourcils de Bunn se froncèrent.

— Détache-moi d'abord.

J'hésitai à le faire. Je voulais le garder sous mon contrôle, mais je devais en même temps gagner sa confiance. Je devais donc lui enlever les menottes comme il le souhaitait. Une fois libéré, Bunn s'élanca vers la maison, et je dus littéralement le poursuivre et lui agripper l'avant-bras.

— Hé, toi... Je ne peux pas te tourner le dos, n'est-ce pas  ? criai-je, surpris, et resserrant involontairement mon emprise sur son bras.

Bunn s'arrêta de marcher, le bras maintenu par ma main.

—  Je suppose que tu ne peux pas, me dit-il en me regardant du coin de l'œil. Parce que si tu le fais, je disparaîtrai.

— Ouais, tu disparaîtras... et tu finiras mort, répondis-je en lui tirant le bras et l'entraînant à ma suite.

Bunn commença à émettre une série de toux sèches. Il toussait de plus en plus fort depuis la nuit dernière. Je devais donc le laver rapidement et le mettre au lit le plus vite possible.

J'accompagnai Bunn jusqu'à ma voiture devant la maison. Je pris une chemise et un pantalon qui étaient soigneusement pliés dans le coffre. Je préparais toujours des vêtements de rechange et des petites serviettes dans ma voiture au cas où mes cours se termineraient à 21 h. Il me faudrait alors dormir à l'école. Après avoir pris les vêtements, je conduisis Bunn à la salle de bain derrière la maison. Bunn se stoppa net à l'entrée de la salle de bain lorsqu'il vit que j'allais l'accompagner.

— Attends un peu ! Pourquoi tu dois venir avec moi ?

— Tu ne peux pas te laver tout seul. Et il n'y a pas de miroir ici.

Bunn fronça les sourcils.

— Je vois que tu profites de la moindre occasion ces jours-ci…

Ce que Bunn dit n'était pas tout à fait faux, cependant. En temps normal, je n'avais pas l'occasion d'être aussi proche de lui. Nous nous touchions rarement. Je ne le voyais pas tout le temps. Quand j'en avais l'occasion, je profitais de chaque instant autant que possible.

— Je veux juste t'aider. Le sang est difficile à faire partir, tu sais ?

Bunn me regarda en silence. Bon sang, ce que j'aurais donné pour savoir ce qu'il pensait à cet instant.

— Alors, attends dehors. Si j'ai besoin de quoi que ce soit, je t'appellerai.

Je ne pensais pas que Bunn m'appellerait pour le rejoindre, ça c'était sûr.

— D'accord, répondis-je doucement.

Bunn entra dans la salle de bains qui, à mon avis, ne correspondait pas à son goût sophistiqué de citadin. Le sol de la salle de bains était en béton brut, humide et frais. Il y avait des toilettes équipées de fosses septiques et une grande jarre en terre sur laquelle était gravé le motif d'un dragon. Je n'eus pas besoin de toucher l'eau pour me rendre compte à quel point elle devait être glacée dans cette jarre. Puis, je me souvins de quelque chose.

— Je devrais faire chauffer l'eau pour toi. Tu peux attendre une minute ?

— C'est bon, je peux me laver comme ça.

Bunn croisa les bras, indifférent à l'état de la salle de bains. Bien qu'il soit un médecin diplômé d'une célèbre école de médecine de Bangkok, il avait les pieds sur terre. Il n'y avait pas une once d'arrogance en lui. Bunn pouvait se lier d'amitié avec toutes sortes de personnes. Il m'impressionnait encore plus.

— Mais tu es encore malade...

— J'ai dit que je pouvais me débrouiller tout seul, dit Bunn d'une voix sèche. Si tu veux chauffer l'eau, vas-y. Laisse-moi prendre une douche froide ici.

Je soupirai. Il sembla que je devais le laisser faire cette fois-ci, vu la façon dont il avait été contraint après tout ce temps.

— Oui, d'accord, voici tes vêtements de rechange. Ce sont les miens. Tu vas peut-être trouver ça un peu large, mais c'est mieux que d'être nu, dis-je en lui tendant ma chemise crème toute simple et un pantalon.

Il les prit et claqua la porte, et je me dépêchai de reculer avant qu'elle ne m'arrive en pleine figure.

Je m'appuyai contre la porte de la salle de bains et sortis mon téléphone portable pour le regarder. Paul avait déjà vu l'image illusoire de la mort de Bunn, mais je n'avais reçu aucune réponse de sa part. Je sentis mon rythme cardiaque s'accélérer sous l'effet de la peur. Allait-il y croire ? Ou se rendrait-il compte qu'il s'agissait d'un coup monté ? Je remis mon téléphone dans ma poche. Le bruit des éclaboussures d'eau ricochant sur le sol de la salle de bains me rassura. Je m'attendais à voir Bunn sortir le corps propre, portant mes vêtements.

Mes pensées s'arrêtèrent net lorsque la voix venant de la salle de bain se fit entendre et que la porte se déverrouilla avec un déclic.

— Tann ! Tu peux venir ici ?

Je ne perdis pas de temps pour aller voir ce qui se passait à ce moment-là. J'ouvris la porte et vis Bunn en train de faire ce qu'il était censé faire : se laver. Il était trempé. La salle de bain était remplie de l'odeur métallique du sang. Il ne serait probablement plus gêné de se déshabiller devant moi, pas après l'incident fatidique de cette nuit-là, au cours duquel Bunn avait commencé à m'embrasser. Son baiser était comme une étincelle sur un lit de feuilles sèches au milieu du sol de la forêt. Ce qui s'était passé ensuite était une flamme irrépressible, un feu de forêt.

Je ne pouvais qu'espérer que Bunn serait celui qui ferait le premier pas, ou qu'il serait en train de le faire en ce moment même.

— Tu as besoin d'aide ?

Mes yeux se portèrent automatiquement sur le corps de Bunn. L'homme se dirigea vers une grande jarre en terre.

— J'ai beau me laver, le sang ne fait que couler, dit Bunn en se touchant les cheveux.

Je remarquai que la tache de sang était toujours présente dans son dos. Je ne fus pas surpris d'apprendre qu'il serait difficile de laver le sang avec une simple louche.

— Le sang de porc est sale, plein de germes. Je pourrais tout aussi bien être infecté par la grippe porcine maintenant.

— Alors tu veux que je t'aide à le laver, hein ?

J'enlevai ma veste et l'accrochai à la poignée de la porte avant de déboutonner ma chemise.

— Tu aurais dû me laisser t'aider dès le début.

— Déshabille-toi et viens ici, soupira Bunn.

J'enlevai rapidement tous mes vêtements. L'air frais du petit matin me privait peut-être de chaleur, mais le feu qui brûlait en moi était plus vif. J'essayais de calmer mon désir, en prenant la louche des mains de Bunn et en versant l'eau sur ses parties ensanglantées. Je frottai ma main sur sa peau lisse.

— Si nous restons comme ça trop longtemps, je ne pense pas que je serais capable de me contrôler à ce rythme.

Bunn resta silencieux quelques secondes, son corps trembla légèrement.

— Attends un peu... Je... finissons d'abord de nous nettoyer.

Je n'étais pas sûr d'avoir bien entendu. Bunn m'avait-il délibérément fait venir ici pour ça ? Je me concentrai sur la tâche à accomplir, lavant rapidement les restes de sang qui maculaient le corps de Bunn afin que nous puissions passer à la prochaine étape délicieuse. Une fois qu'il fut parfaitement propre, je me versai de l'eau pour nettoyer le sang qui aurait pu couler sur mon corps. Bunn prit la serviette et s'essuya le visage et le corps avec avant de me la lancer.

— Putain il fait froid…, se plaignit Bunn et il toussa un peu, ramassant mes vêtements sur un porte-serviette avant de se diriger vers la porte.

Je n'arrivais pas à le quitter des yeux. Il se retourna pour me regarder pendant que je me séchais avec la serviette.

— On se voit dans la chambre...

Bunn se pencha pour ramasser la pile de vêtements et sortit de la salle de bains. Comme dans un rêve, je m'empressai de le suivre. M'attendra-t-il au lit ? Je dois rêver, me dis-je.

Une fois dans la chambre, je vis Bun fouiller dans la poche de mon pantalon. En une milliseconde, je repris mes esprits. Je compris qu'il savait ce qu'il faisait, qu'il savait ce qu'il y avait dans ma poche et qu'il m'avait enivré, me trompant avec son corps.

Je voulus me précipiter pour reprendre mon pantalon, mais il était trop tard. Bunn laissa tomber mes vêtements sur le sol, un revolver était dans sa main droite, pointé directement sur ma poitrine. Je restai immobile. Mes yeux s'écarquillèrent, abasourdis. J'avais oublié à quel point Bunn était intelligent. J'avais commis l'erreur de baisser ma garde.

Bien fait pour moi, c'était ce que j'obtenais pour l'avoir trompé. Bon travail, Dr Bunn. Oh, quelle revanche satisfaisante sur moi, en effet.


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Ven 6 Sep 2024 - 23:29



Chapitre 16
La seule chose que je craignais que Bunn découvre dans mon bureau était l'année où j'avais obtenu mon diplôme.

Je regardai le Dr Bunn monter les escaliers menant à mon bureau, au troisième étage de l'école de bachotage. Mon bureau aurait dû l'impressionner. J'avais l'habitude de me débarrasser de mes bibelots inutiles pour ne laisser qu'un espace de travail propre et bien rangé. Je préférais un lieu de travail propre et spacieux. Je savais bien que Bunn inspecterait ma chambre pour savoir qui j'étais. Cependant, j'étais certain qu'il ne trouverait rien d'autre que des photos et des piles de documents que je faisais pour mes élèves.

La seule chose qui pouvait être considérée comme inhabituelle était une photo de fin d'études sur la vitrine derrière le bureau. Je ne savais pas si Bunn se méfierait du fait que je venais de recevoir mon diplôme l'année dernière, l'année de mes 25 ans, une fois qu'il l'aurait vue.

Mais qui soupçonnerait quoi que ce soit au sujet de l'année d'obtention d’un diplôme ? Bunn ne savait probablement même pas quel âge j'avais. J'essayai de me débarrasser de cette inquiétude et me dirigeai vers la salle de classe. Je jetai un coup d'œil à travers la porte vitrée, voyant tous mes charmants élèves qui m'attendaient. J'avais presque dix minutes de retard. Je leur devais probablement de grandes excuses.

Une fois à l'intérieur, les bavardages s'arrêtèrent progressivement. Les élèves se tournèrent vers moi et levèrent la main en guise de salut, le sourire aux lèvres.

— Désolé d'être en retard, les gars.

Je me dirigeai vers le tableau blanc à l'avant de la salle, mes yeux balayant mes élèves qui tournaient la page de leurs polycopiés.

— Aujourd'hui, nous allons terminer sur les biomolécules et je vous apporterai le test de quota pour que vous puissiez vous entraîner à la fin du cours. Si vous avez des questions sur quoi que ce soit, c'est le moment de les poser parce que le test approche.

Je remarquai alors que le garçon, qui portait un uniforme d’école et qui était assis près de la fenêtre, était complètement ailleurs. Il reposait son menton sur sa main, ses yeux étaient rivés sur la fenêtre et il souriait sans cesse.

— Sorrawit ! interpellai-je le garçon à la silhouette élancée. Oi, s'il te plaît, sois attentif en classe. Qu'est-ce qui t'arrive ? Tu rêvasses à ta copine ?


Sur ce, un éclat de rire retentit dans toute la classe. Sorrawit avait toujours été la cible de mon stratagème inoffensif pour ensoleiller la classe. La réaction du garçon qui recevait ma taquinerie était si attachante qu'elle nous aidait, moi et les autres élèves, à nous sentir plus détendus. Sorrawit tourna nerveusement la tête vers moi. Le rouge s'étendait de ses joues jusqu'au bout de ses oreilles.

— P... Personne, monsieur, dit Sorrawit en se grattant la tête et en s'empressant d'ouvrir les documents.

J'avais rencontré ce garçon lorsque je m'étais rendu dans son école pour proposer une préparation à l'examen. Sorrawit était venu me voir et m'avait dit qu'il voulait faire des études de médecine. Je l'avais donc persuadé de s'inscrire à mon cours intensif de préparation à l'examen des quotas. Il était naïf et attentif. Je souhaitais qu'il soit accepté à l'école de médecine comme il l'espérait.

— Regarde ton visage rouge. Bien sûr que si. Comment oses-tu te trouver une petite amie avant moi ? taquinai-je le garçon une fois de plus avant de reprendre mon cours. Bien, allez à la page 39 du manuel. La structure chimique des acides aminés...

Le cours se déroula sans encombre et fut passionnant. J'adorais enseigner aux enfants. Jamais je n'aurais imaginé qu'un jour je deviendrais professeur. Pourtant, le destin avait semblé me mener tout droit sur cette voie par nécessité. Je devais remercier la personne qui m'avait incité à faire ce métier, car c'était un travail que j'aimais. Et le revenu était même excellent, si vous voulez mon avis.

Mon objectif après ce cours était d'aller voir l'homme qui m'attendait dans mon bureau. J'avais réussi à convaincre Bunn de me faire confiance. Le plan visant à lui faire croire que l'intrus et moi étions deux personnes différentes avait amélioré nos relations. J'essayais de le convaincre de rédiger le rapport falsifié. Lorsque tout irait bien et que mon implication dans cet incident lui passerait inaperçue, je l'inviterais sérieusement à sortir avec moi.

Oh, comme j'aspirais à ce jour. Le jour où nous serions libérés de cette folie et où nous vivrions une vie paisible ensemble.




La lumière du soleil perçait l'épaisse brume matinale et pénétrait par la fenêtre de la chambre que nous partagions, Bunn et moi. Ma peau nue commença à se réchauffer avec la température qui augmentait dans la pièce. Le canon de l'arme qui me visait me donnait l'impression que le temps était figé. Mon cœur se serra douloureusement à la vue de l'homme qui tenait cette arme dans ses mains, les mains d'un excellent médecin légiste, les mains de l'homme que j'aimais.

Je ne lui en voulais pas le moins du monde que la situation ait tourné ainsi. C'est moi qui avais commencé, je l'avais trompé et trahi. Pourtant, je ne voulais pas me retrouver dans cette situation. Cela signifiait que tout devenait incontrôlable et que Bunn serait en danger.

— Bunn…, dis-je à voix basse à l'homme qui se trouvait devant moi, baisse ton arme...

— Tu n'as plus à me dire ce que je dois faire, Tann.

Bunn me fixa, son expression était impassible et inébranlable.

— Lève les mains, que je puisse les voir.

Je fis ce qu'il m'ordonnait. Bunn toucha mon pantalon avec son pied et s'accroupit lentement pour chercher quelque chose dans la poche, tout en pointant son arme sur moi, sans que son regard ne me quitte une seule seconde. En peu de temps, il trouva ce qu'il cherchait.

Mon téléphone portable.

Ses yeux se portèrent sur l'écran avec méfiance. Il fronça les sourcils en voyant que mon téléphone était verrouillé.

— Donne-moi le mot de passe.

— Bunn, essayai-je de l'amadouer. Il faut qu'on parle.

S'il parvenait à accéder à mon téléphone portable, il connaîtrait la vérité sur tout.

— La seule chose que je t'autorise à dire, c'est d'expliquer toute l'affaire ; qui es-tu, pour qui travailles-tu, qui a tué Janejira. Ensuite, nous laisserons la police faire son travail. Malgré les relations que tu as, avec des preuves solides, tu ne t'en sortiras pas.

Une nouvelle quinte de toux s'échappa de sa bouche après qu'il se soit exprimé. Je voulus en profiter pour m'élancer vers l'arme, mais Bunn se ressaisit rapidement et beugla.

— Reste là ! Ne t'approche pas !!!

Je m'arrêtai, attendant une nouvelle opportunité. Je savais que Bunn n'était pas un bagarreur, il était tout en cerveau et pas en muscles, ce qui n'était pas suffisant pour vaincre un bagarreur aguerri comme moi. Il était vrai que l'arme qu'il tenait dans sa main était chargée, mais je savais que Bunn n'appuierait pas sur la gâchette.

— Bunn, tu es toujours malade. Pourquoi tu ne te rhabilles pas d'abord  ?

J'esquivai le sujet en lui montrant mon inquiétude.

— Le mot de passe...

— Mais il fait froid. Si ça continue, à ce rythme, tu vas...

— Tu es sourd ?! Donne-moi ce foutu mot de passe !

Bunn craqua, son visage était féroce et furieux. Je n'avais jamais vu ce côté de lui auparavant, et cette vision me rendit bouche bée.

Un silence gênant s'installa peu à peu entre Bunn et moi. Ce ne fut pas notre voix qui brisa le silence, mais le son de mon téléphone qui bourdonnait dans la main de Bunn. Mes yeux s'écarquillèrent d'horreur.

Seule une poignée de personnes m'avait appelé récemment.

Bunn jeta un coup d'œil rapide à l'écran pour vérifier l'identité de l'appelant, sans rien dire, comme s'il n'avait pas la moindre idée de qui il s'agissait. Bunn s'approcha de moi, levant l'arme sur ma tête. Je jetai un coup d'œil à l'écran pour voir qui appelait. C'était un numéro inconnu. Cependant, je savais à qui ce numéro appartenait : mon frère aîné, qui était en fuite. C'était son nouveau numéro de téléphone.

— Réponds au téléphone. Reste décontracté.

Avant que je puisse protester, Bunn décrocha et mit le haut-parleur pour qu'il puisse entendre la conversation à venir. Je fermai les yeux, me préparant à la calamité imminente.

La vérité était sur le point d'être révélée. Dès que Bunn entendrait la voix de son interlocuteur, il comprendrait tout. Je ne pouvais qu'imaginer ce qui se passerait ensuite.

— Allô… répondis-je d'une voix à peine plus forte qu'un murmure.

— [Paul m'a montré la photo. Tann, tu as tué Bunn !?]

L'homme au téléphone cria d'une voix assourdissante. Je vis Bunn tourner la tête vers le téléphone qu'il tenait à la main, abasourdi.

— [J'ai dit de faire tout ce que tu peux pour qu'il falsifie le rapport, mais je ne t'ai pas dit de le tuer, putain. Va te faire foutre ! Tu as tué mon ami !]

— Paul m'a dit de le faire, expliquai-je à Pert, en prenant le ton le plus décontracté possible.

— [Putain de merde !]

La voix de Pert se remplit de dépit.

— [Paul, tu... Je n'ai jamais voulu que cela arrive. Je ne voulais pas qu'il meure aussi].

Sa voix laissa échapper quelques sanglots. Cependant, j'étais devenu insensible aux sautes d'humeur de Pert. Je gardais un œil vigilant sur la réaction de Bunn, voyant ses yeux s'agrandir sous l'effet du choc, et sa main, tenant le revolver, se mettre à trembler.

— Mon frère... Je ne peux pas parler pour l'instant. Je te rappelle.

Je coupai court à la conversation en regardant Bunn, qui n'en croyait pas ses yeux.

— [Rappelle-moi d'ici une heure, d'accord ? Il faut qu'on parle. C'est à propos de Paul.]

Sur ce, il mit fin à l'appel. Après que Pert ait raccroché, le silence s'installa dans la pièce. Bunn laissa tomber la main qui tenait mon téléphone sur le côté. À cet instant, j'avais une occasion de reprendre le revolver.

Bunn avait commis une erreur en se tenant près de moi. Je pensais pouvoir récupérer l'arme en un clin d'œil, étant donné mes capacités de combat supérieures. De plus, l'état d'esprit instable de Bunn à ce moment précis lui ferait naturellement baisser sa garde.

A présent, j'attendais le bon moment. Je devais trouver un moyen de le désarmer sans lui faire de mal, ni à moi d'ailleurs.

— Cette voix... c'est celle de Pert, n'est-ce pas  ?

L'expression confuse de Bunn me plongea dans un profond sentiment de pitié.

— Il est toujours en vie. Il était dans l'ombre, commandant tout en coulisse.

Bunn récitait ce que je lui avais dit un jour. La raison pour laquelle je l'avais mentionné à l'époque était de détourner l'attention de Bunn de moi.

— Tu l'as appelé "Frère". Quel est son lien de parenté avec toi ? Ne me dis pas que c'est parce que ta mère était une maîtresse...

Je savais que Bunn finirait par faire le rapprochement tout seul.

— Je suppose que je n'ai pas besoin de développer.

— Tu es son frère, n'est-ce pas ?

Bunn appuya le canon de l'arme sur mon front, et d'un ton dur, il ordonna :

— Réponds-moi !

— Oui, je suis le demi-frère du procureur Songsak, né d'une autre mère, dis-je en fermant les yeux.

— Raconte-moi tout. Que s'est-il passé exactement ? Pourquoi Pert t'a envoyé me menacer ? Qui a tué Janejira ? Et qui est Paul  ?

À ce moment précis, Bunn avait l'air si intimidant.

Son visage serein commençait à se dissoudre en rage et en ressentiment.

Quelque chose me disait que Bunn avait déjà la réponse, mais ne la formulait pas. À ce moment-là, l'air froid et sec était de mon côté ; Bunn grimaça avant de tousser. En l'espace d'une milli-seconde, j'attrapai le poignet droit de Bunn et le lui tordis violemment. Je savais que je lui faisais très mal, mais je n'avais pas d'autre choix évident.

— Ugh !

Bunn cria de douleur, son visage se contorsionnant tout en restant capable de me résister, implacable. Son autre main se transforma en poing et se porta contre mon estomac. Je ne pensais pas qu'il avait encore autant de force, mais heureusement, j'avais réussi à bloquer l'attaque à temps. Ensuite, je tendis le bras pour attraper l'arme. Sachant qu'il était désavantagé, Bunn préféra lâcher l'arme plutôt que de me la laisser, et heureusement, le coup ne partit pas. Je tentai de la récupérer sur le sol, mais Bunn la renvoya d'un coup de pied dans l'autre sens.

Non seulement j'étais épuisé par l'effort, mais je devais aussi me creuser les méninges pour lire dans l'esprit de cet homme. Parfois, l'esprit de Bunn était plus rapide que mon niveau d'intelligence ne pourrait jamais suivre. Ce qui était arrivé dans la salle de bains m'avait servi de leçon, me rappelant que je devais réfléchir attentivement à ce que je devais faire.

Bunn tenta de m'asséner un coup de poing au visage, mais j'esquivai juste à temps, le faisant légèrement trébucher. Je l'attirai contre moi par la taille et le plaquai contre le mur. Bunn n'aurait pas pu me battre en termes de force, cependant, saisir son bras et le maintenir immobile s'avéra être une tâche difficile - la plus difficile, en fait.

— Bunn !

Bunn cessa de se débattre, cherchant désespérément de l'air. J'exerçai une pression pour l'emprisonner dans mes bras.

— Pert a tué Janejira, c'est bien ça  ? demanda-t-il d'une voix sèche.

Je n'aurais pas été surpris si Bunn était parvenu à trouver ce qui était proche de la vérité sans mon intervention.

— Si je te dis tout, tu me laisseras finir mon histoire, n'est-ce pas ?

Bunn me répondit par une forte toux. Je sentais bien que son corps était plus chaud que d'habitude. Je resserrai mon étreinte autour de lui, en état de choc. Ça ne pouvait plus continuer comme ça.

— Il faut que tu t'habilles.

J'essayais de me creuser les méninges pour éviter qu'il ne s'enfuie pendant que je retournais lui chercher des vêtements.

— Je n'utiliserai pas d'arme. Je ne te mettrai pas les menottes. Mais je veux que tu restes ici. Je vais t'apporter des vêtements et tu sauras tout. Tout de suite. On est d'accord ?

Bunn tourna la tête pour me regarder.

— Je ne te crois pas. Tu vas chercher l'arme ?

— Je jure sur ma vie que non, dis-je fermement. Plus de secrets. Ce que je vais te dire à partir de maintenant, c'est la vérité. Ce que j'attends de toi, c'est que tu restes avec moi. Ne va nulle part tant que je n'ai pas fini... Tu peux faire ça  ?

Je relâchai progressivement ma prise, m'éloignant lentement, craignant que Bunn ne s'enfuie de la pièce. Mais cela ne se produisit pas. Il resta immobile, face au mur. Je pris les vêtements qui s'empilaient sur le sol et les tendis à Bunn. Il enfila la chemise. Le froid avait dû aggraver sa maladie.

Après avoir fini de nous habiller sans un mot, je le pris par la main et le raccompagnai jusqu'au lit. Bunn se laissa tomber dessus, les yeux dans le vague. Son visage était hagard et épuisé.

— Bientôt, on apprendra la disparition mystérieuse du Dr Bunnakit, dit Bunn. Si je sors, je serai tué, n'est-ce pas ?

Son regard se porta avec circonspection sur le pistolet intact dans le coin de la pièce.

— C'est exact. Pour l'instant, tu dois faire le mort.

Je me baissai lentement vers le sol, juste à côté de Bunn.

— Alors vas-y, crache le morceau. Qu'est-ce qui se passe, bordel ?

Je pris une grande inspiration et expirai lentement pour relâcher la tension. Si c'était ce qu'il fallait pour que Bunn reste ici avec moi, je devais sans doute tout lui dire.

— Pert est celui qui a tué Janejira....


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Ven 6 Sep 2024 - 23:30



Chapitre 17
C'était mon dernier jour de cours.

— Tann, tu abandonnes vraiment l'université ? demanda Tang, une infirmière diplômée, d'un air déçu. Sans toi, nous n'aurons plus rien à reluquer. Rien ne pourra rajeunir nos vieilles âmes.

Je ris doucement, soulevant le tube vacutainer et transférant le sang que Tang venait de prélever dans la veine de la vieille dame.

— Suis-je vraiment un plaisir pour les yeux ?

— Mais oui ! Tu es un joyau rare. Un beau garçon viril comme toi, c'est difficile à trouver.

Le mot “viril” me fit perdre les pédales. Je ne dirais pas le contraire, je suis effectivement viril, mais j'aime aussi les hommes.

— Pourquoi ne finis-tu pas d'abord l'école ? Tu es en troisième année maintenant. Il ne te reste plus qu'une année d'études. Tu ne vas pas le regretter, Tann  ? dit Tang en plaçant une boule de coton et un sparadrap sur la zone de prélèvement du sang.

— Il le faut vraiment. En un an, l'état de ma mère peut s'aggraver à tout moment. Je dois rester à ses côtés, répondis-je en déballant l'aiguille pour permettre à Tang de poursuivre sa tâche. J'ai réussi l'examen d'admission au programme de biochimie. En fait, j'ai opté pour une école de pharmacie ou une école dentaire, mais mon score était trop bas. Et je ne pense pas avoir la moindre chance avec l'école de médecine ; je ne pourrais de toute façon pas rivaliser avec les jeunes d'aujourd'hui en termes de connaissances. N'importe quelle faculté disponible devra faire l'affaire maintenant, j'en ai peur. Il faut juste que j'aille dans cette université parce qu'elle n'est pas loin de l'hôpital où ma mère est soignée, dis-je en tendant l’aiguille à Tang.

— Bonne chance ! dit Tang souriant doucement et me rendant l'aiguille. Fais-le, Tann. Puisque c'est ton dernier jour en tant qu'élève infirmier, autant le faire. Dieu seul sait quand tu auras l'occasion de recommencer.

— On ne sait jamais, je reviendrai peut-être pour finir l'école et devenir infirmier, dis-je en prenant l’aiguille.

— Heh, je suis presque sûr que tu vas faire quelque chose d'autre. Quand tu auras réussi, n'oublie pas de nous rendre visite ici à Bangkok de temps en temps.

Tang alla voir la patiente, qui nous adressa un sourire avant qu’on lui demande la permission de me laisser, moi, étudiant infirmier, lui faire une prise de sang sous sa supervision.

Alors que j'essayais de trouver la veine de la patiente au creux de son bras, mes yeux se posèrent soudain sur quelqu'un qui entrait dans le service de chirurgie de la femme. Il était de taille moyenne ; son nom était brodé avec du fil vert sur sa courte blouse. Il devait s'agir d'un interne ou d'un résident que je n'avais jamais rencontré auparavant. Il se dirigea directement vers la patiente qui se trouvait sur le lit opposé à celui où j'étais en train de faire une prise de sang. Il salua la patiente et se présenta à elle d'une voix assurée et claire.

Je poursuivis ma tâche. En me tournant vers le lit opposé, je constatai que le rideau avait été tiré autour du lit pour préserver l'intimité des patients.

— Que fait ce médecin ici ?  demandai-je à Tang, me souvenant que la patiente sur ce lit avait été victime d'un accident de moto.

— Oh, je crois que c'est un résident en pathologie, répondit Tang en retirant ses gants. Dépêchons-nous d'aller dans l'autre chambre.

— Oui, madame, je poussai le chariot contenant les fournitures pour le prélèvement sanguin et suivis Tang hors de la pièce. Je jetai un coup d'œil au lit autour duquel l'interne en pathologie avait tiré le rideau. Quelque chose chez cet interne attirait mon attention sur lui. C'était peut-être son physique qui m'attirait, mais je décidai de laisser ce sentiment de côté. Bientôt, je ne serai plus là, je retournerai au chevet de ma mère, gravement malade. Je ne pouvais pas me permettre de m'attacher à qui que ce soit ici.




Le 12 décembre, à 1 h 15 du matin, j'étais là, à observer la forme endormie du Dr Bunn dans l'obscurité. J'avais réussi à l'endormir sans le moindre effort. J'étais sur le point de faire ce que mon frère m'avait ordonné de faire.

Je sortis mon téléphone, allumai l'appareil photo et passai en mode enregistrement vidéo. J'essayai de trouver l'angle parfait pour placer le téléphone. Je le posai sur la table à manger près de la fenêtre, touchai le bouton rouge en bas de l'écran avant d'aller allumer la lumière dans la pièce.

En principe, après plusieurs heures d'observation, l'infirmière venait vérifier ses signes vitaux toutes les quatre heures. L'une des infirmières venait de le faire vers minuit. Le médecin ne prescrivait pas de médicaments par voie orale aux patients souffrant d'un traumatisme crânien ; en général, on les faisait jeûner pendant qu'ils recevaient des solutions par voie intraveineuse. Les médicaments par voie orale ne comprenaient que des analgésiques, qui étaient généralement administrés lorsque certains symptômes apparaissaient. J'étais certain qu'à cet instant, aucune infirmière ne viendrait me déranger afin d'effectuer les tâches susmentionnées.

J'abaissai la barrière latérale et m'assis sur le bord du lit. Je levai la main pour caresser son visage. L'homme était plongé dans un profond sommeil, sous l'effet des médicaments qu'on lui avait administrés.

Bunnakit n'était ni beau ni mignon - pas le genre de personne qui se démarque de la foule. Cependant, lorsque je le regardais dans sa globalité, je le trouvais vraiment charmant. Je rejetai ma capuche en arrière, me penchant près du creux de son cou pour sentir son odeur. Mon cœur battait à tout rompre. Je m'imaginai en train de faire l'amour avec cet homme et mes mains se mirent à parcourir son corps.

Non. Ce n'est pas bien.

Je fermai les yeux, essayant d'étouffer le désir brûlant qui s'enflammait dans ma poitrine. Je me reculai rapidement, me réfugiant dans un coin de la pièce, haletant rapidement. Je ne pouvais pas faire ça, je ne pouvais pas.

Je m'approchai précipitamment de l'interrupteur et l'éteignis.

Je mis mon téléphone portable dans ma poche, remontai ma capuche et sortis de la pièce d'un pas rapide.




— Bunn…

J'appelai l'homme qui s'immobilisa comme si son âme avait été arrachée à son corps. Je lui saisis les épaules et le secouai légèrement.

— Bunn, tu vas bien ?

— Ah, répondit-il doucement.

Ses yeux se perdirent dans un endroit lointain. C'était la dernière chose que je voulais voir ; c'était comme si j'avais vu quelque chose en lui se briser en mille morceaux, et maintenant il souffrait. Cela devait lui faire un mal de chien de connaître enfin l'amère vérité.

— Cela n'aurait pas dû arriver, je le sais. C'est à cause de mon frère, il a disjoncté.

Je devais essayer de dire quelque chose pour qu'il se sente mieux rapidement. Je savais qu'il était fort, mais ce serait mieux s'il avait quelqu'un pour le soutenir émotionnellement dans des moments comme celui-ci.

— Tu sais, quand quelque chose est évident devant toi, c'est complètement inoffensif, contrairement à ce que nous ne pouvons pas voir sous nos pieds. En un rien de temps, un clou sort de vos pieds ensanglantés…

Bunn serra ses lèvres l'une contre l'autre, comme s'il essayait d'étouffer le flot d'émotions qui l'assaillait. Je pouvais visualiser ses sentiments dans sa déclaration.

— Écoute. Je sais que tu es bouleversé, mais je veux que tu saches que je suis de ton côté. Tu n'es pas seul dans cette affaire, Bunn. Je te protégerai. Je mettrai fin à cette folie, et nous serons ensemble, dis-je en saisissant sa main sur le lit.

Curieusement, Bunn ne retira pas sa main. Il était probablement abattu par la cruauté de la vérité.

— Tu attends toujours de moi que je te croie ?

— J'attends de toi que tu coopères avec moi. A part ma mère, tu es tout ce qui me reste. Je ne peux pas vous perdre tous les deux.

J'avais l'impression que Bunn voulait laisser éclater ses émotions, mais qu'il essayait de les calmer. Et il était très doué pour cela. Son attitude en disait long sur tout ce qu'il avait refoulé à l'intérieur.

— Ce n'est qu'un de tes mensonges pour que je te fasse confiance...

— Bunn… soufflai-je en me rapprochant de lui pour mieux voir son visage. Je peux t'assurer que tout ce que je t'ai dit est vrai.

— Tu veux que je t'obéisse. Tu as menti sur ta mère pour que j'aie pitié de toi. Tu as menti, tu n'es pas le frère de Pert. En fait, tu n'es qu'un de ses hommes. Tu as menti sur ton homosexualité pour m'atteindre, tu as couché avec moi pour gagner ma confiance. Tu m'as fait tomber amoureux de toi pour pouvoir m'utiliser facilement !!!

La voix de Bunn se transforma en un grognement sur la dernière syllabe.

Je restai bouche bée. Le barrage d'émotions que Bunn avait retenu commençait à déborder. Quelle que soit notre force, je crois qu'un jour ou l'autre, nous sommes tous amenés à déverser le malaise que nous avons refoulé à l'intérieur, comme le faisait Bunn à ce moment précis. Ce n'était pas du tout un rôle. C'était ce que Bunn ressentait vraiment.

Et il affirmait qu'il était tombé amoureux de moi, ce qui devait être vrai aussi.

Bunn m'aimait... et regardez ce que je lui faisais subir.

J'avais une sensation désagréable dans la poitrine, une torride culpabilité. Ma vision se brouilla subitement et je sentis un liquide chaud couler sur mes joues. J'essuyai les larmes de mes yeux avec le dos de ma main.

— Je suis désolé…

Ma voix tremblait. Je savais que Bunn n'avait probablement pas entendu mes excuses. Il ne voulait plus entendre ma voix.

Sous mon apparence forte, je n'étais qu'un garçon, fragile, pleurnichard et émotif. Je pleurais chaque fois que ma mère tombait gravement malade et chaque fois que la peur de perdre quelqu'un que j'aimais m'envahissait.

Bunn se tourna vers moi. Il semblait choqué de me voir à cet instant.

— Tann...

— Être gay n'est pas quelque chose que l'on peut faire croire à n'importe qui, tu sais ? Il en va de même pour mon amour pour toi.

Je levai les yeux vers le plafond, espérant que mes larmes couleraient à nouveau dans mes conduits lacrymaux. Bunn me fixait en silence. Je priais pour qu'il voie que ce qui m'arrivait en ce moment n'était pas une mascarade, même si les espoirs étaient douloureusement minces.

— Ta mère. Qu'est-ce qu'on lui a diagnostiqué ?

— Elle a un L.E.D.

— Quels ont été les premiers symptômes ?

— Ça a commencé par une éruption cutanée quand elle s'est exposée au soleil. Nous sommes allés chez le dermatologue et il lui a donné un médicament topique pour son affection, dis-je en reniflant. Et soudain, la fatigue et la suffocation sont apparues. J'étais alors en cinquième. Elle a été emmenée à l'hôpital. Ils l'ont intubée et l'ont envoyée aux soins intensifs. Si je me souviens bien, elle souffrait également d'un œdème pulmonaire. Après un bilan médical, on lui a diagnostiqué un lupus érythémateux disséminé. Ma mère souffrait d'insuffisance rénale. Son traitement par hémodialyse se poursuit encore aujourd'hui.

— Tu...

Bunn me pointa du doigt. Les termes médicaux que j'avais utilisés avaient dû attirer son attention.

— Tu étais médecin ?

— Ex-étudiant en soins infirmiers, corrigeai-je.

Je n'avais plus rien à cacher.

Bunn eut une expression choquée sur son visage avant de laisser échapper un soupir.

— Bon sang...

— Pose-moi d'autres questions, demande-moi n'importe quoi. Je te répondrai jusqu'à ce que tu me croies… dis-je en serrant sa main. Vas-y, demande-moi.

— Comment as-tu obtenu ton diplôme en sciences ?

Bunn passa une heure à me bombarder de questions sur ma vie privée. Je savais qu'il essayait de voir si je mentais. Si les réponses données contredisaient les précédentes, ou si j'agissais de manière suspecte, il le saurait tout de suite.

Cependant, comme toutes mes réponses étaient vraies, je n'avais aucune raison d'avoir peur. Je sentais que l'atmosphère entre nous se détendait de plus en plus, comme si la fraîcheur de l'air se réchauffait de seconde en seconde. Bunn était redevenu lui-même, un homme aux idées claires et à l'esprit attentif.

— Dernière question…

Finalement, ces mots sortirent de ses lèvres après une myriade de questions.

— Cela n'a pas besoin d'être ta dernière question. Je suis toujours prêt à répondre à tes questions.

— Est-ce que tu m'aimes vraiment  ?

Bunn me regarda droit dans les yeux.

— Honnêtement, c'est la première vérité que je t'ai dite, répondis-je sans hésiter.

Bunn pinça ses lèvres l'une contre l'autre, ses yeux se posèrent sur mes mains posées sur mes genoux. Il attrapa ma main et la serra fermement. J'eus l'impression que quelqu'un gonflait un ballon dans ma poitrine. Bunn resta ainsi un moment avant de se lever et de se diriger vers le pistolet posé sur le sol. Il leva les yeux pour voir ma réaction alors qu'il s'accroupissait pour prendre l'arme. Je ne réagis pas, car j'étais prêt à lui laisser l'arme pour gagner sa confiance. Bunn se leva, l'arme à la main. Il me regarda longuement.

— D'accord, je te crois.

Je sautai presque en l'air de joie. Je souris de soulagement. J'avais utilisé la mauvaise approche pendant tout ce temps. Pour l'amener à faire ce que je voulais, je ne devais pas le contrôler. Au contraire, je devais le laisser prendre le contrôle. Je devais mettre mon cœur à nu, et c'était à mon tour de l'écouter.

— Cesse de te réjouir pour l'instant et aide-moi à réfléchir à ce que nous devrions faire ensuite, dit Bunn en vérifiant les munitions avant de refermer le barillet. Qu'est-ce que tu essayais de faire tout à l'heure ? Tuer tes deux frères ?

J'avoue que c'est ce que j'avais vraiment l'intention de faire.

— Est-ce que j'ai d'autres choix ?

— Oui, mais tu seras accusé de meurtre au premier degré. Oh et, juste pour que tu le saches, l'enlèvement et l'emprisonnement illégal font également partie de ce forfait. Ensuite, ton père tuerait probablement ta mère - et ensuite moi, probablement. Ok, maintenant nous avons trois personnes à tuer. Tu as de meilleures idées  ? demanda Bunn en pointant son doigt vers moi.

— Tu dois m'aider alors, dis-je en souriant largement.

— Il faut qu'on réfléchisse bien. Nous n'avons pas le droit à l'erreur.

Bunn sembla alors se souvenir de quelque chose.

— Hé, tu dois rappeler Pert, n'est-ce pas ? Dépêche-toi de l'appeler avant qu'il n'ait des soupçons.

J'avais complètement oublié que je devais appeler Pert. Bunn était vraiment un homme prudent.

— C'est bon. Je lui enverrai un texto pour lui dire que je le rappellerai ce soir. C'est facile de parler à Pert. Je veux d'abord connaître notre plan.

— Nous ne pourrons certainement pas élaborer un plan d'ici la fin de la journée. Nous avons besoin de plus d'informations.

Bunn faisait les cent pas nerveusement. Je sortis mon téléphone et envoyai un message.

[Sérieusement. Je ne peux pas parler pour l'instant. Je te rappellerai certainement ce soir.]

Quand je relevai la tête de l'écran, je vis Bunn qui se tenait devant moi. J'allais lui demander ce qu'il voulait, mais il grimpa sur mes genoux, me chevaucha et me laissa sans voix.

Il enroula ses bras autour de mon cou avant de se pencher pour placer sa bouche contre la mienne. Son baiser était aussi chaud qu'une flamme brûlante, et mes pensées s'éparpillaient dans tous les sens. Mes mains s'approchèrent instinctivement de ses hanches.

Je devais le laisser me contrôler. Le pouvoir était entre les mains de Bunn maintenant... Et ce moment d'intimité ne faisait pas exception à la règle.


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Ven 6 Sep 2024 - 23:30



Chapitre 18
— Me vider l'esprit, tu dis ? m'exclamai-je.

Quand je vis que l'autre homme n'était pas du tout découragé par ma réaction, je me sentis abbatu.

— Mmmh.

Bunn laissa échapper un toussotement sec après avoir répondu à ma question. Il fixait un morceau de papier dans sa main gauche, un stylo dans l'autre. Nous étions dans la voiture, qui se dirigeait tout droit en direction du district de la capitale. J'étais assis sur le siège conducteur. A côté de moi, Bunn se concentrait sur la liste des noms et des détails des personnes impliquées dans cette affaire.

— Ce n'est pas parce que tu voulais... Je veux dire, tu voulais coucher avec moi parce que tu... m'aimes ?

—  Sexe n'est pas synonyme d'amour, dit Bunn en se tournant simplement vers moi, le visage impassible. Contente-toi de conduire.

Rapidement, je reportai mes yeux sur la route, lui obéissant. Sa conception du sexe était cruelle et directe - tout comme Bunn, en fait. Ce que nous avions fait dans la chambre à coucher de cette maison ne cessait de se répéter dans ma tête. Je ne pouvais pas l'effacer de mon esprit. Je détestais la façon dont il me faisait perdre la tête et me glaçait ensuite comme si rien ne s'était passé quand tout était fini.

— Tu as dit toi-même que je t'avais fait tomber amoureux…

— Si tu ne laisses pas tomber, je te fais sauter la tête et je jette ton corps dehors.

Quelque chose me dit qu'il ne plaisantait pas.

— Comment peux-tu me tirer dessus ? Je suis en position de faiblesse. Tu m'as embrassé. Dans la pratique, tu m'as exposé à la grippe. C'est considéré comme un risque clinique, tu sais ?

— Alors j'espère que tu feras un choc septique. Je ne prendrai même pas la peine de te réanimer une fois que tu seras en arrêt cardiaque, soupira doucement Bunn avant de tracer un cercle sur le papier. Je me demandais si nous ne devrions pas révéler que Pert est toujours en vie. Ensuite, nous nous aidons mutuellement à trouver des preuves qu'il a tué Jane et nous l'envoyons en prison. Même si la police a été impliquée à un moment donné, je suis persuadé qu'elle ne pourrait pas nier une preuve prometteuse...

— Qu'en est-il de Paul et de mon père ? Si Pert est appréhendé, ces deux-là seront toujours une menace pour nos vies.

— Recouvrement de dettes impitoyable, corruption, tripot illégal, intimidation, agression, tout y passe. Tu n'as qu'à dénoncer les activités illégales de cette famille. Fous leurs culs en prison.

— Cela inclut aussi mon cul, n'est-ce pas ? Je suis M. Black, le bras droit de M. Odd, tu te souviens  ?

Je tenais ce sobriquet d'un groupe de gangsters ; je m'habillais généralement tout en noir pour protéger mon identité lorsque j'étais dans les affaires de ma famille.

— Je ne pense pas que ce sera aussi facile. La caution serait trop faible pour eux. Et il faudra littéralement une éternité pour qu'un tribunal rende une décision. Même s'ils se retrouvent en prison, mon père ou mes frères engageront sûrement quelqu'un pour te traquer. Cette méthode n'est pas sans risque, dis-je en jetant un rapide coup d'œil à Bunn avant de détourner mon regard vers la route.

— Comme ils se sont servis de ta mère pour te forcer à travailler pour eux, tu pourrais être tiré d'affaire... Mais encore une fois... cela ne veut pas dire qu'ils te laisseront vivre.

Bunn reposa sa tête sur l'appui-tête, épuisé.

— Pour être honnête, je n'ai aucune idée de ce qu'il faut faire.

Il serra le papier et le jeta vers la vitre. Il fixa la boule qui était tombée à ses pieds.

— Ce n'est pas grave. Nous trouverons quelque chose. Au moins, tu es en sécurité pour l'instant, grâce à mon plan de pseudocide, dis-je en posant ma main sur son épaule, lui apportant un soutien moral. Mais tu es sûr de vouloir retourner chez moi ?

— Oui…, dit Bunn avec fermeté. Pour ce qu'ils en savent, Bunnakit n'est plus qu'un fantôme errant. Pour tuer les tigres, nous devons les surprendre dans leur tanière. Se sentant en sécurité, ils baisseront leur garde. De cette façon, nous pourrons travailler ensemble sur notre plan sans laisser de trace téléphonique.

— Mais c'est dangereux...

— Je sais que Tann me protégeras…, dit Bunn en se tournant vers moi. N'est-ce pas ?

Mon visage se réchauffa considérablement. Mon cœur faillit fondre en une flaque d'eau sur le siège du conducteur. Bunn avait remplacé le pronom me désignant par mon nom. Et maintenant, il me demandait de le protéger. Est-ce que je l'avais bien entendu ? Je ne savais pas pourquoi Bunn avait choisi de le dire de manière aussi séduisante, mais une chose était sûre : j'étais éperdument amoureux de lui.

— Bien sûr.

— Bien, acquiesça Bunn puis il reporta son regard sur la route. Si tu as des idées, dis-le. On pèsera le pour et le contre jusqu'à ce qu'on trouve le meilleur plan.

Je restai immobile pendant quelques secondes, songeur.

— Tu as parlé d'être un fantôme tout à l'heure. Et si on organisait un canular avec des fantômes ? Tu te déguises en esprit vengeur et tu hantes Pert et Paul jusqu'à ce qu'ils se chient dessus. Dis-leur qu'ils ont intérêt à se rendre, ou tu les traîneras en enfer.

Bunn poussa un long soupir.

— Tu crois que ce fantôme sera à l'épreuve des balles s'il débarque devant ces deux-là ?

Tout au long du voyage, Bunn et moi discutâmes de nos plans pour survivre. Le plus souvent, c'était moi qui élaborais les plans parce que je connaissais bien ma famille et que j'avais plus d'informations en main, tandis que Bunn était celui qui pesait le pour et le contre de chaque plan. Après avoir acheté du riz gluant et de la nourriture locale dans un magasin situé au bord de la route, je me garai sous un arbre pour savourer notre repas. Bunn, évidemment, n'était pas difficile et mangea la nourriture que j'avais achetée. Ensuite, nous visitâmes le quartier pour acheter des médicaments contre la fièvre de Bunn. Nous arrivâmes tous les deux dans le district de la capitale au bout de quarante minutes de route. Je m'arrêtai devant ma maison, la rue maintenant silencieuse, sans aucun signe de passants ou de véhicules. Je me tournai vers Bunn, qui dormait profondément à cause de sa fièvre.

— Bunn, le secouai-je doucement pour le réveiller. Je vais ouvrir le portail. Tu sortiras de la voiture une fois qu'elle sera dans le garage. D'accord ?

Bunn ouvrit les yeux en grognant. Il avait l'air épuisé.

— Hmph…

Une fois la voiture dans le garage, je conduisis rapidement Bunn dans ma chambre avant que quelqu'un dehors ne puisse nous repérer. Ses bagages, qu'il avait laissés tomber en essayant de s'échapper, étaient restés à l'endroit même où ils avaient atterri. Je me penchai pour les ramasser et les mis au bout du lit. Bunn se précipita vers le lit et s'y effondra. Il devait se sentir épuisé au point de vouloir tomber raide mort sur place.

— Appelle Pert. Agis normalement. Dis-lui que tu es revenu dans le district après avoir enterré mon cadavre quelque part, ou je ne sais quoi d'autre. Et demande-lui où il se trouve. Attire-le à l'extérieur. Dis-lui que la voie est libre et qu'il n'y aura plus d'enquête sur la mort de Janejira. Enregistre ta conversation sur l'autre téléphone. Mets-le sur haut-parleur pour que je l'entende aussi.

Bunn expliqua notre plan en détail, les yeux fermés.

— J'ai compris…

Je vins m'installer au bord du lit, sortis le smartphone blanc et appuyai sur un bouton d'enregistrement. Puis, je sortis mon téléphone et composai le numéro de Pert, le mettant sur haut-parleur pour que Bunn l'entende. La musique d'attente ne retentit que deux fois avant que quelqu'un ne prenne l'appel, comme s'il l'avait attendu.

— Pert...

— [Tann.]

Pert semblait très fatigué. Je me demandai ce qui lui était arrivé.

— [Où est le Dr Bunn...]

Mes yeux s'écarquillèrent et je me tournai vers Bunn, qui se leva immédiatement du lit. Il me regarda nerveusement. Il murmura silencieusement pour m'encourager à continuer de parler.

— Que veux-tu dire  ?

— [Où est son corps ? Où l'as-tu enterré ? Est-ce dans les bois derrière l'entrepôt ?]

Sa voix était vraiment étrange.

— Non, je l'ai enterré en dehors de la ville, dans les bois. Papa nous y a emmenés une fois pour voir le potentiel d'un terrain à louer à des fermiers.

Je mentis sur l'endroit.

— [Ah oui ? Tu lui as fait prendre une belle pose avant de l'enterrer, hein ?]

D'où venait cette idée ? Je fronçai les sourcils.

— Écoute, je n'ai pas eu le temps de faire ça. Quelqu'un aurait pu me tomber dessus.

— [C'est vrai...], dit Pert avant de laisser échapper un rire froid et insipide. [Comment as-tu fait, hm ? Je ne savais pas que tu étais capable d'être aussi impitoyable. Je suppose qu'on t'a appris à faire absolument n'importe quoi maintenant, n'est-ce pas ? Tu peux tuer quelqu'un si on te le demande, c'est bien ça ?]

Je vis Bunn murmurer sans bruit : ‘Joue le jeu, c'est tout.’

— O… oui, je n'ai pas eu le choix. Tu sais bien que je n'avais pas d'autre choix que de suivre les ordres de Paul. Et puis, maintenant, tu n'as plus besoin d'aller en prison. Tu n’es pas content ? Paul m'a ordonné de me débarrasser du témoin clé contre toi ; pas d'enquête plus approfondie sur la mort de Janejira.

— [Tu sais pourquoi... Je voulais que tu ailles menacer le Dr. Bunn en premier lieu ? De faire tout ce qui était possible : menacer de mort, torturer, violer... TOUT ÇA , je t'ai dit de le faire... Pour qu'il n'ait pas à mourir comme ça. Quand Paul a vu que les choses étaient devenues si compliquées, il a fait tuer Bunn. Il ne serait pas mort si tu l'avais contraint à falsifier ce fichu rapport dès le départ !]

Je restai immobile, abasourdi. À l'époque, je me souvenais que Pert n'avait qu'un seul ami proche - celui avec qui il traînait toujours. Je n'arrivais pas à croire que quelqu'un comme Pert puisse se lier à quelqu'un de cette façon.

— Ce n'était qu'une question de temps. Nous ne savons pas si Paul aurait tué le Dr Bunn de toute façon."

Pert poussa un grognement de frustration.

— [Oh, mais je vais te tuer pour ça, fils de pute !]

Il me donna sans doute ce nom vulgaire sous le coup de la colère.

— Pert ! Calme-toi ! Je n’ai fait qu'obéir aux ordres. Qu'est-ce que ça a à voir avec moi  ?

Je jetai un coup d'œil à Bunn, qui fronçait les sourcils devant le téléphone.

— [Parce que tu m'as enlevé l'homme que j'aime...]

Je restai bouche bée, stupéfait.

— Wow... quoi ?

Je levai la tête pour regarder Bunn, dont les yeux s'agrandirent à ce moment-là. Il se couvrit la bouche avec ses mains, comme s'il essayait de ne laisser passer aucun bruit.

— [Tu me l'as pris. Paul t'a donné un ordre, et tu l'as exécuté... Je vais te tuer.]

— Ce n'est pas moi qui voulais sa mort. C'est Paul. Pourquoi tu ne comprends pas ça, bon sang !

Oh Seigneur, c'est tellement difficile de suivre la logique foireuse de mon demi-frère. J'étais partagé entre mon désarroi face au comportement étrange de Pert, et ma colère et ma jalousie. L'homme qui avait ordonné à quelqu'un de blesser Bunn n'avait absolument aucun droit de prétendre que Bunn lui appartenait. Je serrai les poings sans même m'en rendre compte. La colère traversait tout mon corps. Bunn dut remarquer ma réaction, car l'instant d'après, il m'attrapa l'avant-bras et le serra très fort.

— Calme-toi, me chuchota-t-il à l’oreille après avoir approché son visage du mien.

Je devais garder à l'esprit que la victoire était mienne parce que Bunn était à mes côtés, pas aux siens. Pert ne savait même pas que Bunn était encore en vie.

— Tu sais quoi ? C'est aussi de ta faute. Tu m'as ordonné de tabasser le Dr Bunnakit ; comment aurais-je pu savoir que vous étiez meilleurs amis ? Si j'avais su, j'aurais peut-être attendu et réglé les choses sans toi d'abord. Va te faire foutre. Si tu l'aimais vraiment, pourquoi lui as-tu fait du mal ? Pourquoi tu ne l'as pas protégé ?

Bunn me tira sur la manche avec force, me regardant d'un air désapprobateur.

— [Me faire foutre ?]

Trop tard, j'étais complètement aveuglé par la rage.

— En fait, oui ! Tu es ignoble, Pert ! Tu sais quoi ? Si le Dr Bunn a fini comme ça, c'est à cause de toi, pas moi, pas Paul, c'est toi ! C'est ta faute ! Si tu n'avais pas tué Jane, le Dr. Bunn n'aurait pas été tué !!

Je ne pense pas que la dernière phrase parvint jusqu'à Pert, car Bunn m'arracha mon téléphone et mit fin à l'appel. Sans aucun avertissement, il abattit sa paume sur ma joue, ce qui eut pour effet de faire retomber brusquement mon comportement virulent.

— Tann !!!

Bunn me saisit par le col et me tira vers lui. La tête baissée, je restai immobile, sans me débattre.

— J'ai dit, calme-toi ! Maintenant, nous n'avons aucune idée de l'endroit où il se trouve et de la date de son retour !!!

Bunn lâcha précipitamment mon col, prenant une grande inspiration comme s'il essayait de se calmer.

Il y avait une chose qui me dérangeait encore : La réaction de Bunn quand Pert avait parlé de lui.

— Bunn... tu aimes bien Pert, n'est-ce pas ?soufflai-je.

S'il te plaît, ne dis pas ‘oui’... J'espérais qu'il nierait.

Mais rien ne vint. Seulement le silence. C'était comme si mon cœur se brisait en mille morceaux sur le sol. Bunn me regarda longuement avant de poursuivre.

— Que je l'apprécie ou non n'a pas vraiment d'importance pour l'instant. Le fait est que Pert ne voulait pas me voir mort. Nous pourrions l'utiliser contre ton frère aîné.

Bunn était très calme et posé, le fil de ses pensées défilait dans son esprit, contrairement à moi. Mon cerveau était actuellement embrouillé par des émotions négatives.

— On dirait que Pert et Paul sont en conflit à propos de beaucoup de choses, n'est-ce pas ? Sans parler du fait que Pert a tué quelqu'un parce qu'il avait perdu le contrôle de lui-même. Je pense que ton intervention n'est pas nécessaire. Pour l'instant, nous avons les aveux de Pert à propos Jane et moi dans l'enregistrement audio ; nous avons l'avantage ici.

Je pouvais sentir la sensation de brûlure qui commençait à s'étendre sur ma joue. Je me massai les tempes. Je ne m'étais jamais senti aussi mal de toute ma vie. Sachant que la personne que j'aimais avait eu des sentiments pour un autre homme avant moi, je n'avais pas la force de continuer. De plus, cette personne étant Pert, je me sentais plus que découragé.

— Tann, dit Bunn en se rapprochant de moi et portant ses mains à mes joues.

La chaleur de ses paumes transférée à mon corps m'aida à me calmer dans une certaine mesure.

— Je sais ce que nous devons faire maintenant. Reprends-toi et écoute-moi. S'il te plaît ?

Je posai l'une de mes mains sur la sienne.

— Si nous nous en sortons, seras-tu toujours avec moi après ça ?

Bunn me fit un léger sourire.

— Où d'autre pourrais-je être ?

Des sentiments indescriptibles envahirent ma poitrine au point que je dus attraper Bunn et le serrer dans mes bras. Je ne savais pas s'il le pensait vraiment ou non, ce n'était peut-être qu'une phrase pour me remonter le moral, ou juste pour m'utiliser. Mais même si ce n'était qu'un faux-semblant, je supposais que j'étais un imbécile consentant.

— Je suis à ton service. Que veux-tu que je fasse ?




‘ Après la disparition mystérieuse du procureur Songsak Sawangkul, l'enquête est toujours en cours. Maintenant vient une autre disparition, celle du médecin légiste de l'hôpital provincial, le 17 décembre 2015. La police a reçu un avis de disparition concernant le Dr Bunnakit Songsakdina. Les autorités ont inspecté la maison du médecin disparu et ont découvert des signes de lutte. La police a supposé qu'il s'agissait d'un enlèvement, mais elle a recueilli des preuves et des échantillons de sang en vue d'une analyse ADN plus poussée…’

J'attrapai la télécommande et éteignis la télévision qui diffusait les nouvelles au premier étage de l'école de tutorat. La disparition de Bunn était devenue un sujet d'actualité car elle survenait quelques jours après celle de Pert. J'étais assis sur un banc où les élèves s'installaient souvent en attendant leurs parents. Je regardais le plafond, l'esprit ailleurs. J'attendais que la dernière élève assise à mes côtés rentre chez elle avant de fermer l'école pour la journée.

Une paire de phares traversa la vitre et éclaira la zone.

— Bonne nuit, professeur Tann, dit l’adolescente en se levant.

Elle se tourna vers moi pour me présenter ses respects à la manière thaïlandaise avant de partir en courant. Mes yeux la suivirent. Ses parents étaient enfin venus la chercher.

Je me levai et me dirigeai vers l'interrupteur pour éteindre la lumière. Après cela, je prévoyais de passer au supermarché pour acheter de la nourriture et des médicaments pour Bunn. Je m'inquiétais vraiment pour lui, mais Bunn m'avait strictement interdit de l'appeler.

— Tu ne dois pas utiliser ton téléphone pour me contacter. Si tes frères tombent sur l'historique de tes appels ou de tes textos, ils pourraient avoir des soupçons. De plus, lorsque tu n'es pas à la maison le soir, éteins la lumière, m'avait dit Bunn. La première chose à faire est d'aller à ton cours du soir comme d'habitude. Fais comme si rien ne s'était passé.

J'allais éteindre toutes les lumières quand j'entendis la porte d'entrée s'ouvrir, je penchai la tête pour regarder le visiteur - un homme.

Il était de corpulence moyenne, vêtu d'une chemise bleu foncé et d'un pantalon gris. Ses cheveux étaient légèrement ondulés et il avait l'air posé et redoutable. Il me regardait fixement à travers ses lunettes à monture noire.

Son visage m'était vaguement familier...

— Vous êtes le professeur Tann  ? demanda-t-il d'une voix baryton profonde.

Je me tournai vers le visiteur inconnu, sceptique et nerveux.

— Voulez-vous des renseignements sur les cours ?

— Non, répondit l'homme.

Une sorte de mauvais pressentiment m'envahit.

— Dans ce cas, avez-vous quelque chose à me demander ?

Je me ressaisis du mieux que je pouvais pour faire face à cette situation sans précédent.

— En fait, oui, j'ai…

Il resta silencieux un moment.

— Le personnel de l'hôpital m'a dit que vous étiez ami avec le docteur Bunnakit. Ils vous ont vu traîner ensemble récemment ?

Mon cœur s'arrêta de battre pendant une seconde. Qui est ce type ? Pourquoi me pose-t-il des questions sur Bunn ?!

— J'ai pris quelques jours de congé pour chercher mon petit frère. Dès que j'ai appris que Bunn avait disparu, j'ai pris l'avion pour Bangkok, poursuivit-il calmement. Je m'appelle Boonlert. Je suis le frère de Bunnakit.


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Ven 6 Sep 2024 - 23:30



Chapitre 19
Professeur adjoint Boonlert Songsakdina, chirurgien cardiothoracique à la faculté de médecine de la meilleure école de médecine du pays.

Mes mains tremblèrent lorsque je réalisai le statut social de cet homme. Je m'étais excusé pour aller aux toilettes afin de vérifier ses informations personnelles en ligne et de me calmer avant de retourner à mon bureau où il m'attendait. Je glissai mon téléphone dans la poche de mon pantalon et me cognai doucement le front contre la porte des toilettes. Je repris mon calme et ouvris la porte pour faire face à la vérité qui m'attendait à l'extérieur.

Que faire ? Que devrais-je faire ? Si je pensais que gérer Bunn était difficile, son frère aîné semblait l'être encore plus. Je ne voulais même pas penser à l'ingéniosité de Boonlert.

Je retournai à mon bureau. Le docteur Boonlert m'attendait déjà sur le canapé. L'homme avait l'air calme et bien plus mature que Bunn. Il était entouré d'une sorte d'aura qui exigeait le respect des gens sans avoir à prononcer un seul mot.

— Désolé de vous avoir fait attendre, dis-je en me dirigeant vers le petit canapé pour m'y asseoir.

— Ce n’est pas grave, dit Boolert les yeux fixés sur moi. Depuis combien de temps connaissez-vous Bunn ?

— Eh bien... Je le connais depuis un certain temps.

Je décidai de lui raconter des salades. Si je lui disais la vérité, à savoir que Bunn et moi ne nous connaissions que depuis une semaine, il pourrait avoir des soupçons.

— Environ six mois.

— Et avant qu'il ne disparaisse, où l'avez-vous vu pour la dernière fois ? Quand ?

Je sentis le regard de cet homme me transpercer la tête.

— À l'hôpital. Je suis allé le chercher là-bas après le travail et nous avons dîné chez moi. Nous avons bavardé. C'était deux jours avant qu'il ne disparaisse, dis-je en lui jetant un regard inquiet. Je suis très inquiet. Je ne sais pas s'il est mort ou non. J'ai aussi entendu dire qu'il y avait des signes de lutte dans sa maison.

— Etait-il en conflits avec quelqu'un ?

Je secouai la tête.

— Je ne pense pas que Bunn soit en conflits avec qui que ce soit en particulier. Cependant, comme son travail implique toutes sortes de procès, je ne suis pas sûr qu'il n'ait pas énervé quelqu'un.

— Je n'ai cessé de lui parler des risques professionnels liés à ce métier, acquiesça le Dr Boonlert. Mais il l'a quand même choisi et a décidé de travailler loin de moi.

Il retira ses lunettes et les rangea dans sa poche de poitrine. Je remarquai que Boonlert et Bunn se ressemblaient énormément. Le visage de Boonlert présentait davantage de signes physiques de vieillesse. Je pouvais voir son regard inquiet.

— À part vous, savez-vous s'il fréquente quelqu'un d'autre ?

— Ce que je sais, c'est qu'il avait Pert - et que ce type a disparu quelques jours plus tôt. Vous pensez qu'il y a un lien ?

Je tentai de faire semblant, comme lorsque j'avais menti à Bunn pour qu'il me croie.

— Pert, le procureur, l'ami de lycée de Bunn, acquiesça Boonlert. Je ne sais pas s'il y a un lien entre les deux, mais je pense qu'il pourrait y avoir quelques connexions. Est-ce qu'il pourrait s'agir d'une affaire commune ? Ou des problèmes personnels ? Mais apparemment, j'ai appris que le dernier rapport d'autopsie que Bunn a remis à la police concernait la femme qui s'est pendue. Un jour après l'autopsie, l'hôpital m'a informé que Bunn avait été admis pour un traumatisme crânien. Le dossier médical indiquait qu'il avait été agressé, mais la police n'était pas au courant parce qu'il n'a pas porté plainte.

Je déglutis. En quelques heures, le Dr Boonlert était entré dans cette province, avait réussi à déterminer avec précision où tout avait commencé et cela me faisait froid dans le dos.

— Je me suis demandé s'il y avait un problème avec les résultats de l'autopsie pratiquée ce jour-là. J'ai demandé à un enquêteur et il m'a dit que le type de décès avait été déterminé comme un suicide. Cependant, Bunn venait de soumettre le rapport un jour avant qu'il ne soit porté disparu... Je pense que c'est étrange.

— Pourquoi êtes-vous venu ici tout seul ? demandai-je en essayant de garder une voix posée.

Cet homme était vraiment intimidant.

— Je veux juste trouver un indice par moi-même. Je pourrais tomber sur quelque chose qui pourrait être utile à la police, dit le docteur Boonlert en joignant les mains sur ses genoux. Tant que je n’aurai pas vu son corps, je penserai que mon frère est encore en vie. Je ferai tout ce qui est en mon pouvoir pour qu'il revienne. Quoi qu'il en coûte.

Son ton me fit froid dans le dos. J'avais vraiment envie de lui dire que Bunn était toujours en vie et qu'il se cachait chez moi. Cependant, je ne savais pas si cette révélation affecterait nos plans. Je devais rentrer chez moi et mettre Bunn au courant, en le laissant d'abord analyser la situation.

— Je vous comprends. Si mes frères et sœurs avaient disparu, j'aurais fait la même chose.

— Je reviendrai peut-être ici pour vous parler à nouveau. Êtes-vous ici tous les jours ? Ou comment puis-je vous contacter ?

— Je vais vous donner mon numéro.

Boonlert enregistra mon numéro dans son téléphone.

Je raccompagnai le Dr Boonlert jusqu'à la porte. Il me remercia avant de se diriger vers sa voiture louée dans la province. Elle était garée devant l'école. Lorsque le véhicule fut hors de vue, je sentis soudain mes jambes faiblir. Je reculai pour m'appuyer contre la porte, en prenant une grande inspiration.

Ce que je devais faire, c'était aller voir Bunn dès que possible. Je n'avais pas peur que le docteur Boonlert découvre mon rôle dans cette affaire, mais je craignais pour sa sécurité. Plus il en saurait, plus ce serait dangereux.




— Boon ! s'exclama Bunn, après que je lui ai raconté ce qui s'était passé aujourd'hui.

Nous étions assis par terre près du lit. Bunn posa sur le sol le bol de porridge que j'avais acheté dans un magasin au bord de la route. Il avait l'air plus frais après s'être reposé pendant mon absence.

— Que penses-tu que je doive faire ? Dois-je dire la vérité au Dr Boonlert  ? demandai-je à Bunn.

Franchement, je voulais que Bunn dise au Dr Boonlert qu'il était toujours en vie, car j'en avais marre de jouer la comédie pour brouiller les pistes.

— Laisse-moi le temps d'y réfléchir… souffla Bunn, semblant très mal à l'aise. Pourquoi a-t-il pris l'avion pour venir ici ? Il va rendre les choses plus difficiles qu'elles ne le sont déjà.

—  Voyant à quel point il est déterminé, je ne serais pas surpris qu'il vienne chez moi et qu'il demande si tu es là, acquiesçai-je en frémissant à cette idée. Mais j'ai une idée. Tu veux l'entendre ?

— Vas-y, balance, dit Bunn en me fixant de ses yeux attentifs.

— Nous devrions lui dire la vérité. Qu'il sache que tu es en sécurité ici, avec moi. Explique-lui pourquoi tu te caches ainsi et convaincs-le de retourner à Bangkok. Plus il s'attarde ici, plus c'est dangereux. Le Dr Boonlert pourrait attirer l'attention de Paul. Plus il s'approchera de la vérité, plus il pourrait être la prochaine victime.

Bunn resta silencieux pendant un moment.

— Boon ne partira certainement pas. Il restera dans les parages jusqu'à ce que tout soit résolu. Jusqu'à ce qu'il soit sûr que je sois en sécurité, dit Bunn en tendant la main pour saisir ma manche et secouant lentement la tête. Je n'arrive pas à trouver autre chose.

Son cerveau devait être épuisé pour que son activité cérébrale devienne faible. Il me rapprocha de lui, se pencha en avant et posa sa tête contre ma poitrine. Je tendis la main pour lui caresser la tête, très lentement.

— Nous en reparlerons demain. Prends tes médicaments et dors.

— Ne le laisse pas vivre ce que j'ai vécu. Fais ce qu'il faut pour qu'il soit en sécurité, murmura-t-il en fermant les yeux. S'il te plaît, tu dois le garder en sécurité pour moi.

Je sentis mon cœur se réchauffer étrangement.

— C'est noté. Je garderai un œil sur lui, dis-je en déposant un baiser sur le sommet de son crâne. Parfois, j'aimerais que tu restes malade comme ça pour toujours.

Bunn ouvrit les yeux.

— Pourquoi ?

— Je me rends compte à quel point tu peux être câlin. Bunn, tu es plus affectueux que d'habitude, tu le savais  ? répondis-je, exprimant mes pensées à voix haute.

— Je sais... C'est ce qu'on appelle l'art de la séduction, quelque chose qu'il faut posséder pour se glisser dans la peau des gens.

La réponse à la fois poétique et directe de Bunn faillit faire s'arrêter les battements de mon cœur.

— Seulement cela m'a tellement attiré vers toi que je ne pouvais presque rien faire.

Pourquoi devait-il me faire ça ? Je l'attirai contre moi.

— Je vais me coucher, dit Bunn en se détachant de moi.

Il se releva et s'assit à nouveau sur le lit. Je ramassai le bol - Bunn n’avait mangé que la moitié de son contenu, mais cela suffisait à me rassurer. Au moins, de la nourriture avait atteint son estomac. Bunn était mon bonheur au milieu de cette adversité stressante et dangereuse. Le moment le plus heureux de la journée avait été celui où, en rentrant du travail, j'avais vu Bunn toujours assis dans ma chambre - il n'était pas parti, en fin de compte.

Je me précipitai dans ma chambre après avoir fait la vaisselle. Je pris une douche, enfilai mon pyjama et éteignis la lumière. Je me traînai jusqu'au lit, le lit dans lequel quelqu'un était allongé, complètement immobile, respirant de façon régulière. Bunn devait dormir. Je m'allongeai à côté de lui, regardant son dos dans la lumière tamisée.

— Passe une bonne nuit... chéri.

Le mot que j'avais le plus envie de lui dire s'échappa doucement de ma bouche. Je ne m'attendais pas à ce que Bunn l'entende. En fait, je n'avais pas le droit de l'appeler ainsi, car il n'y avait pas d'étiquette sur notre relation. Pour l'instant, nous restions ensemble parce que c'était sûr - nos vies étaient en jeu - ce n'était pas de l'amour ou quoi que ce soit d'autre.


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Ven 6 Sep 2024 - 23:30



Chapitre 20
J'ouvris la porte de ma maison dans un état d'esprit extrêmement exaltant. Enfin, Bunnakit avait accompli quelque chose dont papa et maman seraient fiers. Je pouvais deviner le genre d'expression que papa et maman allaient avoir lorsqu'ils apprendraient que j'avais été admis à l'école de médecine. Papa allait probablement prendre un air stoïque, mais il ne pourrait pas dissimuler le sourire dans ses yeux. Maman, quant à elle, allait hurler, tout en versant un torrent de larmes de joie.

Pour tout le monde, nous étions une famille aimante. Et personnellement, je pense que nous sommes une bonne famille, il n'y a rien qui sorte de l'ordinaire. Mes comportements turbulents n'étaient pas le résultat d'une éducation horrible ; c'est juste comme ça que je suis.

Alors que j'enlevais mes chaussures, je vis que papa et maman étaient assis sur le canapé du salon, leurs visages remplis de bonheur. Je souris. Ils devaient probablement savoir que j'avais été admis à l'école de médecine. Lorsque j'entrai dans le salon, mes yeux se posèrent sur quelqu'un qui s'y trouvait également.

— Oh, Bunn ! Tu arrives juste à temps.

Ma mère me salua bruyamment en affichant un grand sourire. Je me tournai vers une autre personne qui n'était pas mes parents, celle qui était assise sur le canapé, son sourire irritant plaqué sur le visage. Il était vêtu d'une courte blouse, brodée d'un fil rouge à son nom - l'uniforme d'un étudiant en médecine de sixième année. Une paire de lunettes rondes à monture métallique dorée reposait sur son nez.

Cet homme était venu ici pour me voler la vedette, pour une raison ou une autre.

— Bunn, tu es au courant ? Boon va faire des études spécialisées en cardiologie et en chirurgie thoracique ! dit ma mère en regardant Boon, les yeux remplis de fierté. Ils n'ont choisi qu'une seule personne sur l'ensemble de l'année universitaire.

— Il n'y avait que quelques candidats, maman. Tu exagères, dit Boon avant de se retourner pour me regarder. Où allons-nous fêter ça  aujourd'hui, petit frère ?

Je restai immobile un moment, abasourdi. Puis j'inclinai la tête, laissant accidentellement échapper un petit rire sec.

Ma famille n'avait jamais eu le moindre problème - le seul problème que j'avais venait de moi : un petit frère qui vivait dans l'ombre de son frère, le plus jeune... dont les parents n'avaient jamais eu d'attentes.

Boon a six ans de plus que moi, car maman avait prévu de n'avoir qu'un seul enfant. Cependant, six ans plus tard, Bunnakit avait été accidentellement conçu dans l'utérus de sa mère. L'écart d'âge important qui nous sépare me faisait percevoir Boon comme l'un des adultes. Je me souvins avoir eu la chance de passer un peu de temps avec Boon avant qu'il ne se consacre à ses études. Boon était un élève brillant, le meilleur de son école, le Royal Award Student, le Outstanding Youth of the Year, lauréat de l’Academic Olympics Medal, et une myriade de récompenses que la vitrine de ma maison ne pourrait même pas contenir. Boon était comme un trésor précieux dont nos parents auraient été ravis de se vanter - moi, pas tellement.

Nous n'avions jamais été comparés de façon explicite, mais je pensais que les personnes ayant un frère ou une sœur qui les surpassaient dans toutes les matières comprendraient sûrement. J'avais l'habitude de me battre pour être le meilleur, pour être comme mon frère. Je voulais une fraction de la reconnaissance et de l'admiration de mes parents.

Je pensais que je m'en sortais plutôt bien jusqu'à ce que cela arrive - l'incident concernant mon orientation sexuelle qui m'avait fait quitter le prestigieux lycée et déménager dans une petite école privée. C'est à ce moment-là que j'ai tout simplement renoncé à essayer. Je n'avais plus besoin de le faire. Quels que soient mes efforts, je ne parviendrais jamais à battre Boon. J'espérais que le fait d'être accepté à l'école de médecine m'aiderait à me faire une place.

Mais ma place n'était pas aussi importante que le fait d'avoir le tout premier chirurgien cardiothoracique de notre famille.

— C'est toi qui choisis. Je n'ai pas faim.

Je me retournai et me dirigeai vers les escaliers, sans entendre la voix de papa et maman qui me demandaient de redescendre. Je me précipitai vers ma chambre, mais Boon, qui montait l'escalier en courant, m'attrapa par l'épaule et m'arrêta.

— Hé, qu'est-ce qui t'arrive, Bunn  ? demanda Boon en haletant. Qu'est-ce qui ne va pas ?

— Ce n'est rien, dis-je en me tournant vers mon frère. Félicitations.

Sur ce, je me retournai, mais Boon me retint par l'épaule, m'empêchant de m'éloigner.

— Attends. Les résultats des examens d'entrée à l'université ont été annoncés aujourd'hui. Comment ça s'est passé ?

Je restai silencieux pendant un moment avant de murmurer doucement.

— Dis à papa et à maman... que j'ai été accepté en école de médecine.




À vrai dire, je n'arrivais pas à succomber au sommeil. Le stress mettant mon corps en état d'alerte, mon rythme cardiaque s'accélérait au point que je pouvais compter chaque battement de cœur. J'ouvris les yeux une fois les lumières éteintes. Peu après, je sentis que quelqu'un se laissait tomber sur le lit à côté de moi.

— Passe une bonne nuit... chéri ?

La voix de baryton de Tann résonna doucement, comme s'il craignait que je l'entende. Je fermai à nouveau les yeux. Les mots de Tann, qui auraient dû provoquer du désir, me faisaient au contraire souffrir. Ce qu'il m'avait fait était impardonnable. Mes sentiments brisés étaient irrécupérables.

J'avais pris ma décision. Une fois que tout serait terminé, je quitterais cet endroit. Je quitterais Tann. Cette ignoble promesse n'avait pour but que de l'obliger à m'obéir, car j'avais besoin de sa protection pour rester en vie.

À partir de ce jour, Bunnakit ne se permettrait plus jamais de faire confiance à qui que ce soit. Mon meilleur ami avait ordonné à un homme de me tabasser. L'homme qui prétendait m'aimer m'avait menti. La seule personne au monde en qui je pourrais avoir confiance à cet instant, c'était moi-même. Cette leçon me poussait à me refermer sur moi-même, à dresser une barrière permanente autour de moi. Peut-être ne serais-je plus jamais capable d'aimer quelqu'un. À partir de ce jour, ma vie serait probablement remplie de paranoïa à chaque instant.

Je sentis un bras lourd se poser sur mon torse. Tann se rapprocha de moi, enfouissant son visage dans ma nuque. Son souffle chaud et régulier me mit mal à l'aise. Mes poings s'agrippèrent fermement aux draps et j'essayai de ne pas faire le moindre bruit ni le moindre mouvement. Je devais rester ainsi pour lui faire croire que je lui avais déjà pardonné, mais seulement jusqu'à ce que cette terrible épreuve soit terminée.




Mes jambes me firent traverser la passerelle reliant le bâtiment du département de médecine de l'hôpital à celui de la chirurgie. Si j'allais tout droit et que je tournais à gauche, cela me mènerait au service de médecine légale. L'air autour de moi devenait de plus en plus froid à mesure que le temps passait. Je ne savais pas comment je m'étais retrouvé ici, mais je n'avais qu'un seul objectif en tête : un corps m'attendait dans la salle d'autopsie.

L'atmosphère sinistre, sombre et froide de la salle d'autopsie devrait donner un sentiment familier à ce lieu de travail, mais ce n'était pas le cas à ce moment précis. Un corps gisait nu sur une table métallique au milieu de la pièce. C'était le cadavre d'un homme grand et costaud, dont le visage était plongé dans l'ombre. Je me dirigeai lentement vers le corps qui se trouvait devant moi.

La main froide, pâle et forte du cadavre se dressa brusquement pour saisir mon poignet. Je sursautai d'effroi, mes yeux remplis d'horreur se portèrent sur le visage du cadavre. Il releva lentement la tête et ouvrit les yeux, me regardant - avec une paire d'orbes familiers.

— Je n'ai jamais voulu te tuer, résonna la voix dans toute la pièce. Je suis désolé.

Je me réveillai en sursaut et mes yeux s'ouvrirent. Mon cœur battait si fort qu'il faillit sortir de ma poitrine. La première chose que je vis fut la lumière du soleil matinal qui se reflétait sur l'armoire. Je pouvais sentir la chaleur émanant du corps de l'homme qui m'étreignait par derrière. Je retirai le bras de Tann de mon corps et jetai la couette sur le côté. C'est en cuisant sous celle-ci que je m'étais retrouvé couvert de sueur. Je portai la main à mes tempes pour les masser. Le stress m'assaillait à nouveau. Comme je détestais ces foutus cauchemars.

— Tu veux que je rencontre Pert aujourd'hui, n'est-ce pas ? demanda Tann en posant une tasse de café chaud sur la table à manger.

— Oui, mais d'abord, tu dois réparer les choses que tu as foirées ce jour-là.

J'avalai une cuillerée de porridge fumant. Le fait de me remettre de la fièvre m'avait doublement ouvert l'appétit. Je finis par demander le deuxième bol de porridge.

Tann s'assit sur la chaise, un air coupable ornant son visage.

— Je suis désolé. J'étais tellement en colère que je n'y voyais plus clair et j'ai parlé sans réfléchir.

Je pointai le bout de la cuillère vers lui d'un air accusateur.

— Appelle Pert et excuse-toi. Vous devez devenir des alliés. Rencontre-le et sois gentil avec lui. Ayez une conversation en tête-à-tête à propos de Paul. Essaye de monter Pert contre son frère et nous attendrons de voir ce qui se passera ensuite.

Tann poussa un petit soupir.

— Mais je ne suis pas sûr qu'il soit d'accord avec ça. C'est moi qui t'ai tué, après tout. Pert est peut-être en train de se venger de moi en ce moment même.

— Si tu ne peux pas le mettre de notre côté, essaie d'inciter Pert à s'opposer à Paul autant que tu le peux, dis-je en remettant la cuillère dans le bol. Je ne sais pas comment Pert réagirait au fait que son propre frère voulait me tuer. Je suppose que cela dépend de la force des sentiments qu'il éprouve pour moi.

Je remarquai un discret changement d'expression sur son visage.

— Si Pert me considère comme une simple connaissance, il ne fera probablement pas grand-chose. Mais s'il me voit comme son meilleur ami... ou quelque chose de plus...., cela pourrait nous être utile dans cette situation.

Tann resta silencieux. Je pouvais voir qu'il essayait de réprimer quelque chose, une sorte d'émotion.

— Appelle Pert, excuse-toi et dis-lui que tu as envie de parler. Faisons de petits pas pour l'instant.

Je pensais que je devais faire quelque chose pour calmer Tann avant qu'il ne gâche à nouveau mon plan. Je me levai de mon siège, marchai vers lui et me penchai pour l'embrasser doucement sur les lèvres. Je sentis la tension dans son corps se relâcher sensiblement. Tann rompit le baiser et porta sa main à ma joue.

— D'accord, je vais l'appeler maintenant, dit Tann en se levant et en sortant son téléphone de sa poche. Je peux passer l'appel à l'extérieur ? Quand je lui parle en te regardant, je m'énerve et je fais une crise de nerfs.

En fait, j'avais envie d'écouter leur conversation, je devrais probablement l'écouter lui.

— Ok. vas-y doucement, d'accord ?

Tann acquiesça avant de quitter la cuisine, me laissant seul. Je retournai m'asseoir, pris une profonde inspiration et expirai lentement pour évacuer ma frustration. Je commençai à me concentrer sur le problème le plus récent : Boon.

J'avais peut-être perçu Boon comme mon rival pendant tout ce temps, mais je ne m'étais jamais fâché contre lui et je n'avais jamais détesté mon frère. C'était un homme bon, un excellent professeur, un père et un mari aimant, et un fils attentionné. C'est sa perfection qui m'avait poussé à quitter ma famille, à travailler pour le gouvernement dans une province reculée... à vivre ma propre vie. Papa et maman avaient tout obtenu de Boon. Ils n'avaient pas besoin de moi. Je n'étais pas si parfait.

Aujourd'hui, Boon voulait remplir l'un de ses innombrables devoirs : celui d'être un bon frère. Il risquait sa vie, à la recherche de son frère disparu.

Et à cause de cela, j'étais sûr que Boon ne partirait pas tant qu'il n'aurait pas la certitude que j'étais vivant ou mort. Mon frère me cherchait sans savoir ce qui l'attendait. C'était trop dangereux. J'étais extrêmement inquiet pour son bien-être. Je devrais peut-être trouver un moyen de contacter Boon, comme l'avait suggéré Tann, et le convaincre de retourner à Bangkok avant qu'il ne soit trop tard.

Tann revint, une expression de frustration sur le visage.

— Je l'ai appelé cinq fois, mais il n'a pas répondu.

— Vraiment ? Attends un peu…

Même si ce n'était pas quelque chose d'inhabituel, j'avais un mauvais pressentiment.

— Peux-tu localiser Pert avec ton téléphone ?

Tann sortit le smartphone blanc de Pert.

— Non, je ne peux pas. J'ai essayé. Il a dû désactiver sa localisation actuelle pour empêcher les autres de le suivre.

Je commençais à sentir l'angoisse m'envahir sans raison.

— Tu peux réessayer ? Continue d'essayer son portable.

Tann me jeta un coup d'œil et je sentis qu'il n'était pas très content de mon attitude actuelle. Mais il colla tout de même son téléphone à son oreille, son autre main étant occupée à consulter la localisation sur un autre téléphone portable.

— Quelqu'un a essayé d'appeler ce téléphone. Ce doit être quelqu'un à ton hôpital. Et puis il y a eu un appel manqué du Capitaine Aem, alors j'ai éteint... hé !!

Soudain, Tann poussa un grand cri, les yeux écarquillés de stupeur. Je me levai d'un bond.

—  Quoi  ? demandai-je soudainement.

— J'ai pu localiser son téléphone !

Tann remit son téléphone dans sa poche.

—  Vraiment ? Où est-il ? lançai-je à voix haute, ne pouvant m'empêcher de poser la question.

Tann s'approcha de moi et tourna l'écran pour me le montrer.

— Il est de retour dans la province.

Je faillis sauter de joie. Des progrès. Enfin.

— Mais son emplacement semble bizarre. Je ne sais pas pourquoi il irait là-bas, ajouta Tann.

— Où ?

Je regardai le point sur la carte, perplexe.

— C'est un entrepôt abandonné construit sur le terrain de mon père, dit Tann en pointant son doigt sur son front. C'est là que Paul m'a donné cette blessure. Nous utilisions souvent cet endroit pour tenir des réunions secrètes entre mon père et ses hommes, à l'intérieur et à l'extérieur des réseaux de la police. Parfois, l'endroit était utilisé pour torturer ou même tuer quelqu'un.

Tann croisa les bras, frissonnant à cette idée.

En parlant de la police, Tann avait mentionné que le capitaine Tu était l'un des hommes de M. Odd. Il aidait M. Odd à avoir un accès étroit aux réseaux de la police. Le capitaine Aem était le subordonné du capitaine Tu. Bien qu'il n'ait jamais été en contact direct avec M. Odd, le capitaine Aem suivait les ordres du capitaine Tu. Je ne reprochais pas à Aem d'agir ainsi. Peut-être en avait-il besoin pour survivre dans ce cercle corrompu.

—  Vas-y... dis-je d'une voix résolue.

Tann hocha la tête.

— J'y vais maintenant. Je te mettrai au courant une fois que...

— Je viens avec toi, lâchai- je, ma voix surprenant non seulement Tann mais aussi moi-même de cette décision.

Pourtant, quelque chose me poussait à l'accompagner, comme une sorte d'intuition qui me poussait instinctivement à agir.

— Non, tu ne peux pas ! Tu n'iras nulle part ! C'est très dangereux. Je ne te laisserai pas faire.

— Je me cacherai dans la voiture. S'il t'arrivait quelque chose, je pourrais t'aider, insistai-je  d'une voix ferme.

Tann semblait manifestement mal à l'aise. Je pris une grande inspiration. Je devais essayer de le convaincre.

— Tann, je t'en prie. Je m'inquiète aussi pour toi.

Tann se tenait debout, les bras écartés, pressant ses lèvres l'une contre l'autre. Il me regarda longuement avant de finalement dire :

— Tu dois mettre un chapeau et des lunettes de soleil pour te camoufler. Je te les apporte.




Même si je me sentais mal à l'aise de devoir m'habiller comme un braqueur de banque, pour m'aventurer à l'extérieur avec Tann, je devais accepter d'être dans cet état pour le moment. Tann me fit porter une casquette noire, de grosses lunettes de soleil et un sweat à capuche noir, dont je devais porter la capuche par-dessus la casquette. J'étais à moitié couché sur la banquette arrière, essayant de ne pas trop faire dépasser ma tête dans l’encadrement de la fenêtre.

— C'est le pull que tu portais quand tu es venu me voir cette nuit-là, c'est ça ? demandai-je à l'homme dont les yeux étaient rivés sur la route.

Un petit sourire se dessina sur les lèvres de Tann.

— Tu te souviens de mon odeur ?

Je fronçai les sourcils, agacé.

— Je pensais te l'avoir demandé gentiment.

— C'est vrai, désolé  ? Tann me regarda dans son rétroviseur. Eh bien, oui, c'est la tenue que je portais chez toi.

Je ne dis rien de plus, regardant mes mains. Rien que d'y penser, je me sentais encore en colère et blessé.

Quelques minutes plus tard, Tann mit son clignotant. Je tordis discrètement le cou pour jeter un coup d'œil à l'endroit où la voiture allait bifurquer. Pour l'instant, nous nous trouvions tous les deux devant un espace ouvert, un entrepôt avec un toit couleur bronze était construit au milieu de la parcelle, entouré d'un jardin de longanes et de bois. L'endroit était isolé, une sorte d'endroit où des activités illégales se déroulaient habituellement. Tann gara la voiture devant la porte de l'entrepôt et se tourna vers moi. D'un mouvement rapide, il s'enfonça dans le siège.

— Un 4x4 noir. Il y a effectivement quelqu'un à l'intérieur, dit Tann, l'air pensif. Tu veux que je laisse tourner le moteur ?

— Non, ça aurait l'air trop suspect, dis-je en secouant la tête. Laisse la fenêtre entrouverte. Il fait frais. Ça va aller.

Tann acquiesça et baissa un peu la vitre du côté conducteur pour que l'air circule à l'intérieur avant de couper le moteur.

— Le signal du téléphone portable de Pert est toujours là. Je pourrais peut-être le trouver ici. Je vais faire vite et sortir.

— Pas de précipitation. Prends tout ton temps. C'est important.

— Bien sûr, aquiesça Tann en me tendant le téléphone portable blanc, et je le lui pris.

— N'oublie pas, si quelque chose ne va pas, envoie-moi un message. Je viendrai à l'intérieur.

Je tapai le mot " Vol " dans la zone de texte du téléphone de Tann. Il n'avait plus qu'à appuyer sur "Envoyé" pour me prévenir en cas d'urgence.

Tann hocha la tête pour acquiescer avant d'ouvrir la portière pour sortir de la voiture. Puis il verrouilla la voiture. Une fois la porte fermée, je me retrouvai seul dans la voiture de Tann. J'essayais de temps en temps de relever la tête pour jeter un coup d'œil à la grande silhouette qui se dirigeait vers l'entrepôt. Et puis, j'aperçus, un peu plus loin, le SUV noir dont il avait parlé plus tôt. Mon anxiété se mit à gronder comme une tempête.

Je m'attendais à devoir rester ainsi pendant une heure ou plus. Donc, lorsque je vis Tann sortir en courant de l'entrepôt avec un regard alarmé, après seulement quelques minutes, ce fut, il va sans dire, inattendu. Son visage était plus qu'effrayé. Je m'empressai de me redresser. Tann déverrouilla la porte et l'ouvrit d'un coup sec. Il haletait, ses yeux étaient écarquillés et son visage était anormalement pâle.

— Bunn ! s’exclama Tann, la voix tremblante. C'est Pert...

Mon cœur sombra à mes pieds.

— Qu'est-ce qui s'est passé ?

— S'il te plaît... rentre là-dedans... r... rentre là-dedans…

Les mains tremblantes de Tann se fermèrent en poings, la sueur coulant de son visage malgré la température froide de l'extérieur.

J'avais une bonne idée de ce qui s'était passé. S'il vous plaît, ne faites pas en sorte que ce soit ce que je pense.




Ce n'est pas possible...

Je fus stupéfait lorsque l'image que Tann voulait me faire voir apparut dans mon champ de vision. Je me détournai et fermai les yeux, essayant de nier ce qui se trouvait devant moi, priant pour que ce ne soit qu'une illusion, espérant que ce n'était peut-être qu'un cauchemar de plus, dont je me réveillerais bientôt.

— Que... que devons-nous faire  ? demanda Tann s'appuyant sur une colonne de métal, le visage pâle.

La voix de Tann me fit ouvrir les yeux et affronter à nouveau la réalité. Je vis un homme allongé sur le sol, les membres écartés comme s'il essayait de se débattre dans son dernier souffle, le visage tourné dans ma direction, les yeux encore ouverts. Une paire d'yeux familiers et aiguisés fixait un endroit lointain, sans plus se soucier de ce qui se passait dans ce monde mortel. J'avais une sensation de tension désagréable dans la poitrine. J'enlevai mes lunettes de soleil et les laissai tomber sur le sol. Je trébuchai en arrière et m'assis sur une caisse en bois à proximité. J'avais l'impression d'avoir perdu toute mon énergie.

J'avais envie de pleurer, mais mes yeux restaient secs.

— Comment... combien de temps… Comment est-il mort  ? demanda Tann qui était dans le même état que moi.

— Putain, lâchai-je comme juron.

Je n'étais plus du tout concentré. Cela aurait dû être facile de répondre aux questions de Tann, c'était mon domaine de prédilection : identification du corps, estimation du temps écoulé depuis la mort, cause et mode de décès. Mais en cet instant, je n'arrivais à penser à rien. J'avais la tête qui tournait et la vue qui se brouillait.

— Bunn, dit Tann d'une voix tremblante. Comment est-il mort ?

Je restai assis en fermant les yeux, essayant de rassembler mes esprits. Je devais répondre à la question de Tann... Oui, je devais faire un examen pour voir ce qui était exactement arrivé à Pert et comment il avait fini mort dans cet endroit abandonné. Je me forçai à ouvrir les yeux, me levant et traînant mes jambes tremblantes vers le corps du défunt.

La première question : Qui était la personne décédée ?

Je n'eus besoin ni de ses papiers d'identité, ni de son dossier dentaire, ni d'aucun test ADN pour identifier le corps, car il était évident pour Tann et moi que la personne décédée était Pert, le procureur, qui aurait atteint l'âge de 30 ans dans deux mois.

Deuxième question : Où était-il mort ?

Je cherchai des traces de déplacement du corps, comme des traces de sang. Or, il n'y avait aucune trace de sang, pas même sur les vêtements du cadavre. La position du corps correspondait à la façon dont il était mort ici, mais il était également possible que le corps ait été déplacé avant l'apparition de la rigidité cadavérique. Le déplacement du corps après l'apparition de la rigidité cadavérique laisserait apparaître une position du corps sans rapport avec l'endroit où il avait été trouvé, car le corps se serait figé dans la position dans laquelle il était mort. Par exemple, on pourrait trouver le corps dans une position inhabituelle, comme couché sur le dos avec les membres pliés, alors qu'il a été trouvé sur un sol plat. Je regardai la main du cadavre et remarquai que sa main droite était posée sur un téléphone portable, l'écran tourné vers le haut.

Tann vit probablement que mes yeux s'étaient attardés sur la main de Pert pendant un long moment, et il décida donc de s'approcher.

— Est-ce que c'est...

— Tann... peux-tu appuyer sur le bouton Home avec la pointe de ton stylo ? Je veux savoir ce qu'il y avait sur son écran avant qu'il ne meure.

Je ne voulais pas que Tann laisse ses empreintes sur l'écran.

— Hein ? ...Oui  ?

Tann, qui était encore sous le choc, sursauta légèrement en entendant mon ordre. Il tapota ses poches.

— Je n'ai pas de stylo avec moi. Je vais probablement devoir utiliser le stylet pour ouvrir l'écran. Pert a peut-être mis en place un mot de passe sur son téléphone.

— Essayons d'abord ceci... Tu peux trouver un sac en plastique pour entourer ta main avant d'appuyer sur le téléphone.

— Je vais aller chercher un sac en plastique dans la voiture. Est-ce que ça va aller tout seul, Bunn  ? demanda Tann en se tournant vers moi et s'éloignant du cadavre.

— Bien sûr. Reviens vite. J'ai besoin de sacs en plastique en guise de gants.

J'inspirai profondément pour retrouver ma concentration.

— D'accord.

Tann sortit en courant. Je le regardai s'éloigner avant de revenir à l'autopsie en cours.

Troisième question : Quand était-il mort ?

L'estimation du moment de la mort repose essentiellement sur les résultats de l'examen physique : décoloration de la peau résultant de l'accumulation de sang sous la peau des parties inférieures du corps, provoquant une décoloration rouge violacée due à la force de gravité, évaluée par palpation, ou développement de la rigidité cadavérique dans les articulations, qui varie en fonction de la taille de chaque articulation, ou signes de ballonnement, qui surviennent généralement après 24 heures. À première vue, Pert devait être mort depuis moins de 24 heures. Je procéderai à nouveau à une détermination approfondie de l'heure du décès après avoir récupéré un sac en plastique auprès de Tann.

Quatrième question : Quelle était la cause du décès ?

Sa mort n'avait pas été causée par une perte excessive de sang, ni par des blessures par balle, ni par strangulation. Je louchai sur la bouche du défunt qui était restée ouverte. De nombreux crachats mousseux mélangés à de la salive s'échappaient de sa bouche. Il avait souffert d'une insuffisance respiratoire. La cause la plus probable était que Pert était mort à cause de substances toxiques. Mais comment avait-il pu être exposé à un produit chimique nocif ? Il ne devrait pas y avoir de gaz toxique dans un entrepôt aussi spacieux que celui-ci. Il avait dû y être exposé par consommation, par contact ou par injection intraveineuse. Je devais chercher des traces d'exposition à un produit chimique ou des marques d'aiguille. Je regardai autour de moi pour explorer la zone. D'où venaient les substances toxiques ?

C'est alors que je vis une petite tasse de café sur une grande boîte en carton. Il s'agissait d'un gobelet en papier avec un couvercle pour le café chaud. Je me précipitai vers la tasse de café, me penchant prudemment et essayant de renifler l'odeur qui se dégageait de la petite fente du couvercle. Certains désherbants et insecticides ont une odeur spécifique, mais la seule odeur que je pus détecter était celle, apparemment inoffensive, d'un café aux amandes.

Mes yeux s'écarquillèrent... Une odeur d'amande ?

Du cyanure.

Je ne pouvais pas déterminer avec certitude si Pert était réellement mort d'un empoisonnement au cyanure. Ce n'était qu'une supposition. Cependant, la manière dont il était mort correspondait à ce que l'on peut attendre d'un empoisonnement au cyanure. Le cyanure existe sous différentes formes. Il peut être gazeux, liquide ou solide. L'exposition à ces substances toxiques par ingestion peut ne pas entraîner une mort immédiate. Elle peut prendre plusieurs minutes. L'odeur du cyanure peut être dissimulée dans le café et le cyanure de sodium est une substance toxique facile à trouver. Pour confirmer qu'il s'agissait bien de cyanure, des échantillons devaient être prélevés en vue d'un examen plus approfondi dans un laboratoire.

Cinquième question : Quel est le mode de décès ?

Il n'y a que deux possibilités : le suicide ou le meurtre.

La manière de mourir était diabolique, qu'il s'agisse d'un suicide ou d'un meurtre. S'il s'agissait d'un suicide, il aurait pu être dû à la culpabilité de m'avoir fait tuer. Mais s'il s'agissait d'un meurtre, était-il possible que ce soit l'œuvre de Paul ?

— C'est de la folie pure, jurai-je pour évacuer ma frustration.

Tout ce que nous faisions semblait ne servir à rien. Maintenant, j'étais de nouveau à zéro. Je me sentais perdu, un peu comme lorsque Tann s'était introduit chez moi la première nuit.

Tann revint en courant à l'intérieur de l'entrepôt avec quatre sacs en plastique.

— Je suis là, Bunn.

Il me tendit frénétiquement les sacs. Je me tournai vers lui pour les prendre et mettre ma main à l'intérieur afin de m'en servir comme gants. Ce serait la première autopsie non officielle de ma vie ainsi que le premier cadavre de quelqu'un que je connaissais, de quelqu'un dont j'étais proche. Tann recula pour s'asseoir sur une vieille caisse en bois, me regardant avec ce visage toujours aussi paniqué. S'il avait eu cette réaction lorsque je l'avais rencontré pour la première fois le jour de la mort de Janejira, je n'aurais jamais soupçonné qu'il était le meurtrier.




— Huit heures, dis-je après que nous ayons regagné la voiture. Pert est mort depuis plus de huit heures, douze heures au mieux, entre 23 heures et 3 heures la nuit dernière. Cause du décès : empoisonnement. Mode de décès : il pourrait s'agir d'un suicide ou d'un meurtre, mais j'ai privilégié le meurtre. Il semble étrange que quelqu'un mette du cyanure dans une boisson apparemment inoffensive et la consomme pour se suicider.

Par chance, le téléphone portable de Pert était équipé d'un lecteur d'empreintes digitales ; j'avais pu le déverrouiller pour voir ce qui s'affichait à l'écran. Une fois déverrouillé, j'avais trouvé l'application de géolocalisation en temps réel. Dans son dernier souffle, Pert avait activé sa géolocalisation pour que d'autres puissent le suivre à la trace. C'était une meilleure décision que d'appeler quelqu'un parce que, à ce moment-là, le poison aurait pu se répandre jusqu'à ce qu'il ne soit plus capable d'indiquer vocalement où il se trouvait.

— La nuit dernière  ? dit Tann en détournant son regard hors de la voiture. C'était une nuit tranquille, j'ai dormi avec toi toute la nuit. Je n'ai rien vu venir. Mais qui l'aurait tué ?

Je regardai Tann pendant un moment.

— Je suis désolé.

Tann secoua lentement la tête.

— C'est un choc, vraiment, dit-il en tournant la clé pour allumer le moteur et se tournant vers moi. Qu'est-ce que tu vas faire maintenant ? Il est désormais impossible de rallier Pert à notre cause. Dois-je appeler la police ?

— J’aimerais que tu les appelles, mais je ne sais pas ce qu'ils en penseraient. Tu as été la première personne à découvrir les corps, deux fois de suite. Et les deux étaient proches de toi.

Tann leva la main pour se frotter les yeux.

— Alors, on le laisse ici, sans rien dire à personne ?

J'étais abasourdi. Je voulais aussi qu'on retrouve Pert en bon état. Bien que la couleur de sa peau ait commencé à changer à cause de mécanismes naturels, son visage était toujours aussi beau, comme lorsqu'il était vivant. Si nous le laissions ici sans soins appropriés plus de deux jours, son apparence changerait comme celle de n'importe quel autre cadavre, boursouflé et d'un vert bleuté.

Je regardai la rue. Cet endroit était vraiment abandonné et isolé. Quel serait le moyen le plus rapide d'attirer l'attention des passants sur cet endroit ?

— Tann, tu crois que ce 4x4 est équipé d'une alarme antivol  ? demandai-je à Tann.

— Je ne sais pas, répondit-il en se tournant vers le SUV noir garé à proximité. Pourquoi ?

— S'il y a une alarme... détruisons le 4x4 ou entrons par effraction...dis-je en ouvrant la portière de la voiture. Et foutons le camp d'ici ?

Laisser Pert reposer dans son cercueil tant qu'il était encore beau, c'était probablement mon dernier acte d'amour en tant qu'ami. Repose en paix, mon pote. Je te pardonne tout ce que tu as fait. Si l'autre vie existe vraiment, que nous nous rencontrions à nouveau.


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amelyma
Ven 6 Sep 2024 - 23:30



Chapitre 21
Je levai les yeux vers le journal télévisé. Le bruit strident de l'alarme antivol que nous avions déclenchée dans la campagne tranquille avait incité les curieux de la région à venir voir de quoi il s'agissait. Dans l'après-midi, le corps de Pert avait été retrouvé. Bunn avait utilisé la curiosité des gens pour appeler indirectement la police - une stratégie inattendue. Je devais lui accorder cela.

Bunn avait dit que nous devions tout recommencer. Nous devions annuler ses plans précédents. Il avait besoin de temps pour y réfléchir. En ce moment même, Bunn séjournait chez moi. Et comme sa fièvre était revenue, il m'avait ordonné d'aller acheter des antibiotiques à la pharmacie après la fin de mon cours. Malgré mon inquiétude, je devais faire comme si de rien n'était. Je devais aller en classe et faire comme si je n'avais rien à voir avec ce qui s'était passé aujourd'hui.

— Je rentre à la maison, professeur Tann.

La même fille, la dernière élève à quitter mon cours, se leva, me dit au revoir en s'inclinant dans le style thaïlandais et sortit de la classe en courant. J'acceptai son geste et me tournai vers les nouvelles, qui continuaient à parler de la mort de Pert, le procureur. C'est alors que je vis apparaître un homme à la télévision. Un homme qui me terrifiait à chaque fois que je le voyais - Paul.

— Je ne pense pas qu'il s'agisse d'un suicide... Mais nous devons quand même attendre le rapport d'autopsie, déclara Paul aux journalistes.

Je pouvais voir un air désolé sur son visage.

— Vous devrez peut-être demander d'autres détails à la police. Tout ce que je sais, c'est que mon frère est mort, continua-t-il puis, il esquiva rapidement l'interview.

Je sortis mon téléphone. Depuis que Paul savait que Pert était mort, il n'avait pas essayé de me contacter. Je me demandais pourquoi il ne l'avait pas fait. Paul aurait dû m'appeler pour m'informer de la nouvelle, au moins parce qu'il était probablement la première personne sur la liste des proches que la police avait contactés pour signaler la mort non naturelle de son frère dans un entrepôt abandonné.

Je ne savais pas si c'était quelque chose que je devais envisager. Mais je me disais que c'était peut-être Paul qui avait fait le coup.

Pourquoi, me direz-vous ? Paul aimait beaucoup Pert, comme tous les frères et sœurs qui ont partagé le même ventre. Si Paul avait voulu tuer Pert, c'était probablement parce que ce dernier avait essayé de lui faire quelque chose et qu'il s'était fait tuer à la place.

La sonnerie stridente de mon téléphone portable me sortit de mes pensées. Je pris mon téléphone et j'aperçus un numéro inconnu. Je le fixai un instant avant de prendre l'appel.

— Allô ?

— [Bonjour, c'est bien le professeur Tann ?] me demanda une voix de baryton au bout du fil.

Je me demandais qui c'était, mais il dissipa rapidement mon interrogation.

— [C'est moi, Boonlert, le frère de Bunn.]

— Ah oui, oui, Dr Boonlert, dis-je en essayant de prendre un ton cordial et me souvenant que je lui avais donné mon numéro. En quoi puis-je vous aider ?

— [Vous savez déjà que je suis médecin ?]

La remarque de Boonlert me stoppa dans mon élan ; il ne m'avait jamais dit qu'il était médecin. Sans le vouloir, j'en avais trop dit.

— Oh... J'ai pris la liberté de chercher votre nom sur Google, dis-je en me raclant un peu la gorge. Au fait, tout va bien ?

— [Vous avez déjà vu ce qui est arrivé au procureur, n'est-ce pas ? - celui qui a disparu et qui a été retrouvé mort.]

Je pouvais déceler un tremblement d'émotion dans le ton de sa voix.

— [Peut-être que c'est aussi arrivé à Bunn, mais personne ne le sait encore.]

— Peut-être pas. Le docteur Bunn est peut-être encore en vie et se cache quelque part.

Pert ne serait plus un problème, mais je me souvins que Bunn avait mentionné qu'il pourrait dire la vérité à Boonlert, comme je l'avais proposé. Boonlert s'apprêtait à dire quelque chose, mais je le devançai.

— Docteur…

— [Oui ?]

— Où êtes-vous en ce moment ?

La voix au bout du fil se tut pendant quelques secondes, comme si ma question l'avait surpris.

— [À l'hôtel.]

— Vous faites quelque chose en ce moment ? Je vais vous emmener quelque part.

— [Où voulez-vous m'emmener ?]

J'avais le sentiment que si je lui disais que Bunn était avec moi, le Dr Boonlert, qui ne me faisait toujours pas confiance, pourrait emmener la police avec lui lors de cette sortie.

— Où dois-je venir vous chercher ?

— [Attendez, je n'ai pas encore dit quoi que ce soit !]

En parlant au Dr Boonlert, j'avais l'impression de parler à Bunn. Je savais comment traiter avec des gens comme lui ; je devais lui donner l'impression qu'il contrôlait la situation.

— Alors, si vous preniez votre voiture et que vous veniez me retrouver ? Je vous enverrai l'adresse. J'aimerais que vous rencontriez quelqu'un qui devrait pouvoir vous aider à trouver le Dr Bunn.

— [...De qui parlez-vous ? Et comment cette personne peut-elle m'aider à trouver Bunn mieux que la police ?]

Le Dr Boonlert ne mordit pas si facilement à l'hameçon.

— La police est nulle dans son travail. Il n'y a pas grand-chose à attendre d'eux, vraiment, dis-je avant de prendre une grande inspiration. Venez. J'attendrai.

J'avais envoyé au Dr Boonlert l'emplacement de ma maison à deux étages dans le centre-ville. La maison avait été construite dans l'un des quartiers les plus peuplés de la province. Bien que la nuit soit plus calme que dans les villes des grandes provinces, la présence d'un marché à proximité, les routes éclairées par des lumières vives et le passage occasionnel de véhicules avaient suffi à apaiser les craintes du Dr Boonlert et à l'inciter à venir ici. Lorsque j'arrivai, je trouvai une voiture devant la porte. Si je me souvenais bien, il s'agissait de la voiture de location du Dr Boonlert. Je regardai attentivement les alentours. Rien ne semblait anormal. Le Dr Boonert devrait être venu seul ici.

Je descendis de ma voiture au moment où le Dr Boonlert ouvrait la portière de la sienne. Il me regarda d'un air soupçonneux.

— C'est la maison de qui ?

— C'est la mienne.

Le Dr Boonlert haussa les sourcils.

— Pourquoi ai-je l'impression que vous m'incitez à faire quelque chose de cochon ?

Je secouai la tête. J'aurais ri d'une telle déclaration dans des circonstances normales.

— Entrez.

— Pourquoi devrais-je le faire ? Et qui est la personne dont vous avez dit qu'elle pourrait m'aider à trouver Bunn  ?

Boonlert restait planté au même endroit. Je décidai de marcher vers lui d'un pas rapide et il recula légèrement. J'attrapai son bras avant qu'il ne puisse s'enfuir.

— Le docteur Bunn est en sécurité. Il est dans cette maison en fait, répondis-je avant de baisser la tête et de lui chuchoter à l’oreille. J'aimerais d'abord savoir si vous avez amené la police ici avec vous, car personne, pas même la police, ne peut savoir que Bunn est en sécurité. S'ils le savent, la personne qui veut tuer Bunn saura qu'il est toujours en vie.

Boonlert écarquilla les yeux et se tourna vers moi, le regard plein de questions.

— Quoi ?

— Avez-vous dit à la police que vous me rejoindriez ici ? Quelqu'un vous suit-il ? Pouvez-vous leur dire de partir si c'est le cas ?

Le docteur Boonlert semblait étonnamment calme.

— Je veux d'abord voir Bunn.

— Je savais que vous aviez amené quelqu'un avec vous… soupirai-je. Bunn devrait tout vous expliquer. Et vous comprendrez pourquoi je ne veux pas que la police soit impliquée.

Boonlert me regarda comme s'il réfléchissait sérieusement avant de dire doucement.

— Si je ne vois pas Bunn là-dedans, vous aurez beaucoup d'ennuis, professeur Tann.




Je conduisis le Dr Boonlert à l'intérieur de la maison, qui était complètement plongée dans l'obscurité sans aucune lumière allumée. Boonlert regarda autour de lui avec méfiance. Avec une telle atmosphère, il n'aurait pas cru que quelqu'un vivait dans la maison. C'était la stratégie de Bunn. Si je n'étais pas là, aucune lumière ne serait allumée dans cette maison.

Je tendis la main pour allumer la lumière, révélant le grand salon devant nous.

— Qui est la personne que vous avez amenée ici avec vous ?

Le Dr Boonlert me regarda calmement.

— Je ne vous dirai rien tant que je n'aurai pas vu Bunn. Et si vous me tendez un piège, j'appelle mes hommes immédiatement.

Je soupirai et conduisis Boonlert vers les escaliers.

— Vous savez, il n'y a pas beaucoup de raisons pour lesquelles je ramène quelqu'un à la maison.

— Et quelles sont-elles  ? demanda le docteur Boonlert en me regardant avec méfiance.

— L'une de ces raisons, c'est qu'il m'arrive d'amener des hommes qui me plaisent ici pour faire l'amour, dis-je en pensant que ma réponse avait dû le choquer. Alors, pour cacher le fait que je vous ai amené ici pour voir Bunn, pouvez-vous utiliser cette excuse pour le dire à la personne qui vous a accompagné aujourd'hui ? Dites-lui que vous me plaisez, que je vous invite donc à venir et que je vous propose mon aide pour trouver Bunn pour vous impressionner.

— Attendez... Je ne…

Le Dr Boonlert commença à bégayer.

— Je sais que vous n'êtes pas gay, mais je dois trouver quelque chose de plausible pour que personne ne se doute de la raison pour laquelle je vous ai fait venir ici tout d'un coup, étant donné que nous nous connaissons à peine.

Cela sembla ajouter encore plus de méfiance à son comportement. J'escortai le Dr Boonlert jusqu'à l'escalier et le conduisis jusqu'à la porte. Je frappai à la porte qui était fermée hermétiquement.

— Bunn, c'est moi.

Puis je tournai la poignée pour l'ouvrir. Bunn n'avait pas verrouillé la porte parce qu'il savait que j'avais déjà la clé.

La première chose que je vis après avoir allumé la lumière fut Bunn debout à côté du lit. Il tenait fermement le pistolet dans sa main droite et était tourné vers nous pour nous regarder nerveusement. Puis ses yeux se portèrent immédiatement sur le nouvel arrivant. Les frères étaient tellement stupéfaits qu'ils restèrent sans voix pendant un moment.

— Bunn…

Finalement, le Dr Boonlert décida de rompre le silence. Il se dirigea directement vers Bunn, leva les mains vers les épaules de son frère et le serra dans ses bras.

— Je croyais que tu étais mort !

— Boon..., murmura Bunn d'une voix rauque.

Il rangea son arme dans sa poche et leva les mains pour lui rendre son étreinte. Je pouvais voir le visage ému de Bunn. Il semblait vouloir pleurer.

— J'ai entendu deux personnes marcher vers ici. A... alors j'ai sorti le pistolet.

— Euh, c'est personne. Ce n'est que moi. Et pourquoi es-tu brûlant ? Tu as de la fièvre ?

— Je pensais que c'était un simple rhume, mais ma fièvre est élevée. J'ai très mal à la gorge et j'ai regardé avec une lampe de poche. Il y a des sécrétions dans ma gorge. J'ai déjà dit à Tann de m'apporter de l'Amoxycilline.

— Tu es toujours comme ça quand il fait froid, dit Boonlert en ébouriffant les cheveux de Bunn.

Ce dernier enfouit son visage dans l'épaule de son frère. Ils restèrent longtemps accrochés l'un à l'autre. Je restai là, à regarder. Je ne pouvais m'empêcher de me sentir bouleversé. Voilà ce que c'était, une vraie forme d'amour entre frères et sœurs - quelque chose que je n'avais jamais reçu de mes frères, pas même une seule fois.

Boonlert finit par repousser son frère.

— Tu vas bien ? Es-tu blessé ? Qu'est-ce qui se passe exactement ici ? Pourquoi es-tu avec lui ?

— À quelle question dois-je répondre en premier  ?

Bunn laissa échapper un petit sourire devant le torrent de questions de Boonlert.

— Explique-moi tout, vraiment tout, dit Boonlert en levant la main pour caresser les cheveux de Bunn. Rentrons ensemble à la maison, d'accord ? Tu n'as plus besoin de travailler loin de chez toi. Je parlerai au professeur Yongyuth pour qu'il t'accepte comme professeur à la faculté...

— Non, il ne peut pas partir ! Pas maintenant. C'est très dangereux ! criai-je. Vous ne savez toujours pas ce qui se passe.

Boonlert se retourna pour me regarder, alors que j'étais appuyé contre le chambranle de la porte. Il semblait être arrivé tout seul à une sorte de conclusion.

— Quelle est votre relation à tous deux ?

— Je ne sais pas ce qu'il pense de moi, mais je le protégerai jusqu'à la fin de mes jours, répondis-je sans détour et sans la moindre pudeur.

Je vis Bunn se pincer l'arête du nez en secouant légèrement la tête. Boonlert me fixa silencieusement du regard sous ses lunettes à monture noire. Je pensais qu'il était déjà au courant de la sexualité de son frère.

— Son petit ami  ?

— Oui, j'aime Bunn.

— Boon !

Bunn s'empressa d'appeler son frère en me regardant d'un air gêné. Je ne sais pas si c'était moi mais le visage de Bunn semblait plus rouge que d'habitude. Il était peut-être en colère ou embarrassé, je ne savais pas trop. J'avais envie de dire à Bunn qu'il était adorable en ce moment, mais je ne pensais pas que ce serait correct.

— Tann est celui qui me maintient en vie.

Boonlert arqua les sourcils.

— Comment ?

— Avant que je ne vous explique toute la situation... Dr. Boonlert, lâchai-je avant que l'homme n'oublie notre accord. N'oubliez pas de rappeler la personne que vous avez amenée ici avec vous. Parce qu'après ça, on va avoir une longue et suspicieuse discussion.

Bunn se tourna vers le docteur Boonlert, les yeux pleins de questions. Le docteur Boonlert pressa ses lèvres l'une contre l'autre pendant un moment avant de sortir son téléphone portable et d'appeler quelqu'un.

— Allô... rien de grave... chuchota Boonlert au téléphone. Savais-tu que Tann est homosexuel ? Il m'a attiré ici et espérait m'impressionner en me proposant de m'aider à retrouver Bunnakit.

Les mensonges sortaient de la bouche du Dr Boonlert sans effort. Il le faisait mieux que je ne le pensais. Bunn me regarda et je vis ses sourcils se froncer. Il avait l'air mécontent, mais au bout d'un moment, son expression redevint normale.

— Je vais bien, visiblement. Je reviendrai après un moment... Non, non, allez-y. Je trouve étrange que les nouvelles aient mentionné que Tann était le petit ami de cette fille alors qu'il s'avère être gay. Il n'a pas l'air si dangereux que ça. Je vous appellerai si j'ai besoin de quoi que ce soit... oui... merci.

Le Dr Boonlert pressa la touche de fin d'appel.

— J'ai dit aux flics de repartir.

Je fus choqué d'apprendre qui il avait amené avec lui.

— Qu'est-ce que cela signifie, Boon  ? demanda Bunn l'air très perplexe.

— J'ai amené les flics ici avec moi parce que je ne savais pas ce qui allait se passer.

Boonlert retourna vers Bunn et le fit s'asseoir sur le lit à côté de lui. Le regard du Dr Boonlert sur Bunn était plein d'inquiétude, mais ce regard chaleureux disparut soudainement lorsqu'il se tourna vers moi. Boonlert s'adressa à moi d'une voix ferme.

— Expliquez-moi.




Minuit arriva et la température extérieure chuta au point que Boonlert, le professeur de médecine né et élevé dans la chaleur de Bangkok, dut resserrer sa veste autour de lui. J'accompagnai le Dr Boonlert jusqu'à sa voiture, en regardant autour de moi avec méfiance. La route au milieu de la nuit était terriblement silencieuse, seul le chahut des ivrognes pouvait être entendu depuis le bar karaoké voisin.

— C'est une voiture de location, n'est-ce pas ? dis-je en tapotant doucement le capot de sa voiture.

— Oui, répondit le Dr Boonlert en déverrouillant la porte avec la clé. Je rends la voiture demain matin, alors déposez-moi à la gare routière comme nous en avons convenu.

— Je pense vous déposer à l'aéroport. Ce n'est qu'à quelques heures de route de l'autre côté de la province, dis-je en me levant et regardant le Dr Boonlert, dont les yeux étaient ternes. Je veux vous raccompagner. Je veux m'assurer que vous embarquerez en toute sécurité pour Bangkok.

— Si vous n'y voyez pas d'inconvénient, alors soit.

Le docteur Boonlert soupira, ouvrit la portière et se glissa dans le siège du conducteur. Je m'approchai de la porte.

— Tann...

— Oui ? dis-je en m'inclinant pour l'écouter.

Sans crier gare, le Dr Boonlert saisit mon col et me tira vers le bas. L'homme chuchota à mon oreille.

— Ecoutez, je ne sais pas si la police est toujours dans les parages, ou si quelqu'un nous surveille en ce moment, mais voici ce que je veux vous dire... Parce que j'ai vu à quel point Bunn vous faisait confiance. Je vous confie sa vie. Vous devez le ramener à la maison. C'est compris ?

— Compris.

Je confirmai l'ordre, une chose pour laquelle j'avais toujours été doué.

Le Dr Boonlert hocha la tête avant de relâcher mon col, de fermer la porte et de s'éloigner de ma maison. Je regardai la voiture jusqu'à ce qu'elle tourne au coin de la rue et disparaisse de ma vue. Il n'avait pas été facile de le convaincre de repartir. Après avoir appris toute l'affaire, Boonlert avait insisté pour rester aider jusqu'à ce que Bunn prenne la parole :

— Boon, écoute-moi… dit Bunn, d'un ton placide, comme s'il savait exactement comment s'y prendre avec son frère.

Les intellectuels comme eux devraient s'engager dans une discussion rationnelle avec le moins d'émotion possible.

— Je sais que tu t'inquiètes pour moi, mais c'est tout simplement trop dangereux pour toi. Je ne peux pas gâcher ta vie ici. N'oublie pas que tu es le soutien de la famille. Tu as Pa, Ma, May et Baitoei. Et si tu mourais à cause de moi ? Que feraient ta famille, ta femme et tes enfants sans toi ?

Le Dr Boonlert resta silencieux, abasourdi. Bunn en profita pour poursuivre :

— Tann m'aidera pendant que je suis ici.

Boon pressa ses lèvres en une fine ligne. Il resta silencieux un long moment avant de dire :

— Je vais partir, mais seulement si tu me promets qu'une fois que tout cela sera terminé, tu reviendras à Bangkok et que tu y resteras.


Je tournai les talons et rentrai dans la maison, en pensant à la promesse que le Dr Boonlert avait forcé Bunn à tenir, celle de retourner à Bangkok. Bunn avait accepté cette condition, espérant que Boonlert s'en irait pour l'instant. Je ne voulais pas que Bunn parte. Je pensais suivre Bunn à Bangkok, mais pourquoi le ferais-je alors que la raison de mon transfert pour terminer mes études dans le Nord était de prendre soin de ma mère malade. Il était vrai que ma mère était en bonne santé pour le moment. Cependant, en cas d'urgence, pourrais-je revenir ici à temps ? Honnêtement, cette question stressante me rongeait. Que faire ?

La seule chose que je pouvais faire ce soir était de monter à l'étage et de serrer Bunn dans mes bras, pour que ce moment en vaille la peine. La sécurité de Bunn devrait être ma priorité pour le moment. Ce qu'avait dit le Dr Boonlert était quelque chose de futur.


— Il te laissera le conduire  ?

Bunn se tourna vers moi pendant qu'il lavait la casserole. Aujourd'hui, il était descendu me préparer une casserole de riz frit à l'odeur délicieuse. Je devais admettre que Bunn était un malade qui ne se comportait pas du tout comme tel. Je voulais profiter de l'occasion pour m'occuper de lui, le nettoyer et le nourrir, comme dans les feuilletons télévisés. Mais Bunn faisait tout lui-même et me faisait même la cuisine.

— Oui, je le retrouve à dix heures. Je devrais être de retour vers 13 heures, dis-je avant de sortir mon téléphone portable pour regarder l'heure. Euh, Bunn, je me demandais, quel âge a ton frère ?

Bunn revint s'asseoir à la table à manger.

— Il a trente-six ans cette année.

Je faillis m'étouffer avec mon riz.

— Tu te moques de moi ?

— Pourquoi ? Est-ce qu'il a l'air plus jeune ou plus vieux que ça  ? dit Bunn avant de mettre une cuillère de riz dans sa bouche.

— Il a l'air très jeune. Je pensais qu'il avait quelques années de plus que toi.

— Et c'est aussi un homme hétérosexuel avec une femme et un enfant.

Je laissai échapper un sourire en regardant Bunn, qui plongeait dans son plat et m'ignorait complètement.

— Est-ce que tu me dis de ne pas m'approcher du Dr Boonlert ?

Bunn leva la tête pour poser son regard sur moi.

— Tu te fais des idées ! Je dis ça comme ça, c'est tout.

— Je ne m'approcherai pas de lui. Si je dois draguer quelqu'un, je ne drague qu'une personne à la fois.

Je tendis la main pour essuyer un grain de riz collé au coin de sa bouche, ce qui lui fit marquer une pause.

— Je peux le faire moi-même.

Bunn prit rapidement la serviette pour s'essuyer la bouche. Je ne pouvais pas dire s’il était gêné à cet instant, car il était doué pour cacher ses vrais sentiments. Je voulais le faire rougir franchement, mais je suppose que je devais continuer à essayer. Ce que j'avais compris en revanche, c'est que Bunn changeait toujours de sujet quand je lui faisais ce genre de taquinerie.

— Paul t'a déjà contacté ?

Voilà. Il changeait à nouveau de sujet.

— Non, il ne l'a pas fait. Je l'ai appelé mais il n'a pas répondu. J'ai peur qu'il finisse par devenir un autre cadavre.

— Ce ne serait pas génial  ? gloussa Bunn.

— Il risque d'être un peu difficile à joindre au téléphone. Je suppose que Paul est occupé avec les funérailles. De toute façon, qui va faire l'autopsie de Pert puisque tu es déjà parti ?

— Il devrait être envoyé à l'hôpital de la province voisine, dit Bunn en toussant un peu. Je le regardai avec une pointe d'inquiétude dans les yeux. Il doit s'agir d'une sorte de poison. Je suppose que c'est du cyanure. J'aimerais vraiment appeler mon collègue médecin légiste là-bas et lui demander...

— Tu peux me donner son numéro. Je vais l'appeler pour toi.

— Non, ce serait trop bizarre qu'un type lambda appelle pour demander le résultat de l'autopsie. Tu aurais fait ça à Pert de toute façon  ? soupira Bunn.

— C'est forcément Paul. J'en suis sûr, dis-je en tapant légèrement du poing sur la table. Pert a dû aller voir Paul et a probablement essayé d'exposer sa volonté de te tuer, et ensuite Paul a dû tuer Pert pour le faire taire.

Bunn fronça les sourcils.

— Si c'est le cas, pourquoi a-t-il dû tuer Pert ? Paul aurait pu le faire chanter en le menaçant de le dénoncer à propos de Janejira.

— Tu as raison, dis-je en sentant un mal de tête s'installer. Mais tu ne comprends pas leur niveau suprême de bipolarité. Tout est possible. Qu'est-ce qu'on fait maintenant ?

— Je ne vois rien d'autre que de tuer Paul.

Le regard de Bunn se perdit dans la fenêtre.

— Je n'ai jamais tué personne, mais cette fois, je pense que je peux le faire, dis-je sans hésiter.

Une expression de stupeur se dessina sur le visage de Bunn.

— Comment vas-tu faire ça ? Si tu te fais attraper, c'est un aller simple pour la prison !

— Ne pas se faire prendre, alors...rétorquai-je en lui attrapant la main. Cause inconnue de la mort, cause indétectable, quelque chose qu'on ne peut pas prouver ; ce genre de choses, la personne qui devrait le mieux le savoir et qui est la plus apte à faire ce travail devrait être un médecin légiste, tu ne crois pas ?


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Ven 6 Sep 2024 - 23:30



Chapitre 22
Je fermai le manuel après avoir lu le contenu de la dernière page.

— C'est le dernier jour de notre cours intensif avant l'épreuve des quotas. Si vous avez des questions, profitez-en pour les poser. Si vous ne savez toujours pas ce que vous voulez demander, ou si vous rencontrez des difficultés au cours de vos révisions, envoyez-moi un courriel. Vous trouverez mon adresse mail ici, sur la couverture, dis-je en soulevant le manuel de biologie et montrant le coin inférieur droit.

Une jeune adolescente leva la main. Je lui fis un signe de tête pour lui permettre de poser une question.

— Quel est le sujet de biologie qui figurera dans le test des quotas ?

— Je pense que tous les sujets seront abordés. Cependant, vous devriez vraiment vous concentrer sur la génétique. Une année, de nombreuses questions sur les lois de Mendel sont apparues dans le test... Oui, Karn  ?

Je pointai mon doigt vers l'adolescent, qui avait levé la main après la jeune fille.

— Est-ce que je peux sauter la partie taxonomie, professeur Tann ? Je ne pense pas pouvoir l'étudier à temps. Il y a trop de questions.

— Mémorise le tableau du dernier chapitre, Karn. La plupart des choses que j'ai résumées pour toi devraient être dans le test. Ce ne sera pas long. C'est une question de mémorisation. Les questions ne seront pas très difficiles. Tu devrais étudier ça aussi... Oh, Sorrawit. Tu as des questions ?

J'interpellai le garçon qui avait l'habitude d'égayer l'ambiance de la classe et qui était maintenant tranquillement assis sur son siège. Ces derniers jours, Sorrawit semblait plus léthargique que d'habitude. Je me demandais s'il s'était passé quelque chose. Sorrawit leva les yeux vers moi avant de baisser son regard vers le manuel et de secouer lentement la tête.

— Non, monsieur.

Je regardai Sorrawit avec des yeux pleins d'inquiétude pendant un moment avant de me retourner vers la salle de classe.

— Bon, nous avons terminé pour aujourd'hui. Bonne chance pour l'examen, tout le monde. J'espère que vous serez admis dans l'université et le programme que vous voulez vraiment. J'espère que vous me donnerez tous de bonnes nouvelles.

Après les cours, je m'approchai de Sorrawit, qui était en train de ranger ses manuels dans son sac à dos. Le grand garçon avait le regard dans le vide.

— Sorrawit ! l'appelai-je avant qu'il ne quitte la salle.

Le garçon se retourna pour me regarder avec ses paupières endormies, comme s'il n'avait pas dormi depuis des jours.

— Oui, professeur Tan ?

— Tu vas bien  ? lui demandai-je.

Ce garçon avait toujours étudié avec acharnement pour entrer à l'école de médecine. Pourquoi avait-il l'air épuisé tout d'un coup ?

— Je vais bien, me répondit Sorrawit en levant les mains pour me témoigner son respect, à la manière thaïlandaise. Au revoir, monsieur.

— Oh... hmph, soupirai-je doucement.

Exiger la vérité de Sorrawit ne serait pas une bonne idée pour l'instant. Il s'agissait peut-être de problèmes personnels, de choses qu'il ne pouvait dire à personne.

— Si tu as des questions ou si tu as besoin de mon aide, envoie-moi un e-mail quand tu veux, d'accord ?

—  D'accord , acquiesça Sorrawit avant de tourner les talons et de quitter la salle de classe.

Je retournai au tableau blanc pour effacer les lettres et les gribouillis qui s'y trouvaient. Ce samedi après-midi était notre dernier cours avant que mes élèves ne partent passer le test des quotas dans la célèbre université du Nord. J'aurais du temps libre jusqu'à ce qu'ils aient terminé l'examen, ce qui était une excellente chose. Pendant ce temps, j'allais m'occuper de tout ce chaos pour que Bunn puisse rentrer à Bangkok en toute sécurité.

Retourner à Bangkok, hein...

Je m'appuyai sur le tableau blanc avec lassitude. Une pensée égoïste se glissa dans mon esprit.

Si tout cela ne se termine jamais, Bunn devra rester avec moi, n'est-ce pas ?

Devrais-je rendre la situation plus difficile pour que je puisse passer plus de temps avec lui ?


Mes pensées malveillantes s'interrompirent brusquement lorsque j'entendis frapper à la porte, et que celle-ci s'ouvrit. Je me tournai vers le visiteur - un jeune homme à l'allure corpulente, coiffé d'une houpette et vêtu d'une chemise grise à manches courtes. Je posai mon effaceur et regardai le jeune homme d'un air différent.

À cet instant, je n'étais pas le professeur Tann, mais un fils d'une mafia cruelle et brutale.

— Bonjour, Monsieur.

Le jeune homme me fit un rapide geste de salutation. Je me dirigeai directement vers le garçon, en tendant la main pour verrouiller la porte.

Il m'avait appelé en fin de matinée, disant qu'il voulait me rencontrer après mon cours.

— Qu'est-ce qu'il y a ? Tu as dit que tu voulais parler  ?

L'adolescent balaya la pièce de gauche à droite, comme pour s'assurer qu'il n'y avait personne d'autre. Son nom est Thad, un lycéen du programme de technologie mécanique, le chef des voyous adolescents sous mon contrôle. Thad était le seul de la bande à connaître mon identité en dehors de la mafia. Il y a cinq ans, la mère de Thad devait de l'argent à M. Odd. On m'avait ordonné de récupérer le prêt directement sous son porche d'entrée. Quand j'avais vu les conditions de vie sous leur toit appauvri, j'avais vu le reflet de ma propre vie. J'avais donc essayé de négocier avec M. Odd pour réduire l'intérêt de la mère de Thad. Je l'avais convaincu que le garçon travaillerait pour lui sous ma supervision. Il m'aimait et me respectait énormément, et il m'avait rendu la pareille en créant mon identité effrayante et en m'appelant M. Black.

La dernière tâche que j'avais confiée à Thad et au gang avait consisté à retenir la femme médecin, proche de Bunn, dans sa maison jusqu'à ce que son frère vienne rembourser le prêt de M. Odd. Ce qui avait conduit à faire craquer Bunn et l'avait forcé à falsifier le rapport d'autopsie.

— J'ai parlé à l'oncle Tat ce matin, dit Thad d'une voix basse et rauque. Tout est devenu fou ces derniers temps, M. Black. Pert est mort. M. Odd est tombé gravement malade. Et maintenant, Paul est très en colère parce que quelqu'un a assassiné son frère.

Oncle Tat était l'un des subordonnés de Pert, qui travaillait dans la maison de M. Odd depuis plus de vingt ans. L'homme était très proche de Thad, à tel point que les deux étaient pratiquement de la même famille, car l'oncle Tat était le voisin de Thad depuis toujours. En apprenant la nouvelle, je fronçai les sourcils.

Pourquoi Paul serait-il en colère ?

Ne devrait-il pas être heureux d'avoir réussi à se débarrasser de son frère ?

— Et maintenant ?

— Écoute, maintenant Paul soupçonne que c'est toi qui as fait le coup, mais il n'en a pas encore la preuve, dit Thad à voix basse, en souriant un peu - un sourire empreint de satisfaction. Tu as tué ce pathologiste et tu as éliminé Pert peu de temps après. Tu déchires, mec... ça, c'est notre M. Black !

Il n'y avait pas de quoi pavoiser, et surtout, je n'avais pas tué Pert !

— Je ne l'ai pas fait ! Et je ne sais même pas qui l'a fait !

Une légère déception se dessina sur son visage.

— Mais tu as tué le pathologiste, n'est-ce pas ?

Ma réponse fut le silence.

Thad hocha la tête pour confirmer qu'il avait compris.

— C'est comme si Paul voulait vraiment te faire tomber, M. Black. Il veut te piéger en utilisant le docteur, mais il ne peut pas puisqu'il t'a donné l'ordre de tuer lui-même, cela se retournerait contre lui plus tard. Pour l'instant, il cherche des preuves de la personne responsable de la mort de Pert.

Mes mains tremblaient.

— Pourquoi personne ne semble penser que Pert s'est suicidé ?

— Je ne sais pas. C'est tout ce que m'a dit l'oncle Tat. Je m'inquiétais pour toi. Essaie d'être prudent, M. Black. Fuis maintenant, si tu le peux. Si tu as besoin de quoi que ce soit, tu peux me le dire.

Je ne pouvais pas empêcher mes mains de trembler. Ce n'était pas de la colère que je ressentais à ce moment-là, mais de la peur - la peur qui consumait mon esprit. Je n'avais pas peur de mourir ou d'être en danger. Pas du tout. Un seul mot me venait à l'esprit avant tout le reste.

Maman.

— Thad !

Je fouillai dans ma poche et en sortis une liasse de billets - c'était tout ce que j'avais à ce moment-là. Je déposai l'argent dans la main du garçon en face de moi.

— Je te donnerai plus d'argent plus tard. J'ai besoin de ton aide, inspirai-je profondément sachant que ce garçon m'était fidèle. Je vais te donner une adresse. Sors ma mère de la maison et emmène-la à l'adresse que je te donne. Une fois arrivé à destination, appelle-moi.

La chose suivante que je fis fut d'appeler ma mère. J'eus l'impression qu'une montagne s'était détachée de ma poitrine lorsque j'entendis la voix de ma mère au téléphone. En ce moment, ma mère se trouvait chez sa cousine dans un autre quartier. Je lui dis de se cacher dans la maison du voisin et d'attendre que Thad la fasse sortir. Je ne pouvais pas y aller seul, car j'étais certain que quelqu'un devait me suivre à la trace. Je priais pour que l'un des hommes de Paul n'atteigne pas ma pauvre mère avant Thad.


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Ven 6 Sep 2024 - 23:30



Chapitre 23
Dans la mesure où je devais rester enfermé dans ma chambre jour et nuit, il était indéniable que la seule chose que j'attendais était le retour de Tann.
Une fois rentré à la maison, Tann faisait les cent pas dans la chambre, le téléphone à la main. Cela faisait déjà un moment que je l'observais en silence. Je ne l'avais jamais vu dans un tel état d'anxiété. Cependant, après avoir écouté Tann raconter ce qui s'était passé, je compris pourquoi il agissait de la sorte. Le regard sur son beau visage était vulnérable et tendu par l'angoisse, de grosses perles de sueur s'accumulaient sur son visage. Sa main, qui tenait le téléphone portable, tremblait légèrement en permanence. Je me tournai vers les deux paniers repas que Tann avait achetés et qui n'avaient pas été touchés. Il prétendait avoir perdu l'appétit.

Au fil des jours, la situation devenait de plus en plus tendue pour Tann. Depuis combien de temps ne l’avais-je-je pas vu sourire ?

Le sourire qu'il m'avait donné lors de notre première rencontre me manquait, pensai-je.

Je balayai rapidement les pensées distrayantes de ma tête, essayant de me convaincre que ce que Tann avait fait pendant tout ce temps n'était qu'un mensonge.

— Arrête de marcher et mange d'abord.

— Je n'ai pas faim, répondit l'homme en s'asseyant sur une chaise devant le bureau. Je l'ai appris trop tard, sinon j'aurais agi plus tôt et j'aurais mis ma mère en sécurité, je l'aurais mise dans un avion pour qu'elle se réfugie dans une autre province.

— Et pourquoi tu ne l'as pas fait dès le départ ? Pourquoi l'avoir laissée ici en tant qu'otage après tout ce temps  ?

C'était une question que je me posais depuis longtemps, et Tann se contenta de secouer la tête.

— Maman est heureuse d'être ici. C'est une personne ordinaire qui veut rester dans un environnement familier. D'ailleurs, mon père envoie régulièrement ses hommes rendre visite à ma mère depuis que je suis enfant. Si elle disparaissait soudainement, tout le monde saurait que quelque chose ne va pas. Ils sauraient que j'ai planifié une rébellion et que j'ai essayé de la faire sortir clandestinement. Je ne veux pas risquer sa vie en me cachant et en me faufilant partout, tu vois ? C'est le meilleur moyen de s'assurer qu'elle reste en sécurité. Mais maintenant, tout a changé. Paul va avoir ma tête, dit-il d’une voix tremblante.

Je ne savais pas comment le calmer.

— Appelle pour demander à ta mère si elle a réussi à sortir.

— Je l'ai appelée il y a cinq minutes. Elle se cache toujours chez ses voisins. Thad n'y est pas encore, dit Tann avant de se lever de sa chaise et se remettre à faire les cent pas. Bunn, penses-tu que Thad arrivera à temps ? Les hommes de main de Paul vont-ils l'attraper avant lui ?

—  Tu dois te calmer. Attends que ce gamin revienne vers toi. Qui sait, peut-être que Paul ne…

J'avais à peine fini ma phrase que Tann se dirigea directement vers moi et m'attira dans ses bras. Son énorme silhouette tremblait comme un oisillon sans plumes. Tann m'avait dit un jour qu'il pleurait lorsque la peur de perdre quelqu'un qu'il aimait profondément l'assaillait. Ce moment devait être l'un de ceux où il ressentait une telle émotion. Je levai lentement la main pour lui caresser le dos.

— Ce que tu as demandé tout à l'heure. A propos d'un moyen de tuer quelqu'un sans laisser de traces. En fait, c'est possible.

Tann se détacha de moi, fixant mon visage avec des yeux pleins d'espoir.

— Comment ? Qu'est-ce qu'il faut pour ça ? Je vais le trouver.

— L'administration de potassium par voie intraveineuse peut déclencher un arrêt cardiaque. C'est mortel. Même s'ils font un examen sanguin du cadavre, ils ne trouveront rien parce que le niveau de potassium dans le sang est généralement élevé après la mort, mais…

Je poursuivis avant que Tann n'ait pu dire quoi que ce soit.

— Cela ne paraîtra pas suspect si Paul est hospitalisé d'une manière ou d'une autre et mis sous perfusion comme il se doit. Si nous le piquons imprudemment avec une aiguille en dehors de l'hôpital, ils trouveront probablement des marques d'aiguille sur son corps et cela pourrait éveiller les soupçons.

— Il faut donc l'hospitaliser, n'est-ce pas ?

— Oui, le plus simple est de lui infliger un traumatisme crânien, comme ce que tu m’as fait en fait.

Un éclair de colère surgit dans mon esprit.

Tann marqua une pause. Je vis un regard coupable sur son visage, un regard qui atténua ma colère.

— Je suis d'accord. Faisons-le une fois que ma mère sera en sécurité.

Le téléphone de Tann se mit à sonner. Il le prit rapidement, un air perplexe se dessina sur son visage avant qu'il ne me tende le téléphone portable.

— C'est le Dr Boonlert.

Je pris rapidement l'appel.

— Allô ?

— [Bunn ?]

— Hé, tu es déjà rentré ?

— [Je suis à Bangkok, mais je suis d'abord allé voir l'inspecteur Anuchart. Je lui ai raconté tout ce qui s'est passé.]

— Quoi ? ! m'exclamai-je, ce qui amena Tann à se tourner vers moi nerveusement. Comment peux-tu croire qu'il n'est pas de leur côté ? Tann et moi sommes condamnés s'il y a un informateur qui fait remonter toutes les informations jusqu'ici !

— [Attends ! Calme-toi ! Anuchart est un de mes amis. Nous pouvons lui faire confiance. Il m'a dit de lui envoyer une preuve et qu'il trouverait un moyen de nous aider. Et il informera les hauts responsables pour qu'ils inspectent la police locale là-bas.]

— Quelle preuve  ? demandai-je en fronçant les sourcils.

— Tout ce qui pourrait être utilisé contre Paul, le procureur ou les crimes précédents commis par cette famille. Tann devrait pouvoir les trouver.

Je fixai le visage de Tann, mon cerveau essayant tant bien que mal d'assimiler ce qui venait de se passer. Était-ce une bonne décision de mettre Boon au courant ? Mon frère aimait agir seul, sans rien dire à personne. Heureusement, Boon était intelligent, et ses actions se soldaient rarement par une erreur.

— [Bunn...]

Boon s'adressa à moi après avoir gardé le silence pendant un long moment.

— [Tann ne pourra rien faire à cause de sa mère. Et toi, tu es bien moins en état d'aider qui que ce soit puisque tout le monde te croit mort. Pour l'instant, je suis un outsider. Je peux bouger autant que je veux. Demander de l'aide à la police pour mon frère disparu n'est pas quelque chose d'inhabituel. Laisse-moi t'aider. Et en plus... écoute-moi attentivement.]

— Quoi ? soupirai-je.

— [Peux-tu juste... arrêter de penser que tu es seul dans cette histoire ? N'oublie pas que tu m'as toujours à tes côtés. Si quelque chose arrive, n'oublie pas de me demander de l'aide. Tu sais que quand maman a vu la nouvelle à la télé, elle a regardé ta photo de fin d'études et elle a pleuré ? Et Papa ne peut plus rien manger depuis].

Je restai pétrifié en entendant cela.

— [Il se peut que tu veuilles t'isoler de ta famille et t’en sortir seul. Mais n'oublie pas que tu as toujours ta famille. Alors, fais ce que je te dis, et ça se terminera plus vite.]

Je serrai les poings. D'un ton de baryton profond et féroce, typique des professeurs, la déclaration de mon frère m'avait frappé en plein cœur, comme si mon être avait été secoué.

— Je... je transmettrai ton message à Tann.

— [Bien. Envoie-moi toutes les preuves que tu peux trouver. Plus il y en a, mieux c'est. Mets en évidence tous les délits dans lesquels Tann a été impliqué. J'essaierai de négocier avec la police.]

— D'accord… répondis-je doucement.

— [Hum, prends soin de toi. Je reviendrai aux nouvelles dans la soirée.]

Sur ce, Boon mit fin à l'appel.

Tann me regarda avec des yeux pleins de questions. Je lui répétai ce que m'avait dit Boon, et il prit un air pensif.

— Je pense qu'il est hors de question d'entrer dans la maison de mon père pour récupérer des preuves. Il serait difficile de le faire.

Je me souvins alors de quelque chose.

— La photo ! La photo de mon pseudocide ! Tu l'as envoyée à Paul, n'est-ce pas ?

— Oui, répondit Tann en écarquillant les yeux.

— Et comment as-tu reçu son ordre ? Par message ou par appel téléphonique ?

— Paul m'a ordonné de te tuer par téléphone, mais j'ai envoyé la photo de ton corps via la boîte de messages. Paul a seulement tapé un message, [Photos ?] avant que je ne lui envoie la photo.

Tann me montra l'écran du téléphone. Mon cœur s'emballait.

— Prends une capture d'écran et envoie-la à Boon.

— Mais Paul n'a rien envoyé d'autre. Je ne sais pas si le mot [Photos ?] suffirait à le faire condamner pour ta mort.

— Nous pourrions au moins dire qu'il était au courant, dis-je en pointant du doigt le mot ‘lu’ qui apparaît à côté de la photo. Ou ce serait encore mieux si on arrivait à voler le téléphone de Paul.

Tann se tut comme s'il réfléchissait à quelque chose. Je m'apprêtais à lui parler d'un plan pour mettre fin à la vie de Paul, mais Tann me coupa la parole.

— Et la capture d'écran que Paul a envoyée à Pert ?

Je haussai les sourcils.

— Il serait évident que Paul est impliqué dans ma mort. Ce qui veut dire que nous devons voler son téléphone portable.

Tann secoua la tête, ce qui me surprit encore plus.

— … Bunn, s'il te plaît, ne me crie pas dessus.

— Pourquoi je ferais ça ?

Me cachait-il quelque chose ? Faisait-il encore ce genre de choses ?

Tann fouilla dans sa poche et en sortit quelque chose. Un téléphone portable.

— J'ai essayé d'appeler Pert à plusieurs reprises. Si la police jette un coup d'œil à son téléphone, elle trouvera des tonnes d'appels manqués de ma part, dit Tann en posant le téléphone dans ma paume. C'est le téléphone que j'ai trouvé à côté de son corps. Je l'ai pris avec moi.

Mon cœur faillit s'arrêter, ne sachant pas que Tann avait emporté quelque chose du cadavre.

— Pourquoi ne m'as-tu rien dit jusqu'à présent ? Et... et comment peut-on l'allumer ? Faut-il une empreinte digitale ?

— Il faut entrer le code d'accès. Pert avait l'habitude de m'ordonner de passer des appels téléphoniques pour lui. Il utilisait le même code d'accès sur chacun de ses téléphones, indiqua Tann en montrant le téléphone que je tenais dans ma main. Et celui-ci n'est pas différent. En plus, il y a un message de Paul qui envoie ta photo à Pert.

À ce moment-là, je vis quelque chose défiler devant mes yeux, comme si une lueur venait percer les sombres nuages. C'était quelque chose que j'appelais ‘espoir’.




Je ne savais pas combien de temps s'était écoulé depuis l'appel du Dr Boonlert. Avec l'angoisse, le temps semblait dix fois plus lent.

Comment va ma mère en ce moment ?

Thad l'a-t-il déjà fait sortir ?

Paul sait-il où elle se trouve ?


Ces questions tournaient en boucle dans ma tête depuis dix bonnes minutes. Finalement, je décidai d'appeler à nouveau ma mère, même si le dernier appel remontait à moins de dix minutes.

Maman était toujours chez l'oncle Berm. Thad n'était pas encore arrivé.

Je pressai la touche de fin d'appel et soupirai de soulagement. Je levai les yeux vers Bunn, qui était occupé à faire quelque chose avec le téléphone que Pert lui avait donné et celui que j'avais trouvé à côté du corps de mon frère.

— Les photos, l'historique de Line Chat et le fichier audio de la conversation entre toi et Pert, je les ai tous envoyés à Boon, dit Bunn avant de se lever, l'air pensif. Nous prenons un risque. Même si l'inspecteur est un ami de Boon, je ne veux pas lui faire entièrement confiance.

— Parfois, nous devons prendre quelques risques. On ne peut pas rester éternellement dans la malchance, le rassurai-je, en espérant lui offrir un peu de réconfort.

Cependant, il se contenta de me regarder en silence et ne dit rien de plus. Je me rendis compte que Bunn avait pris le risque de me faire confiance une fois et je me sentis mal à l'aise.

— Si quelque chose se produisait, Boon nous le ferait savoir. Si nous en arrivons là, ta mère et nous devrons faire nos bagages et nous enfuir, dit Bunn en gardant son air sérieux.

Bunn n'était pas du genre à ressasser son passé futile. Il allait toujours de l'avant, ce qui me terrifiait, car parfois je ne savais pas ce qu'il avait en tête.

Je ne savais pas comment les personnes qui entretenaient des relations amoureuses avec lui géraient cette facette de sa personnalité. J'aimerais vraiment me pencher sur la question.

— Espérons que nous n'en arriverons pas là...

Buzz...

Mon téléphone portable vibra, interrompant notre conversation. Je le retournai rapidement. Finalement, je recevais l'appel que j'attendais depuis longtemps. Je répondis d'un seul geste.

— Thad, tu es déjà arrivé ?

— M. Black, murmura Thad, je suis déjà là, mais...

Mon cœur se mit à battre la chamade.

— Mais quoi ?

— Les hommes de Zom sont là aussi. J'ai à peine eu le temps de faire une embardée dans la ruelle. Heureusement que je n'ai pas pris ma moto.

— Quoi  ? m'exclamai-je. Tu veux dire que Zom est arrivé avant toi  ?

Zom était l'un des hommes de main de Paul.

— Oui, ça ne sent pas bon du tout, mec. Paul va sûrement trouver ta mère. Zom et ses hommes entrent et sortent de toutes les maisons du coin.

— Merde ! jurai-je bruyamment, dans un mélange de colère et de désarroi.

Bunn tressaillit légèrement à ma réaction, m'observant avec une expression nerveuse sur le visage.

— Est-ce que tu vois un accès à la maison au toit bleu sur la photo que je t'ai envoyée ?

— C'est bien pire pour cette maison. Il y a peut-être trois ou quatre types qui bloquent la porte, M. Black, me signala Thad. Je n'ai aucune idée de la façon dont ils savent que votre mère est ici. Je n'ai pas pu venir assez vite. Je suis désolé.

Tout mon être tremblait comme une feuille. J'avais à peine la force de répondre, ma vision se brouillait.

— Tu ne te moques pas de moi, n'est-ce pas ?

— Pourquoi diable ferais-je ça ? C'est sérieux, me répondit Thad d'une voix ferme, ce qui était son ton habituel. Je me cache dans ma voiture en ce moment. Si quelque chose change, je t'appelle.

Bunn s'approcha de moi. Ma réaction semblait lui donner une idée de la situation. Le médecin légiste tendit la main et serra mon bras, ce qui eut pour effet d'apaiser temporairement mon tremblement. La main qui tenait le téléphone tomba mollement sur le côté. L'engourdissement se répandit dans tout mon corps comme si on m'avait jeté un seau de glace. Puis, mon téléphone vibra à nouveau - une courte vibration, indiquant que quelqu'un avait envoyé un message. Je rassemblai toutes mes forces pour soulever le téléphone portable.

— [Es-tu dans ta classe en ce moment  ?]

— [Appelle-moi quand tu as fini.]

— [Frère.]

Frère ?

Depuis que nous nous connaissons, jamais Paul ne m'avait appelé ainsi. Je sentais qu'une sorte de moquerie émanait de ce mot. Je recomposai le numéro de Paul et pressai lentement le téléphone contre mon oreille.

Bunn me regarda comme s'il voulait savoir ce qui se passait.

— S'il te plaît, laisse-moi écouter.

Je mis le haut-parleur en marche et la musique ne sonna que deux fois avant que quelqu'un ne réponde à l'appel.

— [Oh, tu es vraiment rapide.]

—  Qu'est-ce que tu veux ?

Ma voix était loin d'être habituelle.

— [Tu as une minute ? Rencontrons-nous.] La voix de Paul débordait de satisfaction. [Je suis venu rendre visite à ta mère. Tu vois, je veux lui annoncer la nouvelle à propos de Pert. J'ai failli la rater parce qu'elle n'est pas chez elle. Mais elle est au courant maintenant. Nous irons à l'enterrement ensemble aujourd'hui.]

Ma colère jaillit comme une explosion.

— Oh, arrête de me traiter avec condescendance. Qu'est-ce que tu veux !!!

— [Pourquoi tu t'énerves ? Il doit bien y avoir une raison...]

— Où est ma mère, putain !  ? hurlai-je dans le téléphone, faisant sursauter Bunn par ma réaction agressive.

Un rire froid retentit dans mes oreilles.

— [Quel est le problème ?]

— Qu'est-ce qu'il va se passer, Paul  ?

Je ne pouvais plus contrôler mes émotions.

— [Rendez-vous à l'entrepôt. Tu demanderas le pardon de Pert pour que son esprit repose en paix. Ensuite, je t'emmènerai à la police. Dis-leur que tu as tué Pert et ce médecin. Ta mère sera en sécurité. Qu'en penses-tu, mon frère  ?]

— JE - NE - L'AI - PAS - TUÉ, dis-je en soulignant chaque syllabe. Laisse ma mère partir maintenant.

— [Ne me fais pas répéter. Sois là à 19 heures précises. Ce n'est pas grave si tu te dégonfles. J'aimerais savoir ce qui se passera si je ne l'amène pas à la dialyse pendant une semaine.]

Et puis l'interlocuteur raccrocha avant même que j'aie pu répondre. Je jetai un coup d'œil à l'heure sur l'écran du téléphone. Il était 17 h 30.

Bunn m'attrapa rapidement les deux bras, nerveux.

— Calme-toi. Réfléchis bien. Maintenant, nous avons l'avantage. Si nous attendons encore un peu...

La voix de Bunn ne pouvait plus m'atteindre. Je dégageai sa main, me dirigeai directement vers le bureau et saisis la clé de ma voiture. Je tournai les talons et pris la direction de la porte. Quelqu'un me saisit le bras gauche, m'arrêtant une fois de plus.

— Tann !

— Lâche-moi, dis-je d'un ton impassible. Je dois aller voir ma mère.

— Comment peux-tu faire ça ? Tu vas mourir.

— Si je n'y vais pas maintenant, alors quand  ? hurlai-je en me retournant vers Bunn qui était abasourdi. Plus de réflexion, plus de planification. C'est une perte de temps ! Je ne sais même pas si elle va bien. Combien de temps veux-tu que j'attende, hein ? Tu prendras la responsabilité si elle meurt  ?

Je retirai mon bras de son emprise, pointant mon doigt vers le lit.

— Tu ne viens pas avec moi. Retourne te coucher et ne bouge pas. Si tu ne m'écoutes pas, je te remets les menottes.

Bunn semblait choqué par mon emportement, il y avait de l'horreur dans son regard, comme s'il avait peur que je le frappe. Il reculait au fur et à mesure que je lui parlais.

— Je ne veux pas que tu partes maintenant. C'est peut-être un piège.

— Je me fiche de savoir si c'est un piège. Mais je sais que ma mère est avec Paul en ce moment. Je dois y aller quoi qu'il arrive.

Je fixai Bunn. Je n'allais pas retomber dans le même piège. Je voyais dans son attitude un acte d'acquiescement, un acte pour me faire baisser ma garde.

— Je sais qu'une fois que je me serai retourné et que j'aurai quitté cette pièce, tu trouveras un moyen de me suivre, n'est-ce pas ?

— Reprends-toi d'abord !

Bun avait l'air en colère. Je secouai la tête. La situation de ma mère était déjà assez grave, et maintenant je devais penser à l'homme dont j'étais profondément amoureux. Je ne pouvais pas laisser quelque chose arriver à l'un ou à l'autre.

— Retourne là-bas, lui ordonnai-je en me dirigeant vers le sac en bandoulière. Son regard me suivit.

— Tu es sérieux ?! se plaignit Bunn en se tenant le poignet.

Lorsque je sortis du sac l'étui en cuir contenant les menottes, je jetai un coup d'œil à Bunn et vis qu'il avait sorti le pistolet, le tenant dans ses mains.

— Bunn... on ne va pas faire ça, dis-je d'une voix froide alors qu'il tenait toujours l'arme dans sa main droite.

Bunn leva la main dans laquelle il tenait l'arme, et au début, je crus qu'il allait me viser avec son arme. Mais l'instant d'après, l'arme vola de sa main vers moi. Je tendis la main vers l'arme du crime. Le feu qui couvait dans ma poitrine fit place à la perplexité. Bunn avait toujours l'air contrarié, mais il parvenait à contrôler sa colère, bien mieux que moi. Son attitude à ce moment-là m'aida à me calmer un peu.

— Prends-le avec toi, dit Bunn en regardant l'arme dans ma main. C'est mieux que rien.

Mes yeux se portèrent sur le revolver argenté dans ma main. Je vérifiai que les balles étaient bien chargées à l'intérieur avant de le mettre dans ma poche.

— Peux-tu me promettre de rester ici, de ne pas me suivre ?

— Seulement si tu me promets de revenir sain et sauf, souffla Bunn, et mon cœur battit plus vite à ses mots. Je ressentis une pointe de culpabilité à l'idée précédente de lui infliger un traitement sévère.

— Je suis désolé. Je n'ai pas... J'avais peur que tu me suives... et que tu sois en danger.

Je levai ma main droite et pris son visage dans ma main.

— Tu restes ici. Ne va nulle part, tu m'entends ?

J'essayais de parler d'une voix douce. Bunn ferma les yeux et hocha lentement la tête en guise de réponse.

— Je reviens vite...

Je m'éloignai précipitamment de Bunn, ouvris la porte d'un coup sec et quittai frénétiquement la pièce. J'avais encore beaucoup de temps devant moi avant l'heure du rendez-vous. J'attendrai Paul dans l'entrepôt. Je n'avais pas de plan sophistiqué en tête pour le moment. Tout ce que je savais pour l'instant, c'est que je ferais tout ce qu'il faut pour que ma mère soit en sécurité.

Et je ferais tout ce qu'il faut pour que le coup de feu tue mon grand frère… de façon permanente.


Il n'était pas rare que le soleil se retire tôt en hiver à l'arrivée du crépuscule. Une fois la chaleur du soleil disparue, l'air froid intervint, faisant pâlir mes mains, surtout celle qui tenait le revolver, qui s'engourdit jusqu'à ce que je ne la sente plus. Je m'assis sur une caisse en bois, observant les alentours - ce vaste espace dans lequel la lumière diminuait de minute en minute.

Avant de venir ici, je m'étais précipité chez le voisin du cousin de ma mère, dans la maison duquel je lui avais dit de se cacher. Le propriétaire de la maison m'avait dit que quelqu'un était venu la chercher en disant qu'ils se rendaient à l'enterrement. Les personnes qui étaient venues la chercher étaient toutes des hommes grands et costauds, et l'un d'entre eux était l'homme que tout le monde connaissait - le fils aîné de M. Odd, Paul.

18 h 50

L'heure du rendez-vous se rapprochait au fur et à mesure que les minutes passaient, mais je ne voyais toujours personne arriver.

Je regardai le sol à l'endroit où le corps de Pert avait été trouvé. Etait-il encore là ? Il devait être le seul à savoir qui lui avait fait ça. Ce serait plus facile si je pouvais communiquer avec lui.

Mes pensées vagabondes s'interrompirent lorsqu'une lumière orange s'infiltra à travers le portail, accompagnée du grincement des roues sur l'asphalte. Je rangeai mon arme dans ma poche et fixai intensément le portail. En quelques secondes, une paire de phares s'alluma devant le véhicule avant qu'un groupe d'hommes ne franchisse la porte de l'entrepôt, avec à sa tête un homme de grande taille vêtu d'une chemise à manches courtes et d'un pantalon noir. Je pouvais voir ses yeux acérés me fixer avec ressentiment à travers la pénombre. L'homme s'arrêta à dix mètres de moi.

— Tu sais, je l'ai dit si souvent à papa, te garder c'est comme nourrir une vipère en son sein. Paul commença par cette phrase. Elle mordra la main qui l'a nourrie. Serpent ingrat. Il n'y a pas de loyauté dans ses os.

— Où est ma mère  ?

J'allai droit au but, ignorant le préambule de mon interlocuteur.

Paul rit et se retourna pour faire un signe de tête à Zom, son homme de main. Zom sortit de l'entrepôt et revint avec une femme grassouillette, vêtue d'un costume blanc. Je me levai, regardant ma pauvre maman avec des yeux inondés de sollicitude. Je vis un pistolet dans la main droite de Zom, le canon était pointé sur son torse.

— Tann ? appela ma mère d'une voix tremblante.

— Oui, maman... répondis-je d'une voix tremblante et me tournant vers Paul avec colère. Qu'est-ce que tu veux ?

— Comme je l'ai dit, va là-bas, dit Paul en désignant le sol où le corps sans vie de Pert avait été trouvé. Implore son pardon, dis-lui que tu seras puni pour le crime que tu as commis. Dis à mon frère que son esprit peut maintenant se reposer. Ensuite, tu viendras au poste de police avec moi. Dis-leur que tu as tué Pert, cette femme et le docteur. Et ne dis jamais mon nom. Si je découvre que tu l'as fait... Eh bien, tu sais ce qui arrivera.

— Très bien, répondis-je sans hésiter. Paul eut l'air surpris. Si tu laisses partir ma mère.

Paul haussa les épaules.

— Je ne pensais pas que ce serait aussi facile. Mais ce n'est pas si grave, on peut en finir rapidement. Allez, vas-y. Qu'est-ce que tu attends ?

Je marchai jusqu'à l'endroit où Pert était mort et regardai la zone impeccablement nettoyée, comme si rien ne s'y était passé. Je restai un long moment à fixer cet endroit.

— Vas-y, fais-le ! Fais-le, prosterne-toi ! Tu dois te prosterner et demander le pardon de mon frère !

Paul était furieux. Sa voix résonna dans tout le bâtiment.

— Savais-tu que… dis-je d’un ton impassible. Ce que Pert a dit avant de mourir  ?

J'entendis ma mère pleurer. Paul serra les poings, ses yeux se plantèrent dans les miens.

— Il a dit que j'avais pris l'homme qu'il aimait, gloussai-je. Pert était tellement en colère de savoir que j'avais assassiné le docteur, son meilleur ami, ou il pourrait être plus que ça...

— Qu'est-ce que tu as dit ?

— Ça m'a fait un choc à moi aussi, tu sais ? Je ne savais pas que Pert était comme moi, qu'il aimait aussi baiser les hommes, dis-je en me tournant vers Paul. J'ai donc dû le tuer avant qu'il ne puisse dire à quelqu'un d'autre que c'était moi qui avais tué le Dr Bunn. C'est le procureur, pour l'amour de Dieu, mais il est assez stupide pour boire le café que je lui ai donné de toute façon. Il a souffert, il a suffoqué en rampant. Et il est mort. Ici même.

Comme si la patience de Paul avait fini par céder, il se rua sur moi et son poing s'abattit sur mon visage. Le coup brouilla ma vision pendant un instant et je titubai sur le côté. J'étais allongé sur le sol, recroquevillé en position fœtale. Je portai ma main à ma tempe. Mon autre main se plaça devant ma cuisse, mes yeux suivant chaque mouvement de Paul.

C'était le moment que j'attendais.

Au moment où Paul fouilla dans sa poche, je portai ma main à l'arme qui se trouvait dans la poche de mon pantalon, prêt à appuyer sur la gâchette.

Puis, le premier coup de feu retentit, détruisant le silence de la nuit.


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amelyma
Ven 6 Sep 2024 - 23:30



Chapitre 24
La première chose que je fis après que Tann eut quitté la pièce fut d'appeler Boon.

— [Euh, quoi de neuf  ?]

Boon répondit rapidement à mon appel.

— Tu as reçu ce que j'ai envoyé ?

— Oui, je l'ai vu. Je suis avec Anuchart en ce moment.

Je l'entendis se tourner vers quelqu'un pour lui dire que j'étais à l'autre bout de la ligne.

— Comment vas-tu ? Il s'est passé quelque chose ?

— Paul a appelé Tann, disant qu'il détenait sa mère. Il l'a forcé à se rendre et à avouer qu'il était un meurtrier.

— [Quoi  ?] s'exclama Boon [C'est devenu incontrôlable. Que fait-il en ce moment ?]

— Il se dirige vers l'entrepôt, l'endroit où nous avons découvert le corps de Pert. Paul veut le voir à 19 heures, m'empressai-je de dire. Peux-tu, s'il te plaît, parler à ton ami et voir s'il peut envoyer quelqu'un pour assurer sa sécurité ? Considérez qu'il s'agit d'un rapport d'enlèvement ou quelque chose comme ça.

Boon resta silencieux. J'entendis des cliquetis sur la ligne, et la voix de mon frère se transforma soudain en un baryton profond qui ne m'était pas familier.

— [Bonjour, c'est Anuchart à l'appareil. J'ai été informé de toute cette situation. Je vais informer les supérieurs et enquêter sur le travail de la police locale.]

— Cela va-t-il prendre beaucoup de temps ? demandai-je d'un ton inquiet. Il va se passer quelque chose à l'entrepôt. Pouvez-vous envoyer vos hommes pour assurer sa sécurité ?

— [Je ne peux rien faire d'autre que d'essayer de contacter mes supérieurs. Ils pourront peut-être obliger la police locale à ne pas ignorer ce qui se passe  ?]

— Dépêchez-vous, s'il vous plaît. C'est une urgence, insistai-je fermement. Votre aide pourrait sauver la vie de nombreux citoyens honnêtes. Merci.

Puis je mis fin à l'appel. Je me tournai vers les deux boîtes à lunch intactes, le cœur au bord des lèvres. Tann allait-il s'en sortir ? Et si quelque chose arrivait et que Tann ne revenait plus partager ses repas avec moi ?

Mon corps tremblait alors je m'entourai de mes bras. Les rafales de vent froid commençaient à passer par la fenêtre et à frapper ma peau.

S'il lui arrivait quelque chose... Je serais profondément dévasté. Mon cœur se briserait en mille morceaux.

Malgré ses mensonges, pourquoi ressentais-je autant d'affection pour cette personne  ?




Bang !

Le rugissement du coup de feu résonna comme le cri de la Mort dans le silence. Le liquide cramoisi s'écoulait lentement de la blessure au milieu de sa poitrine, gouttant sur le sol. Je ne savais pas s'il souffrait ou non, probablement plus choqué que ressentant la douleur. Le temps que l'ischémie cérébrale se produise, il perdrait conscience et mourrait en quelques secondes.

Paul recula de quelques pas avant de s'effondrer sur le sol, un liquide cramoisi s'étalant partout. Il tenait toujours l'arme dans sa main.

J'avais été plus rapide que lui. Je baissai lentement la main qui tenait l'arme.

Maintenant, c'était fini. L'homme dangereux que je craignais était maintenant mort... juste comme ça. Je venais de le tuer, et j'aurais dû le faire depuis longtemps. Maintenant, ma mère et Bunn étaient en sécurité. Et ce qu'il adviendrait de moi après cela, je laisserai la justice suivre son cours.

— Que personne ne bouge et déposez vos armes ! C'est la police !

J'entendis les hommes de main de Pert faire du grabuge. Je me levai, cherchant ma mère. Avant même d'avoir pu voir clairement quoi que ce soit, j'entendis un deuxième coup de feu, puis un troisième. Je vis le corps de Zom tomber au sol, et ma mère était à quatre pattes, rampant un peu plus loin.

— Maman ! l'appelai-je.

Je m'apprêtai à me précipiter vers elle, mais je m'interrompis à cause de toute l'agitation qui régnait dans les lieux. Je plissai les yeux dans l'obscurité et vis un groupe d'hommes armés de fusils entrer dans la maison. Je posai mon arme sur le sol et levai les bras en l'air.

— Ce salaud a riposté, capitaine. Je n'avais pas le choix, se défendit un officier de police.

Il devait faire allusion à Zom, l'homme qui gisait maintenant immobile sur le sol. Il semblait que le deuxième coup de feu venait de Zom et qu'il était destiné à l'officier. Le troisième coup de feu avait été tiré par l'officier parce que, heureusement, ma mère s'était laissée tomber par terre, ce qui lui avait donné le courage d'utiliser son arme.

Je voulais courir à nouveau vers ma mère, mais le cri de l'un des officiers me stoppa dans mon élan.

— Arrêtez-vous là !

Le policier s'approcha de moi. Il était grand et costaud, presque aussi grand que moi. L'homme se posta devant moi avant que son regard ne se porte sur la silhouette ensanglantée de Paul. Un autre policier s'approcha pour inspecter le corps.

— C'est de la légitime défense, monsieur, affirmai-je en levant les deux mains pour montrer ma sincérité.

Mais je ne lui dis pas que j'avais intentionnellement provoqué Paul le premier. En fait, je ne savais même pas comment Pert était mort ni quelles avaient été ses dernières paroles. J'avais juste l'intention de faire en sorte que l'autre homme soit suffisamment énervé pour sortir son arme. Rien de plus. Et comme je fréquentais Paul depuis longtemps, je savais comment l'énerver.

— Cet homme allait me tirer dessus.

— Nous en discuterons au poste de police, M. Tann.

L'officier se tourna vers moi. Je l'avais déjà vu. Il devait être capitaine ou quelque chose comme ça.

— Le docteur Bunnakit est-il vraiment chez vous  ? me demanda-t-il d’une voix calme.

J'écarquillai les yeux, puis je réalisai qu'il n'y avait plus rien à craindre.

— Vous... vous le saviez ?

Un long soupir échappa à sa bouche.

— C'est un soulagement. Je savais que quelque chose n'allait pas depuis le début, avec le rapport d'autopsie et bien d'autres choses.

— Suis-je en état d'arrestation, monsieur ?

— Vous serez accusé d'homicide involontaire. Nous verrons si c'est intentionnel ou si c'est de la légitime défense.

L'officier se tourna vers la scène qui se déroulait derrière lui. Les hommes de Paul avaient reçu l'ordre de s'allonger sur le sol, face contre terre. L'un des officiers essayait de soutenir ma mère.

— Le commissaire a reçu une grosse somme d'argent et un terrain de la part de votre frère. C'est aussi l'associé de votre père. Nous avons reçu l'ordre de fermer les yeux sur cette affaire et de ne pas nous interroger sur la mort de Mlle Janejira. J'ai été chargé de m'occuper de l'affaire du procureur, mais les informations que j'ai obtenues n'ont servi à rien. Il y a peu, nos supérieurs nous ont mis au pied du mur en nous disant qu'ils allaient inspecter notre travail.

On aurait dit que cette personne savait tout ce qui s'était passé.

— S'ils ne vous avaient pas mis la pression, vous ne seriez pas venu, alors ?

— Je n'avais pas le choix, Professeur Tann. Je n'avais pas assez de pouvoir contre lui. Tout ce que je pouvais faire, c'était garder la tête baissée et travailler avec tous ces griefs enfouis au plus profond de ma poitrine, dit-il en me touchant le bras. Continuons cela au poste de police.

— Et le docteur Bunn  ? demandai-je frénétiquement.

— J'enverrai quelqu'un chercher le docteur Bunn chez vous, répondit le policier avant de regarder directement la porte d'entrée, les sourcils froncés par la réflexion. Je suis heureux que ce cercle vicieux ait enfin pris fin. Je suis désolé de vous avoir fait défaut, autrement vous n'auriez pas eu à vous battre tout seul comme ça.

Je ne savais pas comment réagir à ce qu'il venait d'avouer. Je fus escorté hors de l'entrepôt et emmené dans une voiture de police. Je sortis mon téléphone et appelai Bunn.

— Tann ! répondit ce dernier d'une voix paniquée. Tu es blessé ? Qu'est-ce qui s'est passé ?

— Hey Bunn, soufflai-je d'une voix à peine audible. On se voit au commissariat ?


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Ven 6 Sep 2024 - 23:30



Chapitre 25
Je sortis de la salle de réunion du personnel médical avec un sentiment de lourdeur dans la poitrine. Mon regard se porta vers la fenêtre, les bâtiments blancs qui s'entassaient les uns sur les autres étaient devenus un spectacle familier gravé dans ma mémoire, de même que les rafales de vent froid qui frappaient mon visage, l'odeur du Nord et l'accent du dialecte local, qui sonnait étrangement aux oreilles au début, mais auquel je m'étais maintenant habitué. Je me souviendrai de tout ce qui s'est passé ici. J'en ferai le meilleur souvenir de ma vie.

Tout, sauf l'incident le plus récent. À cause de cela, je ne pouvais pas rester ici, en dépit de mon amour pour ce lieu.

J'entrai dans l'ascenseur, observant mon reflet sur les parois en miroir de celui-ci. Je touchai la plaie de mon front, sur laquelle le point de suture avait déjà été enlevé. Comment avais-je pu survivre jusqu'ici ?

Je devrais peut-être remercier une certaine personne de m'avoir sauvé.

L'ascenseur se stoppa et s'ouvrit au troisième étage. Je me déplaçai au fond de l'ascenseur pour laisser de la place au nouvel arrivant.

— Bunn !

La petite voix de la personne qui était entrée dans l'ascenseur m'appela. Je levai la tête, et Fai se tenait là.

— Hey ! Fai, dis-je à l'interne en lui adressant un large sourire.

Fai me regarda silencieusement pendant un moment avant que des larmes ne montent à ses jolis yeux ronds.

— Bunn... vous allez bien ?

— Je vais bien, répondis-je en essayant de parler sur le ton le plus habituel que je pouvais trouver. Je t'ai manqué ?

Les sourcils de Fai se froncèrent.

— Pour quelqu'un qui a vécu une expérience traumatisante, vous avez toujours le sens de l'humour.

— Heh, dis-je en riant et attrapant un mouchoir dans ma poche de poitrine avant de lui tendre.

— C'est bon, dit-elle en essuyant sa larme du revers de la main.

La porte de l'ascenseur s'ouvrit sur le premier étage, ma destination. Fai et moi sortîmes pour nous placer devant l'ascenseur.

— Vous allez revenir au travail, n'est-ce pas ?

Je souris doucement pendant un moment avant que les mots ne sortent.

— Je viens de remettre ma lettre de démission.

Les yeux de Fai s'agrandirent sous l'effet du choc, puis elle regarda le sol d'un air triste.

— Je suppose que vous ne voulez plus être ici ?

— Je n'ai pas démissionné parce que je ne voulais pas rester. Mais ma famille m'a rappelé. Ils ne veulent plus que je vive loin d'eux. Après toutes ces choses terribles qui sont arrivées, je ne veux plus qu'ils s'inquiètent pour moi.

— Je vois, dit Fai en hochant la tête.

— S'il te plaît, ne sois pas triste, dis-je en lui caressant doucement la tête.

— Non, c'est juste que..., répondit-elle avant de prendre une grande inspiration. Je voulais juste vous voir souvent. C'est tout.

J'esquissai un mince sourire.

— Tu m'aimes bien, n'est-ce pas ?

Fai eut l'air surpris avant que son visage pâle ne vire au rouge profond.

— N.. Non. Je ne vous aime pas.

Je pris sa main et la serrai doucement.

— Je vais continuer à travailler ici pendant environ un mois. Pendant ce temps, nous pourrons nous voir plus souvent si tu le souhaites. Et... Je voulais aussi te dire quelque chose.

— Qu'est-ce que c'est  ? demanda Fai en levant les yeux vers moi.

— Il y a quelqu'un qui t'apprécie et qui t'aime beaucoup. Mais il n'est peut-être pas assez courageux pour te le dire maintenant, dis-je avant de lâcher sa main. Mais quand tu as disparu, il t'a cherchée partout. Il t'a attendue aux urgences jusqu'à ce qu'il te trouve, même si ce n'était pas son tour de garde.

Fai eut l'air surprise, comme si elle n'avait jamais rien su de tout cela auparavant.

— Tu peux aller demander aux infirmières de qui il s'agit. Maintenant, si tu veux bien m'excuser, j'ai du travail.

Je me retournai et sortis du bâtiment, laissant Fai se noyer dans un tourbillon silencieux de confusion. J'espérais que Fai se rendrait enfin compte que Boem, le jeune stagiaire, avait le béguin pour elle, et qu'elle laisserait Cupidon faire le reste. Je souhaitais que leur amour s'épanouisse et qu'ils restent heureux ensemble.

La première mission que j'avais l'intention d'accomplir avant de partir d'ici avait été couronnée de succès. Ma prochaine mission était quelque chose qui devait être fait - la vérité que je devais découvrir, sinon ça continuerait à me déranger pour le reste de ma vie et l'esprit de mon meilleur ami ne trouverait jamais la paix dans sa vie après la mort.

Comment Pert était-il mort ?

S'il s'agit d'un meurtre, qui l'a commis ?

À partir de ce jour, l'enquête n'était plus quelque chose qui restait caché dans les coulisses. Chaque élément de preuve en possession de la police, le dossier d'autopsie du médecin de l'hôpital où Pert avait été envoyé, tout cela m'était accessible. Je pouvais vraiment le faire. Je devais savoir qui avait fait ça.






— Au début, Tann et moi pensions que c'était Paul. Nous pensions qu'il avait probablement tué Pert et qu'il allait rejeter la faute sur Tann, expliquai-je tandis que le capitaine Aem regardait le dossier sur son bureau. Cependant, Tann a affirmé que Paul avait l'air en colère après la mort de Pert. Il pensait réellement que c'était Tann qui l'avait fait, autrement dit, il ne voulait pas rejeter la faute sur Tann.

— Tann m'a dit ça aussi, fronça le capitaine Aem. Mais nous ne pouvons pas en être sûrs. Les gens peuvent faire semblant, vous savez. Je pense que c'est Paul qui a fait ça, et maintenant il a eu ce qu'il méritait.

Je secouai la tête.

— Ne tirons pas de conclusions hâtives, Aem. Des progrès avec le défunt procureur ?

— Nous venons de recevoir une nouvelle preuve de votre part : le téléphone que le procureur a utilisé lors de sa disparition, dit le capitaine Aem en joignant les mains. Il s'agit d'un nouveau numéro de téléphone, enregistré sous le nom d'une autre personne. Les relevés téléphoniques montrent que les numéros appelés sont celui de Paul, le vôtre et celui du service de location de voitures.

Je hochai la tête en signe d'acquiescement.

— Et qu'en est-il des autres plateformes de communication ? Chat en ligne, e-mails, ou n'importe lequel de ces messages ?

— Ah oui, dit le capitaine ayant l'air de se souvenir de quelque chose. Il y avait un historique d’appels dans Line Chat.

Le capitaine alluma l'ordinateur portable et tourna l'écran vers moi. L'écran affichait une capture d'écran du téléphone de Pert, révélant un historique de conversation entre deux personnes, qui utilisaient toutes deux des avatars comme images de profil.

[Salut.]

[Salut.]

[Je peux vous appeler ?]

La conversation avait duré environ une demi-heure. Ce n'était pas quelque chose d'inhabituel pour Pert, car j'avais vu une longue liste de belles femmes qui le bombardaient de messages sur sa messagerie. Cette femme, cependant, était différente car elle était la seule à avoir envoyé des messages à Pert pendant sa disparition.

— Son pseudo est 'Wonabee'. Je ne sais pas vraiment comment trouver cette personne, Dr Bunn. Il n'y a pas d'informations permettant de l'identifier, soupira le capitaine Aem. Et vous, qu'en pensez-vous ?

— Une femme ? murmurai-je pour moi-même.

Je ne savais pas si cette personne avait quelque chose à voir avec la mort de Pert, mais je pensais avoir trouvé une pièce maîtresse du puzzle.

— Croyez-moi, c'est Paul, Dr. Bunn, insista à nouveau le capitaine Aem. Ce n'est pas la première fois que je vois des frères et sœurs s'entretuer.

— Et ce n'est pas la première fois que nous faisons une telle erreur, Aem, dis-je en me levant. Je dois y aller.

— Vous avez toujours le sens des mots, Dr. Bunn. Vous allez me manquer quand vous partirez.

Le capitaine Aem se leva et me raccompagna à l'entrée.

— Nous nous verrons probablement souvent, en fait, m’esclaffai-je. Je dois témoigner pour Tann au tribunal.

Le capitaine Aem me regarda.

— Sérieusement, qu'est-ce que vous êtes l'un pour l'autre  ?

Sur ce, il sembla se rendre compte qu'il venait de poser une question déplacée.

— Je ne voulais pas être indiscret ou quoi que ce soit. C'est juste que quand je l'ai interrogé, il a parlé de vous en permanence. Et la raison pour laquelle il vous a mis en sécurité, c'est qu'il... vous aime.

Mes sourcils se froncèrent à tel point que je dus les masser.

— Il a dit ça ?

— J'ai cru avoir mal entendu. Pendant que vous étiez avec lui, il ne s'est rien passé, n'est-ce pas ? Je veux dire... si vous voulez le poursuivre pour harcèlement sexuel, ou quelque chose comme ça, ne soyez pas timide. Vous pouvez me le dire, Doc.

— Il n'y a rien de tel.

Je ne voulais pas regarder le visage du capitaine, car je craignais que mon expression ne trahisse quelque chose.

— Ah... d'accord, dit-il d’une voix sceptique mais il n’insista pas davantage. Comment allez-vous rentrer chez vous ?

Une voiture noire se gara devant l'entrée, ce qui fit hausser les sourcils au capitaine. Heureusement, les vitres de la voiture étaient teintées, ce qui empêchait de voir le conducteur. Mais malheureusement, ce dernier décida de baisser sa vitre et de lever la main pour saluer le capitaine.

— Bonjour, capitaine.

— Ah, professeur Tann.

Le capitaine Aem leva la main pour accepter le salut de Tann, puis son regard se porta sur moi froidement.

— Il n'y a pas de harcèlement parce que c'était consensuel, je présume ?

Ma réaction à ce moment-là dut être remarquable, car elle provoqua un sourire sur les lèvres d'Aem, un homme qui ne souriait que rarement. Je ne pouvais pas faire grand-chose, à part plonger dans la voiture de Tann et me frotter le visage avec les mains.

— Tu vas bien  ? demanda Tann.

— Ce n'est rien. Allons-y.

Je poussai un long soupir exagéré par le nez, évacuant la chaleur de mon visage.

— Qu'est-ce que le capitaine t'a dit pour que tu sois dans cet état  ?

Les yeux de Tann retournèrent à la route et il démarra.

— J'ai dit que ce n'était rien, insistai-je en simulant un ton agacé.

Tann ne dit rien de plus et continua à conduire sans dire un mot. Je me tournai vers Tann, qui était concentré sur la route. La détresse se lisait sur son visage et les cernes sous ses yeux étaient encore plus marqués. Son visage habituellement rasé et nettoyé était maintenant couvert de poils le long de sa mâchoire. Sans doute était-ce dû à la succession de choses horribles qui lui étaient arrivées récemment.

Tann avait récemment été libéré sous caution. Néanmoins, il avait été accusé de nombreux crimes, dont le meurtre de Paul sous prétexte de légitime défense et de malversations criminelles au service de la famille Sawangkul. Il devait également faire face à la presse, qui tentait d'envahir son espace personnel pour l'interviewer en exclusivité. La renommée de Tann s'était transformée en notoriété. En ce moment, il était dans une situation plutôt difficile ; apparemment, il avait besoin de beaucoup d'argent pour le procès, et entre-temps, il ne pourrait pas retourner enseigner.

— Qu'a dit ton avocat ? demandai-je à Tann.

— Il y a encore de l'espoir pour moi, au moins. Je dois prouver que j'ai travaillé pour eux parce qu'on m'a menacé pour la vie de ma mère, soupira Tann doucement. Qu'est-ce que tu veux manger ?

J'avais l'impression qu'il essayait encore de s'occuper de moi, même s'il était épuisé.

— Tann.

—  Hum ?

— J'ai donné ma démission à l'hôpital.

Tann se déporta sur le côté de la route et freina brusquement, ce qui projeta ma tête en avant.

— Tann ! criai-je en me tournant vers lui, dont le visage affichait une expression sombre.

— Tu pars vraiment  ? dit Tann d'une voix triste et regardant ses genoux.

—  Je dois rentrer. Une promesse est une promesse, répondis-je en le regardant, les sourcils froncés. Je croyais qu'on en avait déjà parlé.

— Je veux continuer avec toi, tu sais… dit-il en posant sa main sur ma cuisse. Après tout ce temps, je n'ai jamais pensé à construire une vie avec quelqu'un. Tout le monde est venu et reparti, mais tu es différent. Je pourrais imaginer toute ma vie avec toi.

— Avant d'aller plus loin, dis-je, qu'est-ce qu'on est, là, maintenant ?

— Je ne sais pas... ce que tu ressens pour moi, mais je veux être ton amoureux, quelqu'un sur qui tu peux compter. Je veux être celui qui peut te protéger. Je ferai ce que tu veux, j'irai où tu veux. Je me rachèterai pour ce que j'ai fait. Je veux juste t'avoir à mes côtés.

Tann prit ma main et posa ma paume sur sa joue.

Je regardai Tann, et un vertige soudain se forma dans ma poitrine. Les mots de cet homme me laissèrent sans voix pendant quelques secondes. Je retirai ma main de sa joue et la portai à l'arrière de son crâne, touchant les cheveux qui auraient dû être normalement attachés, mais qui étaient ébouriffés aujourd'hui.

— Ce que je veux, c'est un partenaire de vie, pas un esclave.

Tann avait l'air de vouloir pleurer. Il se pencha et posa son front sur mon épaule.

— Que dois-je faire pour devenir ton partenaire ? Bunn, je t'en prie, dis-le-moi.

J'essayais d'étouffer le sentiment intense qui se dégageait de ma poitrine.

— Pour le moment, la situation n'est pas idéale. Tu dois t'occuper de ton affaire et de ta mère. Je dois retourner à Bangkok. Si j'acceptais de sortir avec toi maintenant, pourrais-tu faire ce que tu veux avec moi ? La distance qui nous sépare et ces problèmes non résolus vont nous stresser. Est-ce qu'ils nous feront nous disputer ou provoqueront d'autres malentendus ? Nous pourrions nous séparer, et le mot "partenaire de vie" ne serait plus qu'un rêve sans espoir.

Tann resta silencieux, pas un seul mot ne sortit de sa bouche, alors je continuai.

— Si tu espères une relation à long terme, ce n'est pas le bon moment pour que je te donne ma réponse.

— Quand est-ce que ça sera le bon moment alors  ?

La voix de Tann était à peine supérieure à un murmure et tremblait.

— Quand tu seras prêt à être mon partenaire de vie, quand tu te seras reconstruit, quand tu seras un homme avec de l'honneur et de la dignité. Quand tu ne seras plus quelqu'un qui a besoin de se prosterner devant moi ou quelqu'un d'autre... quand ce jour viendra, redemande-moi.

— Et ce jour là, m'attendras-tu encore ?

Je fermai les paupières. Je reconnaissais que je désirais tout ce qu'il m'avait dit. J'avais été en colère contre lui, au point de penser que je le quitterais dès que ce serait fini. Mais il s'avérait que j'avais des sentiments pour lui, que je pouvais oublier tout ce qu'il m'avait fait et imaginer ma vie avec lui. C'est pourquoi je devais attendre que tout soit résolu, qu'il se reprenne en main, car si j'acceptais d'être avec lui maintenant, la fin arriverait probablement plus tôt que nous ne le voudrions. L'avenir dont nous rêvions tous les deux pourrait s'effondrer alors qu'il n'avait même pas commencé.

— Oui, répondis-je brièvement, et je sentis comme une lueur d'espoir émaner de l'autre homme.

— Je ne te laisserai pas attendre trop longtemps.

Et ce fut une promesse qui sortit de ses lèvres.






— Une femme  ? murmura Boon pour lui-même. Cela pourrait être quelqu'un qu'il vient de rencontrer. Elle ne savait peut-être pas qui était Pert.

Je fis glisser un bol de porridge fumant devant mon frère. En ce moment, Boon et moi étions en train de dîner dans un magasin de porridge du centre-ville. Boon avait fait tout ce chemin pour me rendre visite et se renseigner sur l'affaire.

— Tu ne trouves pas ça étrange ? Si tu veux disparaître et laisser croire aux autres que tu as été kidnappé, tu ne devrais pas parler aux étrangers.

Boon secoua la tête.

— C'est un coureur de jupons. Peut-être qu'il n'a pas pu s'en empêcher. Arrête de t'en mêler et de te prendre la tête. Commence à emballer tes affaires. Laisse la police faire son travail.

— La police croit que Paul est coupable. Et c'est tout ?

— Peut-être que c'est tout ce qu'il y a, me dit Boon en me regardant à travers ses lunettes. Hé, tu essaies de trouver une excuse pour rester ici ou quelque chose comme ça ?

— Je resterai ici jusqu'à ce que je sache exactement qui a tué Pert. C'est tout. Et ce n'est pas la peine de venir ici et de me surveiller pendant que je fais mes valises. Tu n'as pas de cours ou de dissections ? Sinon, retourne chez toi avec tes enfants.

— Je ne suis pas de garde aujourd'hui. De plus, Baitoei m'a dit de ramener bientôt son oncle Bunn à la maison. Je dois donc suivre les ordres de ma fille, rétorqua Boon en feignant une expression d'ignorance. Tu es libre le week-end ? Allons rendre visite à papa et maman. Ainsi, ils sauront que tu es toujours en vie et en un seul morceau.

— Hum, je le ferai si aucune autopsie ne se présente, dis-je avant de replonger dans le même sujet. Quoi qu'il en soit, je suis certain que Pert ne s'est pas suicidé. Pourquoi quelqu'un qui voudrait se suicider mettrait-il du cyanure dans sa propre tasse à café ? Pour dissimuler quelque chose ? Ça ne colle pas.

Boon semblait en avoir assez de ce sujet, mais le penseur qu'il était ne pouvait s'empêcher de l'analyser lui aussi, j'en étais certain.

— Le rapport d'autopsie indique qu'il est vraiment mort du cyanure, n'est-ce pas ?

— Oui, j'ai appelé mon ami, un pathologiste de l'hôpital provincial. Demain, j'irai là-bas pour voir les notes et les photos de l'autopsie.

— Qui aurait voulu tuer Pert à un moment pareil  ?

Boon fronça les sourcils, pensif. Je me sentais heureux d'avoir un petit malin comme Boon pour m'aider à résoudre ce mystère.

— Ce doit être une femme qui le connaissait, enchaina-t-il. Probablement quelqu'un qui sait tout. Elle connaissait Pert ou même savait que c'était un meurtrier. Cet entrepôt, c'est l'endroit où la famille Sawangkul se réunit en privé, n'est-ce pas ? Seule une poignée de personnes connaîtrait l'emplacement d'un tel lieu. Au fait, quand la conversation que vous avez vue sur la capture d'écran a-t-elle eu lieu ?

— Un jour avant la mort de Pert.

— Si nous supposons que cette femme est responsable de la mort de Pert, il pourrait y avoir une rencontre secrète. Elle aurait pu lui acheter une boisson, mettre du cyanure dans cette tasse… dit Boon avant de secouer à nouveau la tête. Ce ne sont que mes suppositions. N'y vois pas grand-chose.

— Mais c'est une idée très intéressante, en fait.

L'excitation m'envahit.

Boon jeta dans mon bol un peu de riz thaïlandais sauté.

— Arrête de trop réfléchir et mange quelque chose. Et pourquoi n'invites-tu pas Tann à dîner avec nous ?

Je laissai une longue expiration s'échapper de mon nez.

— Je lui ai dit de rentrer chez lui.

— Qu'est-ce qu'il y a entre vous ? Vous êtes vraiment ensemble ou pas  ? demanda Boon en pointant le bout de ses baguettes vers moi. Sérieusement, réponds-moi.

— Occupe-toi de tes affaires.

Ce fut ma seule réponse à sa question.

— Oh ? Pourquoi je ne peux pas savoir ? Je veux dire, ça ne me dérange pas. Si tu es heureux, alors vas-y. Mais si tu ne l'es pas, laisse-le ici, qu'est-ce qu'il y a de si difficile...

— Ce n'est pas que je ne suis pas heureux, dis-je, laissant mon regard se perdre dans la rue. C'est juste que ce n'est pas le bon moment. Nous avons encore des choses à faire tous les deux. Tu vois, je vais attendre que tout rentre dans l'ordre, et ensuite nous pourrons en reparler plus tard.

Boon me regarda, mâchant tranquillement le riz dans sa bouche pendant un moment avant de dire :

— On dirait qu'il t'aime vraiment, tu sais ?

— Arrête de me distraire, tu veux ? On n'était pas en train de parler de Pert, là ?

J'essayai de changer de sujet une fois de plus à cause de la gêne que cela occasionnait. La commissure des lèvres de Boon se releva d'un air entendu. Oh, comme je détestais ce binoclard.


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Ven 6 Sep 2024 - 23:31



Chapitre 26
J'étais assis devant l'ordinateur depuis des heures et je regardais les photos du corps de Pert qui avaient été prises dans la salle d'autopsie. J'examinais minutieusement chacune d'entre elles, passant de l'une à l'autre des notes rédigées par le pathologiste responsable. J'essayais de trouver tout ce que mon ami avait pu oublier, tout ce qui pouvait confirmer la manière dont Pert était mort : décoloration, intrusion crânienne, examen de la poitrine, des poumons, du cœur, de l'abdomen, des bras et des jambes.

Je m'adossai à la chaise, fermant les yeux pour faire une pause. J'étais dans le même hôtel que je réservais toujours. La chambre était calme, un excellent endroit pour commencer à travailler sur quelque chose qui demandait une grande concentration.

Si ce que Boon avait dit était vrai, l'enregistrement de l'appel que nous avions trouvé dans le Line Chat de Pert pourrait signifier une réunion secrète et cette femme pourrait avoir empoisonné Pert.

Qui voudrait tuer Pert à ce moment précis ? Sans aucun doute, toutes les femmes de la planète le feraient volontiers si elles savaient à quel point il était un coureur de jupons. Néanmoins, cela ne devrait pas pousser à tuer quelqu'un comme ça, à moins que Pert n'ait pas eu de chance et se soit trouvé une femme psychotique, qui voulait le garder pour elle toute seule.

En parlant de femme psychotique, mon esprit dériva vers Janejira, une femme triste et pitoyable, qui fut brutalement assassinée et pendue dans sa propre salle de bain. Soudain, le jour où j'avais procédé à l'autopsie de la scène de crime refit surface dans mon esprit. C'était le premier jour où j'avais rencontré Tann. Sa grande silhouette se détachait de la foule. Son visage et son regard montraient peu d'émotions, ce qui m'avait amené à le soupçonner d'être impliqué dans la mort de Jane, contrairement à la sœur de Janejira, qui pleurait à chaudes larmes au point de s'évanouir sur place.

En pensant à cela, ce fut comme si j'entendais quelque chose se briser dans ma tête. Je me redressai soudain sur mon siège, les yeux écarquillés. Je regardai les photos post-mortem de Pert sur l'écran. Si une femme voulait que Pert meure à cause de ce qu'il avait fait, c'était bien elle. Je sortis mon téléphone portable immédiatement après que cette pensée ait surgi dans mon esprit. Qui devais-je appeler ? Boon, le capitaine Aem ou Tann  ?

La personne qui devrait probablement connaître la sœur de Jane devrait être Tann.

Je devrais appeler Tann. Il n'y avait pas d'autres choix évidents.

Ce n'était pas qu'il me manquait, ou que je voulais entendre sa voix ou quoi que ce soit de ce genre.

— [Oui, Bunn ?], répondit Tann.

— Tann, as-tu le numéro de la sœur de Janejira ?

— [Je crois... Je l'ai. Pourquoi en as-tu besoin ?]

— Voilà le truc, répondis-je en dirigeant ma bouche vers le téléphone. Est-il possible que cette femme soit la sœur de Janejira ?

— [Huh ?], répondit Tann avec surprise. [Quelle femme ?]

— Pendant la disparition de Pert, une femme a été en contact avec lui. Un jour avant sa mort. Malheureusement, il s'agissait d'un appel entre eux, alors je ne connais pas les détails de leur conversation. Cependant, il est étrange qu'il ait parlé à une inconnue alors qu'il essayait de faire croire qu'il avait été kidnappé.

— [Ah...]

Je réalisai que la voix de Tann semblait ne pas être complètement réveillée, alors je jetai un coup d'œil à l'horloge sur l'écran de mon ordinateur - 02h18.

— Merde…, m'exclamai-je doucement. Désolé de t'avoir réveillé.

— [C'est pas grave.]

J'entendis Tann se rouler sur son lit.

— [J'ai du mal à dormir ces derniers temps, alors... Tu disais ? Pert a parlé à une femme pendant sa disparition ?]

— Oui, cette femme pourrait être la sœur de Jane. Peut-être qu'elle a découvert que Pert avait tué sa sœur, et qu'elle a appris qu'il essayait de s'échapper, alors elle s'est approchée de lui et l'a tué.

— [C'est impossible, la sœur de Jane et Pert se connaissaient déjà.] dit-il, coupant court à mon raisonnement. [S'ils se sont vraiment vus, alors la sœur de Jane devait être au courant du plan de Pert pour faire profil bas, à moins que Pert ne sache pas que la femme à qui il parlait était la sœur de Jane. Ils ont tous les deux utilisé des identifiants Avatar, n'est-ce pas ?]

— Hmph, c'est bizarre, dis-je en me frottant le menton d'un air pensif. Bon, d'abord, je dois trouver un moyen de contacter la sœur de Janejira. Si je pouvais lui parler, je pourrais peut-être trouver quelque chose.

— [Je t'enverrai le numéro, mais...] commença Tann avant de marquer un temps d'arrêt. [Tu te mets encore en danger, Bunn ?]

Je fronçai les sourcils.

— Hé, cette fois c'est différent.

— [Je sais que c'est différent. Mais tout peut arriver. Si tu frappes les yeux du taureau, tu pourrais être à nouveau en danger,] dit Tann, la voix teintée d'inquiétude.

— Tu ne veux pas savoir qui a tué Pert  ?

Je me sentais un peu contrarié maintenant. Pourquoi tout le monde était contre l'idée que je poursuive mon enquête sur l'affaire Pert, même Tann, qui aurait dû se ranger de mon côté ?

— [Ce n'est pas que je ne veuille pas savoir. Mais le savoir ne change rien. Comme ces médecins aiment à le dire : obtenir cette information ne change rien à la prise en charge. Les morts restent morts, et tu t'exposes à des risques. Je ne veux pas que tu sois impliqué avec d'autres tueurs.]

— Tu veux que je laisse passer ça ? soupirai-je

— [Le feras-tu ? Si je te le demande  ?] demanda Tann.

— Non, répondis-je, sans perdre une seconde.

Tann se força à rire.

— [Je sais que je n'ai pas pu t'empêcher de faire ce que tu voulais. Je suppose que je ne peux que m'asseoir et m'inquiéter de te voir comme ça].

Je passai ma main sur mon visage et coupai court à la conversation.

— Envoie-moi juste le numéro. Je ferai ce que je veux avec. Et... retourne dormir. Désolé de t'avoir dérangé.

— [Je te l'enverrai, mais est-ce que je peux avoir un 'bonne nuit' comme récompense ?]

Qu'est-ce qu'il a ?

Était-ce une bonne décision de l'appeler ?


Je pris une grande inspiration et expirai lentement pour me calmer.

— Bonne nuit.

— [Bonne nuit à toi aussi.]

Puis il mit fin à l'appel. Je posai le téléphone face contre la table. Ma main revint sur mon visage pour la deuxième fois. Je me réprimandai mentalement pour avoir eu l'audace d'appeler quelqu'un à deux heures du matin à cause de mon excitation à peine contenue. J'aurais dû appeler Boon et écouter ses plaintes ; c'était mieux que de devoir supporter les mots doux du petit voyou avant d'aller se coucher.

Néanmoins, un sourire s'échappait de mes lèvres à chaque fois que j'entendais les mots doux de Tann.




La première chose que je vis en entrant dans la salle d'examen médico-légal fut un sac de Khao Tom Mud - le plus énorme que j'aie jamais vu, pour être exact, ainsi que des snacks et de la nourriture thaïlandaise locale qui s'alignaient sur mon bureau. Je restai là, stupéfait, tandis que les infirmières des urgences accouraient, Tik, l'infirmière en chef en tête, qui était comme ma tante bien-aimée. Elle me serra fort dans ses bras dès qu'elle me vit entrer dans la pièce.

— Oh, merci mon Dieu. Dieu merci, vous êtes revenu sain et sauf, docteur.

Elle recula, levant les mains pour ajuster le col de ma chemise.

— Comment allez-vous ? Vous n'êtes blessé nulle part, n'est-ce pas ?

— Je vais bien.

Je levai la tête pour regarder les autres infirmières et rencontrai accidentellement les yeux de Kai, l'infirmière qui était mon ex-petite amie.

Nous avions fait de notre mieux pour nous éviter depuis notre rupture l'année dernière. Cependant, cette fois-ci, elle se tenait devant moi, le soulagement était évident sur son visage une fois qu'elle avait constaté que j'étais en sécurité et en bonne santé. J'envoyai un léger sourire à Kai, au moins nous avions de bons souvenirs ensemble.

— Dr Bunn, venez manger. Nous avons préparé ces plats pour vous souhaiter la bienvenue. Mangez à votre faim. Ensuite, vous pourrez vous remettre au travail.

Tik me tira par le bras jusqu'à la chaise. Je regardai le sac de Khao Tom Mud avec méfiance.

— Ce paquet de Khao Tom Mud semble terriblement familier, vous ne trouvez pas ?

— C'est le garçon Sorrawit, docteur. Il les a laissés pour vous ce matin, dit Tik en me tendant les couverts. Vous n'avez pas idée de la peur que nous avons eue lorsque vous avez disparu. Je ne pouvais pas travailler. Je ne pouvais que prier pour que vous nous reveniez sains et saufs.

Je regardai le sac de Khao Tom Mud et pensai au garçon qui l'avait apporté ici. Un garçon grand et élancé, à la personnalité charmante. S'il pouvait encore m'en apporter, c'est qu'il allait probablement bien et qu'il était heureux.

— Les amis, je ne peux pas les manger tout seul. Vous pouvez vous joindre à moi.

Suthat, l'infirmier, tendit la main pour prendre quelques Khao Tom Mud dans le sac.

— Ouais, en parlant de ce garçon, dit-il, il n'est pas venu seul ce matin. Il était accompagné d'un étudiant de l'école de commerce sur sa moto...

— Eh bien, qu'est-ce que tu en sais ? Notre médecin s'est fait larguer, dit une autre infirmière d'un ton taquin.

— C'est pourquoi il a apporté cet énorme sac de bonbons pour réconforter mon cœur brisé, dis-je en jouant le jeu.

L'atmosphère qui régnait dans cette petite salle d'examen débordait de bavardages énergiques et joyeux. Je me sentais si heureux d'être avec mes charmants collègues. Je ne savais pas si je trouverais un jour une atmosphère aussi amicale sur mon nouveau lieu de travail. Boon me ferait travailler comme professeur de médecine à l'université. J'imaginais que tout devait être complètement différent.

Avant que tout le monde ne reparte vers ses tâches respectives, je pris un selfie eux, gardant la photo comme l'un des nombreux bons souvenirs de ma vie.




Il n'était pas surprenant que les gens continuent d'affluer dans l'un des rares centres commerciaux de la province. Assis dans l'un des restaurants situés au sous-sol du centre commercial, je regardais les gens passer. Les gens d'ici étaient différents de ceux de Bangkok ; personne ne se souciait du fait que vous vous habilliez de manière inappropriée lorsque vous alliez au centre commercial. Chacun d'entre eux portait des vêtements décontractés, certains étaient vêtus de Phasin, d'autres portaient des vêtements d'intérieur. Certains portaient même les costumes des tribus des collines du nord de la Thaïlande. Je ne voulais même pas penser que je devais retourner vivre parmi des hommes et des femmes qui s'habillaient audacieusement et portaient du maquillage sombre.

Le bruit de talons hauts tapant sur le sol détourna mon attention de la foule. Une jeune femme s'avança vers moi. Elle portait une simple robe blanche qui lui arrivait aux genoux et son visage était légèrement maquillé. Je me redressai par politesse.

— Vous êtes Mlle Rungthiwa ? demandai-je.

La jeune femme hocha la tête. Je remarquai qu'elle refusait de croiser mon regard.

— Commandons le repas, voulez-vous ?

— Je n'ai pas vraiment faim, en fait, me dit-elle en s'asseyant sur la chaise en face de moi. Vous voulez me parler, docteur ? J'ai un cours cet après-midi. Je n'ai pas beaucoup de temps.

Elle leva son poignet pour regarder sa montre, comme si elle voulait m'inciter à me mettre au travail.

Je regardai la femme en face de moi. Elle s'appelle Rungthiwa, la sœur biologique de Janejira. Je l'avais appelée avec le numéro que Tann m'avait donné, en disant que j'étais le légiste responsable de l'autopsie de Janejira et que j'étais ici pour discuter de quelque chose avec elle. La femme avait d'abord refusé, disant que si je voulais parler, nous pourrions le faire au téléphone. Mais j'avais insisté pour la rencontrer en personne, car je voulais la tenir au courant des progrès que j'avais accomplis.

C'était étrange. On aurait dit que Rungthiwa ne voulait pas vraiment entendre ce que j'avais à dire sur la mort de sa sœur.

— Je ne vais pas tourner autour du pot, alors, dis-je en posant les mains sur la table. Janejira, votre sœur, a été assassinée. Le saviez-vous ?

— Quoi  ? s’exclama-t-elle en écarquillant les yeux.

— J'ai su dès que j'ai mis les pieds dans cette pièce que la mort de Janejira était une scène de suicide fabriquée de toutes pièces. Mais j'ai été menacé par les hommes du procureur pour qu'ils déclarent qu'il s'agissait d'un suicide. C'est pour cela que j'ai été enlevé il y a quelque temps, lançais-je à Rungthiwa en la fixant d'un regard pénétrant. Pendant la disparition de Pert, avez-vous eu des contacts avec lui ?

— Des contacts... comment exactement  ? demanda-t-elle en fronçant les sourcils. Mais Pert est mort ?

— Mais il était vivant pendant son absence.

— Pourquoi pensez-vous que je l'ai contacté pendant cette période  ? dit-elle en regardant à nouveau sa montre et se levant. Je dois partir maintenant.

Pendant une fraction de seconde, je voulus vraiment me transformer en psychiatre. J'aurais été plus doué pour prendre les gens en flagrant délit de mensonge si je n'avais pas dormi pendant le cours durant mon stage au service de psychiatrie. Mais il y avait une chose qui n'avait pas échappé à mon attention : elle ne semblait pas si choquée que ça d'apprendre que sa sœur avait été assassinée.

— Attendez, Mlle Rungthiwa...

Elle s'arrêta net et se tourna vers moi.

— Oui ?

— Je crois que votre téléphone sonne.

Je désignai son sac à main d'un geste.

— Oh... merci, dit-elle en se penchant pour ouvrir son sac et fouillant dedans à la recherche de son portable. Je vous prie de m'excuser. Si vous avez le temps, nous reprendrons cela plus tard. A… à propos de Jane, je contacterai moi-même la police.

Rungthiwa se retourna et s'éloigna en regardant l'écran de son téléphone portable. Soudain, elle se stoppa net et se tourna lentement vers moi avec un visage paniqué. Je me levai de ma chaise et observai sa réaction. Le coin de ma lèvre se retroussa victorieusement. Dans un mouvement rapide, Rungthiwa fit demi-tour et s'apprêta à quitter le restaurant, mais un homme de grande taille assis à côté de ma table se leva et lui barra la route. L'homme enleva ses lunettes de soleil aux verres marron clair et tenait dans sa main un smartphone blanc - celui qui appartenait à Pert.

— Je suis un officier de police, déclara le capitaine Aem à Rungthiwa d'une voix grave. Veuillez me remettre votre téléphone.

Dans un monde où la technologie a énormément progressé, il est difficile pour tout le monde de suivre le rythme. Il faut être extrêmement prudent lorsqu'on communique avec quelqu'un, car cela peut se retourner contre soi et être considéré comme une terrible erreur. Pour être honnête, je ne savais pas si Rungthiwa avait encore le compte Line ID qu'elle utilisait pour communiquer avec Pert sur son téléphone, ou si elle avait déjà bloqué le compte de Pert, mais le jeu en valait la chandelle. J'avais donc demandé au capitaine Aem d'appeler ce mystérieux compte depuis le téléphone de Pert. Si nous avions de la chance, le téléphone de Rungthiwa sonnerait, mais si ce plan échouait, j'essaierais d'autres moyens.

Je ne savais pas de quelle manière Mlle Rungthiwa avait été impliquée avec Pert, ni si elle était liée à la mort de Jane. Mais au moins, je savais qu'elle avait menti sur le fait qu'elle lui avait parlé. Je supposais que je devais laisser à la police le soin de mener une enquête plus approfondie. J'appellerai Aem pour en reparler demain.

Morale de cette histoire : si vous voulez contacter un mourant sans que personne ne le sache, n'oubliez pas de supprimer et de bloquer le compte de la personne à qui vous parlez.




— [Rungthiwa a avoué avoir mis du cyanure dans le café de Pert.]

— Bon travail, Aem, dis-je au téléphone tandis que mon autre main continuait de rédiger un rapport sur le cadavre que je venais d'autopsier.

Il s'agissait d'une patiente de 85 ans décédée de causes inconnues dans sa chambre. Lorsque j'avais ouvert son crâne, j'avais trouvé un grand volume de sang qui s'était détaché des artères cérébrales. Aucun signe n'indiquait qu'elle avait été frappée à la tête et, compte tenu de son âge et de ses pathologies préexistantes, la nature de son décès a été classée comme cause naturelle.

— Mais pourquoi l'a-t-elle empoisonné ? Elle savait que Pert n'avait pas été kidnappé comme le disaient les journaux ?

— [Il s'avère que ces deux-là ont collaboré pour dissimuler la cause réelle de la mort de Janejira.]

Ma main s'arrêta aux mots du capitaine Aem.

— Qu'avez-vous dit ?

— [Voici ce qu'elle m'a dit : la nuit du 10 décembre, elle est allée voir Janejira dans sa chambre à 19 h. Elle a essayé de frapper à la porte pendant une longue période, mais personne n'est venu répondre. Elle a donc utilisé un double de la clé pour l'ouvrir. Une fois à l'intérieur, elle a vu Pert qui essayait de suspendre le corps de Jane. Elle a essayé de demander de l'aide, mais Pert l'a menacée. Il l'a ensuite menacée de la tuer, elle et sa famille, si elle en parlait à qui que ce soit. Par conséquent, Mlle Rungthiwa a gardé le secret et a refusé de nous dire ce qui s'est passé...]

Le capitaine fit une pause au milieu de sa phrase après que j'eus éclaté de rire.

— Je suis désolé, Aem. Je suis désolé, Aem. Je vous écoute.

— [Elle ne savait pas quoi faire, alors elle est rentrée chez elle et a attendu que Tann trouve le corps. Ensuite, nous avons informé Mlle Rungthiwa au sujet de sa sœur. Elle est venue sur les lieux du crime et a pleuré en voyant le corps de Janejira. Elle avait peur de nous dire que c'était Pert, car elle craignait pour sa vie. Lorsqu'elle a appris que Pert avait disparu, elle s'est renseignée sur l'endroit où il s'était enfui et a demandé à une autre femme de le contacter. Elle a appelé Pert et lui a dit qu'elle voulait le voir, le menaçant de le dénoncer à propos de Jane s'il ne venait pas. Pert lui a donné rendez-vous à l'entrepôt, et Mlle Rungthiwa a empoisonné le café qu'elle lui a offert. Tout cela parce qu'elle craignait qu'il ne la tue.]

— C'est une sacrée histoire, dis-je en secouant la tête.

— [Qu'en pensez-vous, Doc ?]

— Imaginez un rendez-vous où votre vie est en jeu. Je veux dire, je ne pense pas que je serais d'humeur à lui offrir un café. Et si j'étais Pert, je n'oserais pas non plus boire ce qu'elle a apporté. Et puis, Aem…

Je posai le stylo sur la table et me tournai vers Anun, qui était en train de recoudre le crâne de la défunte.

— [Huh ?]

— Mlle Rungthiwa a affirmé qu'elle était allée voir Janejira à 19 heures et qu'elle avait constaté qu'elle était morte, dis-je avant de faire une pause de quelques secondes, mais l'heure de la mort remontait de 8 à 12 heures, ce qui veut dire que Janejira a dû mourir après minuit.

Le capitaine s'esclaffa.

— [Elle ne sait peut-être pas que le légiste peut estimer l'heure de la mort. Quelle que soit la vérité, elle ne nous sera peut-être pas dévoilée de sitôt. Mais apparemment, quelqu'un doit mentir. De plus, j'ai trouvé des photos de Pert et de Rungthiwa sur le téléphone. Il doit y avoir quelque chose de plus que ce que nous pensions.]

Je me sentais très mal à l'aise avec ceux qui n'avaient aucun contrôle sur leurs pulsions sexuelles, comme Pert. Ils finissaient par mourir aux dépens de leur désir lubrique.

— Tenez-moi au courant, Aem.

— [Bien sûr. Mais quand partez-vous ?]

— Vers la mi-janvier. J'attends que l'hôpital trouve mon remplaçant. Nous avons une candidate, le saviez-vous ? Une femme pathologiste, si je puis me permettre.

Je taquinai le capitaine, sachant qu'il aimait reluquer les jolies filles en cachette. C'était la seule chose qu'il pouvait faire, regarder, puisque le capitaine avait déjà une femme.

— [Ah ! répondit le capitaine. Mais travaillera-t-elle aussi bien que vous ?]

— Vous vous inquiétez de mon travail ? Je parie que vous souriez comme un imbécile maintenant que vous savez que mon remplaçant sera une femme.

Je devais me venger de ce qu'Aem m'avait fait, car il me taquinait constamment à propos de Tann.

Le capitaine se racla la gorge.

— [Oui, j'ai une source interne qui dit que le Commissaire pourrait être transféré ailleurs. Je suppose qu'il y aura une réorganisation majeure de la police locale. En fait, je suis terrifié, même si je n'ai pas été très impliqué dans cette affaire.]

— Faites de votre mieux pour l'instant, Aem.

Le capitaine et moi échangeâmes quelques minutes avant de raccrocher. Je fis glisser la paperasse empilée sur mon bureau dans les dossiers. J'avais l'impression qu'on m'avait enlevé un énorme poids de la poitrine. Je savais enfin qui avait tué mon ami. Je voulais lui faire savoir qu'il n'y avait plus rien à craindre. Tu peux reposer en paix maintenant, Pert. J'espère que tu redeviendras beau dans une autre vie. Sois plus fidèle à ta petite amie et n'enlève plus la vie à personne. Sinon, tu iras te faire enterrer prématurément.

Mon souffle se bloqua dans ma gorge en pensant à son visage. J'inspirai profondément et expirai lentement avant de me retourner pour dire au revoir à Anun et de sortir de la salle d'autopsie. Une fois dehors, je trouvai Tann adossé au poteau devant le bâtiment, qui m'attendait. Je m'arrêtai, regardant l'homme qui s'était pointé sans prévenir. Tann se retourna pour me voir et s'approcha directement de moi.

—  Fin de service ?

—  Ouais, dis-je en levant les yeux vers lui. Pourquoi t’es là ? Pourquoi tu n'as pas appelé avant ?

— Je l'ai fait, mais ta ligne était occupée. J'ai demandé au personnel ici qui m'a dit que tu étais encore à l'intérieur, alors j'ai attendu.

— Oh…

Il avait dû appeler quand j'étais au téléphone avec le capitaine.

— Que fais-tu ici  ?

— Je veux t'emmener dans la rue piétonne. C'est vendredi soir, me répondit-il en me tendant la main. S'il te plaît, viens avec moi. Nous n'y sommes jamais allés.

Je restai immobile pendant quelques secondes. En y réfléchissant, Tann et moi n'étions jamais sortis ensemble comme ça. Depuis que j'avais emménagé ici, je n'étais allé dans la rue piétonne que deux ou trois fois, et une fois, j'y étais allé avec mon ex-copine, Kai.

— Bien sûr. Ça me plait bien. Cela fait longtemps que je n'y suis pas allé.

Tann sourit faiblement.

— On prend ma voiture, alors. Je te ramènerai chez toi sur le chemin du retour.




L'idée d'interdire toute circulation automobile la nuit afin de réaménager les rues pour y installer des magasins d'alimentation et des commerces de détail est devenue très populaire dans de nombreuses provinces du pays. J'aimais ce genre d'atmosphère, voir un groupe diversifié de personnes venir dépenser leur argent, voir les marchands disposer d'un espace décent pour gagner leur vie. Je pouvais voir des produits avec un soupçon de civilisation locale et des orchestres de rue locaux qui créaient une ambiance musicale pour rendre la rue piétonne encore plus attrayante. Tann et moi nous arrêtâmes devant l'un des stands de nourriture qui vendait un plat appétissant, l'omelette aux huîtres.

— Deux omelettes aux huîtres, s'il vous plaît, commanda Tann, sans perdre une seconde.

Ses deux bras portaient de nombreux sacs de nourriture et il n'y avait presque plus de place pour un autre sac.

— Donne-moi ça, je vais t'aider.

J'essayai de prendre quelques sacs à Tann pour la troisième fois maintenant, mais il s'entêta à tous les porter lui-même.

— Ton seul travail est de manger, me dit Tann en tournant sur lui-même, évitant que je ne prenne les sacs.

Je soupirai d'agacement. Les bras croisés sur la poitrine, je regardais l'omelette aux huîtres dans la poêle, qui commençait à devenir croustillante et jaunâtre, et dont l'odeur délicieuse flottait dans l'air.

— Mon ventre va exploser si je mange tout ça, dis-je en jetant un coup d'œil à la nourriture que nous avions achetée tous les deux aveuglément.

— Eh bien, ça ne me dérange pas, déclara l'homme d'un mètre quatre-vingt-dix et dont je supposais que son estomac devait être aussi grand que sa taille. Si tu manges trop et que tu ne peux plus marcher, je te porterai jusqu'à la maison.

— Hé, je suis une personne, pas un python ; je peux encore bouger après avoir mangé. C'est bon pour moi. Trouvons un endroit où nous asseoir et manger.

Je payai les omelettes aux huîtres avant que Tann ne le fasse et pris le sac.

Tann m'emmena dans le parc qui borde le canal, non loin de la rue piétonne. Nous nous assîmes sur l'herbe au bord du canal, éclairés par la lumière. Tann me tendit un sachet de boulettes de viande frites bon marché. Je piquai une boulette à l'aide d'un bâtonnet et la portai à ma bouche. Le goût n'était pas différent de celui des boulettes vendues sur le bord de la route, mais pour une raison inconnue, celle-ci était bien plus savoureuse. Je jetai un coup d'œil à la surface de l'eau qui reflétait la pleine lune. Une brise légère et fraîche me donnait froid, mais c'était tolérable.

— Bunn, dit Tann, brisant le silence. Tu pars aujourd'hui. Je peux t'emmener à l'aéroport ?

— D'accord.

Je tournai la tête vers Tann, qui était assis, les jambes recroquevillées, le regard perdu au loin.

— Tu es stressé en ce moment ?

Tann se tourna pour me regarder d'un air perplexe.

— Qu'est-ce que tu veux dire ?

— À propos de l'affaire. De ce que tu as vécu ces derniers temps. Tu peux gérer ça ?

Tann réfléchit.

— Bien sûr, je suis stressé. Dans ce genre de situation, n'importe qui le serait.

Je piquai une boulette de viande avec le bâton et l'approchai de la bouche de Tann.

— Alors, mange.

Tann éclata de rire.

— De quelle humeur es-tu ?

Je ne connaissais même pas la réponse à cette question. Tout ce que je savais, c'était que je voulais rendre cet homme plus heureux qu'il ne l'était en ce moment.

— Hé, tu en veux ou pas ?

— Oui, j'en veux.

Tann se pencha et prit une boulette de viande sur le bâton. L'atmosphère morose qui régnait autour de Tann semblait s'être atténuée.

Nous mangions et parlions de choses insignifiantes. Je remarquais que Tann s'efforçait de ne pas évoquer l'affaire. Il en avait probablement assez de toutes ces choses. Je le regardais pendant qu'il me racontait l'histoire du temple situé non loin du parc.

Que pouvais-je faire pour qu'il soit plus heureux  ?

Tout sauf lui donner la relation stable qu'il recherchait, même si ce n'était qu'une consolation temporaire, c'était probablement mieux que rien du tout.

— Je peux rester chez toi ce soir ? demandai-je soudainement, interrompant le cours académique de Tann sur l'histoire des temples anciens.

Il s'arrêta et se tourna vers moi, abasourdi.

— Tu es bizarre aujourd'hui. Je crois que tu es malade.

— Le chauffe-eau de ma maison est en panne.

— Mais tu peux prendre une douche froide.

— Eh bien, il fait trop froid aujourd'hui  ?

J'attrapai le sachet de l'omelette aux huîtres et m'y plongeai pour éviter de poursuivre la conversation. Puis j'entendis Tann soupirer.

— Qu'est-ce que je dois faire avec toi  ?

Il avait l'air fatigué sur le plan émotionnel, et il avait l'air contrarié.

— Quand j'ai fini par accepter que tu ne seras pas mon petit ami de sitôt, alors tu me fais ça. Pourquoi ? Qu'est-ce que tu veux ?"

Tann se leva. Mes yeux le suivirent, c'était un peu un choc.

— A... attends…

Je tendis la main pour attraper celle de l'autre homme. Pourquoi était-il dans cet état ? Devrait-il être heureux ?

— Pardon ?

Tann me regarda, et même si je ne pouvais pas voir les choses clairement, je pouvais sentir qu'il souffrait. Je me levai et m'approchai lentement de lui. J'entourai sa taille de mes bras, mon front se posant sur son large torse qui bougeait au rythme de sa respiration.

— Je veux que tu saches que je n'ai jamais aimé personne de ma vie, mais maintenant, je ne pense qu'à toi. Imagine à quel point je me sentirais blessé si notre relation ne durait pas. Ma vie amoureuse s'est terminée tant de fois, et je ne veux plus souffrir. Je veux que tu sois ‘le bon’.

Je sentis le souffle de Tann se bloquer dans sa gorge. Il enveloppa l'arrière de ma tête d'une main et attira ma taille contre lui de l'autre.

— S'il n'y avait pas de procès, pas de problème avec ma mère, tu serais mon petit ami, n'est-ce pas ?

— Oui.

— Est-ce que tu m'aimes ? me demanda Tann, les mots à peine audibles.

Une chaleur désagréable monta dans ma poitrine comme si quelqu'un y avait allumé un feu, atteignant mon visage. Je m'accrochai fermement à la chemise de Tann.

— Oui.

La nuit continua avec de nombreux sentiments qui se bousculaient en nous. Ce que je faisais, c'était renforcer la confiance de Tann dans le fait que nos sentiments étaient réciproques et réels, et que cela valait la peine d'attendre à long terme. Chaque mot, chaque émotion, chaque contact physique que je lui donnais ce soir l'encouragerait à patienter jusqu'à ce que le moment vienne - le moment où nos chemins se rejoindraient une fois de plus... pour de bon.




Je hissai la grosse valise sur le tapis à bagages pour qu'il soit pesé avant d'être chargé dans l'avion. Lorsque je vis que le poids ne dépassait pas la limite fixée par la compagnie aérienne, un soupir de soulagement s'échappa de ma bouche. Je me retournai pour sourire à la jeune employée au sol qui me tendait la carte d'embarquement. Je la remerciai discrètement et quittai la zone d'enregistrement en emportant mon petit sac. Je regardai les gens passer dans l'aéroport, tous vêtus d'une veste. Moi, je l'avais enlevée et l'avais déjà mise dans mon sac, sachant que lorsque j'arriverais à destination, il ferait probablement si chaud que je n'en aurais plus besoin.

Je sentis ma gorge se serrer. Est-ce que je partais vraiment d'ici ?

Je traînai mon sac jusqu'au banc près de la porte d'embarquement. À une demi-heure de l'heure prévue pour l'embarquement, je m'assis, attendant l'homme qui essayait de trouver une place pour le parking, et qui ne tarderait sans doute pas à arriver.

— Bunn, dit une voix familière.

Je levai la tête et vis Tann s'approcher de moi avec deux coupes de glace dans les mains.

— Il fait un froid de canard et tu veux quand même manger de la glace  ?

— Tu ne sais pas que c'est mieux de manger de la glace quand il fait froid  ?

Tann s'assit à côté de moi.

Je ris et secouai la tête, en lui prenant une coupe de la fameuse glace.

— D'où te vient cette théorie bizarre ?

— Je vais reformuler : il vaut mieux manger une glace avec l'homme qu'on aime, répondit Tann sur un ton impassible.

Je soupirai d'agacement.

— Tu n'es pas gêné de dire une chose pareille ?

— Si c'était le cas, je ne le ferais pas.

Tann mit de la glace dans sa bouche, regardant distraitement les passants avant de continuer.

— Parce que tu n'es pas encore mon petit ami, je dois utiliser cette méthode de séduction comme si nous venions de nous rencontrer.

— Nous ne sommes plus des lycéens. Je suis quelqu'un de raisonnable et je ne me laisse pas emporter par les émotions. Tout devrait bien se passer.

Je goûtai la texture douce de la crème glacée, sa douceur était rafraîchissante.

Tann sourit doucement.

— Bunn.

— Hmm ?

— N'oublie pas notre promesse.

Je me tournai vers Tann, qui avait maintenant l'air clairement attristé. Je lui enfonçai mon coude dans les côtes de manière taquine.

— Ne fais pas ces yeux de chiot triste. Si tu veux que je tienne ma promesse, fais ce que je t'ai dit : reprends-toi, sois toi-même, fais ce que tu aimes et ce pour quoi tu es doué. Sois heureux, dis-je avant de marquer une légère pause. Est-ce que j'ai l'air d'un grand-père qui donne des conseils à son petit-fils ?

Tann rit.

— On dirait mes parents lorsqu'ils prononcent des bénédictions à la veille du Nouvel An.

Un sourire s'échappa de mes lèvres.

— Alors dis merci à ton aîné.

Tann joignit les paumes de ses mains en signe de gratitude.

— Eh bien, merci.

— Tu es un bon garçon, hein  ? dis-je en secouant la tête. Je vais aller à la porte d'embarquement maintenant.

Je me levai et me tournai vers Tann, qui me regarda avec de la tristesse dans les yeux. Il ne dit rien. Nous nous regardâmes sans rien dire pendant un moment, tout autour de nous était constamment en mouvement, mais il semblait que le temps entre nous deux ralentissait jusqu'à s'arrêter. Quelque chose commença à se développer en moi, un sentiment de gêne et d'oppression dans ma poitrine. La personne assise en face de moi venait d'entrer dans ma vie, comment pouvais-je me sentir autant en manque d'air ?

— Bon voyage, me répondit-il enfin.

Il tendit sa main vers le bout de mes doigts, comme s'il était conscient que cette main n'était pas encore la sienne.

— Appelle-moi quand tu seras à Bangkok, d'accord ?

— D'accord. Nous nous verrons au tribunal de toute façon.

Je ne pus résister à l'envie de lui ébouriffer les cheveux.

— Je peux aussi te voir en dehors du tribunal ?

— D'accord, très bien. Où tu veux. Tellement exigeant, dis-je en retirant ma main de ses cheveux. Au revoir maintenant.

Je décidai de faire demi-tour et de sortir de là le plus vite possible. Je ne savais pas pourquoi je devais aller aussi vite à ce moment-là, alors que ce n'était même pas encore l'heure de l'embarquement.

Peut-être parce que... Je ne voulais pas voir son visage plus longtemps, car je risquais de craquer inconsciemment. Je pourrais me jeter dans ses bras et lui dire : "Au diable tout ça, soyons ensemble malgré tous ces problèmes, malgré les centaines de kilomètres qui nous séparent", "Désolé d'être si exigeant", "Désolé d'avoir joué les durs", "Désolé d'avoir toujours fait passer ma tête avant mon cœur" ?

Je m'arrêtai, jetant un coup d'œil à la lumière du plafond. Il me fallut beaucoup de volonté pour ne pas faire demi-tour. C'est la bonne chose à faire, me dis-je. Considère cela comme un test, une punition pour le fait qu'il m'ait trompé une fois. Si Tann réussissait le test, il n'y aurait plus rien à craindre. Mais si nous nous séparons, pour quelque raison que ce soit, ce ne sera pas aussi douloureux qu'au début de notre relation.

Reste fort, Bunnakit... Tu dois rester fort.


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amelyma
Ven 6 Sep 2024 - 23:31



Chapitre 27
Six mois plus tard.


Le corps qui se trouvait devant moi était le cadavre d'un jeune homme de 19 ans, d'après sa carte d'identité. Son corps avait été retrouvé près d'une rivière, à proximité d'un embarcadère de transport public. Je fixais le corps gris et sans vie devant moi, tandis que trois de mes étudiants en cinquième année de médecine se tenaient plus loin, la peur hésitante se dessinant sur leurs traits. J'ajustai mes gants blancs en caoutchouc et me tournai vers mes étudiants, qui étaient toutes des filles.

— Les filles, comment pouvez-vous le voir si vous êtes si loin ? Rapprochez-vous, ordonnai-je au trio.

Boze, un résident de deuxième année en pathologie, qui se tenait à côté de moi, laissa échapper un petit rire.

— C'est leur première fois, professeur ?

— Oui, c'est le premier jour de leur rotation et ils ont un cadavre ce matin. Ce groupe a de la chance. Le dernier groupe a reçu des cadavres desséchés, dis-je en faisant un geste vers le cadavre. Qu'en penses-tu, Boze ? Dis-moi, s'il te plaît.

— Bien sûr..., dit le résident en se penchant sur le cadavre, un air pensif. La peau est détrempée, grise, froide et ridée. Il y a des traces de mousse blanche aux coins de sa bouche, ce qui devrait être le résultat d'une asphyxie. En somme, sa mort devrait résulter d'une noyade.

— Mais comment savoir si cette personne est morte avant ou après avoir été jetée dans la rivière ? Ou qu'elle est morte par noyade ?

— Euh... nous ne pouvons pas en être sûrs pour le moment. Mais le fait de trouver dans ses mains des pierres et des débris provenant de l'endroit où il s'est noyé pourrait nous aider. Cela signifierait qu'il était encore en vie lorsqu'il s'est noyé... Cependant, dans ce cas, nous n'avons rien trouvé dans ses mains.

— C'est difficile à dénicher. Mais cela nous aide si jamais nous en trouvons. Quoi d'autre ?

Etais-je trop dur avec mon élève ? Mais je devais faire mon devoir de professeur. Je me considérais comme l'un des professeurs de médecine les moins stricts.

— Nous devons l'ouvrir. S'il était encore en vie lorsqu'il s'est noyé, nous pourrions trouver de la terre et de la boue dans ses voies respiratoires inférieures, ce qui se produit s'il les a inhalées dans l'eau, ou nous pourrions trouver de l'eau provenant de l'endroit où il s'est noyé dans son estomac, dit Boze en me regardant d'un air crispé, comme s'il craignait de dire quelque chose de faux.

— Je suis d'accord avec toi. Nous l'ouvrirons cet après-midi. Il y a beaucoup de choses que tu dois apprendre, et nous les apprendrons ensemble pendant la dissection.

J'enlevai mes gants et reculai pour laisser à Boze le temps de prendre des photos du cadavre. Quand je fus sûr d'avoir obtenu les photos dont j'avais besoin, je me retournai pour sourire au trio.

Les filles étaient vêtues d'uniformes et de pantalons d'université, des tenues que j'autorisais car certaines activités nécessitaient de la souplesse ; porter des jupes ne permettait pas une telle efficacité.

— Si vous avez besoin de photos pour la conférence de cas, vous pouvez les obtenir auprès de Boze. Il n'est pas nécessaire de prendre les photos vous-même.

— Merci, professeur, répondit d'un air enthousiaste la jeune femme, qui portait des lunettes.

— Discutons de cette étude de cas lorsque nous retournerons à la faculté. Vous avez un cours avec le professeur Vutt dans l'après-midi, n'est-ce pas ? Pourquoi ne pas prendre les photos le soir ? Hé Boze, viens apprendre aux filles ce qu'est la noyade.

Sur ce, je m'éclipsai de mon cours pour aller parler à la police, laissant Boze continuer le cours pour les étudiants en médecine.

Mon rôle en tant que médecin légiste avait énormément changé depuis que je m'étais installé ici. J'étais passé du statut de pathologiste ordinaire, qui travaillait au jour le jour et donnait des conférences occasionnelles aux stagiaires, à celui de professeur de médecine à plein temps. J'étais retourné enseigner à l'université où j'avais obtenu mon diplôme et, malgré le luxe d'être dans un environnement familier, j'avais dû travailler dur pour m'adapter à ce nouveau rôle. J'avais plus de responsabilités, des cas plus difficiles à traiter, la pression des professeurs seniors. Je n'étais plus le seul pathologiste de la province. Je n'étais plus qu'un tout jeune professeur sans grande expérience, qui enseignait ici depuis quelques mois seulement.

Je passai tout l'après-midi à enseigner aux internes la dissection anatomique du noyé et d'un patient décédé à l'hôpital. Je quittai la salle d'autopsie froide et poussiéreuse avec lassitude. Je ne pus que pousser un soupir en regardant la lumière brûlante du soleil à l'extérieur. Pourquoi faisait-il si chaud ici, à Bangkok ? La température entre l'intérieur et l'extérieur était totalement différente.

— Bunn...

En entendant quelqu'un m'appeler, l'air agacé de mon visage se transforma en un faux sourire. C'était le Dr Vutt, un pathologiste chevronné. L'homme se dirigeait vers moi. Il avait l'air surpris, comme si c'était une pure coïncidence qu'il me rencontre ici.

— Vous venez de terminer ?

— Oui, répondis-je en regardant l'homme qui se tenait devant moi.

Vutt était grand et mince. Son visage, comme d'autres membres du département et moi-même le disions, ressemblait à 'un chiot mignon'. Il semblait gentil et mature, ce qui convenait à un homme qui allait avoir trente-cinq ans. De plus, il était le camarade de classe de mon frère à l'école de médecine, ce qui lui donnait le privilège de savoir ce qui se passait dans ma vie.

— Et vous aussi ? Pourquoi votre cours a duré si longtemps ?

— J'étais coincé au tribunal. J'avais presque une heure de retard pour mon cours.

—  D'accord, dis-je en hochant la tête pour acquiescer. Eh bien... si vous voulez bien m'excuser.

— Euh Bunn, attendez, lança Vutt avant que je ne puisse me retourner et m'éloigner. Êtes-vous libre ce soir ?

Nous y voilà encore... Le faux sourire subsistait sur mon visage.

— Je mentirais si je disais que je suis occupé.

Vutt resta silencieux un moment, le temps de saisir le sens de mes paroles, avant qu'un sourire ne s'échappe de ses lèvres.

— Cela signifie que vous êtes libre, alors ? Eh bien, il y a un nouveau restaurant japonais près de chez moi. La décoration intérieure est magnifique, et ils offrent une réduction sur le menu spécial pour deux clients qui y vont ensemble. Des sushis à l'anguille ou quelque chose comme ça. Si vous êtes libre, voulez-vous vous joindre à moi ?

Cela faisait deux mois qu'il s'investissait dans ce projet. Je n'en avais jamais parlé directement avec lui, mais Boon m'avait dit que Vutt avait le béguin pour moi. J'avais toujours essayé de l'éviter, pensant que si je ne faisais pas attention à lui, il arrêterait probablement de m'embêter. Cependant, même si cela faisait un certain temps maintenant, Vutt me poursuivait toujours sans relâche. Je pensais qu'il était temps que nous parlions.

— Oui, bien sûr.

Vutt semblait sur le point d'exploser de bonheur.


Vutt et moi entrâmes dans un beau restaurant, décoré dans le style japonais. Les lumières orangées, les peintures, les cloisons en bambou et la mélodie japonaise mêlée à une sorte de parfum nous ouvrirent l'appétit. Vutt me fit signe de m'asseoir dans un coin du restaurant. Je pris le menu des mains de la serveuse et grimaçai en le regardant.

— Ça va coûter une fortune.

Je cherchai le plat le moins cher qui pourrait remplir mon estomac. En fait, je n'étais pas difficile, et les restaurants de bord de route ne me dérangeaient pas. Je ne serais pas facilement séduit par quelqu'un juste parce qu'il m'emmenait dans un restaurant chic ; Vutt n'était probablement pas au courant de ce fait.

Seule une poignée de personnes le savait. L'une d'entre elles était ‘lui’.

Riz gluant, couennes de porc, pâte de chili, saucisses thaïes épicées, les plats standards qu'il achetait au marché rustique étaient les repas les plus délicieux que j'aie jamais mangés.

Mon Dieu, tu me manques tellement.

— Nous allons prendre un ensemble de sushis spéciaux.

La voix de Vutt me tira de ma rêverie. Je regardai à nouveau le menu. Le plat qu'il avait commandé, bien qu'à prix réduit, était encore trop cher.

— Vous voulez autre chose ? Prenez ce que vous voulez. Le dîner est pour moi.

— Woah, attendez, vous allez payer pour moi ? On pourrait partager, m'empressai-je de protester.

— Non, non, j'ai pris votre temps précieux. C'est moi qui paie.

Vutt sourit largement.

— Si vous ne comptez pas en commander plus, je le ferai pour vous. Nous prendrons une autre portion de celui-ci, dit-il en se tournant vers la serveuse et en lui indiquant quelque chose sur le menu.

Je poussai un soupir. Fais ce que tu veux.

J'attendis que la serveuse s'en aille avec le menu pour aller droit au but.

— Vutt, qu'est-ce que vous ressentez pour moi ?

Une expression de choc apparut sur le visage de Vutt.

— Qu'est-ce que vous voulez dire ?

— Vous m'aimez bien, n'est-ce pas ? demandai-je franchement. Boon me l'a dit.

— Euh… répondit Vutt en se grattant la tête. Eh bien... oui, comme je l'ai dit, je vous apprécie depuis que vous avez commencé à travailler ici. Et vous êtes aussi le frère de mon ami. Au début, je n'étais pas sûr que vous soyez gay, alors j'ai décidé de demander à Boonlert.

— Qu'est-ce qu'il a dit ?

— Il a dit que vous sortiez avec des hommes et des femmes, mais que vous sembliez aimer plus particulièrement les hommes, dit Vutt en tripotant son verre d'eau comme s'il essayait d'être moins nerveux. Et il m'a dit que vous n'aviez pas de petit ami, alors si ça m'intéressait, je pourrais essayer de vous inviter à un rendez-vous.

On aurait dit que Boon essayait de nous réunir tous les deux. Je donnerai ma vision des choses à Quatre-Yeux plus tard.

— Euh…

Ce fut ma seule réponse.

— Maintenant que vous en parlez, je peux vous poser la question moi-même, dit Vutt en prenant une grande inspiration. Il est probablement trop tôt pour cela, mais... Avez-vous quelqu'un que vous aimez ? Si vous n'avez personne en vue, je peux vous demander de sortir avec moi ?

Je regardai l'autre homme froidement avant de regarder à travers la paroi de verre la lumière du soleil qui faiblissait.

— J'attends quelqu'un.

Le visage de Vut se décomposa visiblement.

— C'est vrai ?

— Oui.

Je regardais les gens qui passaient dehors.

— Depuis notre dernière rencontre, nous nous parlons de moins en moins. Cela fait plus d'un mois que je ne l'ai pas eu au téléphone.

Une fois le sujet abordé, j'eus envie de tout déballer.

— Sa vie en ce moment est un véritable calvaire, trop pour qu'il me consacre toute son attention.

Depuis ma dernière convocation devant le tribunal en tant que témoin, Tann et moi nous parlions de moins en moins. Les dernières nouvelles que j'avais reçues étaient que l'état de sa mère s'aggravait. L'hôpital devait lui insérer un tube respiratoire dans la gorge et la placer en soins intensifs. J'avais appelé Tann une fois, et nous avions parlé brièvement avant qu’il ne raccroche parce qu'il devait s'occuper de sa mère. Je n'oserais donc pas le rappeler s'il n'y avait pas d'urgence.

Je savais que cela arriverait. Alors que Tann devait être jugé, qu'il était au chômage, qu'il était considéré comme le fils d'une mafia impitoyable et que sa mère était tombée gravement malade, si nous étions ensemble maintenant, nous nous disputerions beaucoup, c'est certain.

— Mais vous voulez toujours l'attendre ? Attendre pour toujours.  Vous n'en avez pas assez  ? tenta Vutt.

— Non, mais laissez-moi le temps de le laisser partir. Si je suis prêt à laisser partir l'homme que j'ai attendu, je vous le ferai savoir.

Je me retournai vers Vutt et lui adressai un léger sourire avant de dire :

— Mais bon sang, vous risquez d'attendre longtemps.

Vutt expira entre ses dents, comme s'il avait été brûlé.

— Boonlert m'a mis en garde contre vous, disant que vous êtes un homme compliqué. Je l'ai vu à votre tempérament et à vos récents travaux. Je n'aurais jamais pensé le voir de mes propres yeux.

— C'est sans doute pour cela que je me fais toujours larguer.

La première série de sushis était arrivée. Je tendis la baguette pour prendre les sushis dans mon assiette.

— Je suis vraiment désolé. Vous êtes si gentil de m'emmener dans ce restaurant chic.

— Non, ce n'est pas grave. Je suis content que vous ayez été clair, soupira le professeur de médecine. Si Boonlert m'avait dit que vous aimiez déjà quelqu'un d'autre, je serais resté à l'écart. Mais ce type n'a rien dit.

— On ira lui botter le cul une fois qu'on aura fini de manger ça.

Vutt et moi éclatâmes de rire en même temps. J'étais content qu'il ait l'air de bien me comprendre, car je n'aurais plus à me sentir mal à l'aise quand je travaillerais avec lui.




Le portail ne tarda pas à s'ouvrir après que j'eus sonné à la porte. Aussitôt, une petite silhouette se précipita sur moi pour attraper ma jambe - c'était une petite fille. Elle portait une robe rose et ses cheveux ondulés étaient attachés en nattes. Sa petite voix retentit avec excitation.

— Mon oncle !!!

— Tu as salué ton oncle comme il se doit, ma chérie ? dit May, ma belle-sœur, d'une voix douce.

Je levai les yeux vers elle et lui souris. Elle s'appelait May et était un très beau médecin aux longs cheveux lisses. Mon frère avait dû guerroyer contre des dizaines d'hommes pour obtenir sa main. Actuellement, elle était professeur de médecine au département de psychiatrie de l'une des prestigieuses écoles de médecine.

Baitoei sembla se souvenir de ce qu'elle devait faire. Elle recula, joignit les paumes de ses mains et s'inclina légèrement.

— Bonjour, mon oncle.

— La prochaine fois, respecte ton oncle avant de le serrer dans tes bras. C'est compris ?

— Oui, maman, répondit Baitoei d'un ton chantant avant de vite revenir serrer ma jambe très fort.

Je ris d'une manière décontractée. Ma fatigue s'était évaporée grâce à cette petite fille. Je lui frottai la tête avec amusement. Elle tenait sûrement ses cheveux ondulés de son père.

— Tu t'es très bien débrouillée, Baitoei. J'ai une friandise pour toi.

Baitoei leva la tête pour me regarder, ses yeux s'illuminèrent comme prévu.

— Des macarons.

— Ce sont des macarons, ma belle, dis-je en soulevant un sac contenant une boîte de macarons colorés. Si tu veux en manger, va te laver les mains.

— Yeah ! cria Baitoei en courant autour de la maison.

May me regarda en souriant et secoua la tête.

— Baitoei s'est déjà brossé les dents.

— Je ne vois pas pourquoi elle ne pourrait pas se les brosser à nouveau, dis-je en jetant un coup d'œil à l'intérieur de la maison, qui était éclairée par les lumières. Que fait Boon ?

— Je suppose qu'il est mort de froid là-haut. Viens, allons à l'intérieur.

May se retourna et me conduisit dans une maison moderne à deux étages. Boon avait acheté cette maison dans un lotissement pour sa famille. Elle n'était pas très éloignée de la maison de nos parents, ce qui permettait à Boon de s'occuper facilement d'eux. Je logeais dans une résidence réservée aux professeurs de la faculté et je venais de temps en temps chez mes parents.

En entrant dans le salon, je vis des papiers de journaux de recherche, imprimés à partir d'Internet, éparpillés sur un canapé et sur une table basse. Un manuel de psychiatrie avait été ouvert.

— Tu travailles sur de nouvelles recherches ?

— Je suis désolée, c'est le bazar.

May se pencha pour enlever les papiers du canapé et m'offrir un siège. Je posai le sac de macarons sur la table et me précipitai pour l'aider.

— Ce ne sont pas des recherches. J'étudie le cas d'un de mes étudiants en médecine qui semble avoir été victime d'une sorte d'hallucination. Il est à l'hôpital en ce moment même. C'est un cas fascinant, difficile à traiter. J'essaie de trouver de nouvelles approches psychothérapeutiques efficaces.

— Oh, d'accord. Ne lâche rien, May, l’encourageai-je en regardant la pile de papiers remplis de savoir, qui n'était pas du tout lié à mon expertise. J'admire beaucoup les gens qui travaillent dans le domaine de la psychiatrie. Je ne pourrais pas tenir une conversation aussi longtemps.

— Alors tu as choisi de te débarrasser de la conversation pour de bon  ?

May me taquina avec un sourire et je me mis à rire, laissant entendre mon approbation. Soudain, les yeux de May se portèrent sur les escaliers. Je la suivis du regard.

— Oh, le voilà ! Notre zombie maison. Ton frère est venu te voir.

—  Uh-huh, il me l'a dit au téléphone, dit Boon en laissant échapper un bâillement.

Il portait un t-shirt et un caleçon. Il n'avait plus rien à voir avec un professeur adjoint. Il savait probablement que l'invité était son propre frère. C'était pourquoi il s'était permis de s'habiller comme un clochard. Je me rapprochai de lui, lui pris le bras et l'entraînai dans la cuisine, juste devant la petite Baitoei, qui sautillait en direction du sac de macarons. Boon me regarda nerveusement.

— Qu'est-ce qui se passe, Bunn ?

— Pourquoi as-tu dit à Vutt que j'étais toujours célibataire ? murmurai-je d'une voix ferme.

— Mon ami me l'a demandé. Je lui ai dit la vérité. Qu'est-ce qu'il y a de mal à ça  ? demanda Boon avec un sourire et en me regardant avec intérêt. Qu'est-ce qui s'est passé ?

— Il m'a invité à dîner, voilà pourquoi. Une centaine de fois. Il n'arrêtait pas de le faire. Alors, j'y suis allé avec lui aujourd'hui pour en parler, dis-je en pointant un doigt accusateur sur Boon. Et toi, ne te mêle plus de mes affaires personnelles à partir de maintenant.

— Oui, oui, je suis désolé. J'ai vu que tu étais seul, alors j'ai essayé de te trouver un ami, dit Boon avant de s'arrêter. Tu n'as pas l'air d'aller bien.

— Je n'ai pas l'air d'aller bien ? Je vais très bien, dis-je avant de prendre une grande inspiration. C'est tout ce que je voulais dire. Reste en dehors de ça. Je peux gérer ma propre vie.

Je m'apprêtais à retourner jouer avec ma nièce, mais Boon m'interrompit.

— Tann ne t'a pas appelé du tout ?

Je m'arrêtai et regardai le sol.

— Oui... ça fait un moment qu'on ne s'est pas parlé.

— Alors, et maintenant ? Tu ne vas pas te donner une chance de rencontrer quelqu'un d'autre ?

Je me tournai vers Boon, qui se tenait debout, les bras sur la poitrine, et qui me regardait.

— Si tu n'arrêtes pas, je ne te parlerai plus.

— Tu me menaces toujours comme ça, dit Boon en haussant les épaules. D'accord, d'accord, plus de questions. Mais si tu as besoin de quoi que ce soit, tu n'as qu'à me le demander.

— Hum, me rappellai-je alors de quelque chose. Et mon billet d'avion ? Tu en as trouvé un pas trop cher ?

— Il y en a beaucoup en fait. Mais je pense qu'il vaut mieux tenir compte de la qualité des compagnies aériennes. Le prix ne doit pas nécessairement être très bas. Un vol vers les États-Unis dure plus de 20 heures. Tu ne seras pas content si tu voles avec une compagnie minable.

Boon resta silencieux pendant un moment et soupira.

— Tu es revenu il y a moins d'un an et tu me quittes à nouveau ?

— C'est différent. Cette fois-ci, je vais étudier afin de revenir pour payer ma bourse d'études ici. Au fait, n'oublie pas de m'envoyer le lien pour un billet bon marché.

Sur ce, je me rapprochai de Baitoei, qui était assise sur le canapé et grignotait joyeusement un macaron rose. Je m'assis à côté de ma nièce, levant les mains pour jouer avec ses cheveux. La joie de la paternité doit être quelque chose de très beau. Je me souvins du jour où Boon m'avait envoyé la photo de sa petite fille nouvellement née et m'avait ensuite appelé au téléphone pour se vanter sans cesse de la beauté de sa fille. Je devinais que je n'aurais pas ce genre d'occasion à moins de trouver une femme pour concevoir mon bébé.

Cependant, ce ne serait pas juste pour la femme dans cette relation. Prae, mon ex-petite amie, m'avait dit un jour qu'elle voulait être la dernière fille trompée par moi. Après cet incident, j'avais pris la décision de ne plus agir de la sorte. Je ne sortirais plus jamais avec une femme pour me couvrir. J'accepterais mon orientation et continuerai ma vie.

— Mon oncle, merci.

La voix joyeuse de Baitoei me ramena à la réalité. Ma nièce se retourna et me serra fort dans ses bras.

— S'il te plaît, viens me voir plus souvent.

— Bien sûr. N'oublie pas non plus de te brosser les dents après les bonbons.

Je me penchai pour lui donner un gros baiser sur la joue et me levai. Puisque je ne pourrais pas avoir d'enfant, j'aimerais Baitoei comme ma fille. Nous partagions le même sang, après tout.

— Je ferais mieux de rentrer chez moi. À plus tard, ma petite citrouille.

Après avoir dit au revoir à Boon et May, je repris la route vers ma petite résidence. Il me fallut plus de quarante-cinq minutes pour arriver à la maison. Je me laissai tomber sur le lit et sortis mon téléphone portable. J'avais reçu des notifications Line du groupe de discussion des professeurs de pathologie médico-légale, m'avertissant d'une réunion qui aurait lieu le lendemain, un message de Vutt, me tenant au courant de ce qui s'était passé, un message de mon frère, envoyant un lien pour acheter un billet d'avion, un message de mon étudiant qui voulait me montrer son exposé. Mais je n'avais rien reçu de l'homme à qui j'avais le plus envie de parler. J'ouvris notre dernière conversation qui remontait à la semaine dernière. Je tapai un message : "Comment vas-tu ?" et j'appuyai sur "Envoyer". Quand il n'était pas occupé, il me répondait. J'éteignis l'écran, posai le téléphone à côté de moi et fermai les yeux.

Je n'avais jamais ressenti cela avec quelqu'un auparavant. Le creux à l'intérieur de ma poitrine devait être ce qu'on appelle la ‘solitude’.




Je tendis la pile de documents à l'homme d'âge moyen qui se trouvait en face de moi. Il la prit avec attention.

— Ok. Ils ont accepté votre candidature et vous ont envoyé le programme des cours. Avez-vous déjà réservé un billet ?

— J'ai acheté mon billet hier soir, professeur, répondis-je en regardant les documents que le professeur Yongyuth tenait dans ses mains. J'ai pris rendez-vous pour mon visa lundi. J'ai rédigé une lettre de demande de congé. Pourriez-vous la signer pour moi ?

— Très bien, dit le professeur Yongyuth, directeur du département de jurisprudence médicale, en me rendant les documents. Je suis heureux que nous ayons enfin un professeur spécialisé en toxicologie.

— Et je suis heureux que vous m'ayez accordé cette bourse, professeur, dis-je en lui souriant. C'est aussi une bonne occasion pour moi de pratiquer une langue étrangère.

— Voilà. C'est ce dont notre département avait besoin. J'ai élaboré un plan pour que les étudiants et les résidents fassent leur présentation en anglais durant une période. Quand vous reviendrez, vous serez le responsable. D'accord ?

Je ne pouvais pas faire grand-chose d'autre que de sourire et de répondre à sa demande.

— Bien sûr, professeur.

— Bien. Oh, et j'ai quelque chose pour vous.

Yongyuth fit le tour de sa chaise. Il faisait maintenant face à l'étagère derrière son bureau, et en sortit un livre à couverture rigide apparemment lourd.

— Lisez pour vous distraire un peu avant d'aller à New York. Ils s'attendent à ce que vous ayez des connaissances de base avant de vous joindre à eux.

Je regardai le livre que Yongyuth avait posé sur son bureau. Il s'agissait d'un manuel à couverture rigide, dont le titre anglais était explicite : Toxicologie. Son épaisseur pourrait facilement provoquer une hémorragie intracérébrale si on le jetait à la tête de quelqu'un.

— Merci, monsieur.

Je dus porter mes documents et ce lourd manuel dans mes bras pour sortir du bureau du professeur Yongyuth. Un petit soupir m'échappa. J'avais l'impression de ne pas être moi-même depuis que j'étais ici. Je devais être la personne que tout le monde attendait de moi ; les étudiants et les résidents attendaient de moi que je sois gentil et aimable. Les professeurs principaux attendaient de moi que je sois un modèle, un professeur idéal.

Je marchais dans le couloir à côté du bâtiment du département. Je devais apporter ce terrible manuel à mon bureau avant le début de mon cours de l'après-midi.

— Vz'avez besoin d'aide avec ça  ?

Une voix familière m'interpella. Je crus que mes oreilles me jouaient des tours jusqu'à ce que je me retourne pour voir mon interlocuteur debout, un large sourire aux lèvres, non loin de moi. Je fixai cette personne, abasourdi.

— Sorrawit ? Je regardai le grand garçon qui s'approchait de moi. Comment... Comment es-tu arrivé ici ?!

L'uniforme que portait Sorrawit mit fin à ma question. Il était vêtu d'un uniforme universitaire avec une cravate de la couleur de l'université montrant son statut d'étudiant de première année. Le visage du garçon semblait toujours aussi innocent, son large sourire était la forme la plus sincère de sourire que j'aie jamais vue. Il avait l'air en forme - bien mieux que la dernière fois que je l'avais vu, peut-être à cause de son uniforme et de ses cheveux longs.

— Je suis à la faculté de médecine, me dit Sorrawit en me prenant le lourd livre des mains. J'ai échoué au test des quotas, mais j'ai réussi le COTMES. Je ne savais pas comment vous le dire, parce que j'ai pris ma moto et je suis allé à l'hôpital, mais ils m'ont dit que vous aviez abandonné. J'étais si triste.

— Tu es entré à l'école de médecine  ?

Je levai les yeux vers le garçon et me sentis envahi par la joie. Un enfant de la campagne qui entrait à l'école de médecine de Bangkok, c'était quelque chose qui méritait d'être célébré. Je ne savais pas que Sorrawit était très brillant à l'école.

— Félicitations.

— Je suis heureux de savoir que vous êtes professeur ici, me dit Sorrawit avec excitation. J'ai vu que vous étiez sur le site de la faculté, alors je suis venu vous trouver ici. Je ne m'attendais pas à vous voir vraiment. Ça me fait plaisir.

Je souris furtivement à Sorrawit, qui s'exprimait toujours dans le dialecte nordique, et j'eus l'impression d'être retourné dans cet endroit une fois de plus. Je tendis la main pour lui tapoter l'épaule.

— Hé, tu es à Bangkok. Tu ferais mieux de parler la langue courante. Je comprends ce que tu dis, mais d'autres ne le comprendront peut-être pas.

— Je sais, je sais. J'y travaille, vraiment. Il n'y a que quelques mots qui se sont échappés et mes amis étaient vraiment confus. J'ai hâte d'être en cinquième année. Je veux être formé par vous, docteur. Ah, je veux dire... par le professeur Bunnakit.

— C'est dans quatre ans. Je te verrai dans le coin. Je ne vais nulle part, dis-je en le conduisant à mon bureau. Comment te sens-tu ici ? Tu as trouvé une fille qui te plaît  ?

Je le taquinai avec désinvolture.

Étudier en première année de médecine n'était pas si stressant, car l'université se concentrait principalement sur les activités étudiantes, et c'était une époque prospère pour l'amour.

— Non... non, monsieur.

Les joues de porcelaine de Sorrawit se teintèrent de rose.

— Je ne peux pas m'approcher trop près des filles. Je vois quelqu'un...

Je manquais de m'étouffer.

— Tu vois quelqu'un ? !

— Nous sortons ensemble depuis un moment. Avant que je ne déménage à Bangkok, en fait. La personne que je fréquente vient d'obtenir son diplôme et vient ici pour trouver un emploi, précisa-t-il avant de se couvrir le visage avec ses paumes. C'est vraiment effrayant, je vous le dis.

J'essayais d'assimiler les informations de Sorrawit. Le garçon devait donc avoir une petite amie plus âgée que lui. Il avait dit que cette personne venait d'obtenir son diplôme, ce qui signifiait probablement qu'elle avait quatre ou cinq ans de plus que lui. Ouais, ça ne semblait pas si mal.

— Si tu as une petite amie, tu ne peux plus flirter avec les autres filles. Tu ferais mieux de bien te tenir alors.

— Je suis obligé, monsieur, ou j'aurai un œil au beurre noir. Je ne veux pas de coup de poing ni d'os cassés.

Une expression de terreur se lisait sur le visage du garçon. Je fronçai les sourcils. C'était une boxeuse ou quelque chose comme ça ?

Puis je me souvins que Sorrawit avait l'habitude d'agir comme s'il m'aimait bien. Un petit ami, peut-être ? Je voulais entrer dans les détails, mais cela aurait semblé déplacé de s'immiscer ainsi dans la vie privée du garçon, alors je ne dis rien de plus. Lorsque nous arrivâmes au bureau, j'invitai Sorrawit à s'asseoir à mon bureau, qui se trouvait près de la fenêtre. C'était un vieux bureau en bois, rempli de paperasse et de manuels scolaires mal rangés.

Si Tann était venu voir mon bureau, il se serait arraché les yeux.

J'essayai de chasser Tann de mon esprit.

— Tu peux mettre le livre sur ce bureau. Merci beaucoup de m'avoir aidé.

— Oui, monsieur.

Sorrawit resta là, comme s'il attendait mon prochain ordre.

— Va prendre ta pause déjeuner. Sinon, tu seras en retard pour le cours de l'après-midi, lui dis-je en m'approchant pour lui serrer le bras. Si tu as besoin de quoi que ce soit, appelle-moi. Note mon numéro.

Sorrawit sortit frénétiquement un stylo pour écrire mon numéro sur sa paume.

— Merci, monsieur. Bon, je vais aller manger du riz.... euh, je veux dire, déjeuner.

— D'accord. À bientôt.

J'acceptai les salutations formelles de Sorrawit dans le style thaïlandais avant que le garçon ne quitte la pièce avec un sourire radieux sur le visage. J'étais si heureux de le revoir. Je restai là à le regarder jusqu'à ce qu'il disparaisse de mon champ de vision. Je sortis mon téléphone pour vérifier l'heure et je vis un message de réponse de Tann.

[Ma mère est décédée.]

C'était le premier message qu'il m'envoyait après des semaines de silence.


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amelyma
Ven 6 Sep 2024 - 23:31



Chapitre 28
Il me fallut quatre heures de voyage pour rejoindre Tann.

Dès que j'avais appris le décès de sa mère, j'avais acheté un billet d'avion qui avait décollé dans la soirée. Le trajet jusqu'à l'aéroport, le taxi jusqu'à la gare routière et l'attente d'Anun pour venir me chercher et m'amener à la maison de la mère de Tann m'avaient pris beaucoup de temps. Lorsque j'arrivai enfin à destination, il était 21 heures.

— On dirait que tu as manqué les prières funéraires, Doc.

Anun regarda sa montre. Heureusement, ce dernier s'était porté volontaire pour me conduire, car il n'avait pas d'autre affaire urgente à régler aujourd'hui. De plus, il voulait rendre hommage à la mère de Tann aux funérailles, car ils se connaissaient.

La maison de la mère de Tann était une grande maison à colombages de deux étages. Devant la maison se trouvait une tonnelle. Un cercueil et une photo de la mère de Tann se trouvaient sous le porche d'entrée. Je regardai les funérailles calmes et tranquilles, seuls quelques invités étaient encore assis et bavardaient dans la salle à manger.

— Peu de gens ont assisté aux funérailles. Ils ont tous peur de Tann. Même si l'affaire contre lui a été classée, il est difficile de changer l'opinion des gens, dit Anun en secouant la tête avant de soupirer. M. Odd est dans un état critique. Et ses deux fils ont disparu. Tann n'avait plus que sa mère, et elle est morte elle aussi. Le pauvre, il n'a plus personne.

Un séisme soudain secoua violemment mon esprit et une sensation désagréable se fit sentir dans ma poitrine. Anun me caressa le dos et me conduisit au cercueil, qui était décoré de fleurs blanches. Je m'agenouillai et tendis une boîte d'encens à Anun. J'allumai un bâton d'encens dans ma main et levai les mains pour rendre hommage à la défunte. Je me mis en tête d'envoyer son âme vers un endroit meilleur dans l'au-delà.

— Bunn !

La voix de Tann m'appela de derrière. Je me tournai vers lui et me levai lentement pour aller à sa rencontre. Tann était vêtu d'une chemise et d'un pantalon noir, ses cheveux étaient longs et en bataille, son visage était plus fatigué que je ne l'avais jamais vu et il me regardait nerveusement.

— Je suis désolé pour ta perte, dis-je.

— Tu n'avais pas besoin de venir jusqu'ici en fait, souffla Tann.

— Ce n'est rien.

— Tu veux du porridge ? Je vais t'en apporter.

Je secouai la tête et levai la main pour toucher son bras.

— Je peux te parler ?

Tann me fixa en silence pendant un moment avant de faire demi-tour et de s'éloigner. Je le suivis jusqu'à ce qu'il s'arrête dans une zone sombre derrière sa maison. Tann se tourna vers moi.

— Qu'est-ce qu'il y a ?

Je ne savais pas comment exprimer mes sentiments. La culpabilité m'étouffait.

— Pourquoi... nous nous sommes à peine parlé  ?

Je savais ce qu'il avait vécu pendant son absence, mais cette phrase stupide parvint tout de même à s'échapper de ma bouche.

Tann fronça les sourcils.

— Ma mère était très malade. Et j'étais très occupé. Désolé de t'avoir rarement appelé.

Je ressentis un pincement dans la poitrine face à sa froideur. Tann ne semblait pas du tout heureux de me voir.

— Mais... tu n'aurais pas dû disparaître comme ça. J'étais inquiet. Je ne savais pas ce qui t'était arrivé.

Tann soupira et détourna le regard.

— En fait, il y a une autre raison que tu ne connais peut-être pas. Ça me fait mal, tu sais, chaque fois qu'on se parle, de savoir qu'on ne serait rien de plus que des connaissances, dit Tann en se retournant pour me faire face. Et en plus, l'homme que tu veux, ce n'est pas moi. Regarde-moi maintenant. Tu serais mieux si je te laissais tranquille.

Je regardai mes pieds, complètement perdu. Je ne voulais pas que notre relation soit exposée à ces risques parce que je l'aimais, je voulais être avec lui pour toujours. C'était ce que j'avais l'intention de faire, mais j'avais fini par le blesser de la manière la plus torturée qui soit. Je ne me souciais que de ce que je voulais, je n'avais jamais pensé à ce qu'il voulait. Il voulait probablement que je sois là pour lui, que je le soutienne moralement et que je lui donne la volonté de se battre contre toutes ces épreuves. J'étais... trop égoïste.

Je me rapprochai lentement de lui. De quoi avais-je peur ? Une voix dans ma tête commença à imposer son pouvoir sur mon esprit. Pourquoi ne pas faire ce que j'ai envie de faire maintenant ? J'emmerde tout. On va s'en sortir tous les deux. De quoi as-tu peur, Bunnakit ? De quoi as-tu peur ?

— Je ne veux pas que tu pleures tout seul. Plus maintenant.

Ma voix retentit au milieu du silence. Tann haussa les sourcils et me regarda, stupéfait.

— Qu'est-ce que tu veux dire ?

Je peux rester ici ? Ici, à tes côtés  ? demandai-je en levant la main pour entourer son visage. Nous traverserons cette épreuve ensemble. Je suis désolé que mes peurs m'aient empêché d'avancer. Je suis désolé d'avoir été égoïste. Je suis tellement désolé. Je t'aime, Tann.

C'est alors que la scène qui se déroulait devant moi me secoua jusqu'au plus profond de mon être, une image qui me marquerait à vie. Tann était devenu comme un être de verre fragile et s'était brisé sous mes yeux. Ses larmes coulaient sur son visage de manière incontrôlée, chaque goutte contenant ses émotions refoulées depuis six mois, mêlées à son chagrin face à la mort de sa mère. Tann n'avait personne à qui se confier, car tout le monde autour de lui le détestait et le craignait. Je le pris dans mes bras et il posa son front sur mon épaule, sanglotant comme un petit garçon.

— Maman... dit Tann en larmes. Pourquoi devais-tu mourir ? Je n'ai plus personne. Comment puis-je vivre sans toi ?

Je lui frottai le dos, essayant de le consoler malgré la sensation d'oppression dans ma propre poitrine.

— Tu m'as encore moi, tu m'entends ?

— Si tu me quittes, je n'ai plus personne. Je ne veux plus vivre si c'est le cas.

Je levai les yeux vers le ciel étoilé, tout en lui caressant le dos.

— Pleure tout ce que tu as à dire. Laisse tout sortir. Tu n'as plus besoin de le garder pour toi. Je suis à toi.

Nous restâmes là un long moment. Cela avait pris un certain temps avant qu'il ne commence à se calmer et à se ressaisir. Finalement, Tann s'éloigna de moi. Je sentais que mon épaule était mouillée de larmes. Je tendis la main pour peigner les cheveux ébouriffés de Tann.

— Tes yeux sont gonflés.

— Je suis désolé, renifla Tann en prenant une grande inspiration pour se calmer. Je n'ai pas pu me retenir.

— Devrions-nous retourner aux funérailles  ? demandai-je en montrant la maison. Au cas où d'autres invités arriveraient.

Je pris sa main dans la mienne et l'entraînai avec moi. Il y avait encore des invités qui parlaient entre eux, certains commençaient à quitter la cérémonie. Après avoir lâché sa main, je me dirigeai directement vers une table vide, sur laquelle s'entassaient des assiettes sales et des verres d'eau. J'empilai les assiettes et me tournai vers Tann, qui se tenait là, à me regarder.

— Où dois-je les mettre ?

— Dans... dans cette bassine là-bas, indiqua Tann en désignant la bassine en plastique noir posée sur le sol à l'extérieur de la tonnelle.

J'y déposai la pile d'assiettes comme on me l'avait demandé et je me retournai pour chercher quelque chose à faire pour aider. Anun s'approcha de moi.

— Tu retournes dormir au centre-ville ? Je te dépose.

— Non, je vais passer la nuit ici, répondis-je en souriant faiblement à Anun, qui affichait un air perplexe.

— Tu veux dire rester ici avec Tann ?

— En fait, je ne lui ai pas encore demandé, mais je suis sûr qu'il me laissera faire. Merci de m'avoir accompagné.

Anun se gratta la tête.

— OK. Appelle-moi si tu as besoin de quelque chose.

— Bien sûr, répondis-je en le saluant à la manière thaïlandaise.

Après le départ d'Anun, je m'occupai d'empiler les chaises en plastique, d'essuyer les tables, de ramasser les sacs poubelles, de balayer les restes de cendres d'encens qui étaient tombés sur le porche d'entrée. Tann s'approcha de moi pendant que je balayais le sol.

— Je vais le faire.

Je secouai la tête.

— Non. S'il te plaît, laisse-moi le faire. J'ai manqué la prière funéraire. Et je manquerai l'autre demain parce que je dois rentrer rapidement à la maison. S'il te plaît, laisse-moi t'aider. Je me sentirai plus à l'aise.

— Tu vas passer la nuit ici ?

J'arrêtai de balayer le sol et me retournai pour regarder Tann d'un air interrogateur.

— Je peux ?

— Il est 22 heures. Où vas-tu dormir si ce n'est pas ici  ?

Tann passa devant moi et se dirigea vers le cercueil. Il lève la main pour le toucher et dit d'une voix douce :

— Maman, le docteur Bunn, l'homme dont je t'ai parlé, va passer la nuit ici, si ça ne te dérange pas.

Il avait parlé de moi à sa mère ? Je souris tristement, tenant le balai et marchant pour me placer juste à côté de Tann.

— Mme Yodsungnern, commençai-je tandis que Tann se tournait vers moi pour me regarder. Je prendrai soin de votre fils, ne vous inquiétez pas.

Je vis Tann pleurer à nouveau, mais cette fois, ses larmes étaient teintées d'une pointe de bonheur.




Après avoir tout nettoyé, Tann me conduisit au deuxième étage de la maison, qui se composait de deux pièces. Même s'il s'agissait d'une maison en bois, elle avait l'air très vivable parce qu'elle avait été nettoyée de fond en comble. Tann ouvrit la porte de la chambre de droite. Il y avait un lit, une armoire en bois, un petit rideau blanc à la fenêtre et quelques objets, ce qui donnait l'impression d'une pièce spacieuse et confortable. Je posai mon sac à dos au bout du lit.

— Tu devrais d'abord prendre une douche. La salle de bains est en bas. Tu as apporté du savon et du dentifrice ?

— Oui, c'est bon.

J'ouvris mon sac à dos, en sortis mes vêtements et les articles de toilette de voyage que j'aimais récupérer dans des hôtels au hasard. Heureusement, l'air n'était pas glacial à cette heure-ci, donc ce n'était pas si pénible de prendre un bain froid dans une grande jarre en terre. Je retournai dans ma chambre, vêtu d'un T-shirt blanc et d'un short gris confortable. Je vis Tann assis sur le lit, les yeux fixés sur une photographie qu'il tenait dans ses mains. Je m'assis à côté de lui et me penchai pour regarder la photo. C'était la photo d'une belle jeune femme qui tenait un bébé dans ses bras. Son sourire illuminait le monde entier.

— Élever quelqu'un n'est pas une tâche facile, dit Tann. C'est pourquoi je l'aimais beaucoup. J’aurais fait n'importe quoi pour la rendre heureuse, pour qu'elle soit en sécurité. J'ai dû travailler pour mon père, j'ai dû quitter mon école et j'ai été transféré dans une école proche de ma ville natale. Mais ce que j'ai fait pour elle n'est qu'une fraction de ce que ma mère a fait pour moi quand j'étais jeune.

Le vent commença à s'engouffrer par la fenêtre, apportant une fraîcheur agréable. Je l'écoutais tranquillement.

— Même si on m'a traité de ‘fils bâtard’, ma mère ne m'a jamais fait sentir que j'étais inférieur à qui que ce soit. Je ne sais pas comment elle a fait. C'était la plus gentille, la plus belle femme que j'aie jamais vue. Pourquoi a-t-elle connu ce destin cruel ? Pourquoi a-t-elle dû me quitter  ?

Tann glissa la photo dans sa poche de poitrine et la garda ainsi.

Je serrai sa main qui reposait sur le lit.

— Le destin n'a pas été cruel, elle a de la chance d'avoir un fils aussi dévoué que toi.

Tann esquissa un mince sourire et se tourna vers moi.

— Tu me réconfortes en disant cela, tu le sais ?

— C'est bien. Fais le vide dans ta tête et reposons-nous. Je suppose que tu n'as pas dormi depuis des jours ?

— Bunn…

Je sentais un déluge d'émotions dans son regard, un mélange de tristesse et de bonheur à la fois.

— … Je peux te demander quelque chose ? J'ai peur que ce ne soit qu'un malentendu, mais... est-ce qu'on est... ensemble ?

Je restai immobile pendant un moment.

— Tu veux qu'on le soit ?

— Tu n'as plus peur de tous ces obstacles ?

— J'emmerde tout ça. J'ai dit que j'étais désolé d'avoir eu peur tout à l'heure, dis-je en me jetant à l’eau. On a fini par être malheureux tous les deux. Tu sais, pour moi, tu reviens constamment dans ma tête et je me sens perdu. C'est comme si quelque chose manquait dans ma vie, il y a un vide que personne d'autre ne pourrait combler. C'est vraiment horrible...

Soudain, Tann se pencha, me faisant automatiquement taire. Ses bras passèrent de chaque côté de mes épaules, son visage se rapprocha lentement jusqu'à ce que ses lèvres chaudes se posent sur les miennes. Je fermai les yeux, acceptant son cadeau - un baiser significatif et léger sur ma bouche, probablement le baiser le plus tendre que j'aie jamais eu. J'ouvris les yeux après que Tann se soit éloigné, me sentant flotter au loin.

— Je ne peux pas faire plus que ça, dit Tann en effleurant une mèche de cheveux sur mon front. C'est l'enterrement de ma mère, après tout.

— Je comprends, lui dis-je avec un léger sourire. Je ne suis pas venu ici pour ça.

— Merci.

Tann fixa mon visage en silence pendant un moment avant de se détacher de moi.

— Je vais aller prendre un bain.

C'était une nuit calme mais pleine de sens. Tann sortit de la salle de bains, éteignit la lumière et s'allongea à côté de moi. Nous nous rapprochâmes l'un de l'autre et nous nous serrâmes l'un contre l'autre. Mon visage était près de sa poitrine, son parfum m'apaisait.

10 juin - - - Je devais graver ce jour dans ma mémoire parce qu'aujourd'hui, dans un an, ce serait notre premier anniversaire.




— Je ne veux plus y aller, dis-je au téléphone d'une voix obstinément maussade. Est-ce que je peux annuler tout ça ?

— [Tu ne peux pas. Tu es arrivé jusqu'ici. Ton billet a été acheté. Et ton visa a été approuvé].

Tann répondit pour moi.

Je regardai une pile de rapports d'autopsie rédigés par mes étudiants et poussai un soupir.

— Je ne veux pas être loin de toi.

J'entendis le rire de Tann.

— [Non. Beaucoup de gens mourraient pour étudier à l'étranger. Tu as une bourse complète, et tu veux la gâcher ? Qu'est-ce que les autres professeurs penseraient de toi ?]

— Si je pars, je ne pourrai pas te voir pendant des années.

— [Nous pourrons nous voir par appel vidéo.]

— Ce n'est pas pareil, rétorqué-je en tapotant mon bureau avec mon stylo. Je peux toujours prendre l'avion pour venir te voir souvent si je reste à Bangkok. Mais New York ? C'est impossible.

— [Bunn... Puis-je dire quelque chose ?]

— Quoi ?

— [Tu es devenu plus mignon, ton ton de voix, même ta façon de parler.]

Je m'arrêtai net.

— En quoi est-ce différent ?

Je remarquai qu'une professeure, une senior qui était également assise dans cette pièce, me regardait avec un léger sourire. Je ne savais pas de quoi j'avais l'air quand je parlais à Tann au téléphone, mais les autres personnes pouvaient probablement dire que je parlais à mon petit ami. J'évitai son regard et parlai plus doucement.

— Donc tu seras là samedi à 10h30, c'est ça ?

— [Oui, j'ai beaucoup d'affaires.]

— C'est bon. Ma voiture n'est pas si petite. On devrait y arriver, dis-je en regardant ma montre. J'ai une autopsie à faire. Je te rappelle après le travail.

— [ D'accord, tu me manques, Bunn.]

Tann mit fin à l'appel, et trois semaines plus tard, nous sortions officiellement ensemble. Je devais reprendre mes fonctions de professeur à Bangkok, tandis que Tann avait encore des affaires à régler chez lui. Tann avait l'intention de vendre sa maison et celle de sa mère pour rembourser la dette et commencer sa nouvelle vie, qui était à l'état de ruine. Ce samedi, il venait s'installer temporairement chez moi à Bangkok. Tout allait mieux. Mais il y avait un problème : dans deux mois, j'irai faire des études supérieures aux États-Unis.

Nous nous efforcions donc de trouver un terrain d'entente pour préserver et nourrir notre relation. Tann suggéra que nous ne devions pas nous éloigner l'un de l'autre, et j'étais sûr de pouvoir le faire. J'avais envie de lui parler tout le temps. Je n'avais aucune idée de la raison pour laquelle je voulais tout lui raconter, chaque détail de ma vie. Sa voix était comme de l'héroïne, j'avais besoin de l'entendre tous les jours. J'étais ivre d'euphorie rien qu'en pensant à son visage. Je l'emmenerais au restaurant du centre commercial, à la célèbre confiserie où il n'était jamais allé. J'achèterais des ingrédients pour cuisiner pour lui chez moi le soir, en priant pour que Tann soit impressionné par mon hospitalité et qu'il me récompense par la suite.

Je secouai la tête devant mes idées lubriques avant de ranger mes affaires et de me diriger vers la salle d'autopsie.




— Il y a trois personnes qui s'intéressent à ma maison, et une seule à celle de ma mère, dit Tann en regardant son téléphone tout en mâchant. L'un d'eux m'offre deux millions de baths. Il a dit que si je disais oui, il la prendrait. J'y songe sérieusement.

— Cette offre n'est-elle pas un peu basse  ?

Je versai à la louche du riz frit au crabe fait maison dans les assiettes, qui se mariait très bien avec une soupe de poulet épicée, comme Tann l'aimait. Nous étions assis dans la cuisine de la petite résidence réservée aux professeurs de médecine de l'hôpital.

— Cette maison se trouve au centre-ville, à quelques pas du marché. Deux millions, c'est beaucoup trop bas pour une maison dans ce quartier, si tu veux mon avis.

— Tu as raison, mais j'y ai réfléchi, je veux juste la vendre et en finir avec ça. Je veux rembourser mes dettes et mettre l'argent dans ma nouvelle école de tutorat. Et Bunn, j'ai quelque chose à te montrer. Qu'est-ce que tu en penses ?

— Qu'est-ce que c'est  ?

Tann me tendit son téléphone. Je le saisis et découvris une publicité pour des cours particuliers à Bangkok, avec d'énormes caractères indiquant ‘École de bachotage par le professeur Tann’, et la photo de Tann à côté. Je fis une grimace en voyant le style du texte. Cela me semblait un peu négligé.

— J'ai passé toute la nuit à faire ça. Qu'est-ce que tu en penses ? Tu veux t'inscrire à mes cours après avoir vu ça ?

— Ce genre de design ne pourrait pas attirer des étudiants à Bangkok, dis-je en rendant le téléphone à Tann qui avait l'air embarrassé. Je ne sais pas comment résoudre cela. Bien, je vais envoyer l'affiche à Boon et il en fera une nouvelle pour toi. C'est le Dieu de Photoshop, je te le dis.

— Tu es sûr ? Je ne veux pas le déranger…, protesta Tann nerveusement.

— Il fera tout ce que je lui demande. Ce n'est pas un problème.

— Euh... Merci, dit Tann avec un large sourire. Bunn, je peux encore avoir du riz ?

Tann me tendit une assiette vide. Je la lui pris en souriant. Le simple fait de le voir très bien manger me réjouissait.

— Qu'est-ce que tu veux pour le petit-déjeuner de demain ?

Tann réfléchit.

— Des œufs brouillés. Comme ceux que tu as préparés ce jour-là.

J'essayai de me rappeler pendant quelques instants quand cela s'était produit, puis je réalisai enfin. Mon visage se réchauffa soudainement à cette prise de conscience. C'était le matin où nous avions dormi ensemble pour la première fois.

— Oh.

— Mais cette fois, je les préparerai pour toi. Pas besoin de te réveiller tôt. Tu n'as qu'à attendre que je finisse, annonça Tann avec assurance et je grimaçai de contrariété.

— Est-ce que ce sera mangeable ?

— Bien sûr. Je me suis entraîné. Tu verras.

— Ouais, ouais, mais ne gaspille pas les œufs, dis-je en rendant l'assiette à Tann. C'est trop ?

— Pas du tout. J'ai besoin d'énergie. La nuit va être longue.

Tann me fit un clin d'œil. Je le regardai, stupéfait, et m'empressai de regarder ailleurs. J'essayais de cacher le fait que j'avais également besoin de quelque chose de sa part.

— Mais si tu es fatigué, ce n'est pas grave. Je comprends, tu te fais vieux.

Je fronçai les sourcils.

— 31 ans, c'est vieux ? Nous verrons bien qui est le sale vieillard.

Tann feignit une expression douloureuse.

— Je crains que tu n'aies blessé ma fierté et que tu ne doives être puni.

Je frappai légèrement la tête du bavard avec ma phalange.

— Arrête de penser à ça. Finis ton repas.

Tann se frotta la tête et se mit à rire.

— En y réfléchissant, le faire dans la cuisine n'est pas une si mauvaise idée. Tu veux essayer ?

— Tu…

Oh, il était doué. Il arrivait toujours à ce que je sois à court de réprimandes verbales.

Après avoir fait la vaisselle, je conduisis Tann au deuxième étage de la maison, qui se composait de deux chambres. L'une d'entre elles me servait actuellement d'espace de stockage, il n'en restait donc qu'une avec un lit. Tann posa son énorme valise sur le sol et l'ouvrit. Lorsque je vis qu'elle contenait tous ses vêtements, je me dirigeai vers l'armoire et poussai mes affaires sur le côté, laissant à Tann un espace pour ranger les siennes. Alors que je mettais mes vêtements en place, je sentis une main sur ma taille, suivie d'un souffle chaud sur ma nuque.

— Tann... dis-je en détournant la tête. Laisse-moi d'abord prendre une douche.

— Je te rejoins, lança Tann en levant les mains et en déboutonnant ma chemise. Laisse-moi te frotter le dos.

— Avec quoi ? Avec tes mains ou avec autre chose  ?

Je laissai ses mains déboutonner librement ma chemise.

— Je vais tout utiliser.

Tann fit glisser d'un doigt mon col vers le bas, dévoilant ma peau, et se pencha pour déposer un baiser sur mon épaule.

Et puis il m'accorda quelque chose que je désirais ardemment, ma conscience et mon désir pour lui après tout ce temps s'étaient évaporés dans la nuit, seul un lien entre nous subsistait. Jamais je n'aurais pensé aimer quelqu'un à ce point au cours de cette vie. Notre relation était différente de celles que j'avais eues auparavant. Je n'avais eu aucune difficulté à me défaire des femmes que je fréquentais auparavant. Cependant, ce ne serait pas facile avec Tann, j'en étais sûr. Je ne le laisserais jamais partir. Je serais damné si nous devions nous séparer un jour.

En pensant à cela, je me souvins de quelque chose. Mes yeux s'ouvrirent dans l'obscurité tandis que les bras de Tann m'enserraient par derrière. Sa peau me réchauffait. Il inspirait et expirait de façon irrégulière, trahissant son état de sommeil profond.

Qui avait dit à Prae, mon ex-petite amie, que j'étais gay ? Qui l'avait poussée à rompre avec moi ? Cette question restait encore aujourd'hui sans réponse.

Je me tournai vers la forme endormie de Tann et enfouis mon visage dans sa poitrine. Qui que ce soit, cela n'avait plus d'importance. La chose la plus importante à présent était que j'allais aimer et prendre soin de l'homme à mes côtés. Je l'aiderais à surmonter tous les obstacles de sa vie. Je me battrais pour ce que nous voulions : vivre notre vie ensemble jusqu'à ce que nous vieillissions ensemble.


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